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Un agent : « Si Mogi me pique un joueur, je lui coupe les oreilles »

L’arrivée de Mogi Bayat comme agent de joueurs sur le marché fait office de révélateur dans un milieu où « 90 % des coaches sont corrompus » (dixit Philippe Collin). Mais combien de dirigeants palpent des rétro-commissions ?

« Un jour, quelqu’un finira par sortir un flingue… », affirme un agent de joueurs bien connu mais dont nous avons convenu de ne pas révéler le nom dans cette enquête (comme ce sera le cas d’autres collègues oeuvrant en Belgique ou à l’étranger).

Une affirmation un peu trash démentie en rigolant par d’autres agents. Mais parfois, un peu de nervosité pointe aussi dans certaines relations professionnelles du secteur des transferts. Du type : « J’entretiens de bonnes relations avec Mogi Bayat, avec qui je ferais des affaires, en cas de bon deal, mais, s’il me pique un joueur, je lui coupe les oreilles… » Une simple boutade ?

Dès lors, pourquoi ce souci d’anonymat ? A cause d’un système qui charrierait désormais inquiétudes et primes secrètes ? De la peur d’un déballage public et médiatique ? De la discrétion à avoir à l’égard des croqueurs de tous poils ?

D’un état d’esprit général qui change à vue d’oeil dans un monde du football où l’argent est devenu bien plus important que le palmarès et une carrière bien gérée et où les entraîneurs jouent parfois un drôle de jeu ?

A propos de ces derniers, Philippe Collin, secrétaire général d’Anderlecht et président de la commission technique de l’équipe nationale, déclarait récemment au Laatste Nieuws : « 90 % des entraîneurs prennent de l’argent sur les transferts. »

Un agent rétorque : « Si c’est vrai, alors on doit ajouter que 125 % des dirigeants palpent… » En tout cas, l’accusation de Collin (dont le beau-fils est d’ailleurs agent de joueurs) mérite la plus grande attention alors que les réseaux d’agents de joueurs sont sous haute tension en Belgique.

Un Mogi Bayat s’y est engouffré, a réalisé de nombreux transferts et s’apprêterait déjà à en faire autant à l’occasion du prochain mercato d’hiver. Sa présence sur le plateau de La Tribune a suscité un étonnement d’autant plus grand qu’un de ses collègues, Khalilou Fadiga, y figurait aussi dans un rôle de consultant. Fadiga était mal à l’aise, pris entre deux feux. Consultant ou agent ? Un solide débat d’éthique dans un milieu où on se sait plus qui est qui et qui fait quoi : dirigeant un jour, commentateur, consultant, chroniqueur, recruteur ou agent de joueurs le lendemain… Mais l’exposition médiatique vaut beaucoup d’argent. Très à l’aise dans cette galaxie, Bayat amena Nabil Dirar sur le plateau, un joueur de son écurie, et en profita pour polir son image de marque et dire du bien de tout le monde.

Des dirigeants ne cracheraient pas sur des rétro-commissions

Il laissa courir la rumeur selon laquelle le total de ses commissions pour le marché d’été s’élèverait à deux millions d’euros (sa part sur les salaires des joueurs + les commissions).

Il est loin le temps où des enveloppes s’échangeaient sur un parking d’autoroute ou dans le secret d’un vestiaire. Un agent nous a parlé d’un certain « Laurent Pourri » (sic) qui « intervient dans de nombreux transferts, écarte des agents, s’arrange pour que les décideurs des clubs perçoivent leur part du gâteau via des comptes exotiques ». Un parfum d’affaires peu reluisantes envahit-il à nouveau les bureaux de clubs où d’anciens agents ont décroché des postes en vue ?

A Genk, par exemple, Dirk Degraen, ancien agent de joueurs, est incontournable dans son rôle de directeur général. Or, Genk est un des clubs où Bayat a ses habitudes. Quand il roule vers le Limbourg, pense-t-il à Didier Frenay qui lui a appris les secrets du métier ? On se souviendra que Star Factory, l’agence de Frenay, avait mis le grappin sur Charleroi, devenu un de ses navires sur les mers de la D1 belge. Un club où le président Abbas Bayat est aujourd’hui en procès avec son neveu, Mogi.

Joseph Akpala, par exemple, découvert par Raymond Mommens, alors scout de Charleroi, signa vite chez Star Factory, si proche de Mogi. Quand Pelé Mboyo quitta Charleroi pour Courtrai, Mogi n’était pas loin du joueur et il en fut ainsi quand il fut courtisé par Gand. Un transfert chez les Buffalos qui n’a pas donné entière satisfaction à l’entourage de l’attaquant, d’ailleurs.

« Tous les clubs qui sont contrôlés de trop près par des agents sont condamnés à de gros ennuis et même à disparaître », nous dit-on. « C’est le cas de Charleroi et du GBA. Et le Club Bruges a failli y passer avant de changer radicalement de cap. »

Un ancien dirigeant n’y réclamait-il pas de temps en temps une « commission qui n’avait pas été versée sur le compte ».

Et Mons ? Est-il il tombé dans le giron de Bayat ? On pourrait le croire au vu de la demi-douzaine de joueurs qu’il a déposés au Tondreau. Pour le moment, seul Peter Franquart est titulaire indiscutable. Parce que les autres sont moins importants ? Non, il suffit de penser à Benjamin Nicaise qui ne jure que par Bayat qui l’avait placé en Grèce, un pays où on arrose encore plus qu’ailleurs. L’Albert semble en tout cas une proie idéale pour certains agents, un cas typiquement belge de fragilité financière et sportive.

En France – entre autres – les clubs ont des cellules de scouting bien structurées qui sillonnent le monde entier. Les joueurs qui les intéressent sont longuement screenés et leurs agents n’interviennent généralement qu’à la signature du contrat. La plupart des clubs belges ne peuvent pas se payer des services de recrutement valables. Les agents en profitent et s’y installent sans se gêner.

Bayat a-t-il pris ses habitudes chez les Dragons ? On pourrait le penser car Dominique Leone a un faible pour cet agent survolté qui le flatte sur les plateaux télé et lui propose des joueurs bon marché : fixes de 7.000 euros par mois alors qu’ils gagnent plus du triple en France. Si Leone s’est entiché de Bayat, on ne peut pas en dire de même du staff technique, de Dimitri Mbuyu et d’ Alain Lommers. Si Mons a passé le cap du retour en D1, c’est d’abord leur mérite car ils ont tout fait pour garder l’effectif de la montée. Bayat n’y est pour rien : c’est l’effectif de D2 qui continue sur sa lancée. Quand un nom est cité par le staff, on dit que Bayat débarque avec un mandat du joueur dès le lendemain.

En route vers Genk, Belhocine signe au Standard

L’étoile de Bayat a de toute façon pâli à Mons quand il a fait le forcing pour placer l’entraîneur des gardiens Philippe Vandewalle au Standard alors que les Dragons voulaient le garder. On le soupçonne désormais de tourner autour de Rachid Bourabia et de Jérémy Perbet. Il y a quelques années, Bayat n’éprouvait aucune considération pour Perbet et le qualifiait de trop petit joueur pour Charleroi : les choses ont changé. Perbet vaut gros et un transfert sera juteux. Ses approches, très concrètes dans le cas de Bourabia, ont été rapportées à l’agent du joueur qui a pris les mesures adéquates pour l’écarter de son poulain.

« Moi, je n’ai pas peur de Bayat », affirme un autre agent. « C’est à nous de réagir aussi vite que lui. Il est intelligent mais j’accepte cette concurrence. Il faut être près de ses joueurs, à leur service pour fermer la porte. Mais c’est vite dit et je m’empresse d’ajouter que les joueurs sont souvent des prostitués de classe mondiale. Ils se vendent au plus offrant, parfois pour quelques euros en plus. Mogi réalise des coups pour l’instant mais il ne connaît pas le football et c’est un fumiste. »

Et si Bourabia et Perbet prenaient la direction de Genk lors du prochain mercato d’hiver ? Simple supposition mais qu’ils se méfient car l’autoroute du Limbourg mène parfois à Sclessin. C’est ce qui est arrivé à Karim Belhocine. Il fut conseillé durant des années par un agent qui le repéra à Virton, le plaça à Courtrai, en parla au Standard et à Westerlo l’hiver dernier, tout en discutant au stade des Eperons d’or pour qu’on prolonge son contrat. Cet agent nous a dit : « Je suis tombé le cul par terre quand Kairm m’a dit : – Je suis au Standard et je vais signer. Entre nous deux, il n’y avait pas de papier mais un accord verbal, une amitié. Mogi l’a embarqué pour Genk en lui demandant de ne pas m’en parler. Mais une fois en route, Bayat a obliqué vers Sclessin et a dit à Karim : – Si tu appelles ton ami, tu ne joueras pas au Standard. A toi de choisir. Ma femme trouve que le joueur a manqué de courage. Je le pense aussi mais je le comprends : il est marié, père de famille et à plus de 30 ans, cette chance ne se représentera plus. J’ai quand même perdu une commission de 8 % sur son contrat brut, primes diverses y comprises. » Un joueur comme Belhocine gagne entre 250 et 300.000 euros par an.

Autre cas intéressant dans l’écurie Bayat : Mohammed Sarr. Le Sénégalais a été présenté à Genk par deux agents mais c’est Bayat qui clôture le dossier avec Degraen ! Quand et pourquoi Sarr a-t-il changé de cap ? Un de ces agents dribblés nous a parlé d’un SMS où Sarr disait : « Je m’excuse mais Mogi a tout arrangé en quelques minutes. Je n’avais pas le choix. » Il faut ajouter que Sarr aurait précisé de vive voix : « J’ai eu un quart d’heure pour me décider. J’ai bien précisé que d’autres m’avaient introduit à Genk mais l’affaire devait se faire avec lui ou je restais en Espagne. »

Qui touche en Belgique ? Dans un pays où les coaches n’ont pas bonne réputation, un manager nous affirme sans preuve tangible : « Quand un agent touche une commission de 15.000 euros, il lui arrive de donner entre 5.000 et 6.000 euros au coach qui lui a permis de placer un de ses joueurs : c’est courant et à plus grande échelle, quand il faut brasser plus d’argent, un intermédiaire intervient. Il est consulté par de nombreux clubs et il s’arrange pour que « ses » agents soient aux premières loges. Les intrus sont écartés : c’est une famille, le cercle est fermé. »

Autre témoignage : « Oui, les coaches se sucrent mais pas tous. Certains directeurs techniques passent encore plus souvent à la caisse. Ils imposent des joueurs à leur entraîneur et tout le monde se partage une prime. Cela peut expliquer des carrières fulgurantes ou éphémères. » Les managers de clubs amassent parfois des fortunes.

Un autre coup de Mogi : Christian Benteke du Standard à Genk avec à la clé pourcentage sur la vente et pourcentage sur le salaire à partager avec Kismet Eris, l’agent du joueur. Exemple récent encore : Gand a engagé Christian Brüls (ex-Westerlo) qui voulait aller à Genk. Pourquoi a-t-il signé chez les Buffalos avec l’aide de Mogi alors qu’il avait signé un mandat avec un autre agent ? Le directeur gantois Michel Louwagie devait bien être au courant.

L’agent en question réagit : « Je me suis fait entuber mais je ne veux pas perdre de l’énergie en de vaines disputes avec Brüls, Bayat, Gand, etc. C’est le foot, c’est comme cela. Tout est pourri, c’est chacun pour sa fouille. J’ai perdu Brüls mais je ne crache sur personne car, demain, je ferai peut-être des affaires avec Gand et Bayat. »

A Gand, Louwagie a redressé la trésorerie et certains directeurs de clubs de D1 sont payés au rendement financier. Mais eux aussi palpent ou oublient parfois une commission.

Faut-il tout accepter ?

C’est le cas de ce dirigeant qui avait promis 10 % à un agent s’il parvenait à placer dans un autre club un attaquant qui lui coûtait 400.000 euros par an. Ce buteur belge (récemment parti en France) fut casé dans un club cher à son c£ur où il ne joua pas beaucoup. La version de l’agent : « On m’a demandé de faire confiance. Il fallait se dépêcher et, pour ma commission, on pouvait signer le lendemain. Une erreur fatale car quand j’ai dévoilé le nom du club destinataire, j’ai entendu de la part du dirigeant : Oh là… tu ne m’avais pas parlé de ce « grand club ». Or, il n’avait jamais été question que ma prime ne soit pas payée s’il s’agissait d’un « grand club ». Je n’avais pas de papier et j’attends toujours mes 40.000 euros. Je l’ai vu récemment : – Et ma prime ? Il n’a pas osé me regarder dans les yeux mais nous nous reverrons. Il faut régler ce problème. » L’agent s’est promis de percevoir son dû, coûte que coûte mais où tout cela va-t-il s’arrêter ?

Dans les Balkans, on viole les agents, les joueurs et les dirigeants qui mangent leur parole. Y arrivera-t-on un jour chez nous où des enveloppes se perdent parfois dans les poches de coaches pour qu’un footballeur joue le week-end ? La guerre des agents a en tout cas été déclenchée. Bayat était un dirigeant détesté, pourquoi est-il reçu avec égards dans les clubs où il volait impoliment dans les plumes de tout le monde ? A Bruges, où Bayat traite notamment avec Dirar, a-t-on oublié une bagarre homérique entre lui et la légende locale Michel D’Hooghe ? Les méthodes Bayat sont discutables même si on n’oublie pas de nous rappeler que dans ce milieu : « Tous les coups sont permis, c’est connu… »

Pierre Bilic, Sport/Foot Magazine

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