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En tennis, les diamants ne sont pas éternels…

Il y a près de 20 ans, l’ECC y était organisé pour la dernière fois. Connu pour la raquette en diamants offerte à celui qui le remportait à trois reprises, il avait vu son éclat diminuer au fil des années. Chronique d’une mort lente.

Catapulté par des vedettes charismatiques comme Björn Borg, John McEnroe et Jimmy Connors ainsi que des stars montantes comme Ivan Lendl, Yannick Noah ou Mats Wilander, le tennis est en plein boum au début des années ’80. Malgré l’absence de grands joueurs nationaux, la Belgique suit le mouvement. Après l’organisation d’un tournoi outdoor sans grand nom à Bruxelles dans les années 70, le Donnay Indoor Championships voit le jour à Forest National. Björn Borg est le visage de la marque en Belgique mais il est rapidement éliminé. Heureusement, Jimmy Connors est à la hauteur : il bat Brian Gottfried en finale. Un an plus tard, c’est un autre Américain qui s’impose : Vitas Gerulaitis.

En Flandre, il ne se passe rien mais Jacques Lierneux veut changer les choses. Lierneux est un homme d’affaires bruxellois excentrique. Plus tard, on le surnommera « le Bernard Tapie belge », en raison de ses idées aussi folles que brillantes. L’une d’entre elles consiste à faire du Sportpaleis d’Anvers un des plus grands temples événementiels d’Europe. Sa société, City 7 Group, en rachète 93 % des actions pour 40 millions de francs belges. Il affirme que lui et ses associés, Marc Hürner et Georges Baudeweyns, sont prêts à investir des centaines de millions dans le Sportpaleis.

Le plat de résistance de son projet est un tournoi sur invitation rassemblant les meilleurs joueurs de tennis au monde : The European Champions’ Championship. Un nom pompeux pour une image chique. A l’époque où, sur le plan commercial, le monde du sport travaille encore de façon archaïque, Lierneux fait figure de visionnaire. En décembre 1982, pour la première édition, il aménage un village VIP exclusif, des places VIP le long du terrain, fait appel à des modèles en mini-jupes en guise d’hôtesses et séduit le top mondial en offrant un prize-money de 700.000 dollars, soit près de trois fois celui du tournoi de Bruxelles (250.000 $) : c’est pratiquement autant qu’un grand chelem.

De plus, le joueur qui remportera trois fois le tournoi sur une période de cinq ans pourra ramener chez lui une raquette faite de 6 kilos d’or et ornée de 1.617 diamants 150 carats, fabriquée par deux diamantaires du Conseil Supérieur du Diamant. Valeur estimée un million de dollars.

Traités comme des rois

Grâce, entre autres, au carnet d’adresses du Français Pierre Darmon, ex-directeur du tournoi de Roland Garros (1969/78) et désormais chargé de la même fonction à l’ECC, McEnroe, Lendl, Wilander, Borg et Noah répondent tous présents. Le tournoi a pourtant lieu à la même époque que l’Australian Open (qui est alors le moins prestigieux des tournois du grand chelem). Borg est pratiquement retraité – il n’a joué qu’un seul tournoi en 1982, en mars – mais il n’hésite pas à venir chercher son chèque à Anvers.

De plus, ses collègues et lui sont logés comme des rois dans des suites du Crest hôtel (devenu l’Holiday Inn Crowne Plaza), qu’ils rejoignent chaque soir sous escorte policière. McEnroe – encore célibataire – et Connors passent cependant plus de temps dans les boîtes de nuit anversoises que dans leur chambre. Et quand Big Mac reste à l’hôtel, c’est pour jouer de la guitare pour les hôtes et le personnel.

Bien que le prize-money exorbitant soulève la critique et soit qualifié d’immoral, la presse et le public rallient le Sportpaleis en masse. Il faut dire que l’affiche est alléchante : Borg – McEnroe et Lendl-Wilander en demi-finales puis Lendl-McEnroe en finale. Le Tchèque bat l’Américain et peut soulever la raquette de diamants qui, pendant tout le tournoi est restée dans une vitrine solidement gardée.

Lors de l’édition suivante, en 1983, c’est McEnroe qui l’emporte face à Gene Mayer. C’est le prélude à une formidable saison 1984 – 82 victoires en 85 matches – qui se termine en queue de poisson puisque McEnroe sera suspendu pour 21 jours après avoir insulté l’arbitre au tournoi de Stockholm -« Answer my question ! The question, jerk ! ». Il ne disputera donc pas l’ECC et Lendl profitera de son absence pour remporter la troisième édition.

En 1985, Ivan Le Terrible est bien déterminé à ramener chez lui la raquette de diamants ainsi qu’un chèque de 200.000 dollars. Cette fois, il affronte McEnroe en finale et fait preuve d’énormément de brio. Réputé avare, Lendl n’a jamais été aussi souriant que ce jour-là. Seul problème : il ne peut pas envoyer immédiatement la raquette aux Etats-Unis comme il l’aurait souhaité. En cause : un problème avec la société d’assurances.

Celle-ci ne s’attendait pas à ce qu’un joueur remporte aussi rapidement le trophée et elle doit rembourser la valeur de la raquette au Conseil Supérieur du Diamant. De plus, elle estime que l’objet a été surévalué. Après des mois de palabres, Lendl finira par recevoir sa raquette. Certaines sources affirment cependant qu’il s’agit d’une copie dont on ne sait pas si elle a autant de valeur mais qu’il a tout de même enfermée dans un coffre.

Economes de leurs efforts

En 1986, l’European Champions’ Championship est rebaptisé European Community Championship. Une deuxième raquette en diamants (à moins que ce ne soit la même?) fait son apparition dans la vitrine. McEnroe prend une option dessus puisqu’il remporte pour la deuxième fois le tournoi en battant Miloslav Mecir après quatre heures de finale. C’est le match le plus long de l’histoire de l’ECC.

Un an plus tard, Lendl remporte l’ECC pour la quatrième fois, anéantissant le rêve de McEnroe. Big Mac s’adjugera encore l’édition 1988 mais pour la raquette, il est trop tard. Lendl s’impose pour la cinquième fois en 1989 (le prize money franchit alors pour la première fois la barre du million de dollars) et semble bien parti pour décrocher une deuxième raquette en diamants.

Le Conseil Supérieur du Diamant organise même un concours réservé aux jeunes joailliers belges afin qu’ils dessinent un nouveau modèle, le vainqueur se voyant offrir 150.000 francs. Mais en 1990, Lendl et McEnroe déclarent forfait. Des jeunes comme Goran Ivanisevic, Stefan Edberg et Henri Leconte assurent le spectacle, le Croate l’emportant.

En 1991, Lendl tente toutefois de s’adjuger une deuxième raquette mais il échoue en demi-finale face à Boris Becker. L’Allemand, victime d’un virus à l’estomac, doit cependant déclarer forfait pour la finale, ce qui permet à Aaron Krickstein d’afficher son nom au palmarès après avoir disputé un simulacre de finale contre le Hollandais Dennis van Scheppingen, vainqueur du tournoi des jeunes.

En 1992, l’ECC fait pour la première fois son apparition au calendrier de l’ATP. Le nouveau directeur du tournoi, Georges Baudeweyns, prône la sobriété et l’affiche s’en ressent : les meilleurs joueurs sont peu intéressés ou déclarent forfait, certificat médical à l’appui. Le palmarès fait encore état de grands noms comme Richard Krajicek (1992) et Pete Sampras (1993 en 1994) mais, en l’absence de stars comme Lendl et McEnroe, le public et les sponsors se désintéressent de plus en plus de l’événement.

De plus, les joueurs présents jouent à l’économie car ils préparent l’ATP Masters Finals de Francfort, bien plus important. Un joueur comme Pete Samprazzzz donne juste envie de s’endormir. En 1998, il peut remporter l’épreuve pour la troisième fois mais Baudeweyns affirme qu’il se passera bien de lui. Selon d’autres sources, c’est l’Américain qui préfère disputer des tournois plus attractifs dans son pays. L’ECC se meurt.

Il n’y a plus de stars et la Belgique ne compte pas de joueurs capables d’attirer le public. « Pour ne pas entacher le prestige du tournoi », les organisateurs ne leur donnent pas de wild card. Ils doivent passer par les qualifications, ce qui irrite notre numéro un de l’époque, Filip Dewulf.

Plus de statut Super 9

Le public ne vient plus non plus. L’après-midi, on ne dénombre qu’une centaine de spectateurs dans un Sportpaleis qui peut en contenir 16.000. Les gens bâillent à se décrocher la mâchoire. Lors des trois dernières éditions (1996/97/98), Petr Korda, Michael Stich, Greg Rusedski et Marc Rosset n’ont réussi à attirer que 50.000 personnes sur sept jours alors que 120.000 places étaient disponibles.

De nombreux tickets ont été distribués par les clubs ou par un des sponsors (de plus en plus rares). Leurs bénéficiaires ne sont donc pas toujours venus. Même lors des finales, il a fallu camoufler des tribunes pour donner l’impression que la salle était pleine.

Baudeweyns ne manquait pourtant pas d’ambition. En 1995, l’ATP avait même attribué au tournoi le label Super 9 (juste en dessous des grands chelems). L’ECC l’avait néanmoins perdu immédiatement lorsqu’il s’était avéré que les travaux de rénovation du Sportpaleis avaient pris du retard et que les terrains d’entraînement exigés n’avaient pas été aménagés. Le tournoi avait même été déplacé d’octobre 1995 à février 1996.

De plus, cette édition avait été marquée par les problèmes financiers de City 7, l’organisateur, et de la SA Sportpaleis : un trou de 1,2 milliard de francs belges (30 millions d’euros). Un huissier était même venu saisir les recettes quotidiennes de l’ECC. Il était mandaté par la banque Anhyp, à qui la SA Sportpaleis, sous couverture de la ville et de la province, avait emprunté 400 millions d’euros en 1988 pour rénover le bâtiment.

Les charges locatives étaient énormes, la marque belge de tennis Snauwaert (dans laquelle la SA Sportpaleis avait beaucoup investi) avait fait faillite en 1991 et le Diamond Awards Festival, un événement musical, était déficitaire. Depuis 1993, et malgré un (petit) bénéfice d’exploitation annuel, la SA ne respectait plus le plan de remboursement. En 1996, en dépit du soutien de la ville, de la province et de la Région flamande – reports de payements, reprise du bail locatif, prêt sans intérêt – elle avait déposé le bilan, laissant ainsi un trou de 380 millions de francs belges à charge des autorités.

Les curateurs avaient désigné un repreneur : l’ASBL Prommusic, qui organisait la Night of The Proms (220.000 spectateurs, un événement lucratif) et avait créé la SA Sportpalex. Celle-ci se voyait confier la concession des installations pour une courte période, jusqu’à octobre 1997. Comme il avait créé City 7 Belgium après la faillite de la SA Sportpaleis et de City 7 Group, Georges Baudeweyns avait tout de même pu organiser le tournoi de tennis en 1997. Et même en 1998, lorsque le Sportpaleis avait été vendu à la province d’Anvers ainsi qu’aux SA Ringcenter et Sportpalex.

Cette édition, appelée Flanders Antwerp Diamond Cup parce qu’elle est subsidiée par la Flandre, était la toute dernière. Le public et les sponsors ne suivant plus du tout, Baudeweyns était contraint et forcé de vendre la licence et la date aux organisateurs du tournoi de Rotterdam. Voici comment un tournoi aussi brillant s’est éteint, lentement mais sûrement.

par Jonas Creteur

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