" Je veux que mes chansons soient nues mais plus fortes. " © PHILIPPE CORNET

Ours bien léché

Le cinquième et délicat album d’Albin de la Simone, L’un de nous, se nourrit d’un CV érudit qui croise Miossec, Thomas Sankara, l’aristocratie et Saint-Luc Tournai.

Albin de la Simone, 46 ans, est peut-être davantage connu pour ses innombrables collaborations artistiques (Vanessa Paradis, Souchon, Keren Ann, Raphael, etc.) que pour son propre parcours solo. Ce qui semble réparable avec L’un de nous, fine lame discographique puisée dans une grammaire sentimentale et deux années de gestation. Le résultat parfumé offre aussi des textes d’une ambiguïté voulue, comme la photo de pochette, signée Sophie Calle, représentant des animaux empaillés dont l’ours figure Albin. On rencontre le mammifère à Bruxelles, nettement moins velu-griffu que son ramage.

Votre album est un joli disque musical (1) alors que les textes sont davantage ambigus, plombés. D’où vient cette dualité ?

Joli c’est beau mais, un jour, j’atteindrai le stade supérieur, la beauté (sourire). Joli sous-entend mignon mais ça limite la gamme. Ce disque est plutôt radical, pas au sens bruitiste mais par l’ambiguïté des paroles. La musique est un véhicule qui doit me permettre de raconter des histoires de complexité : est-ce un disque de rupture ou pas ? Non, c’est un disque optimiste mais en affrontant, par exemple, la rupture. J’ai 46 ans et me laisse guider dans l’écriture par j’aime/j’aime pas, cela peut durer des mois.

Dans Les chiens sans langue, un des moments forts, il est dit que  » la vie est longue, vaine et lente  » sans que l’on puisse être sûr du sens final de la chanson !

Elle décrit deux personnes qui ont clairement dérapé : il dort dans la baignoire et elle boit. Un couple déstructuré qui a perdu le goût, la parole et peut-être un enfant. La nuit, ils vont caresser les tiroirs du môme mort et l’attendre. Une histoire affreuse qui, justement, importe par ces gens devenus fantômes. C’est de la fiction pure, un rien morbide : je veux juste que l’on comprenne que des gens ont perdu l’essentiel et sont à la dérive.

L’écriture de chansons et la scène pour les interpréter, est-ce aussi une forme ultime de romantisme ? Qui possède les trois dimensions, une de plus que la littérature, celle du contact avec le public.

Oui, mais la chanson oblige à la concentration du texte, le format court. Cela dit, Le grand amour pourrait être un roman. Les chansons sont des huiles essentielles, avec un pouvoir fort, qui permet de contracter des centaines de pages, comme Brel en quelques phrases. Je veux que mes chansons soient nues mais plus fortes, indépendamment de l’état de l’industrie du disque qui m’en touche une sans faire bouger l’autre (sourire).

On dirait du Bernard Lavilliers…

Ou du Bernard Tapie (rires). Par chance, je suis sur un label super en France – Tôt ou Tard – qui finance mes disques : alors que tout part en sucette, eux fleurissent. Je vais de mieux en mieux, et mon travail aussi.

Quelles étaient les valeurs cultivées chez les aristocrates de la Simone ?

Aristo est un grand mot. Ma famille vient de la campagne autour d’Amiens et mes parents n’avaient aucun argent : l’héritage, c’était surtout le nom et le prénom. Je n’ai pas goûté grand-chose de la noblesse si ce n’est des oncles disant qu’on n’a pas que des droits mais aussi des devoirs. Des trucs dont eux-mêmes ont hérité. Mes parents ont cassé ce schéma-là. On vivait de façon très branchée culture mais sans fric, avec toujours du monde à la maison. Mon père retapait des voitures anciennes qu’il revendait. Les fantasmes aristos sont morts pour moi, tout en n’étant pas complètement réglés chez d’autres membres de cette famille compliquée.

Cela a-t-il fait l’objet de chansons de votre part ?

Sur le disque, il y a ce titre, Ado, qui décrit un garçon qui est une coquille glacée mais en flammes à l’intérieur. J’ai voulu mettre une musique très douce et très apaisée parce que je commence à peine à trouver un peu touchant l’ado que j’étais ! Alors qu’avant, je n’avais qu’aigreur et regrets, j’ai eu une adolescence très tendue, très compliquée avec mes parents qui eux-mêmes se séparaient dans le chaos. Je n’avais jamais réussi à écrire là-dessus jusqu’à maintenant…

Un des points inattendus de votre biographie, ce sont les études à Tournai de 15 à 17 ans. Pourquoi ?

J’étais en crise ado face une filière artistique du lycée en France vraiment merdique : donc, les humanités en arts plastiques de Saint-Luc à Tournai m’ont vraiment ouvert les bras, de façon très humaine, très attentive, me laissant exister, me responsabilisant. Cette école a eu un effet vertueux sur moi, elle m’a considéré, et j’y retourne avec un projet qui sera présenté en mai prochain (2).

Parmi la longue liste d’artistes avec lesquels vous avez collaboré – de Vincent Delerm à Emiliana Torrini – il y a Miossec pour lequel vous produisez l’album Ici-bas, ici-même en 2014. Quel est le sens d’une telle collaboration ?

C’est la rencontre avec un homme très loin de moi dans l’esthétique comme dans le parcours, un génial exotisme qui passe par un respect mutuel plus un amour commun de la musique. Je n’ai pas envie d’être le seul chanteur pour lequel je travaille, donc collaborer avec Miossec, c’est essayer d’avoir une vision, d’entendre davantage de musicalité chez lui et de fabriquer un disque de Miossec que j’ai vraiment envie d’écouter. C’est fait !

Vos rencontres avec Salif Keïta et Angélique Kidjo façonnent-elles une autre approche de l’Afrique ?

J’ai une grande histoire avec l’Afrique : à 15 ans, j’ai participé à un voyage d’ONG où j’ai rencontré Thomas Sankara, le Che Guevara du Burkina Faso, qui sera tué par son meilleur ami. Il aimait la musique et on a même joué un blues ensemble : on a visité, dans le nord du pays, des installations de Pierre Rabhi (NDLR : le philosophe agroécologiste, défenseur d’une  » sobriété heureuse « ), dont Sankara voulait faire son ministre de l’Agriculture. Je ne mesurais même pas la portée de cette rencontre, bien avant de jouer avec Salif et Angélique, en Afrique de l’Ouest et en Afrique du Sud. Je me sens hyperbien là-bas.

Dans cette époque pour le moins anxiogène, votre musique fait du bien parce qu’elle se pose, prend un autre tempo. C’est un baume sur la France de 2017 qui ne prête pas vraiment au bonheur : exact ?

Mon pays est couvert d’une chape de plomb, d’une ambiance de merde avec laquelle on vit. On fait ce que l’on peut. Mon disque, même si je dis des choses dures, reste quand même une proposition optimiste.

(1) CD L’un de nous, distribué par Pias.

(2) A la maison de la culture de Tournai, le 13 mai prochain, avec Nicolas Michaux. www.maisonculturetournai.com

ENTRETIEN : PHILIPPE CORNET

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