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 » Trop de coaches travaillent encore comme il y a dix ans « 

Il a voyagé pendant quinze ans et travaillé sur trois continents. Stijn Vandenbroucke est à présent physiothérapeute à Feyenoord. Récit d’un voyage aventureux qui a débuté en Chine.

C’est l’heure du lunch à la Brasserie Feyenoord, au coeur du Kuip. Stijn Vandenbroucke était Head of Medical and Sports Science de West Ham United depuis février 2014 mais il a rejoint le champion des Pays-Bas cet été.  » C’est un retour aux sources pour moi : je travaille avec les blessés, comme au terme de mes études. Ici, le staff technique collabore étroitement avec l’antenne médicale alors que les clubs de Premier League séparent généralement les départements. J’ai tenté de former une seule grande cellule chez les Hammers mais c’était tout sauf évident. Ici, nous parlons la même langue. C’est un soulagement.  »

Le Flandrien avait reçu des offres concrètes de l’Olympique Marseille et du Zenit Saint-Pétersbourg mais il tenait à travailler plus près de chez lui.  » Nous venons de vivre deux ans à Londres mais j’estimais que mon fils, qui entame sa première année d’études, devait grandir en Belgique  » dit-il. Et d’ajouter :  » J’ai passé quinze ans dans le monde entier, un peu de stabilité ne fait donc pas de tort.  »

Ces pérégrinations n’étaient pas prévues. Jusqu’à ses quinze ans, Vandenbroucke a joué au White Star Lauwe. Après ses études, en 1999, il a travaillé à la clinique du professeur Marc Martens à Pellenberg, établissement fréquenté par de nombreux footeux. Il a collaboré aussi avec Move To Cure, le cabinet de LievenMaesschalck, qui allait constituer le fil rouge de sa carrière.  » Lieven est un mentor, ma source d’inspiration. Je l’appelle Picasso.  »

Sa carrière a pris son envol au printemps 2002, quand Maesschalck a soigné le capitaine de l’équipe nationale de Chine, Weifeng Li.  » Le manager de Li représentait également Arie Haan, alors sélectionneur de la Chine. Haan voulait adjoindre un physiothérapeute à son staff. On m’a contacté le lundi. Le mercredi, je prenais l’avion et le lendemain, j’étais sur le banc. Je n’avais encore jamais travaillé pour une équipe de foot et, après vingt minutes, Haan m’a crié : – Allez, le Belge, il y a quelqu’un au sol. Ma première expérience…  »

 » En Albanie, après chaque entraînement, des joueurs en venaient aux poings  »

Il sourit.  » C’est un pays étrange. Après les matches internationaux, je revenais quelques semaines en Belgique et, à mon retour, un nouveau bâtiment avait surgi de nulle part.  » L’ancien médian d’Anderlecht et du Standard n’a pas réussi à qualifier la Chine pour le Mondial 2004. Un an et demi plus tard, il a rejoint Persépolis, un grand club iranien. Vandenbroucke l’a suivi.

 » Un stade de 120.000 personnes, sans femme. C’est vraiment une culture masculine. Il n’y avait pas de complexe d’entraînement mais le groupe était soudé. Je suis resté après le limogeage d’Arie. Mais… j’étais constamment suivi par deux hommes de la police religieuse.  »

Prochaines étapes, aux côtés de Haan : deux matches avec l’équipe nationale du Cameroun et une année en Albanie.  » De plus en plus de joueurs émergeaient en Europe. Les progrès de l’Albanie n’étaient donc pas surprenants. Les Aigles devaient se qualifier tôt ou tard pour un grand tournoi. Talent, grinta, passion.

Après chaque séance, des joueurs en venaient aux poings mais c’était vite oublié. C’est un pays de cow-boys, où certains se baladent revolver en poche mais les fêtes d’après-match sont légendaires. Puis cette chanson des Beach Boys :  » Aruba, Jamaica, oh I want to take you to Tirana…  » Une chouette période.  »

Au printemps 2009, un nouveau défi se présente à lui : West Ham United. Il y avait déjà officié à quelques reprises en tant que consultant extérieur, à la demande de Gianfranco Zola, alors manager des Hammers, mais en été, il a emménagé dans l’est de Londres. Pendant trois ans, il a exercé son métier dans le Walhalla du football.

Il conserve des souvenirs inoubliables de Boleyn Ground, Upton Park dans la vox populi. Stijn Vandenbroucke rit.  » Pour moi, West Ham United était et reste le plus grand club du monde. Travailler en Premier League doit être le rêve de tout amateur de football. On y travaille jour et nuit pour un moment, le match du samedi. La Russie était fantastique aussi. Certains clubs y possédaient des budgets supérieurs à celui de West Ham mais l’ambiance qui règne en Angleterre confère un piment supplémentaire au football. Tout le monde vit pour le foot là-bas.  »

 » A true Hammer, forever in our hearts  »

Nous l’avions constaté il y a six ans en rendant visite à Vandenbroucke à Londres. Près du portail de fer rouge d’Upton Park, autour d’un arbre, on avait aménagé un espace de recueillement pour les supporters décédés. Écharpes, fanions, bouquets de fleurs, croix en bois ornées de messages poignants. Forever in our heart. Scott Lacey. 1969-2007. A true Hammer. West Ham and Proud. Forever blowing bubbles. Une fidélité éternelle à West Ham United Football Club, petite lumière dans un quartier paupérisé et accablé par la criminalité.

Le physiothérapeute nous avait guidé à travers le stade, qui respirait l’ambiance du football des sixties et des seventies. Il y avait un hôtel à West Stand, au-dessus du fanshop et des vestiaires. Ses hôtes avaient une vue imprenable sur le terrain. Les couloirs étaient ornés de photos de Martin Peters, Bobby Moore et Geoff Hurst, trois Hammers qui avaient fait basculer la finale du Mondial 1966 contre l’Allemagne en faveur de l’Angleterre (4-2).

Moore, capitaine d’Albion, avait brandi la première et dernière World Cup de son pays, Peters avait inscrit un but mais Hurst, auteur de trois buts, était le héros incontesté de la nation. Les maillots de la dernière victoire du club en Coupe, en 1980, étaient également omniprésents dans les halls, souvenirs de temps révolus depuis longtemps, comme si le club fuyait la sombre situation dans laquelle il se trouvait.

Malgré tout, 35.000 spectateurs étaient massés dans le stade à chaque match, insistait Vandenbroucke en montrant la tribune principale, à un endroit où s’installaient toujours deux vieilles dames. L’une en deux-pièces upperclass, l’autre simple granny en train de tricoter.  » Mais quand le match commençait, elles commençaient toutes les deux à crier. You fucking twat !  »

Il raffolait des déplacements à Old Trafford et à Anfield Road, ses stades favoris. Avant le coup d’envoi, il essayait toujours de goûter l’ambiance, sur le terrain, mais c’étaient des journées longues.  » Une vie monotone : boulot-dodo. Travailler avec le corps, qui a tant à nous raconter, est ma passion. Le football y apportait une dimension supplémentaire.  »

 » Anzhi Makhachkala, the football circus  »

L’été 2012, après plus de trois ans à West Ham United, le moment était venu d’aller voir ailleurs. Vandenbroucke a quitté le club londonien pour le FC Anzhi Makhachkala, le joujou de Suleyman Kerimov, dont Forbes estime le patrimoine à cinq milliards d’euros. Kerimov avait acheté le club du Daghestan, un trou perdu, parmi les plus pauvres de Russie, en 2011. Son objectif : briser l’hégémonie du Zenit Saint-Pétersbourg et des grands clubs moscovites.

 » Il n’existe pas d’études en kinésithérapie en Russie, ce qui explique pourquoi tant de thérapeutes y travaillent. J’ai accepté pour l’argent mais j’étais aussi curieux de travailler avec Guus Hiddink et tous ces grands noms.  » The sky was the limit. Pour ses 38 ans, Roberto Carlos a reçu une Bugatti Veyron de deux millions d’euros et Kerimov a fait venir le rappeur américain Flo Rida. Coût : 700.000 euros.

Les transferts se succédaient à une cadence infernale. Des internationaux russes, MehdiCarcela, Christopher Samba, Lacina Traoré, Ewerton, Lassana Diarra, Mbark Boussoufa, Willian Borges da Silva : ils gagnaient au moins deux millions nets par an et jouissaient d’une villa, souvent avec piscine, à Moscou.

Vandenbroucke y a vécu treize mois fous. Pendant l’inauguration du stade en 2013, il s’est trouvé aux toilettes avec Carcela et Jean-Claude Van Damme. Trois Belges dans un urinoir du Daghestan, une image surréaliste.  » L’ambiance était fantastique, d’autant que nous passions des jours entiers tous ensemble. Nous étions sans doute l’équipe la plus voyageuse du monde. La veille du match, nous retournions au Daghestan mais parfois, nous nous rendions directement chez un adversaire européen. Dans ces conditions, des liens se créaient automatiquement.  »

Mais après une cinquième puis une troisième places et une finale de coupe, Kerimov s’est retiré, en août 2013. Le budget est passé de 180 à 60 millions d’euros et l’exode a commencé.  » Intriguing to see a whole team being sold ! 11 gone, a few more to go ! The football circus !  » avait twitté Vandenbroucke.  » C’était dommage. sans ça, nous aurions tout gagné.  »

 » Le joueur de 2017 n’a plus rien à voir avec celui de 2002  »

Le Dinamo Moscou a transféré dix Russes du Caucase. Le Flandrien a suivi Aleksandr Kokorin, Igor Denisov, Youri Zjirkov et Oleg Sïatov dans la capitale.  » Ils m’ont simplement emmené avec eux ! Les Russes sont très chaleureux, une fois qu’on a passé leur façade. Je suis toujours en contact avec plusieurs d’entre eux.  »

Il est revenu à West Ham United en février 2014. Il a conçu le nouveau complexe d’entraînement Rush Green et pris la tête d’une équipe de dix personnes, en tant que Head of Medical and Sports Science.  » Le footballeur de 2017 n’a plus rien à voir avec celui de 2002. Ainsi, en Premier League, le nombre de sprints a augmenté de 80 % en l’espace de six ans. On a donc besoin d’un tout autre athlète. Pour l’obtenir, il faut l’entraîner différemment.

Trop d’entraîneurs continuent à travailler comme il y a dix ans alors que l’effort physique a considérablement augmenté. Slaven Bilic, qui vient d’être démis de ses fonctions de manager chez les Hammers, est un homme fantastique, passionné, qui a conduit le club à une septième place inédite pour lui dès sa première saison mais j’estimais que nous pouvions rehausser un peu la latte et faire mieux sur différents points. ?When you are on top of your game, change your game.  »

Feyenoord a alors croisé sa route.  » Sur le plan personnel, ça représentait un nouveau défi. C’est un club formidable, animé par une ambition, une philosophie et une vision claires, comme tous les clubs devraient en avoir. Qui sommes-nous ? Comment voulons-nous jouer ? Que voulons-nous atteindre et comment allons-nous placer la barre plus haut ? L’équipe est composée de professionnels passionnés par leur job et l’ambiance est comparable à celle qui anime West Ham. Des supporters merveilleux et un stade fantastique, comble à chaque match. Le football vit à Rotterdam.  »

PAR CHRIS TETAERT À ROTTERDAM – PHOTOS TWITTER

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