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Portrait : Pepe, le fou malade du Real Madrid

Le milieu défensif du Real Madrid, Pepe, s’est une nouvelle fois tristement illustré mercredi soir face à Barcelone, en Coupe du Roi : alors que Lionel Messi est au sol, le Portugais lui piétine volontairement la main. Il n’en était pas à son coup d’essai. Retour sur le parcours du joueur le plus détesté de Liga.

Le 21 avril 2009, Kepler Laveran Lima Ferreira, dit Pepe, est bien dans le match décisif opposant le Real Madrid à Getafe au stade Santiago Bernabeu. A la 87e, Javier Casquero, capitaine des banlieusards madrilènes, file seul au but quand le Portugais l’abat dans la surface. Cette faute à la con et le penalty logique qui en découle sonnent le glas des espoirs de titre de la maison blanche.
Se rendant compte de sa boulette, Pepe dégoupille complètement: il piétine la colonne vertébrale de l’attaquant resté à terre, puis vidange sa colère sur le visage de l’Uruguayen Albin, avant de se palper les bourses devant le quatrième arbitre. Deux ans plus tard, Casquero, victime du défenseur, tente un premier élément de réponse: « Tu veux savoir pourquoi il m’a fait ça? Bah c’est simple: ce mec est un abruti, c’est tout! » Depuis, Pepe a eu plusieurs fois l’occasion d’imiter son personnage d’ignoble, surtout contre le Barça.

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Un concombre au tournoi du père Noël

Un abruti ? C’est vite dit. En réalité, Pepe est avant tout un survivant. Né à Benedito Bentes, un quartier populaire en périphérie de Maceio, le jeune Pepe a eu beau passer une enfance sans histoire loin des clichés auriverde habituels (« Maceio c’est la plus petite des grande villes brésiliennes. Il ne s’y passe rien: pas vraiment de favelas, pas de carnaval, les gens ne meurent pas de faim et le foot est vécu avec moins de passion qu’ailleurs parce qu’il n’y a pas de club pro »), il a quand même pris cher. La faute originelle: l’idée de génie de son père Seu Anael, administratif dans la fonction publique, de l’appeler Kepler. Comme l’astronome. Pas facile à porter, même au Brésil. « Personne n’était capable de prononcer mon prénom correctement. Alors comme j’étais petit et gros, les autres enfants ont commencé à me surnommer Pepino (concombre). Ils n’arrêtaient pas de me rejeter, comme si j’étais différent ».

Raillé par les gosses de son âge, le vilain petit canard brésilien fait la découverte des joies du sadisme. Un mini-fight club cathartique qui lui permet de se forger un mental de vietcong: « J’avais huit ans et je jouais avec des jeunes qui en avaient 18 et 20. Ils disaient: -Retourne avec les petits parce qu’ici on va t’assassiner! J’insistais jusqu’à ce qu’ils me prennent dans une équipe et quand ils me frappaient fort, j’essayais de retenir mes larmes pour montrer que je n’étais pas une mauviette. Puis, dès que je rentrais chez moi, je m’entraînais à faire des tacles tout seul jusqu’à avoir les genoux ensanglantés. Je voulais absolument me faire accepter, quitte à souffrir physiquement. »

A 13 ans, Pepe le concombre est inscrit par son père au Napoles, le petit club du quartier avec lequel il participe au fameux Tournoi du père Noël ». L’occasion rêvée pour remettre quelques pendules à l’heure. Sur le terrain, Pepe distribue coups de coudes et tacles glissés par milliers, jusqu’à éveiller l’intérêt du Clube Regatas Brasil, considéré comme la pépinière de la région. Edminton Lins, directeur de la section foot du CBR, se souvient encore des premiers pas du mutant dans son académie: « Il a toujours joué dur, avec un esprit de guerrier. Les gens lui ont vite collé l’étiquette de bourrin. »

Une réputation pas vraiment usurpée selon Paulo Jorge, la doublette adolescente de Pepe en défense centrale: « Les gens disaient que j’étais le gentil et lui le méchant. Un jour, lors d’un match, j’ai remarqué que l’attaquant adverse venait seulement de mon côté. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit qu’il préférait ne pas s’approcher trop près de Pepe, parce qu’il avait peur de s’en prendre plein la gueule! En revanche, pour la relance, les entraîneurs n’arrêtaient pas de l’engueuler parce qu’il dégageait n’importe comment au lieu d’essayer de faire des passes. »

Pepe a autre chose à faire que jongler et s’entraîner à rentrer des virgules. Passé au Sport Club Corinthians Alagoano, le fournisseur officiel de brésiliens du FC Porto, le monstre décide de faire de la plage son gymnase: séances de footing de plus de deux heures et exercices de musculation à la Rocky Balboa.

« Mon père me mettait dans l’eau avec des poids de deux ou trois kilos attachés à chaque pied. J’avais deux possibilités: me noyer, ou tirer sur les jambes pour pouvoir respirer. » Au final, Pepe tire tellement fort sur ses jambes qu’il finit par séduire les dirigeants portugais du Maritimo Funchal, qui lui proposent de signer son premier contrat professionnel. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Cicero Santana, alors vice-président des Corinthians, tombe de sa chaise: « Il y avait des joueurs bien meilleurs que lui. Il a simplement eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Il a sorti un grand match juste le jour où un observateur portugais a fait le déplacement. »

Que dit Pepe de ces critiques sur son talent, sa technique et sa brutalité? Il en fait de la philosophie: « Je ne suis pas un footballeur parfait. Nous sommes tous des êtres humains avec des défaillances. Si nous étions parfaits, il n’y aurait pas de faim dans le monde, pas de criminalité, pas de femmes battues par leurs maris, pas de maris battus par leurs femmes et pas de parents maltraités par leurs enfants. »

« Ne me touchez pas! Vous allez me salir ! »


Depuis qu’il est passé de l’autre côté de l’Atlantique, il est prêt à tout pour se faire accepter. Même à changer de nationalité, comme il l’a fait en 2006 à la demande expresse du sélectionneur de l’époque, le Brésilien Luiz Felipe Scolari. Mais alors que les naturalisations des Brésiliens Deco ou Liedson ont fait couler beaucoup d’encre au Portugal, personne n’a rien trouvé à redire sur l’arrivée du défenseur central dans le groupe des navegadores. Il faut dire que Pepe y a mis du sien: il s’est marié à une Portugaise et a troqué son accent brasileiro pour celui de Madère. « Il est encore plus portugais que moi! », se marre Ricardo Costa, son coéquipier en sélection, lorsqu’on l’interroge sur la bête.

En plus, Pepe est un exalté, un homme à l’esprit de bande, capable d’épouser une cause jusqu’à l’extrême. « J’appartiens à un groupe que je dois défendre. Le Real Madrid et la sélection portugaise sont comme des familles que je dois protéger contre ceux qui souhaiteraient lui porter préjudice », expliquait-il récemment. Le 19 février dernier, contre Levante, le défenseur du Real s’est tourné vers ses adversaires: « Ne me touchez pas, vous allez me salir! C’est le maillot du Real Madrid! Vous ne méritez même pas de le regarder! »

Deux mois plus tard, le 20 avril, Pepe a encore tenu à marquer son appartenance au Real Madrid, en fêtant cette fois la victoire en Coupe du Roi par une série de bras d’honneurs adressés aux supporters du Barça. Alors oui, Pepe est le joueur le plus détesté de la Liga. Mais lui s’en fout: il est aimé de ceux qui l’emploient. Peu enclin au compliment personnel, José Mourinho, qui partage le même agent et l’avait recommandé en personne aux dirigeants du Porto avant de s’envoler pour Chelsea, a fait cette année une exception notable pour son joueur, alors en pleine discussion contractuelle avec son club: « Avec Pepe, notre bloc équipe joue plus haut. Avec Pepe, mon équipe n’a pas peur de laisser des espaces dans le dos. Avec Pepe, mon équipe récupère plus vite le ballon. Avec Pepe, mon équipe fait un meilleur pressing. Avec Pepe, mon équipe est plus équilibrée. Avec Pepe, mon équipe est plus dangereuse en attaque. Avec Pepe, le Real Madrid est une bien meilleure équipe. »

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Cela marche aussi dans l’autre sens. Avec Mourinho, Pepe est devenu un joueur plus fort. Avec Mourinho, Pepe est devenu un joueur plus complet. Avec Mourinho, Pepe est devenu un joueur plus sage et le défenseur a arrêté de prendre après chaque match les antidépresseurs que les médecins du Real lui avaient prescrits pour l’aider à gérer sa brutalité et à passer en douceur vers la vie civile.

« Je n’aime pas les médicaments, et surtout, j’ai trouvé une solution pour me détendre avant d’aller dormir: me faire une petite partie de Call of Duty », confiait-il récemment. Son monde préféré? « Celui des favelas. C’est là que je fais mes plus gros carnages. »

Javier Prieto Santos, avec Louis Genot, à Rio de Janeiro, pour Sport/Foot Magazine

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