» À CHELSEA, JE N’AURAIS JAMAIS JOUÉ « 

Le divin rouquin a vécu tant de choses depuis la Coupe du monde qu’il aspire à un peu de repos. La saison vient pourtant à peine de débuter et les ambitions sont là, que ce soit avec Wolfsbourg ou avec les Diables.  » Quand je fais quelque chose, c’est pour gagner « , dit-il.

Sur la table, une brique est ouverte. Il s’agit d’un cours de psychologie de Michèle, sa compagne, explique un KevinDeBruyne qui semble fatigué à l’issue de deux séances d’entraînement avec Wolfsbourg.  » Effectivement, je le suis. Les dernières semaines ont été rythmées.  » Il nous reçoit dans le salon de leur maison, située dans un nouveau quartier résidentiel de la banlieue verte de Wolfsbourg, encore introuvable sur le GPS. La ville, un peu froide, est surtout connue pour abriter le siège de l’usine Volkswagen. Un coup de fil à son agent, PatrickDeKoster, a suffi à fixer le rendez-vous, sans passer par le club.  » Ils savent ce que Patrick signifie pour moi « , dit le Diable Rouge en repoussant un peu le syllabus de Michèle et en s’installant devant le téléviseur. Les deux jeunes gens n’ont manifestement pas encore pris leurs marques dans leur grande maison aux murs dénudés.

Il y a deux ans, lorsque je vous avais rencontré à Brême, vous m’aviez dit : « Je ne pourrais pas vivre ici ». Le pays et les gens ne vous convenaient pas.

Kevin De Bruyne : Je ne resterai pas en Allemagne après ma carrière. Pour le moment, le football passe avant tout et, sur ce plan, je me sens bien ici. A Brême, je devais m’adapter, tout était nouveau. J’ai peut-être parlé trop vite. Entre-temps, je me débrouille en allemand et tout est bien orchestré ici. Ma petite maison est suffisamment grande pour accueillir des amis et de la famille en week-end. Elle est souvent remplie.

A l’époque, vous disiez profiter de chaque moment de liberté pour rentrer en Belgique. Est-ce toujours le cas ?

Oui, pour voir les amis et pour que Michèle puisse retrouver ses parents. Pour elle, tout est nouveau ici. Elle est presque tout le temps avec moi et au début, il est bon qu’elle puisse voir ses parents régulièrement. Mais nous ne prenons pas de risque inutile : je ne rentre que si nous avons au moins un jour et demi de congé. Moins, cela ne vaut pas la peine.

 » Il y a plus de potentiel à Wolfsbourg qu’à Brême  »

Sur le plan footballistique, ça ne marchait pas non plus. Vous disiez que l’équipe ne conservait pas suffisamment le ballon et qu’à l’entraînement, vous ne faisiez que jouer de petits matches. Est-ce différent à Wolfsbourg ?

Oui, c’est même à l’opposé de ce que j’ai connu à Brême. Ici, la plupart du temps, c’est nous qui faisons le jeu. Brême n’avait pas l’équipe pour cela. Défensivement aussi, c’est différent : on ne recule pas, on presse. Cela me convient mieux.

Vous le saviez avant de vous engager ?

Non. Bien sûr, je connaissais un peu l’équipe pour l’avoir affrontée avec Brême. Klaus (Allofs, le directeur sportif, ndlr) a rejoint Wolfsbourg et il a fait le ménage dans le noyau. Je pense que, de l’équipe que j’avais rencontrée il y a deux ans, il ne reste plus que sept joueurs. La saison dernière, nous nous sommes qualifiés pour l’Europa League mais je pense que ce club a suffisamment de potentiel pour viser plus haut. Tout est réuni pour progresser à tous les niveaux, ce qui n’était pas du tout le cas à Brême.

Vous l’appelez Klaus : êtes-vous si proche de lui ?

Bah, ici, tout le monde s’appelle par son prénom. C’est Klaus qui m’a fait venir à Brême et à Wolfsbourg mais si le club n’avait pas été prêt à payer le montant exigé par Chelsea, je ne serais pas là. Le projet de Wolfsbourg me plaît et je me sens bien en Allemagne. Je pense que ce style de jeu me convient.

Pour en revenir à Klaus Allofs : c’est fou comme Didier Frenay, qui est très proche de votre agent, Patrick De Koster, parvient à placer aisément des joueurs chez lui. Je fais référence à Ivan Perisic et Junior Malanda. Wolfsbourg, était-ce vraiment votre choix ?

Je sais que Patrick et Didier sont amis mais seul Patrick est mon agent et je ne tiens compte que de son avis. Ivan et Junior sont de bons transferts. Au cours de ma première saison ici, Ivan a inscrit dix buts. Et Junior, bien que très jeune, a très rapidement conquis sa place.

A quel point votre transfert à Wolfsbourg, l’hiver dernier, était-il lié à l’approche de la Coupe du monde ?

Rien à voir. Je n’avais tout simplement plus envie de rester à Chelsea. D’abord parce que je n’avais pas le sentiment que j’y jouerais un jour. Ensuite parce que je ne voulais plus être prêté. Même si j’avais livré six bons mois et une bonne Coupe du monde, j’aurais alors dû rentrer à Chelsea et retomber dans la même situation. Je ne voulais plus de cela, je voulais un nouveau défi. Coupe du monde ou pas, je serais donc quand même parti.

 » Mourinho voulait que je me batte pour ma place  »

Pourquoi avez-vous échoué ?

Absolument aucune idée. On n’en a même jamais parlé. J’ai encore lu récemment que José Mourinhon’expliquait jamais ses choix. Et c’est vrai (il rit). Même s’il m’avait dit que j’allais jouer, je savais que ce n’était pas vrai. Un joueur sent cela. Ma décision était donc prise : je voulais partir. Au départ, Mourinho s’y est un peu opposé, il voulait que je me batte. Je lui ai expliqué que j’avais le sentiment que je n’aurais jamais ma place et le club s’est occupé de mon transfert.

Quel sentiment gardez-vous de votre passage à Chelsea ?

Ce sont des choses qui arrivent. J’en suis à ma septième année de professionnalisme. Pendant six ans et demi, ça s’est très bien passé et même au cours de cette demi-saison, je me suis amusé.

Le sélectionneur vous a-t-il dit que vous deviez absolument jouer pour aller à la Coupe du monde ?

Non. Nous en avons parlé une fois mais il ne m’a pas dit que je perdrais ma place chez les Diables si je ne jouais pas dans mon club.

Le fait de ne pas avoir joué pendant six mois à Chelsea vous a-t-il permis d’être plus frais au moment d’aborder la Coupe du monde ?

C’est difficile à dire. L’année précédente, j’avais disputé tous les matches avec Brême mais lors de la dernière rencontre face à la Serbie, j’avais encore assez de jus pour jouer les 90 minutes à fond. En Coupe du monde, je n’ai pas ressenti de fatigue. Pour moi, c’est comme si j’avais joué deux ans et demi sans arrêt avant de livrer une Coupe du monde sans problème.

Avez-vous revu d’autres Diables Rouges ou avez-vous parlé avec eux par téléphone ?

En vacances, j’ai vu Moussa(Dembélé, ndlr) et Jan(Vertonghen, ndlr). J’ai aussi passé une journée chez Dries(Mertens, ndlr). Mais depuis la reprise des entraînements, j’ai été tellement occupé que je n’ai plus pensé à appeler personne. Je me réjouis de les revoir.

 » Je me suis bien amusé au Mondial  »

Quel regard portez-vous sur votre parcours en Coupe du monde ?

Je me suis vraiment bien amusé. Je pense que j’ai livré un bon tournoi. Les quarts de finale, pour une première fois, c’est quand même bien. Evidemment, j’aurais voulu aller en finale et j’étais déçu après le match contre l’Argentine mais tout bien réfléchi, nous n’avons pas à nous plaindre.

Les joueurs avaient-ils vraiment l’impression de pouvoir aller en finale ?

Oui. Dès les premier jour. L’entraîneur avait affiché les sept matches au tableau : première finale, deuxième finale, etc. Jusqu’à la septième finale. Après chaque match, nous effacions. On ne prend pas part à un tel tournoi avec l’ambition d’aller en quarts de finale. On y va pour gagner, sans quoi on reste chez soi. Nous avons été battus par l’Argentine avec un but de classe mondiale de Gonzalo Higuainmais nous ne nous disions pas à l’avance que les quarts de finale, c’était très bien. Moi, quand je vais à la Coupe du monde, c’est pour la gagner, même si je fais partie de la plus mauvaise des trente-deux équipes.

Pour moi, vous avez été le Diable Rouge le plus régulier.

Merci (il rit). Je pense que j’ai livré une bonne Coupe du monde. Depuis que je suis passé par Brême, je suis de plus en plus régulier. A Genk, je livrais un grand match, puis un mauvais, puis encore un bon, puis j’étais moyen. Au cours des deux dernières années, même quand je suis moins bon, j’ai encore des éclairs dans le match. Je ne me plains pas de mon niveau de jeu au Brésil, d’autant qu’il n’était pas évident d’affronter des équipes qui ne songeaient qu’à défendre.

Face à l’Algérie, à la surprise générale, vous avez débuté sur le flanc droit aux côtés d’un triangle inédit.

J’avais déjà joué à droite, je n’étais donc pas surpris, si ce n’est que pendant la préparation, je n’y avais jamais joué. Le coach avait sans doute ses raisons. Face aux Etats-Unis, il m’a mis sur le flanc et a remis Eden(Hazard, ndlr) en 10. Il change parfois d’avis.

A Wolfsbourg aussi, vous avez déjà joué à plusieurs places différentes cette saison. A Brême, vous avez même occupé six positions différentes en une seule saison.

Rien ne change (il rit). Ici, j’ai joué quatre matches à quatre places différentes. Le premier match devant, ensuite en 10, puis à gauche et enfin à droite. Même moi, je ne me l’explique pas. Ça ne m’ennuie pas mais ce n’est pas toujours facile. A chaque fois, il faut s’adapter, même si j’ai l’habitude de beaucoup voyager sur le terrain.

 » A 1-1, j’étais certain de gagner contre l’Algérie  »

Face à l’Algérie, à la Russie et à la Corée du Sud, vous avez marqué en contre-attaque. N’est-ce pas étonnant pour une équipe qui veut faire le jeu ?

Nous avons dominé ces matches mais contre des équipes qui jouent bas, c’est toujours difficile. On s’en fiche de marquer à la 85e minute. On sait d’avance qu’on va fatiguer l’adversaire. Contre l’Algérie, je pense que nous avons eu 65 % de possession de balle. Ça veut dire que notre adversaire n’a fait que courir derrière le ballon. A 1-1, j’étais certain que nous allions gagner. Je ne pense pas que nous ayons un groupe pour jouer en contre comme c’était le cas à Genk à l’époque de Vercauteren. Beaucoup de nos joueurs gardent bien le ballon. Avec eux, on joue un football différent. C’est pourquoi je me sens bien dans ce groupe : j’essaye de jouer vite.

A quel niveau pouvez-vous encore progresser ?

Nous devons marquer plus facilement, être plus tranchants face au but. En phase de qualification aussi, nous avons souvent gagné par 2-0 ou 2-1. C’est suffisant mais on est plus à l’aise quand c’est 4-1.

Des voix s’élèvent pour demander l’arrivée d’un entraîneur de terrain en équipe nationale, quelqu’un qui puisse varier les exercices et travailler en fonction d’un match.

Certains aiment les séances tactiques, d’autres pas du tout. Pour moi, ce n’est pas nécessaire. Dire que nous aurions battu l’Argentine si nous avions davantage travaillé tactiquement, c’est une excuse facile. Ce groupe est très intelligent : nous savons comment résoudre certaines situations. Ceux qui pensent avoir besoin d’un entraîneur de terrain n’ont qu’à le dire au sélectionneur.

Vous êtes l’homme des phases arrêtées. Au Brésil, nous avons très peu profité des coups de coin mais Wilmots ne trouve pas utile de répéter ces phases à l’entraînement.

On pourrait le faire mais si l’entraîneur n’y croit pas… De plus, répéter ces phases sans cesse, ce n’est pas gai. Nous, les joueurs, ne nous sommes pas tracassés non plus. Alors, il serait trop facile de pointer l’entraîneur du doigt. Chacun est responsable : l’entraîneur parce qu’il n’a pas voulu et les joueurs parce qu’ils ne se sont pas tracassés. Vous savez : j’ai connu quatre clubs et je n’ai jamais eu deux entraîneurs qui faisaient exactement la même chose. Un joueur doit s’adapter. Son boulot, c’est de faire ce que l’entraîneur lui demande.

 » Il faut toujours viser la victoire finale  »

Dans le groupe, il se dit que Marc Wilmots n’est pas l’homme qui vous apportera les titres que vous êtes en droit d’attendre.

Je ne sais pas. Peut-être certains ont-ils peur ? (il rit) Le football est souvent une question de détails. Il est vrai qu’un entraîneur peut faire la différence. J’ai vécu cela à Genk où ça n’allait pas du tout avec Hein Vanhaezebrouck et où nous sommes devenus champions avec Vercauteren. Avec la même équipe. Mais aurions-nous fait mieux au Brésil avec un autre entraîneur ? Je n’en sais rien.

Partons du principe que la Belgique va se qualifier pour l’Euro 2016 : quelle sera l’ambition en France ?

Quand on prend part à un tournoi, c’est pour le gagner. Sans quoi on reste chez soi. Ce ne sera pas simple mais on doit toujours avoir la victoire finale pour objectif. Pareil à Wolfsbourg. Mon ambition, c’est d’être champion. Y arriverons-nous ? Je sais que ce sera difficile. Mais on ne peut pas entamer une compétition en se disant qu’on sera content de terminer à la cinquième place. J’ai parfois l’impression que les gens commencent à jouer différemment une fois qu’ils sont proches du but. On dirait qu’ils deviennent plus nerveux. Alors, autant placer la barre le plus haut possible dès le début. Même si, à Wolfsbourg, on affirme qu’on serait content de terminer cinquième comme l’an dernier, j’espère terminer deuxième. Si nous n’y arrivons pas et que nous sommes cinquièmes, je dirai que notre saison est réussie. La saison dernière, nous avons perdu la quatrième place et un ticket pour la Ligue des Champions à un quart d’heure de la fin du championnat. Mais nous avons essayé et nous n’avons donc rien à nous reprocher.

Vous parliez de nervosité. Etiez-vous nerveux pendant la Coupe du monde ?

J’ai seulement eu un peu le trac avant le premier match, parce que je n’étais pas dans mon environnement habituel. Mais je n’ai ressenti aucun stress. Pour moi, le football reste un jeu. Bien sûr, c’est mon métier mais je joue parce que j’aime ça, pas par obligation. Et il en ira toujours de même.

Quel est votre meilleur souvenir du Brésil ?

Le match face aux Etats-Unis. Quelle intensité ! Et la joie, au coup de sifflet final ! C’est pour des moments pareils qu’on joue au football. Dans l’ensemble, le tournoi fut très chouette. Nous avons toujours été occupés et c’est le plus important quand on est loin de chez soi pendant autant de temps. En deux ans, je n’ai noté aucune friction dans ce groupe. Tout le monde s’amuse, personne n’est à l’écart. Je n’ai jamais connu de groupe aussi soudé.

 » Je suis toujours le dernier au courant  »

Vous avez participé à l’Ice Bucket Challenge, une action en faveur de la lutte contre Maladie de Charcot. Vous avez nommé le rappeur gantois Spreej, le showman « De Lau » et Lieven Maesschalk, le kiné des Diables Rouges. Pourquoi lui ?

Lieven est marrant (il rit). Ce type déborde d’énergie. C’est parfois trop, même. Mais il est comme il est et ne change pas. Tout le monde le connaît, même à Wolfsbourg. Dans son métier, c’est une sommité. C’est pourquoi tout le monde va le voir et pourquoi il compte tellement pour nous. En équipe nationale, on a engagé les personnes qu’il fallait. Et puis, Lieven a une explication à tout (il rit).

Il est aussi le confident des joueurs.

Il est très social et gagne rapidement la confiance des gens. C’est un de ses points forts, en effet.

Pendant la Coupe du monde, cependant, l’ambiance entre le coach et lui était plutôt tendue.

Ah bon ? Je ne savais pas. La plupart du temps, je suis le dernier au courant de ce genre de choses. Je ne suis pas très curieux. Je me dis toujours que si les gens ont quelque chose à dire, ils le diront. Et si je n’ai pas le droit de le savoir, ils se tairont. Je ne ferais pas un bon journaliste (il rit).

PAR JAN HAUSPIE

 » Ces deux dernières années, je n’ai noté aucune friction dans le groupe. On est vraiment tous très soudés.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire