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Spokoynoy nochi

Cinquième volet de nos aventures au Mondial. En russe, le titre signifie  » Bonne nuit  » mais ce n’est pas l’ex-Miss Russie qui nous l’a souhaité. Ce n’est pas non plus elle qui nous a dit qu’il valait mieux voter Poutine. Enfin, nous avons découvert le champ magnétique à l’origine des bonnes prestations de la Russie.

Lundi 9 juillet

Nous avons un rancard ! Et avec une ex-Miss Russie, qui plus est : Victoria Lopyreva, ambassadrice de la FIFA et ex-compagne de Smolov, une des stars de l’équipe de Russie. Vous lirez l’article par ailleurs. Elle nous fixe rendez-vous au Lotte Hotel, qui fait partie d’une chaîne coréenne d’hôtels de luxe. Avouons-le, nous sommes impressionnés. Alors que William Gallas se promène dans le lobby comme s’il était chez lui, nous nous sentons privilégiés. Quelqu’un nous accueille et nous emmène à l’endroit convenu, une petite salle au premier étage.

On rigole, avec Philippe Albert, du mot bordel qu’il a lâché à la fin de Belgique – Japon.

Un rendez-vous avec l’ambassadrice, ça ne s’arrange pas comme ça. Pas question d’aller la trouver et de lui demander son numéro de téléphone. Quand son assistante nous a demandé au téléphone si nous voulions une suite, nous avons avalé notre salive. Pour nous, une petite salle suffisait, nous n’avions pas de cameraman ou de photographe. Victoria est d’ailleurs un peu déçue. Elle, elle vient du monde de l’image. En entrant, impossible de ne pas rigoler. Elle nous envisage de la tête au pied prend la pose : il y aura tout de même une photo car notre collègue Thomas veut faire baver ses potes. Son regard change alors directement, elle passe en mode pro.

L'Hermitage à Saint-Pétersbourg : un des plus beaux musées du monde.
L’Hermitage à Saint-Pétersbourg : un des plus beaux musées du monde.© BELGAIMAGE

Mardi 10 juillet

En route pour Saint-Pétersbourg, où nous avons rendez-vous avec l’histoire. Pour la première fois, la Belgique peut atteindre une finale de Coupe du monde. Nous prenons le premier avion afin d’avoir le temps de faire un tour en ville. C’est la bonne décision, même s’il n’est jamais agréable de se lever à quatre heures du mat’.

Il fait frais. Pour la première fois, le mercure descend sous les 15 degrés. Nous sommes bouche bée devant la beauté de la ville qui, pendant deux siècles, fut la capitale de ce pays. Elle a été construite au début du 18e siècle par Pierre Le Grand, sur des marécages conquis à la Suède. Elle a donc à peine 300 ans. Tout a été construit par des serfs, des esclaves en quelque sorte. Beaucoup y ont perdu la vie. Ils devaient emmener leurs outils et leur nourriture. Une famille sur dix ou sur quinze était obligée de céder un travailleur.

Le Tsar Pierre Le Grand a aussi fait venir des immigrés, ce qui explique que la population de Saint-Pétersbourg est bien plus cosmopolite que celle de Moscou. C’est également ici qu’ont commencé les révolutions contre le régime, au début du 20e siècle (1905 et 1917). En 1918, Saint-Pétersbourg a perdu son titre de capitale. Lénine l’a installée à Moscou mais Saint-Pétersbourg reste une fenêtre ouverte sur l’Europe.

Nous aimerions visiter l’Ermitage, le Palais d’Hiver et le Palais de Peterhof, qui fait un peu penser à Versailles. Mais des milliers de touristes ont la même idée que nous et font la file. Saint-Pétersbourg souffre un peu du tourisme de masse et le trafic y est mal organisé. Ici, on peut toujours se garer dans les rues, qui sont donc saturées. Sans compter les autocars, qui se garent n’importent comment et masquent la vue sur les bâtiments.

Tout cela inspire les Français. Didier Deschamps parque également son bus devant le but belge et gâche la nuit des supporters des Diables Rouges qui, pour une fois, sont plus nombreux.

Mercredi 11 juillet

Le train pour Moscou démarre à 5h15. Comme nous avons travaillé jusqu’à 1h30, rien ne sert de prendre un hôtel. Nous tuons le temps au disco-bar Madagascar, près de Nevsky Prospekt, l’artère principale du centre-ville. L’ambiance y est relax.

Tellement relax qu’il s’en faut de peu que nous manquions le train car nous nous rendons à la mauvaise gare. Un chauffeur de taxi tente de profiter de la confusion pour nous rouler mais une Péterbourgeoise qui descend du train vient à notre secours et paye même notre taxi. Chouette !

De 5h14 à 16h32, le voyage est interminable. De temps en temps, le train s’arrête pour en laisser passer un autre. Il n’y a pas d’airco et les petites fenêtres laissent à peine passer l’air. Mais il y a du wifi et des prises de courant, donc on peut travailler. A 10h30, il fait trop étouffant et nous cherchons le wagon-restaurant. De temps en temps, une odeur de transpiration s’échappe d’un compartiment dont la porte est ouverte. Ça et là, des gens mangent. Il y a beaucoup de personnel à bord, des policiers aussi. Chaque wagon a son employé qui passe avec de la nourriture et des boissons.

Au bar, nous nous installons à une table où nous rencontrons deux Russes : Michael et Vladimir. Vlad est un technicien qui, comme nous, suit les deux demi-finales. Il travaille sur le réseau wifi des stades et nous demande comment se passe ce tournoi par rapport aux autres. Il veut savoir si nous sommes contents et pourquoi les journalistes posent tellement de problèmes et veulent absolument utiliser leur propre wifi. Je lui réponds que c’est une caractéristique propre à la race.

Mike travaille dans la construction. Il est encore jeune mais voyage beaucoup et a de nombreux contacts en occident, notamment en Autriche et en Allemagne. Il adore la bière belge. Ici, on en trouve partout. Nous nous demandons de plus en plus s’il y a vraiment eu un boycott. Lui aussi nous demande ce que nous pensons de la Russie. Il sort son argent et rigole :  » Ils ont même fait imprimer de nouveaux billets, spécialement pour la Coupe du monde. On dirait que nous vivons momentanément dans un autre pays. Tout est beau, tout est gratuit, tout le monde est gentil. J’espère que ça ne s’arrêtera pas la semaine prochaine.  »

Il affirme que son pays a beaucoup évolué au cours des trente dernières années. Même si le Russe moyen ne vit pas très bien, surtout à la campagne, ils ne veulent plus retourner à l’époque du communisme. Il montre par la fenêtre les espaces et les bois, qui ne manquent pas, mais il n’y a pas de travail. C’est pourquoi beaucoup de gens se rendent à Moscou mais souvent, ils reviennent aussi vite. Parce que Moscou n’est pas la Russie : c’est une ville agitée, égoïste.  » Mais n’est-ce pas comme ça dans toutes les capitales ?  »

Dans les années ’90, un capitalisme débridé a succédé au communisme. Cela non plus, plus personne n’en veut.  » La seule chose qui comptait, c’était de gagner beaucoup d’argent. Il n’y avait plus de morale. Je veux que ma famille vive bien mais pas à tout prix.  » C’est pourquoi Poutine a remis de l’ordre. Nous parlons de l’image de celui-ci. A-t-il voté pour lui en avril ?  » Oui. Parce qu’il a quand même réalisé de bonnes choses. Les salaires sont bas mais, désormais, on est sûr d’être payé à temps. Et engager des gens ne coûte pas cher, il est donc possible d’entreprendre.

De toute façon, on est un peu obligé de voter pour le président. J’habite dans une petite ville et si le pouvoir central voit que les votes en faveur du pouvoir y ont été trop peu nombreux, on nous oublie en matière de projets, de développement. De plus, je ne me fais pas d’illusions : qu’on vote ou non, ils remplissent eux-mêmes les bulletins. Chaque jour amène son lot de surprises. Il y a trois ans, un euro valait 40 roubles. Le lendemain, il valait 100 roubles. Le boycott a eu des conséquences, nous avons moins voyagé en Europe et les prix ont doublé. Mais cela a aussi obligé les gens à prendre des initiatives, y compris à cultiver des légumes. Nous avons de l’imagination.  »

Dimitri et son joueur favori.
Dimitri et son joueur favori.© BELGAIMAGE

En Russie, la nature est magnifique. Il nous montre des photos de sa fille, de sa famille, de la vie à la campagne, des femmes avec des foulards qui sortent des champs, de superbes couchers de soleil, des paysages…

Vers 16h30, nous arrivons en gare. Il est temps de prendre le métro vers le stade Luzhniki, où Russes et Anglais fraternisent. Ils continueront à le faire quelques heures plus tard, malgré la déception due à l’élimination. On est très loin des menaces de guerre et de hooliganisme qui faisaient tellement peur voici quelques mois.

En raison des prolongations, il est un peu plus d’une heure lorsque nous rentrons à l’hôtel. Il y a encore beaucoup d’animation au bar… Pas facile de rester discipliné.

Jeudi 12 juillet

Dernier jour à Dedovsk, au centre d’entraînement des Diables Rouges. Comme nous sommes tôt, le frigo est toujours fermé. Il a fallu prendre cette mesure car les agents de sécurité et le personnel d’entretien faisaient des provisions pour ramener à la maison.

Le soir, au restaurant, Philippe Albert nous remercie pour le mois agréable qu’il a passé. L’homme est d’une simplicité exemplaire. Il a disputé deux Coupes du monde, c’est sa première en tant que consultant. On rigole du mot bordel qu’il a lâché à la fin de Belgique – Japon. Parfois, il est interviewé par des étrangers à la recherche d’un expert. Eux aussi sont étonnés par sa simplicité. Parfois, il est là, en tongs et en short, profitant du moment présent sans jamais se plaindre et toujours prêt à tout. Quand il avoue que cette Coupe du monde fut, pour lui, la plus belle des trois, on se dit que l’ambiance entre les joueurs ne doit pas toujours être au top.

Vendredi 13 juillet

Le Moscow Times, reprend une fake news publiée sur le compte facebook d’un certain Lui Vega et qui cadre parfaitement avec tous les mythes circulant au sujet de la Russie. Savez-vous pourquoi les Russes ont si bien joué ? Ils auraient placé un champ nanomagnétique invisible à l’oeil nu sur le ballon. Ce même champ magnétique – un physicien vous l’expliquerait mieux que nous – a également été tissé près du but. Au Kremlin (sic) quelqu’un l’annulait au moment où l’adversaire tirait au but, ce qui faisait dévier le ballon. Par contre, si les Russes shootaient, le champ conférait de la puissance au ballon ! (re-sic).

Philippe Albert : toujours un bon mot !
Philippe Albert : toujours un bon mot !© BELGAIMAGE

Y a-t-il eu une panne de courant en quarts de finale à Sochi ? Ou est-ce que la ville était trop éloignée pour recevoir le signal de Moscou ?

Samedi 14 juillet

Dernier aller-retour Moscou – Saint-Pétersbourg. Et dernière longue journée. Vingt-et-une heures de trajet pour un match de foot. Les bonnes prestations des Diables Rouges permettent de relativiser beaucoup de choses.

Nous recevons un message de la maison : Fais bien la fête ! Nous rigolons car ils ne savent pas ce qui nous attend après le match : cinq heures de voyage. Mais les images sont belles : le soleil qui se couche sur la baie, le pont, le stade, le contre de Meunier qui s’écrase sur les poings de Pickford, la photo de groupe… A l’aéroport, Glenn Hoddle boit une chope et Dion Dublin discute avec un reporter de la BBC. Les interviews radio se font entre une bière et un hamburger.

Dans l’avion, nous sommes assis entre quelques Anglais. A nos côtés, un gars de Coventry qui, le samedi précédant, après la qualification des Anglais pour les quarts de finale, avait décidé sur un coup de tête de se rendre en Russie. Mardi, il avait appelé son boss pour dire qu’il était malade. Vendredi, il avait envoyé un SMS pour dire qu’il n’était toujours pas guéri. Deux défaites plus tard, il devait retrouver un vol. Pas avant lundi. Aïe ! Encore un jour de travail perdu. Belle gueule de bois !

Dimanche 15 juillet

Voilà, c’est fini. Rendez-vous dans quatre ans dans le désert. Destination Qatar en hiver, du 21 novembre au 18 décembre, le tournoi le plus court des dernières décennies. Avec des écrans géants sur les marchés de Noël. On vous promet des articles sur la chaleur (température moyenne en décembre : 24 degrés ! ), le manque de chambres d’hôtels (avec environ 1,5 million de visiteurs pour une population totale de 2,5 millions, il va falloir dormir chez les bédouins), les conditions de travail inhumaines des ouvriers qui construisent les stades, etc. Le grand avantage, c’est que les déplacements seront quasi inexistants : 75 km entre les deux stades les plus éloignés – Al Khor et Al Wakrah.

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