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Acteurs en roue libre: Depardieu, le point Gégé

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Tout l’été, le Vif/L’Express retrace la carrière d’acteurs au parcours en dents de scie, et aux choix pas toujours avisés. Cette semaine, Gérard Depardieu, « abondant » aimant sa liberté jusqu’à parfois volontairement décevoir.

La scène se déroule vers la fin des années 1980, à Bruxelles où Depardieu est en pleine promotion. Au restaurant de l’hôtel Hilton, à deux pas de la Porte Louise, une petite tablée que Gégé préside réunit l’acteur, le distributeur du film et quelques journalistes. Un menu à options est présenté, donnant le choix entre deux entrées, deux plats principaux et fromage ou dessert. Depardieu repousse le carton et lance un souverain autant qu’inattendu « Vous me mettrez tout ! » Puis se tournant avec un sourire d’excuse vers ses convives surpris, il lâche, superbe : « Que voulez-vous ? Je suis un abondant… » Il le prouvera bientôt en entreprenant, tout en ingurgitant son repas gargantuesque, de draguer sans discrétion aucune une jeune et jolie journaliste à la fois flattée et un peu embêtée.

La nature « abondante » de Gérard Depardieu lui a fait embrasser la vie avec un appétit d’ogre. Tant au festin des nourritures terrestres (où chère et chair rivalisent de saveur) que dans une carrière riche de près de 200 films, une trentaine de téléfilms et une vingtaine de pièces au théâtre, l’une des plus prolifiques jamais menées par un comédien français. Et dans le tas, d’une qualité globale tout de même impressionnante, ne se trouvent pas que des chefs-d’oeuvre… L’homme qui a un jour déclaré « Il vaut mieux faire des conneries que s’économiser » a joint les actes à la parole !

Le beurre et l’argent du beurre

Abondant, son public l’est aussi, faisant de lui le deuxième acteur ayant cumulé le plus grand nombre d’entrées en France, après Louis de Funès, indétrônable avec ses… 120 millions de tickets vendus. La popularité de Depardieu est née au milieu des années 1970, avec le succès fou et controversé du formidable Les Valseuses de Bertrand Blier. Il a 25 ans quand il tourne ce road movie sur la cavale de deux jeunes voyous (l’autre c’est Patrick Dewaere). C’est – déjà – son 17e film ! Le scandale accueille une oeuvre à la sexualité très libre et à l’amoralisme assumé. Mais Les Valseuses cartonne, et celui qui a encore la ligne va dès lors pouvoir accumuler les rôles marquants dans des films qui ne le sont pas moins. Accumuler les kilos, aussi, sur le chemin qui mène du boxeur sec et musculeux de Vincent, François, Paul et les autres à Obélix et au personnage de Welcome to New York, inspiré de DSK et qui n’arrive que très difficilement à enfiler ses chaussettes tant le gras fait obstacle.

Acteurs en roue libre: Depardieu, le point Gégé
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Dans les années 1970 et 1980, Depardieu réussit la balance idéale entre films commerciaux de qualité (Sept morts sur ordonnance, 1900, René la Canne, Le Sucre, Le dernier métro, La Chèvre, Le Choix des armes, Les Compères, Les Fugitifs, Jean de Florette) et prises de risque chez des cinéastes radicaux tels Marguerite Duras (Le Camion), Marco Ferreri (La Dernière femme, où il se tranche le sexe), Barbet Schröder (le sado-maso Maîtresse), Alain Resnais (Mon oncle d’Amérique) et bien sûr Maurice Pialat (Loulou, Police). Avec à la jonction des deux tendances son cinéaste fétiche, Bertrand Blier, pour lequel il tourne encore le génial Buffet froid, Tenue de soirée et Trop belle pour toi. Au terme d’un premier petit quart de siècle de carrière, Gérard est simultanément une des stars du cinéma français populaire et un artiste audacieux, respecté par ses pairs et par la critique. L’accueil triomphal fait en 1990 à Cyrano de Bergerac ne semble pas devoir changer la donne. Et pourtant…

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Des lauriers aux épines

Sa performance flamboyante dans l’adaptation de la pièce chevaleresque d’Edmond Rostand vaut à Depardieu son deuxième César, dix ans après celui du Dernier métro. Jeune quadragénaire, au sommet de son art et de sa célébrité, il se voit de plus en plus courtisé par le cinéma anglo-saxon, alors même que sa connaissance de l’anglais est (et reste aujourd’hui) extrêmement sommaire. Green Card de Peter Weir précédera 1492 de Ridley Scott, où « Dipardiou » joue Christophe Colomb en apprenant ses dialogues de manière phonétique, parfois sans les comprendre ! Certains déjà se moquent, un peu. Ils pourront bientôt le faire de manière plus ouverte, car le gros Gégé va de moins en moins lentement devenir sa propre caricature… Il s’en ira cabotiner dans les lourdauds Uranus et Germinal de Claude Berri, « floppera » grave aux Etats-Unis dans My Father the Hero, le consternant remake hollywoodien de Mon père ce héros, signant des prestations monolithiques dans Le Colonel Chabert, Elisa, Babylon A.D., Diamant 13, Vidocq, Boudu (si consternant), les Astérix (même le deuxième, le seul réussi) et jusqu’à chez ce bon vieux Chabrol (Bellamy).

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Depardieu a la tête ailleurs, avec ses investissements vinicoles, le coeur aussi avec un long divorce et la perte (en octobre 2008) d’un fils – Guillaume – dont il n’aura pas su s’occuper. La mort l’avait frôlé lui-même dix ans plus tôt, quand il s’était planté à moto avec 2,5 g/l d’alcool dans le sang. Puis en 2000 quand il avait dû subir un quintuple pontage coronarien. Il avait alors déclaré : « Ce n’est pas le projet qui m’intéresse, c’est la vie. » Il dira plus tard à L’Express « Les films m’importent peu, moi ce qui m’intéresse, ce sont les hommes, les rencontres. » Malmené par une critique lasse de ses égarements artistiques doublés de fanfaronnades, Gégé sortait le doigt d’honneur, au métier et puis carrément à la France, s’éprenant de Poutine et obtenant début 2013 un passeport russe, avant de tenter un exil fiscal à… Estaimpuis, dans le Hainaut.

Gérard Depardieu aura 68 ans le 27 décembre. Pour peu que ne se concrétise pas d’ici-là la volonté de mourir (mais pas de se suicider, nuance !) qu’il affiche désormais volontiers dans ses rares interviews. Sans doute avions-nous négligé, constatant à son décès précoce la tendance autodestructrice de son complice Dewaere (1), celle qui ne demandait qu’à s’exprimer aussi chez lui. Et qui le fit récemment s’identifier à DSK dans sa chute filmée par Ferrara… Les excursions ridicules dans le cinéma russe et de certaines républiques caucasiennes dictatoriales participent peut être de cette volonté de disparaître. Les cinéastes qui lui ont offert ses derniers grands rôles en date ne s’y sont pas trompés, qui lui ont fait retrouver sa force dans l’expression de ses fragilités. Merci à Xavier Giannoli (Quand j’étais chanteur), au duo Delépine-Kervern (Mammuth, Saint-Amour), pour ces rares moments de grâce, qui nous rappellent quel formidable acteur est encore Gégé. Et qui nous le font, envers et contre tout, aimer. ?

(1) Lequel se suicida à 35 ans, le 16 juillet 1982.

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