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86 ans sans titre !

Le Hertha est un géant endormi dont on entend toujours les ronflements. L’Union Berlin est un club culte, non conformiste et rebelle. Le Tasmania est la plus mauvaise équipe de l’histoire de la Bundesliga. Promenade à travers Berlin, la capitale qui n’a plus connu le titre de champion d’Allemagne depuis 1931.

Le Real et l’Atlético, Benfica, l’AS Rome et la Lazio, le PSG, Arsenal et Chelsea, l’Ajax : ce sont, tous, des ambassadeurs du football de leur pays. Ces clubs portent bien haut les couleurs de leur capitale et leurs vitrines sont remplies de trophées. Et Berlin, plus grande ville d’Allemagne avec 3,6 millions d’habitants ? Elle compte plus de 400 clubs, 143 000 footballeurs – dont 16 000 femmes -, 1200 arbitres et 1500 entraîneurs diplômés. La quantité est là.

Mais la qualité ? Le Hertha Berliner Sport-Club, créé en 1892, possède le plus beau palmarès de la métropole. Die Alte Dame (la Vieille Dame) a participé à 34 des 54 saisons de Bundesliga. Seuls 11 clubs ont fait mieux depuis la création du championnat national. Il peut aussi compter, cette saison, sur une moyenne de plus de 50.000 spectateurs.

Mais pour quel palmarès ? Le Hertha a écrit les plus belles pages de son histoire avant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il a été champion à deux reprises et a terminé quatre fois deuxième. Jusqu’à ce que la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest se ferme en 1961. Les habitants de la partie orientale de la ville n’ont plus eu accès au Stadion am Gesundbrunnen (Die Plumpe en langage populaire).

 » Dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre, le Hertha s’est retrouvé isolé dans la partie occidentale de Berlin. Pendant 50 ans, le club n’a pas pu évoluer de la même manière que les autres clubs allemands. Après la relégation en 1983, et jusqu’en 1997, il n’a joué qu’une seule saison en Bundesliga, et il a touché le fond pendant les deux années passées en Oberliga Berlin, la troisième division « , note Uwe Bremer du Berliner Morgenpost.

Depuis la création de la Bundesliga, il a terminé une fois deuxième et quatre fois troisième. Il a joué trois finales de Coupe d’Allemagne et une demi-finale de Coupe de l’UEFA. Les Blau-Weissen (bleu et blanc) n’ont réussi qu’une seule fois à se qualifier pour les poules de la Champions League.

 » Le Hertha est un géant endormi « , a déclaré Franz Beckenbauer. Deux jours après la chute du Mur, en 1989, plus de 50.000 spectateurs – dont 11.000 Berlinois de l’Est – ont pris place dans le stade olympique pour assister à un match de championnat du Hertha… en D2. Le club a été promu en Bundesliga quelques mois plus tard. Le géant endormi s’est enfin éveillé, mais ses ronflements sont toujours perceptibles, jusque loin en dehors de Berlin.

Eisern Union

Cinq titres berlinois depuis 1903, l’année où le premier championnat officiel a été organisé, c’est peu. Entre Berlin et la Bundesliga, c’est loin d’être une histoire d’amour. Sur les 55 clubs qui ont joué au plus haut niveau depuis 1963, seuls quatre sont originaires de la capitale : le Hertha (34 saisons), le Tennis Borussia Berlin (2), Blau-Weiss 90 Berlin (1) et Tasmania 1900 Berlin (1). Et aucun club berlinois n’a encore remporté la Bundesliga.

En Coupe d’Allemagne, dont la finale a toujours été organisée au stade olympique de Berlin (Ouest) depuis 1985, c’est encore pire : aucune victoire. Le Hertha s’est incliné en finale en 1977 et en 1979, et l’équipe B du Hertha – qui joue en troisième division – a joué la finale en 1993. Le 1. FC Union Berlin a perdu en 2001 contre Schalke 04, alors qu’il jouait en troisième division. Le moment le plus émouvant s’est déroulé avant le match, lorsque la chanteuse punk et supportrice Nina Hagen a entonné l’hymne du club, EisernUnion, avec la voix cassée.

L’Union Berlin a été créé en 1966 sur les cendres de quelques petits clubs d’Allemagne de l’Est, et n’était qu’un club anonyme dans l’ancienne Oberliga de RDA. Après la réunification, il n’a jamais joué en Bundesliga, mais il jouit tout de même d’un certain prestige, même en dehors de la ville. C’est un club culte. Pourtant, son palmarès est quasiment vierge : y figure simplement une Coupe d’Allemagne de l’Est remportée en 1968. Mais à Köpenick, un quartier situé au sud-est de Berlin, on ne s’en formalise guère.

Depuis 2009, le club évolue en D2, où il a réalisé sa meilleure performance cette saison : une belle quatrième place, à une marche des barrages pour l’accession à la Bundesliga.  » Heureusement qu’il n’a pas gravi cette marche « , estiment la plupart des visiteurs du Stadion An der Alten Försterei, où des chants  » Scheisse, wir steigen auf ! « (Merde, nous montons ! )descendent des tribunes à chaque match. Le T1 Jens Keller le prend à la rigolade :  » Je pense que je serai le premier entraîneur à être limogé si je monte.  »

C’est significatif de l’exercice d’équilibre auquel le club est confronté. Un dilemme : participer au cirque lucratif de la Bundesliga et perdre son authenticité, ou jouer à un niveau inférieur et conserver ses caractéristiques particulières ?  » C’est la grande différence avec le Hertha : l’Union a une certaine image et défend certaines valeurs, que je ne retrouve pas au stade olympique. Comment certains investisseurs ou sponsors potentiels pourraient-ils s’y identifier ?  » s’est demandé l’expert en marketing Oliver Drost il y a deux ans, lorsque le Hertha a commencé sa préparation sans sponsor maillot.

L’Union est le club de l’homme de la rue, de ceux qui squattent les places debout et râlent lorsqu’ils apprennent que le nombre de places assises devra passer de 3.500 à 8.000 pour pouvoir se conformer aux exigences de licence de la Bundesliga. Le stade An der Alten Försterei a ses limites commerciales – il ne compte que 22.000 places et affiche complet à chaque match – mais c’est un lieu de pèlerinage pour tous les sympathisants du club.

Lorsque le club a eu besoin d’un million et demi pour conserver sa licence en 2004-2005, les supporters se sont présentés massivement aux collectes de sang et ont offert les bénéfices de leur action au club. Et en 2008, lorsque le stade a dû être modernisé, plus de 2.400 fans ont travaillé gratuitement pendant 140.000 heures pour réaliser eux-mêmes les travaux. Chaque année, le 23 décembre, ils sont 28.500 à descendre sur An der Alten Försterei pour chanter des chants de Noël.

À l’Union, on n’a jamais rien fait comme les autres. C’est un club d’underdogs, qui a longtemps été désavantagé par le système sportif centralisé de l’ex-RDA. C’était le club du syndicat et il n’avait d’autre solution que de vivre dans l’ombre du Dynamo Berlin (le club de la sûreté de l’Etat, la Stasi), du Vörwarts Berlin (le club de l’armée) et du Dynamo Dresde (le club de la police). Le stade est devenu un foyer d’opposition, dont émanaient des critiques envers l’État.

Des rebelles nostalgiques. Pas de fumigènes avant un match, pas de pom-pom girls à moitié nues, pas d’ambiance disco. Mais de la bière et des saucisses, ça, oui. Et Nina Hagen, le pont entre l’Est et l’Ouest.

Scandaleux !

Lorsque la fédé allemande a décidé, en 1962, de fondre les cinq Oberligas régionales pour créer la 2e Bundesliga, les 16 meilleures équipes ont été retenues. 46 clubs se sont portés candidats. Le Hertha a reçu une place directe, en tant que champion de l’Oberliga Berlin, et deux autres candidats – Tasmania 1900 Berlin et Viktoria 89 Berlin – ont dû jouer un niveau plus bas, en Regionalliga Berlin.

Mais le Hertha n’a fait que de la figuration. Le Mur, toujours ce fichu Mur.  » Peu de joueurs avaient envie d’aller vivre sur une île, en plein milieu de l’Allemagne de l’Est. Si on voulait faire un tour à l’Ouest, il fallait demander un visa et souvent passer des heures à faire la file au check-point, avant de continuer son voyage sur des routes est-allemandes en mauvais état « , écrit Max Regenhuber, collaborateur du site internet bundesligafanatic.com. Pour tenter de convaincre les joueurs de venir malgré tout à Berlin, le Hertha a payé des dessous de table et il a été exclu de la Bundesliga en 1965, lorsque le subterfuge a été découvert.

Mais, pour des raisons politiques, la fédération allemande tenait absolument à avoir un club berlinois en Bundesliga, qui venait d’être élargie à 18 clubs. Le Tennis Borussia Berlin, qui avait terminé dernier du tour final pour la montée, a refusé la promotion. Tout comme le Spandauer SV, qui avait terminé deuxième de Regionalliga. Le Tasmania 1900 Berlin, qui avait terminé troisième, a saisi l’occasion. À la surprise générale, y compris des joueurs.

 » Je me prélassais sur une plage, lorsqu’un ami est venu me trouver en me disant : -Je viens d’entendre à la radio que tous les joueurs du Tasmania devaient rentrer à Berlin le plus vite possible. On devait jouer notre premier match de Bundesliga deux semaines plus tard  » a raconté Hans-Günter Becker, le capitaine du Tasmania.  » La plupart des joueurs avaient un boulot et ont démissionné. Personnellement, j’ai pris un travail à mi-temps car je devinais que l’expérience ne durerait qu’un an. On ne peut pas transformer des chevaux de trait en chevaux de course.  »

Le temps manquait pour attirer de nouveaux joueurs. Mais le néo-promu a surpris tout le monde en battant le Karlsruher SC devant 81.500 supporters au stade olympique, lors de la journée d’ouverture. Le Tasmania est entré dans l’histoire, bien malgré lui. Plus de 50 ans après son unique saison en Bundesliga, il détient toujours bon nombre de records : celui du plus grand nombre de défaites (28 en 34 matches), 31 matches consécutifs sans victoire, 8 points sur une saison (10 si l’on compte la victoire à trois points), 15 buts marqués, 108 encaissés, la plus lourde défaite à domicile (0-9)… Et pour le match à domicile contre Mönchengladbach, seuls… 827 supporters avaient encore répondu à l’appel.

 » À la longue, on se disait : -Buvons encore un petit coup, ça aidera à faire passer la pilule. Avant et après l’entraînement, on buvait quelques verres de porto et on mangeait quelques boulettes au curry « , a révélé le gardien Heinz Rohloff lors de la présentation du livre Tasmania Berlin, Der ewige Letzte (Tasmania Berlin, l’éternel dernier) de Hanns Leske. Sept ans après la relégation, le club est tombé en faillite.

Aujourd’hui, après avoir plusieurs fois changé de nom, le SV Tasmania Berlin joue en sixième division, un étage plus bas que le Tennis Borussia Berlin créé en 1902. Ce club, d’où est originaire Jérôme Boateng (Bayern), était le grand rival du Hertha dans les années 20 et 30. Grâce au légendaire Sepp Herberger, qui a imprimé sa griffe comme joueur et entraîneur sur le TeBe et qui était le sélectionneur de la Mannschaft qui a remporté la Coupe du Monde en 1954. Petit détail : en 1936, lorsqu’il a été engagé comme sélectionneur, il était déjà membre du parti nazi d’AdolfHitler depuis trois ans.

Le club de Charlottenburg a joué deux saisons (1974-1975 et 1976-1977) en Bundesliga, mais est ensuite redescendu dans les catacombes. Il a réalisé deux exploits en Coupe d’Allemagne : il a joué la demi-finale en 1994, et quatre ans plus tard, il a éliminé l’ennemi juré du Hertha.

Le TeBe a aussi éprouvé de grosses difficultés à survivre mais il se distingue, tout comme le 1. FC Union, par son caractère familial. Lorsqu’il a été une nouvelle fois menacé de disparition en 2009, la famille mauve s’est mobilisée pour l’action We Save TeBe. L’international suédois Benny Wendt entre autres, qui a joué au Standard après avoir quitté le Tennis Borussia, a soutenu l’initiative. Tout comme Joerg Steinert, le président de l’association berlinoise des homosexuels et des lesbiennes.

Communauté turque

Plus de 15 % des 3,5 millions d’habitants de Berlin sont d’origine étrangère, et sur ce demi-million, 200.000 personnes sont d’origine turque. C’est la communauté la plus importante. On s’en rend compte en découvrant les noms de certains clubs : Galatasaray Spandau, SV Yesilyurt, Cimbria Trabzonspor, Berlin Türkspor 1965, BSV Hürtürkel…  » Les immigrants qui ont afflué vers Berlin dans les années 70 n’ont pas perdu leurs habitudes. Le Hertha n’a jamais essayé de s’attirer les faveurs de la communauté turque en engageant, par exemple, des internationaux turcs ou des joueurs de Süper Lig « , pense Max Regenhuber, qui décrit le Hertha comme une Skandalverein, une équipe à scandale.

En 1971, six ans après l’argent noir et la relégation sur le tapis vert, le club a aussi trempé dans une vaste affaire de corruption. Huit matches auraient été manipulés. Le Hertha a été battu 0-1 à domicile par l’Arminia Bielefeld, qui luttait contre la relégation et qui aurait versé 250.000 marks (127.823 euros) aux joueurs locaux pour qu’ils lui facilitent le succès. Sur les 52 footballeurs qui ont été condamnés et suspendus – parfois à vie – dans cette vaste affaire de corruption, 15 portaient le maillot du Hertha.

Autre fil rouge de l’histoire du Hertha : une gestion financière désastreuse. Au début des années 70, lorsque le club devait faire face à une dette gigantesque, il a dû vendre Die Plumpe, mais cela ne l’a pas empêché de continuer sa chute libre. Il a été relégué en deuxième division, et même en troisième en 1986, ce qui l’a obligé à délaisser temporairement le stade olympique.

 » Au milieu des années 90, lorsque Berlin était the place to be, quelques entreprises ont vu de nouvelles opportunités pour le club. Le paysage footballistique était en jachère, et la société de médias Ufa a injecté des millions dans la Vieille Dame « , poursuit Regenhuber.  » Le jour où je roulerai en voiture sous la Porte de Brandebourg avec le trophée de champion en mains n’est plus très éloigné « , avait prédit le manager général Dieter Hoeness en 1999, lorsque le club a terminé troisième et décroché un ticket pour la Ligue des Champions. Il s’est montré très actif sur le marché des transferts et a dépensé de l’argent qui n’était censé atterrir dans les caisses que des années plus tard, grâce au sponsoring, au marketing ou au ticketing. 11 ans après la brillante saison sportive de Hoeness, les dettes du club ont atteint les 55 millions et le Hertha a de nouveau été relégué en D2.

Inkompetenz, a écrit le Berliner Morgenpost. Pas besoin de traduction. Lorsque Pál Dárdai a été engagé comme T1 en février 2015, il était le 43e coach du club depuis l’existence de la Bundesliga.  » Pourtant, l’école des jeunes comptait quelques joueurs prometteurs, mais ils ont rarement reçu leur chance. Ou alors, ils ont été vendus pour une bouchée de pain, comme Jérôme Boateng, cédé à Hambourg pour à peine un million d’euros, et son frère Kevin-Prince. Les exemples de jeunes qui auraient pu rendre de grands services au Hertha ne manquent pas. Patrick Ebert, Ashkan Dejagah, Ivica Olic, Christopher Samba, Ibrahima Traore : ils ont tous été vendus à un prix inférieur à leur valeur réelle, car il fallait boucher les trous dans la trésorerie.  »

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je pense que je serai le premier entraîneur à être limogé pour avoir fait monter son équipe en Bundesliga.  » Jens Keller, Union Berlin

 » Avant et après un entraînement, on buvait quelques verres de porto et on mangeait quelques boulettes au curry.  » Heinz Rohloff, Tasmania Berlin

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