Tank ou saucisse ?

L’histoire de Frank Boeckx est une belle histoire, celle d’un mec auquel on croyait peu et qui avait fini lui-même par ne plus trop y croire : puis, son humilité et un concours de circonstances l’ont amené sur le tard à un niveau qu’il n’espérait plus. Fin 2011, dans mon petit carnet de notes pour vous papoter, au moment où Bojan Jorgacevic désertait Gand pour Bruges en ouvrant sa succession chez les Buffalos, j’avais noté, entendues à La Tribune, deux remarques opposées, de deux ex-Diables Rouges, concernant Frank the tank : l’un affirmant clair et net  » Boeckx n’a pas le niveau ! « , l’autre estimant  » Boeckx est très bon, il est prêt, La Gantoise a gagné au change «  ! Énième preuve de la friabilité des jugements footeux, d’où qu’ils émanent…

Le surnom Frank the tank est né d’une sortie kamikaze de Boeckx lors de sa période gantoise, et les supporters mauves l’ont adopté parce qu’ils adorent le bonhomme, son jeu, sa gouaille, son tour de taille ! À propos de ce dernier paramètre, ses fiches d’identité sur Internet donnent à Frank 1m81-74 kg … ça date et c’est flatteur ! Le p’tit ventre rond de Boeckx donne plutôt raison au dernier Spécial/Compétition de Foot Mag, qui renseigne 1m81-83 kg ! Et il me rappelle un autre surnom, dont fut affublé alentour de 1980 un gardien hollandais, en surpoids tout autant si pas plus, qui fut titulaire des Oranje après Jan Jongbloed et avant Hans Van Breukelen. Les vieux de mon âge s’en souviennent, c’était Piet Schrijvers et son sobriquet était somptueux : on l’appelait la saucisse volante ! Fabrice Genchi, le gardien de Durbuy récemment médiatisé, appréciera lui aussi ces exceptions : la lourdeur apparente n’empêche pas (toujours) l’envolée explosive, il est bon que le foot ne soit pas chasse (tout à fait) gardée pour de grands gardiens sculpturaux…

Entre Boeckx et Matz Sels, j’ignore lequel est intrinsèquement supérieur, mais j’avoue que mon p’tit coeur penche pour le premier : atypique, patient, zen quand on lui a mis Sels dans les pattes au moment où, lui, devait se faire opérer… Nicolas Frutos est ou n’est pas un grand coach en devenir, mais je lui sais gré d’avoir choisi Boeckx contre le Celtic : la saucisse mauve méritait une première cap en Champions League ! À présent, je tremble un peu pour Boeckx : s’amène Hein Vanhaezebrouck qui connut à Gand une épopée glorieuse … dont le keeper fut alors héroïque et avait pour nom Matz Sels ! À moins que je me tracasse pour rien et qu’entre Hein et Frank, se nouent les liens de la grande fraternité des enveloppés …auxquels peut s’appliquer cette jolie phrase d’Harlan Coben à propos d’un personnage d’un de ses polars sportifs :  » Sans avoir été gros, il avait toujours été du mauvais côté de son poids de forme…  » (*) Quoique Hein soit à présent un peu plus qu’enveloppé…

À moins que HVH adopte l’alternance, une tendance en hausse. Jadis, les gardiens échappaient à la concurrence : l’argument était la confiance nécessaire pour prester sereinement (comme si les joueurs de champ n’en avaient pas besoin ! ), une hiérarchie claire garantissant cette sérénité. Et le n°2 se tournait les pouces dans les gants, ne rêvant que d’intérim pour cause de blessure/suspension… La hiérarchie d’à présent est plus relative : il arrive que le n°1 soit mis au repos lors des coupes, même européennes. Remember René Weiler la saison dernière, mais aussi José Mourinho, qui a remporté l’Europa League en laissant David De Gea sur le banc : soit le Mou s’est privé d’un fameux atout, même si Sergio Romero n’est pas une clette ; soit il trouve ses gardiens équivalents …et c’est un sacré communicateur pour être parvenu à leur dorer la pilule à tous deux !

Choisir, communiquer, ce sera le rôle d’Hein face à Boeckx et Sels. Chouette rôle … comme celui de gardien ! Car c’est à tort que, sous prétexte qu’une gaffe de gardien se paie toujours cash, on parle de rôle ingrat, pour lui comme pour l’attaquant de pointe trop isolé. Pour les deux, c’est exagéré : ils ont des compensations que leurs équipiers n’ont pas ! L’attaquant de pointe a le plaisir de buter souvent. Le gardien qui collectionne les clean-sheets est ainsi une sorte de buteur à l’envers, et le seul à pouvoir se dire en fin de match :  » Je ne pouvais pas faire mieux «  !

(*) Harlan Coben, Sans laisser d’adresse, Belfond, 2010

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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