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 » A Paris, je m’éclate « 

Phénomène de précocité, attraction médiatique et déjà compagnon des cadors du Ballon d’Or, le jeunot du PSG n’en finit pas de foncer. Il s’est juste arrêté longuement pour raconter ses derniers mois d’émois.

Cela fait maintenant plus de cent jours que tu es au PSG. Si tu ne devais en retenir qu’un seul depuis ton arrivée, ce serait lequel ?

Kylian Mbappé : Le premier, celui de la présentation (NDLR : le 6 septembre). Ce jour-là, j’ai un peu basculé dans une autre dimension. J’avais l’impression de traverser une rivière et de changer complètement de monde. On m’emmenait dans un autre univers, totalement inconnu. J’étais un peu comme une rock star avec tous ces supporters qui t’accueillent et le monde entier présent à la conférence de presse.

Est-ce que cela t’a un peu effrayé sur le coup ?

Mbappé : Non, même pas. C’était surtout de l’excitation. Et j’étais curieux de découvrir tout ça. Ça met forcément une grosse pression. Je me suis dit que dès le premier match (face à Metz, 5-1), il allait falloir marquer les esprits. Et c’est ce que j’ai fait. C’était important pour embarquer d’entrée les gens avec moi.

Tu as eu dix-neuf ans le 20 décembre. De quoi on rêve à cet âge-là ?

Mbappé : De trophées, de titres… J’ai des rêves plein la tête. Je sais qu’une carrière ce n’est pas si long alors je n’ai pas envie de perdre de temps.

Parfois, tu ne rêves pas simplement de tranquillité, de ta vie d’avant ou de celle de tes copains d’enfance ?

Mbappé : Un peu. Le fait d’être devenu si vite un bon joueur m’a fait louper plein de choses de la vie classique d’un adolescent normal. Plus tard, je ne pourrai même pas raconter à mes enfants mes bêtises d’ado car je n’ai pas eu le temps d’en faire. Ils me demanderont sans doute pourquoi. Et je leur dirai que, à dix-huit ans, je jouais déjà au PSG et que là-bas, on ne peut plus faire de bêtises. C’est mon seul petit regret. Je suis peut être tombé trop tôt dans le monde professionnel. À seize ans, t’es encore un gamin. À partir du moment où tu signes pro, c’est fini, tu ne peux plus être un gamin. Tu dois te comporter comme un adulte, réfléchir comme un adulte, agir comme un adulte. À seize ans, ce n’est pas évident.

Quand certains ont commencé à douter de moi et que c’était en train de devenir une bombe nationale, ça m’a plu.  » – Kylian Mbappé

Cette période a-t-elle été compliquée à gérer ?

Mbappé : Oui, parce qu’on te demande plein de trucs qui ne sont pas de ton âge. On me disait, par exemple, d’aller en soins ou en interview alors que moi j’aurais préféré jouer à la console avec mes copains ou aller rigoler à la foire avec eux. Mais l’amour du foot finit par prendre le dessus. Si je n’étais pas amoureux du foot, jamais je n’aurais accepté tout ça. J’aurais dit :  » Laissez-moi, je veux jouer tranquille dans un petit club de Ligue 1 histoire de bien gagner ma vie.  » Mais il faut savoir ce que l’on veut. Si je suis parti de la maison à douze ans, ce n’était pas pour abandonner en chemin.

 » Je me sens encore plus léger qu’à Monaco  »

Franchement, avec un peu de recul, ton ascension expresse ne t’a-t-elle pas semblé un peu trop facile malgré tout ?

Mbappé : Je peux comprendre qu’aux yeux de certains ça paraisse facile, car je suis sorti de nulle part et j’ai tout de suite marqué en Ligue 1, en Ligue des champions… Ça peut sembler aisé comme ça mais ce n’est vraiment pas le cas. Dans le football, pour vous imposer, vous devez faire face à plein de complications. Il y a le terrain, bien sûr, mais aussi la pression médiatique, les petits problèmes extrasportifs… Ça n’a rien de facile, surtout maintenant à Paris où la pression des résultats et de tout gagner est largement supérieure à celle qui existait à Monaco.

L’ambition, c’est l’endroit vers lequel on se sent capable d’aller. La prétention, c’est viser des choses qui ne sont pas à ta portée.  » – Kylian Mbappé

Quand on doit en plus apprendre la célébrité, c’est quoi le piège principal à éviter ?

Mbappé : Toutes les tentations qui rôdent. En fait, vous avez tout mais vous ne pouvez rien faire ! Comme tout est surmédiatisé, il faut faire attention à l’image que l’on renvoie.

Plus jeune, il paraît que tu pleurais souvent à la moindre contrariété…

Mbappé : Je faisais beaucoup de crises de nerfs, c’est vrai. J’étais colérique car je ne trouvais pas toujours les solutions tout seul. Maintenant, ça va mieux de ce côté-là, j’arrive mieux à analyser.

C’était quand la dernière fois ?

Mbappé : Ça fait longtemps que je n’ai pas pleuré. Depuis que je suis pro, ça ne m’est plus jamais arrivé. En même temps, il s’est produit tellement de bonnes choses pour moi depuis quelques mois…

Quand on  » pèse  » 180 M?, joue-t-on toujours avec la même légèreté ?

Mbappé : Franchement ? Moi, je me sens encore plus léger qu’à Monaco. À Paris, le plaisir continue de dominer. Je m’éclate dans cette équipe à pratiquer ce jeu plutôt porté vers l’avant. Le jour où je ne m’amuserai plus sur un terrain, il y a des choses que je ne tenterai plus. Moi, j’avoue, dans la vie, je ne suis pas un gros travailleur. Ceux qui parlent de  » sacrifices  » à faire tout au long d’une carrière, je ne comprends pas trop. Pour moi, le vrai sacrifice, ce serait de me lever tôt le matin pour aller bosser. Ça, je ne sais pas trop si pourrais le faire parce que je ne suis pas un gros travailleur. Je suis juste un amoureux du foot.

Kylian Mbappé:
Kylian Mbappé:  » J’ai des rêves plein la tête. « © pg/nike

On fait comment, à dix-neuf ans, pour supporter la pression et ne pas péter les plombs ? Quelles sont tes soupapes de décompression ?

Mbappé : Comme je ne peux pas trop sortir, je ramène plein d’amis à la maison. On joue aux cartes, on rigole, on pense à autre chose que le foot. Ce sont les seuls moments où je peux me comporter comme un garçon de mon âge. On se fait des challenges du style :  » Qui est capable de faire ça sans que papa et maman le voient ?  » Des trucs d’enfants de mon âge, quoi.

 » Je réalise que j’ai un peu changé de statut  »

L’une de tes caractéristiques, ou marques de fabrique, c’est le sourire que tu affiches constamment. A contrario, sais-tu pourquoi autant de joueurs font la gueule sur un terrain ?

Mbappé : Je pense que certains sont carrément tétanisés par les enjeux, la pression. D’autres ne sourient pas trop car ça fait également partie de leur caractère, comme Cavani alors qu’il est super content d’être sur le terrain, j’en suis certain. Tant qu’il n’a pas marqué, il ne se relâche jamais. Il est à fond dans sa concentration. Moi, j’ai une approche un peu différente. J’ai dix-neuf ans, je joue au PSG, j’ai déjà gagné des titres, je marque des buts. Et il faudrait que je fasse la tête ?

En octobre, au moment de la publication de la liste des trente nommés pour le Ballon d’Or, tu nous avais dit qu’une place dans les vingt serait  » inimaginable « . C’était de la fausse modestie ou une manière de te protéger d’une mauvaise surprise ?

Mbappé : Non, je le pensais vraiment. Moi, j’ai beaucoup de respect pour les très grands joueurs. Peut-être trop. Même si mon année 2017 a été parfois meilleure que celle d’autres très grands, je ne m’imaginais pas si haut (septième). Sur les vingt-neuf autres présents dans la liste, je ne les apercevais qu’à la télé il n’y a encore pas si longtemps. Et maintenant je suis parmi eux. Je réalise que j’ai un peu changé de statut.

À quoi le vois-tu ?

Mbappé : Déjà, avant les grands matches, désormais on me demande toujours si je vais bien, si je suis prêt. Tout le monde est aux petits soins. Entraîneur, coéquipiers, membres du staff… Comme je passe maintenant pour un joueur qui peut faire la décision, on fait plus attention à moi. Même à l’entraînement, ce n’est plus pareil. On me surveille, on me demande si la charge de travail n’est pas trop importante, si elle est bien adaptée à mes besoins ou à ma forme du moment. Avant, je n’avais pas le droit à toutes ces attentions quand j’étais sur le banc. (Il sourit.) Remplaçant, on te demande juste de faire tes preuves. T’es bon, tu auras peut-être une autre chance de jouer, tu n’es pas bon, tu retournes sur le banc. Forcément, pour moi, le changement a été assez brutal. Car ce statut de remplaçant qui a tout à prouver, il n’est pas si ancien. C’était juste hier.

Quand a eu lieu la bascule et t’es-tu rendu compte que l’on commençait à te protéger ?

Mbappé : À partir du mois de mars, à Monaco. Après les matches face à City (en huitièmes de finale de C1, il inscrit un but à l’aller, 5-3, et un autre au retour, 3-1), j’ai enchaîné quatre-cinq buts. J’ai vu et compris que tout changeait autour de moi. La bulle médiatique a également explosé.

Un top 10 au Ballon d’Or, c’est un peu comme une entrée dans une académie de grands ?

Mbappé : Bien sûr ! Quand je l’ai appris, je me suis dit :  » Je suis dedans ! Maintenant, ils peuvent compter sur moi.  » Une place dans ce top 10, c’est une place parmi les très grands. Mais il y a une telle concurrence tout en haut que tu ne peux pas seulement t’en contenter. Au moindre coup de mou, il y en a plein d’autres qui sont là pour prendre ta place. Et tu es vite oublié.

 » J’adore me fixer des objectifs très hauts  »

Sais-tu qui a mis le moins de temps entre sa première apparition dans la liste du Ballon d’Or et une victoire ?

Mbappé : Le Brésilien Ronaldo ?

Oui. Il a mis deux ans (dans la liste en 1995 et vainqueur en 1997).

Mbappé : À quel âge ?

Il avait vingt et un ans… Dans un an, tu n’auras toi que vingt ans. Battre des records, c’est un vrai moteur ?

Mbappé : Bien sûr que j’aime ça ! Ce n’est pas une obsession, mais j’adore me fixer des objectifs très, très hauts. Ça m’aide à avancer et à savoir où je veux vraiment aller. C’est une petite lumière que tu vois au loin et vers laquelle tu essaies de te diriger.

Toi qui programmes tout, je suis certain que tu as déjà prévu l’âge de ton premier Ballon d’Or. Je me trompe ?

Mbappé : (Il réfléchit…) En fait, plus que le Ballon d’Or, ce sont les titres avec l’équipe que je vise. Car on ne donne pas le Ballon d’Or à un joueur qui ne fait pas gagner quelque chose de grand à son équipe. Un Ballon d’Or, c’est tout, sauf un hasard.

C’est quoi la différence entre l’ambition et la prétention ?

Mbappé : L’ambition, c’est l’endroit vers lequel on se sent capable d’aller. La prétention, c’est plutôt de se vanter de viser des choses qui ne sont pas du tout à ta portée, qui ne sont pas pour toi. Au fond de nous, on sait tous de quoi on est capables.

De quoi te sens-tu capable ?

Mbappé : Pour être honnête, je ne sais pas trop… En fait, je ne sais plus trop. Je m’étais fait un peu des plans pour ma carrière. Mais comme rien ne s’est passé comme prévu et que je me trouve déjà beaucoup plus haut que je ne l’imaginais il y a encore quelques mois, c’est un peu difficile de se projeter. Où j’en serai dans deux ans ? Franchement, je ne sais pas… Mes débuts assez particuliers en pro m’ont fait changer tous mes plans. Je n’avais pas prévu tout ça, comme d’être le septième meilleur joueur du monde en 2017, par exemple.

Mes deux matches face à City ont tout fait basculer pour moi.  » – Kylian Mbappé

 » Sur un terrain, tu apprends beaucoup de la vie  »

Après quelques ratés avec le PSG, notamment lors du match face à l’OM, tu as découvert le jeu de la critique sur le thème  » il est suffisant « ,  » il se prend pour Neymar « … On fait comment pour se blinder ?

Mbappé : Autant, à mes débuts, j’avais du mal à prendre les critiques comme la plupart des footballeurs, autant là j’en étais fier.

Possible de développer cette drôle de thèse ?

Mbappé : Quand j’ai commencé à entendre :  » ça fait déjà deux matches que Kylian n’a pas marqué « , je me suis dit :  » Ah ouais, ça c’est une attente digne des grands joueurs !  » Il ne faut pas se mentir : on ne met pas autant de pression sur n’importe quel joueur au bout de deux matches sans but sinon tous les journaux de foot seraient très épais, hein ? (Il rit.) Alors, franchement, quand certains ont commencé à douter et que c’était en train de devenir une  » bombe nationale « , moi, ça m’a plu. Là, je me suis rendu compte que j’avais franchi un palier. Plus de 90 % des footballeurs passent beaucoup plus de deux matches sans marquer et on ne leur dit rien. Moi, j’accepte le challenge car cela va avec le statut que j’ai envie d’aller chercher.

Même pas déstabilisé ?

Mbappé : Pas du tout. Peut-être que je prendrai mal d’autres critiques, mais pas celles-là.

Qu’est-ce qui pourrait t’atteindre ?

Mbappé : Que l’on s’attaque à mon éducation. ça, c’est la seule chose qui pourrait me vexer. Le reste, ce n’est que du foot et ça fait partie du métier.

 » Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur un terrain  » a dit Albert Camus. Toi aussi ?

Mbappé : C’est vrai que sur un terrain tu apprends beaucoup de la vie. Moi, je me suis beaucoup construit dessus, en regardant, et en faisant des erreurs aussi. Mais, derrière, il te faut aussi un vrai cadre familial pour tout encadrer. Et moi, j’ai eu la chance d’en bénéficier d’un très solide.

Cela te gêne-t-il de passer parfois pour le petit intello du milieu ?

Mbappé : Parce que j’aligne deux mots pour répondre, je serais super intelligent ? Je trouve ça ridicule. Parce que quelques-uns ne parlent pas trop bien, les médias sont peut-être contents de trouver un joueur qui s’exprime juste normalement. Mais il y en a plein qui parlent comme moi dans le foot.

 » J’aime bien la manière dont Zidane s’exprime  »

Ça reste important de bien communiquer ?

Mbappé : Évidemment ! Mais la com, ce n’est que l’enveloppe. Si ton noyau, le terrain, n’est pas bon, la plus belle com du monde ne sert à rien. Si c’est ta priorité de bien communiquer, change de métier et deviens responsable marketing !

As-tu un exemple de bon communicant dans le foot, quelqu’un qui arrive à faire passer les bons messages ?

Mbappé : Moi, j’aime bien la manière dont Zinédine Zidane s’exprime. Il ne dit jamais un mot plus haut que l’autre et n’enterre jamais personne. Il est très respectueux sans être fade.

Tu aurais aimé faire quoi si tu n’avais pas réussi à percer comme joueur ?

Mbappé : Entraîneur ! Moi, je ne me voyais pas ailleurs que dans le foot. Et après ma carrière, je suis certain que je finirai sur un banc. J’imagine que ce doit être trop dur et brutal d’arrêter du jour au lendemain. J’aimerais faire ça par étape et passer sur les bancs avant de complètement quitter le foot. La  » mort  » sera plus lente. J’ai même déjà mes petits plans dans ma tête : j’aimerais commencer à coacher dans des clubs où je suis passé, comme à Monaco ou Paris.

Avant ça, tu te vois où et comment dans dix ans ?

Mbappé : Dans la meilleure équipe du monde ! Si c’est le PSG, alors je serai peut-être toujours ici.

© reuters

 » Neymar m’attendait  »

Comment fait-on pour s’intégrer dans un vestiaire rempli de stars aux ego parfois boursouflés ?

Kylian Mbappé :Moi, je suis arrivé tranquille, naturel, en restant à ma place. Comme j’aime bien aller vers les autres, ça n’a pas été un gros effort. Mais il faut faire preuve de respect aussi par rapport aux joueurs qui sont là, à ce qu’ils ont déjà fait dans leur carrière, par rapport aussi à leur âge car il y en a dans ce vestiaire qui pourraient être mes parents.(Il s’esclaffe.) Je n’allais pas débarquer le premier jour et taper dans le dos de Dani Alves en lui disant :  » Ça va mon pote Dani ?  » Il fallait y aller en douceur.

Et avec Neymar ?

Mbappé : Avec lui, c’est différent. Il m’a tout de suite pris sous son aile et m’a intégré. Il m’attendait, en fait. En fin de mercato, il n’arrêtait pas de m’envoyer des messages :  » Tu arrives quand ?  » Je lui répondais :  » Attends, j’arrive.  » Mais comme ça a traîné un peu, il a dû se dire :  » Il m’a menti, il ne viendra pas.  » Dès que je suis arrivé, il a tout fait pour me mettre à l’aise. Sur le terrain, il me cherchait beaucoup, me faisait pas mal de passes. Quand un joueur comme ça t’accueille de cette manière, forcément ça aide d’entrée à t’intégrer dans le vestiaire.

Comment a évolué votre relation à tous les trois avec Cavani et Neymar ?

Mbappé : On a fini par trouver assez vite une certaine complémentarité entre nous trois. Mais il n’y a rien de prédéfini. Il y a des matches où je vais jouer plus avec Cavani, d’autres où ce sera plus avec Neymar. On forme un vrai trio avec de plus en plus de complicité sur le terrain. C’est ce qui fait notre force.

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