© PG

 » À QUOI SERT UN COMPTE SI ON N’A RIEN À METTRE DESSUS ? « 

Anderlecht l’a arraché à la misère en 2004. Après une odyssée qui l’a conduit à Zulte Waregem, Saint-Trond, l’Union et au Brussels, Sébastien Siani est enfin au sommet. Capi d’Ostende, il est devenu important également au Cameroun. Une rencontre à Douala.

Un de ses copains plaisante au sujet de Donald Trump mais il ne mord pas à l’hameçon. Au contraire.  » Quelle différence l’identité du président des États-Unis fait-elle pour le Cameroun ? Aucune. Ce qui peut nous aider, c’est la liberté d’expression.  »

Nous sommes dimanche matin, après le match contre la Zambie. Sébastien Siani est venu nous chercher à notre hôtel pour déjeuner au centre de Douala. Juste avant qu’il n’arrive, nous avons visionné sur internet un film qui explique pourquoi le Cameroun est un pays faussement indépendant, toujours tenu en laisse par la France. Nous allons rapidement comprendre que le sujet tient beaucoup à coeur le capitaine d’Ostende.

 » Ici, ce sont les Occidentaux qui déterminent la voie à suivre « , témoigne-t-il.  » A l’école, nous apprenons ce qui s’est passé pendant la Première Guerre mondiale, on nous parle d’Hiroshima et de Tchernobyl mais pas de ce qui s’est passé en Afrique. Ils sont venus enrôler des tirailleurs ici : qui étaient-ils, que sont-ils devenus ? C’est ça que nous voulons savoir.

Nous voulons connaître notre propre histoire. Pour ça, il va falloir changer les manuels d’histoire ; regardez les noms des rues : Avenue du Général de Gaulle, Rue du Dr. Jamot … Moi, je préfère parler de nos semblables, de ceux qui sont morts pour leur patrie.  »

À L’ÉCOLE D’ETO’O

Sébastien Siani a grandi dans un village situé à deux cents kilomètres de Douala, nous confie-t-il pendant le petit-déjeuner, à l’étage d’un café.  » Je suis ensuite venu vivre ici, chez ma grand-mère. Dans le village, il n’y avait pas grand-chose à faire. A cinq heures, tout le monde était déjà au lit. Il y a beaucoup plus d’opportunités ici.  »

A douze ans, il a intégré la Kadji Sport Academy, le centre de formation très réputé qui se trouve en bordure de Douala et qui a assuré l’écolage de Samuel Eto’o et de nombreux internationaux camerounais.  » J’ai eu la chance que le président de Kadji Sport soit issu du même village que moi. C’est comme ça que j’ai été repéré et que j’ai pu suivre le sport-étude là-bas.  »

Il devait nous conduire à cette académie ce matin-là mais il y renonce : suite à des travaux à un pont que nous devons franchir, nous perdrions trop de temps dans les embouteillages. Il nous emmène dans un café, La Saga de la Cité, où nous découvrons la bière de Kadji, brassée par le sponsor de son ancienne académie.

Des amis, jeunes et moins jeunes, se dirigent vers notre table, les uns après les autres. Certains se souviennent du temps où il a commencé à jouer, dans son village, avec une balle en papier.

 » Je devais avoir neuf ou dix ans quand j’ai réalisé que j’étais habile ballon au pied. Des garçons plus âgés m’ont encouragé à jouer au football. J’étais leur ramasseur de balles mais maintenant, ils viennent me voir jouer en équipe nationale. Le football est devenu une passion petit à petit. Je voulais progresser.

Quitter mon village pour Douala s’apparentait pour moi à un voyage en Europe. J’ai découvert à ce moment-là un monde complètement différent. Maintenant, il est plus facile d’aller en Europe car on peut la découvrir à l’avance, sur internet. Mais à l’époque, nous ignorions complètement où nous allions et ce que nous pouvions espérer.

Mon premier objectif était de devenir professionnel à Kadji Sport. Au fil du temps, j’ai commencé à rêver d’une carrière semblable à celle de Samuel Eto’o, déjà pour pouvoir aider ma famille. Mon succès ne m’appartient pas, il est destiné à mes enfants et à mon entourage.  »

LE CHALLENGE AFRICAIN

Il considère la misère dans laquelle il a grandi comme une source de motivation.  » La motivation de me battre pour aller plus loin. C’est notre challenge, le challenge africain. Je le dis parfois à mes coéquipiers belges : allez donc passer un moment en Afrique – ou en Asie, ou en Amérique du Sud – et racontez-moi ce que vous y aurez appris. On apprend à se débrouiller.

Mes deux enfants, Rose et Leo, sont encore très petits mais je vais les emmener ici chaque année. Parce que c’est la terre de leurs origines, même si leur mère est belge et qu’ils vivent en Belgique, mais aussi parce que je veux qu’ils sachent ce qui se passe ici, comment on vit. Je ne veux pas qu’ils ne connaissent que le confort.

Car vous savez, pour moi, un compte-épargne, c’était bon pour les films. A quoi sert un compte si on n’a rien à mettre dessus ? Je recevais 25 CFA d’argent de poche. Ça ne fait même pas 0,04 euro. Deux pièces de deux centimes en Belgique.

Je misais cet argent sur les matches que nous disputions à l’école contre les autres classes, pour essayer de gagner plus. Je vendais des chaussures en plastique pour pouvoir m’acheter une paire de belles chaussures pour les fêtes. Ici, on découvre la vraie valeur de la vie, on apprend à distinguer le bien du mal.

On découvre que l’argent contribue à rendre heureux mais que le savoir-vivre est essentiel pour sentir que la vie est belle et qu’elle mérite un sourire, jour après jour.  »

Le soleil de midi tape. Le groupe se met à l’ombre, sous un toit. Sébastien demande qu’on apporte deux plats de viande et de bananes rôties, avec une sauce piquante. Autour de nous, tous les gens rayonnent de joie de vivre. Ce n’est pourtant pas évident dans un pays dont la majorité de la population est pauvre, voire miséreuse et où l’espérance de vie n’atteint même pas 50 ans. Mais pour l’heure, ces gens n’y pensent heureusement pas.

UNE BIBLE POUR L’AFRIQUE

 » Ils mènent une existence difficile mais ils ne le montrent pas : ils continuent à trimer. Ils acceptent leur destin et ne renoncent jamais. Le principal problème est l’absence de sécurité sociale alors que les pauvres tombent plus vite malades. En Europe, on se rend à l’hôpital et on s’acquitte de la facture un mois plus tard.

Ici, il faut payer tout de suite pour être soigné. On vous laisse mourir, si vous ne payez pas. C’est arrivé récemment à une femme enceinte. Quand les gens savent qu’ils ne peuvent pas payer, ils restent à la maison et tentent d’obtenir des médicaments par un médecin ambulant ou via le marché noir mais ils n’ont pas toujours la bonne médication.

C’est comme ça que mon arrière-grand-mère est morte : elle a pris un comprimé qui ne convenait pas à une dame de son âge. Les gens prient pour ne pas tomber malades car l’affection la plus banale peut être fatale.  »

La foi en Dieu est aussi un problème, il le reconnaît.  » Je crois en une instance supérieure, en un dieu universel, mais il ne domine pas mon esprit. C’est peut-être le principal problème de l’Afrique : beaucoup de gens croient que Dieu va tout résoudre à leur place et au lieu de se battre pour leurs rêves, ils attendent un miracle.

Et quand un problème ne se résout pas, ils se disent simplement que Dieu n’a pas encore pris de décision. Tout ça parce qu’il y a deux ou trois cents ans, des missionnaires européens ont débarqué ici avec la Bible, une bible spécifique pour l’Afrique ! Depuis, nous pensons que pour réaliser nos rêves, il nous suffit d’attendre qu’ils tombent du ciel. Je peux vous le dire : tout ce qui tombe du ciel, c’est la pluie et le soleil.  »

Un jeune qui porte un seau sur la tête se joint à l’assemblée.  » Des escargots ! Tu veux goûter ? Tu es au Cameroun…  »

Séba a quitté le Cameroun pour la Belgique il y a douze ans. Werner Deraeve et Philippe Collin étaient venus visionner Ernest Nfor à la Kadji Sport Academy pour le compte d’Anderlecht mais ils avaient remarqué Sébastien Siani. Ils avaient vu en lui le futur successeur d’Aruna Dindane et lui avaient offert un contrat de six mois.

C’était en janvier et il faisait très froid à son arrivée à Bruxelles mais au printemps, sous le soleil d’avril, il s’était épanoui et avait paraphé un contrat de cinq ans.

UN GOAL AU REAL

Il avait effectué ses débuts en équipe première sous la direction de Frank Vercauteren, il avait marqué contre Zulte Waregem en Supercoupe et d’une reprise de volée dans la lucarne contre le Real, dans un match amical à Bernabeu. Pourtant, il n’avait pas réussi à s’imposer et avait été loué. Saison après saison.

Après des passages à Zulte Waregem, à l’Union, à Saint-Trond et au Brussels, il a enfin rejoint l’élite absolue à Ostende. Il semble être médian axial, un huit, pas un attaquant.

 » J’ai été formé comme milieu axial mais je jouais en attaque dans le match qu’ont vu les représentants d’Anderlecht à Kadji.  »

Durant sa jeunesse, on le surnommait Veron, du nom du médian central argentin Juan Sebastian Veron. Depuis lors, tout le monde reconnaît ses qualités, même si on fait souvent remarquer qu’il est resté trop gentil, en dehors du terrain comme dessus. Certains entraîneurs estiment qu’un capitaine doit taper du poing sur la table et être plus rude en cours de match.

 » Mais ce n’est pas mon genre. Il y a d’autres joueurs pour ça. Il m’est impossible de changer ma personnalité. Par moments, j’essaie mais pas à chaque match. L’agressivité ne mène à rien de bon. J’ai été élevé comme ça. Je réponds à la brutalité par la douceur. Une telle approche améliore la compréhension réciproque.

Si nous sommes brutaux tous les deux, nous ne nous comprendrons jamais et le moindre malentendu peut avoir de lourdes conséquences. Je ne perds pas la tête et j’utilise ma brutalité d’une manière politique. Finalement, on éteint un feu avec de l’eau. Mes parents et mes grands-parents m’ont appris à rester calme, à tenter de garder l’esprit clair, y compris pour me protéger.  »

Il a effectué ses débuts pour le Cameroun la saison passée. Il a joué son dixième match international contre la Zambie en novembre. Il a été le meilleur homme sur le terrain, à Limbe, mais sa prestation a été assombrie par le nul concédé par les Lions Indomptables. Tous ses coéquipiers n’étaient pas concentrés au coup d’envoi.

QUESTION DE MENTALITÉ

 » Pour gagner un match, il faut que chacun y mette tout son coeur et que les onze joueurs, ou du moins dix, soient sur la même longueur d’onde. Dans une joute internationale, si trois footballeurs ne sont pas très motivés, il est impossible de gagner. J’ai essayé de les motiver mais je ne suis pas international depuis longtemps et ceux qui sont repris depuis des années m’ont regardé l’air de dire : qui es-tu pour nous parler comme ça ?

Pourtant, la mentalité actuelle est très bonne. Hugo Broos a apporté plus de clarté, de rigueur et de volonté. Mais certains manquent de modestie. Il est parfois difficile de rester humble quand on a été pauvre et qu’on accède subitement à la richesse. Nous avons des joueurs de qualité mais pas des génies. Donc, pour réussir, nous devons miser sur le collectif et le travail. Si chacun se concentre et oublie un moment son ego, tout est possible.  »

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS PG

 » Mon succès ne m’appartient pas, il est destiné à mes enfants et à mon entourage.  » – SÉBASTIEN SIANI

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire