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Ce qui va changer avec le piétonnier du centre de Bruxelles

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Définitivement fermés à la circulation à partir de ce 29 juin, les boulevards du centre-ville deviennent l’un des plus grands piétonniers d’Europe. Voici tous les détails des changements pour la circulation et le stationnement qui y sont liés. Et ce qui fait controverse.

Ce 29 juin – en fait, dès le 28, jour de la fête d’inauguration -, le coeur de la capitale deviendra l’un des plus grands piétonniers d’Europe. La zone piétonne, jusqu’ici concentrée autour de la Grand-Place, sera doublée. Elle englobera, sur 50 hectares, le boulevard Anspach, la partie du boulevard Adolphe Max située entre la place de Brouckère et la rue Saint-Michel, la Bourse, deux tronçons de la rue du Midi, trois rues transversales (les rues Grétry, Devaux et Van Praet) et la rue de la Madeleine. Dès lundi, tous ces axes seront fermés au trafic routier. Seules exceptions : les propriétaires d’un garage dans la zone, les handicapés et seniors, les services de secours et les véhicules de livraison entre 4 et 11 heures du matin. Les livraisons devaient commencer à 6 heures, mais les commerçants ont invoqué la dimension de la nouvelle zone sans voitures pour obtenir deux heures de plus.

Bras de fer avec la Stib

Dans le même temps, le sens de circulation de 19 rues voisines du piétonnier est modifié. Plusieurs d’entre elles deviennent des axes à sens unique. Rue Fossé-aux-Loups, la bande à contre-sens réservée aux bus, qui était entrée dans les moeurs, disparaît, au terme d’un bras-de-fer avec la Stib. La rue de Stalingrad devient l’entrée principale du Pentagone depuis le sud de la Petite ceinture.

Dès décembre dernier, plusieurs sens de circulation avaient déjà été modifiés : mis à sens unique, les boulevards Emile Jacqmain et Adolphe Max sont devenus respectivement la porte d’entrée et la voie de sortie du centre-ville côté nord. De même, la rue de Laeken n’est plus accessible au trafic depuis la porte d’Anvers. Ce 29 juin, les feux au sud de la Petite ceinture – porte d’Anderlecht, boulevards Lemonnier et Stalingrad – seront à leur tour adaptés. Tout changer au même moment aurait été ingérable, selon Bruxelles Mobilité.

L’automobiliste avantagé ?

La circulation automobile va donc suivre de nouveaux itinéraires, tandis que des lignes de bus sont modifiées et que la moitié des arrêts de bus sont déplacés. « L’accessibilité de l’hyper-centre en bus est diminuée, déplore Isabelle Pauthier, directrice de l’Arau, l’Atelier de recherche et d’action urbaines. De nombreux terminus s’en éloignent. L’usager des transports en commun, obligé de continuer son trajet à pied ou de subir une correspondance, est de facto désavantagé face à l’automobiliste, qui trouve toujours des solutions alternatives en suivant son gps. »

Cartes à l’appui, Els Ampe, Open-VLD de la Mobilité et des Travaux publics de la Ville de Bruxelles, réplique : « Le terminus Anspach est transféré rue du Lombard, encore plus près de la Grand-Place. Les autres terminus, gare Centrale et place de Brouckère, sont idéalement situés. » A la demande de la Ville, la Stib a accepté de prolonger la ligne 86, qui relie Molenbeek au centre-ville. Le 86 devient un « bus boucle » : il contournera la zone piétonne et permettra ainsi de se déplacer d’un quartier à l’autre du Pentagone. « C’est une solution de compromis, car la Stib n’a pas voulu de notre projet de mini-bus », confie Els Ampe.

Ce qui va changer avec le piétonnier du centre de Bruxelles
© Ville de Bruxelles

Par ailleurs, de nouvelles pistes cyclables sont aménagées rue des Six Jetons, des Bogards, des Alexiens, Van Artevelde et des Poissonniers, « ce qui fait disparaître de nombreuses places de parking en surface », se réjouit Yvan Mayeur, le bourgmestre PS de la Ville. Ces pistes sont même à double sens sur un tronçon de la rue Dansaert. Dans un premier temps, un simple marquage au sol à la peinture blanche est prévu. « Mais il y aura, à terme, de véritables pistes cyclables sécurisées », promet Pascal Smet, ministre régional SP.A de la Mobilité et des Transports.

12 millions d’euros de Beliris

Au terme d’une phase test de huit mois, l’impact du plan de circulation sera évalué, conduisant à d’éventuels ajustements. Commencera alors le réaménagement des places et des boulevards, à charge de Beliris, le fonds fédéral qui finance des projets d’envergure à Bruxelles. Une enveloppe de 12 millions d’euros est prévue à cet effet, complétée éventuellement par la Ville.

Si la Ville a entrepris cet ambitieux projet, c’est pour « rendre Bruxelles et son coeur historique plus attrayants et plus accessibles… Le tronçon Nord-Midi abandonnera sa fonction de jonction routière pour devenir un pôle d’attractivité économique, culturelle et touristique. » Marion Lemesre, échevine MR des Affaires économiques, se félicite du réaménagement piéton des grands boulevards et de l’ouverture dominicale des magasins du Pentagone, acceptée par le fédéral et la Région. « Ce sont, assure-t-elle, des électrochocs pour relancer le commerce dans l’hyper-centre face à la concurrence présente et à venir de plusieurs complexes commerciaux. »

Ne pas empêcher le trafic de destination

Le plan de circulation, présenté en décembre et déjà retouché avant son entrée en vigueur, vise à décourager le trafic de transit, qui traverse le Pentagone sans s’y arrêter (40 % du trafic actuel), mais pas la circulation locale entre le haut et le bas de la ville. « Grâce aux changements de sens de circulation, il ne devrait pas y avoir de report majeur du trafic sur des axes comme la rue de Laeken ou la rue d’Anderlecht », estime Els Ampe. L’échevine fonde son opinion sur le modèle intégré de simulation du trafic routier, qui a servi de base au plan de circulation. Le bureau d’études Technum a évalué le nombre de voitures qui emprunteront chaque rue du Pentagone une fois le piétonnier créé et les sens de circulation modifiés. « Cela donne une idée théorique de ce qui va se passer à partir du 29 juin, mais on ne peut, pour autant, savoir avec précision par où les automobilistes vont tenter de passer », reconnaît la Ville.

L’étude prévoit une augmentation du trafic de transit pendant l’heure de pointe du matin et met en garde contre les risques de congestion en plusieurs points de la boucle routière qui contourne le piétonnier, en particulier rue des Alexiens (1 550 véhicules attendus à l’heure), rue des Six Jetons (1 240 voitures par heure) et aux abords de la cathédrale Saint-Michel et de la gare Centrale. Cette « boucle de desserte », destinée en principe à orienter les automobilistes vers des parkings proches du piétonnier, a vite été rebaptisée « mini-ring » par ses détracteurs, mais aussi par les médias, expression qui a le don d’irriter fortement le bourgmestre Yvan Mayeur.

« Un  »mini-ring » ? C’est bullshit ! »

« Parler d’un  »mini-ring » autour du piétonnier, c’est bullshit ! s’indigne Pascal Smet, ministre régional SP.A de la Mobilité. Je peux admettre que la première mouture du plan était critiquable, avec ses boucles de desserte à deux bandes de circulation, sans piste cyclable. Mais dans le plan actuel, seuls le boulevard de l’Empereur, la rue Fossé-aux-Loups et la rue de l’Ecuyer disposent de deux bandes. » Selon lui, le risque de paralysie est réduit dans un Pentagone où la vitesse sera bientôt partout limitée à 30 kilomètres à l’heure, y compris sur les boulevards Jacqmain et Max, et où il y aura de nombreux coussins berlinois, ces casse-vitesse suffisamment étroits pour permettre aux cyclistes de passer à droite et aux bus de rouler par-dessus sans les toucher. « Les automobilistes finiront par comprendre que traverser le centre ne leur fait pas gagner du temps, même si la Petite ceinture est encombrée », assure le ministre bruxellois.

Le transit nord-sud devrait disparaître, prédisent les spécialistes en mobilité. « Pour le transit est-ouest entre le haut de la ville et Molenbeek via le quartier Dansaert, il a un risque de congestion, admet Pascal Smet. Si nécessaire, on adaptera le plan. On mesurera réellement son impact lors de la rentrée de septembre. D’ici-là, les usagers auront les mois d’été, plus calmes, pour s’habituer. »

Un projet voué à l’échec ?

Si le principe de rendre la ville plus habitable est salué par tous, Touring, le lobby de défense des automobilistes, et Beci, la Chambre de commerce de Bruxelles, laisse entendre que le projet est voué à l’échec : les rues voisines du piétonnier et la Petite ceinture ne pourront absorber le trafic interdit dans le centre. Pour les deux organismes, il est utopique de penser que les véhicules disparaîtront une fois les rues condamnées. Côté N-VA, le conseiller communal Joan Van den Driessche dénonce une gestion de la mobilité qui « provoquera pendant des années des grincements des dents chez les habitants, les commerçants, les navetteurs et les visiteurs. »

« Ce plan reste orienté voitures, déplore Isabelle Pauthier, directrice de l’Arau. Elles peuvent encore traverser le Pentagone, même si ce n’est plus en ligne droite. Mettre les boulevards Jacqmain, Lemonnier et Stalingrad à sens unique favorise la vitesse, donc le bruit. Le trafic sur la Petite ceinture, empruntée chaque jour par 250 000 à 350 000 véhicules, risque de se reporter en partie sur les voiries sacrifiées au mini-ring, où la sécurité des cyclistes ne va pas s’améliorer. » Selon l’Arau, le trafic de destination pourrait même de se renforcer en centre-ville, avec la création annoncée de quatre nouveaux parkings souterrains. « Pour les rejoindre depuis la Petite ceinture, les automobilistes sont invités à traverser des quartiers habités, pointe Isabelle Pauthier, avec à la clé une dégradation probable du cadre de vie. »

D’autres voix estiment que la Ville met la charrue avant les boeufs : il aurait d’abord fallu répondre, au niveau régional, au défi de la mobilité. En clair : attendre l’entrée en service du RER, l’automatisation et l’extension du métro et la création de parkings de dissuasion aux entrées de la Région capitale. Des partis d’opposition – CDH, Ecolo/Groen… – et des comités de quartier prédisent dès lors un chaos routier dès l’entrée en vigueur du plan de circulation. Réponse cet été.

Les informations relatives à la nouvelle zone piétonne et au plan de circulation figurent sur le site www.plandecirculation.be. Pour répondre aux questions, avis et demandes des usagers désorientés, les autorités bruxelloises ont mis à leur disposition un numéro de téléphone gratuit – 0800/85.585 – et une adresse email, info@plandecirculation.be.

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