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Tunisie: la chasse aux voleurs

Un an après la chute du régime de Ben Ali, les autorités de transition s’efforcent de récupérer les biens accaparés par l’ex-président et son clan. L’ampleur du pillage laisse pantois.

Le 14 janvier 2011, le président Zine el-Abidine ben Ali s’envolait précipitamment de Tunisie, après vingt-trois ans de règne, sous les huées des manifestants qui, au péril de leur vie, lui demandaient depuis des semaines de « dégager ». Un an plus tard, les commissions mises en place au lendemain de la révolution démêlent toujours les fils dans lesquels l’ancien chef de l’État, son épouse, Leïla Trabelsi, et leurs proches avaient ligoté l’économie tunisienne.

Chargée d’identifier et de récupérer les biens mal acquis par Ben Ali et 114 membres du clan au pouvoir, la commission de Confiscation a déjà transféré à l’État 233 titres fonciers et une centaine de véhicules, ainsi que des participations, le plus souvent majoritaires, dans 116 entreprises. Le statut exact de 204 autres sociétés est toujours à l’étude. À terme, l’État pourrait se retrouver actionnaire de 320 entreprises, qui représentent plus de 15 000 emplois directs et gèrent des avoirs estimés à plus de 2,6 milliards d’euros. La commission promet une évaluation précise de la valeur des sociétés confisquées dans son rapport final, attendu en juin. « L’ampleur du système mafieux est impressionnante », affirme son président, Mohamed Adel ben Ismaïl.

« Pas un secteur n’a échappé à la prédation »

À la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CNICM), le constat est le même. Créée quelques jours après la fuite de Ben Ali, celle-ci a rendu public, le 11 novembre 2011, un rapport partiel portant sur 5000 dossiers.

Pour l’heure, personne ne se risque à chiffrer le manque à gagner pour l’économie nationale. « Pas un secteur n’a échappé à la prédation », confiait à L’Express, peu avant son décès, le 2 janvier dernier, Abdelfattah Amor, président de la CNICM. Si les plus grosses affaires concernent directement le clan Ben Ali et Trabelsi, le rapport établit aussi l’existence d’une corruption généralisée, à tous les échelons du pouvoir. Même l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), ancien syndicat unique, est épinglée. L’ampleur de la tâche est telle qu’une commission permanente devrait bientôt prendre le relais. À terme, le produit de la vente des biens récupérés sera versé dans les caisses de l’État.

Restent les procès, qui ont à peine commencé. Le 20 juin, le tribunal de première instance de Tunis a condamné Zine el-Abidine ben Ali et Leïla Trabelsi à trente-cinq ans de prison chacun pour détournement de fonds publics, après la saisie, dans l’un de leurs palais, de plus de 21 millions d’euros. Ben Ali et son gendre Mohamed Sakher al-Materi ont aussi été condamnés, le 28 juillet, à seize ans de prison, tandis que sa fille Nesrine écopait de huit ans, pour corruption et fraudes immobilières, dans deux affaires d’achat et de cession de terrains. Des jugements dont les Tunisiens regrettent qu’ils n’aient pu être prononcés que par contumace : l’Arabie saoudite, où se trouve l’ex-dictateur, fait la sourde oreille aux demandes d’extradition des autorités tunisiennes, tandis que sa fille et son gendre ont fui au Qatar.

De notre correspondante Camille Le Tallec



Un palais pour 50 euros

Sous Ben Ali, le secteur de l’immobilier était le théâtre principal des pratiques de corruption. En 2007, la première dame, Leïla Trabelsi, a ainsi pu acheter un palais de 3 500 mètres carrés sur la marina de Hammamet, à l’est de Tunis, pour 100 dinars, soit 50 euros environ !

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