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Retour maison

2012 : le Standard ne croit pas en Samuel Bastien et le laisse filer. 2016 : Anderlecht lui fait le même coup. Aujourd’hui, il rentre à Sclessin. Son entourage témoigne :  » L’idée d’y retourner par la grande porte après être parti par la petite, ça lui plaît.  »

Ça se passe le 8 avril dernier. Naples vient de battre le Chievo Vérone devant 46.000 têtes. Victoire 2-1 avec les buts napolitains aux 90e et 93e minutes ! Le Chievo est passé tout près de l’exploit. Dans le couloir menant aux vestiaires, Maurizio Sarri va trouver Samuel Bastien, le médian belge du camp adverse. Le coach napolitain le félicite pour son gros match et lui confie que ça ne lui déplairait pas de travailler, un jour, avec lui.

Samuel Bastien poursuit l’opération maintien avec le Chievo. Elle va finalement réussir. Il termine sa deuxième saison dans ce club mais, dans sa tête, c’est décidé depuis un bon moment : il a envie de changer d’air, malgré un contrat portant encore sur deux ans.

Quelques semaines plus tôt, on l’a longuement rencontré au pied des arènes de Vérone. Il nous a avoué ses difficultés à bien vivre dans cette ville où les gens de couleur n’ont pas la cote. Une ville, en plus, où  » ça ne respire pas le foot « , pour reprendre ses mots.

Et ses difficultés à s’épanouir dans ce club qui a la réputation de jouer pour son maintien, et rien que pour son maintien. Pas d’ambitions démesurées et un football traditionnellement terne, à forte coloration défensive.

Au moment où on réalise son interview, un de ses agents est d’ailleurs à Vérone pour discuter de son départ prochain avec la direction. Il nous lâche :  » On va le faire sortir en fin de saison.  »

A ce moment-là, le Standard est déjà plus qu’une option. Samuel Bastien nous l’avoue :  » Bruno Venanzi m’a appelé pendant le mercato de janvier, on a discuté. Retourner en Belgique, ce n’est pas mon ambition prioritaire, mais quand le Standard t’appelle, c’est toujours flatteur.  »

C’est encore plus Olivier Renard qui est chaud. Bastien, c’est jeune, c’est bon et c’est belge. Le profil idéal. Fin mars, les Espoirs atomisent la Hongrie sur la route de l’EURO. Renard persuade Venanzi de l’accompagner à Louvain pour voir ce match et observer le Sam. Qui est le meilleur joueur sur le terrain. C’est bien parti pour un retour au pays.

 » On avait l’impression qu’Anderlecht se foutait de nous  »

Samuel Bastien n’est donc pas rancunier. Parce que le Standard est quand même un club qui l’a baqué en jeunes.  » A la fin de ma troisième saison là-bas, ils n’étaient pas très chauds à l’évaluation annuelle. Ils voulaient bien me garder pour l’équipe U17 mais je sentais qu’ils n’étaient pas trop sûrs de leur coup. Christophe Dessy n’était pas chaud. Je suis alors parti à Anderlecht, qui avait déjà cherché à m’avoir quand j’étais à Namur.  »

Mais voilà : le Standard est le club de son coeur. Confirmé par un ancien coéquipier chez les Mauves, Aaron Leya-Iseka. Le petit frère de Michy Batshuayi nous dit tout :  » Sam, c’est un pote, un frère. A Anderlecht, on était tout le temps ensemble. On était dans la même école, on était au même internat. Avec lui et Andy Kawaya, on ne se lâchait pas. Puis Dodi Lukebakio a rejoint notre petit groupe.

Avec le Chievo face à Douglas Costa de la Juventus. En deux saisons à Vérone, Bastien a disputé 33 matches de Serie A et inscrit 2 buts.
Avec le Chievo face à Douglas Costa de la Juventus. En deux saisons à Vérone, Bastien a disputé 33 matches de Serie A et inscrit 2 buts.© BELGAIMAGE

Mais autant je considérais Anderlecht comme mon club de coeur, autant Sam parlait du Standard comme de sa maison. Je ne suis pas étonné qu’il retourne maintenant là-bas. Quand il me parlait de ce club, je ne sentais aucune rancoeur. On n’avait plus voulu de lui au Standard à une certaine époque mais il voyait ça simplement comme une étape normale dans la vie d’un joueur de foot.  »

Plus tard, et au même moment, Aaron Leya-Iseka et Samuel Bastien ont connu une situation similaire à Anderlecht. En rentrant de son prêt d’une saison à Avellino, Bastien a appris par René Weiler qu’il ne faisait pas partie des plans. Il est alors parti à Vérone. Petit Michy a dû dégager, lui aussi, et il a filé à Marseille.  » Ça fait mal sur le coup, on avait l’impression que le club se foutait un peu de nous, mais on a tous les deux tracé notre route ailleurs. Lui comme moi, on a bien rebondi.  »

Ils avaient pourtant fait des flammes, deux années de suite, en Youth League. Des victoires contre Dortmund, Arsenal, Galatasaray, Porto, l’Olympiakos. Et une accession aux demi-finales. Mohamed Ouahbi a coaché Samuel Bastien dans ce tournoi. Il se souvient :  » Je l’ai d’abord découvert en U17, quand il est arrivé à Anderlecht. Il a été directement titulaire. Je l’ai récupéré plus tard en U21. Si je dois citer un souvenir commun avec lui, je prends notre match en Youth League à Arsenal. Il a marqué, il n’a pas arrêté de courir et on a gagné.

Pour ce match, il me manquait trois joueurs importants : Lukebakio, Kawaya et Leya-Iseka. Alors, je l’ai fait jouer en numéro 10. Il a été étincelant. En fait, il avait toujours évolué en 10 avant de venir à Anderlecht, mais j’avais tellement de bons joueurs en U17 pour jouer là que je l’avais déplacé sur un flanc, comme ailier. Parce qu’il avait une polyvalence que mes autres 10 potentiels n’avaient pas. J’ai de nouveau travaillé avec lui quand j’étais l’adjoint de Besnik Hasi. Mais là encore, la concurrence était terrible pour lui. Comme médians défensifs, on avait Guillaume Gillet, Steven Defour, Leander Dendoncker et YouriTielemans. Pas facile pour lui, et c’est pour ça qu’il est parti à Avellino. Il avait trop envie de jouer.  »

 » Le Standard a transféré du solide  »

Les routes de Samuel Bastien et Mohamed Ouahbi semblaient faites pour se croiser. Au moment où René Weiler expédie plusieurs jeunes en Espoirs, c’est Ouahbi qui les entraîne.  » Il était très calme « , se souvient le coach.  » Il ne s’inquiétait pas pour son avenir, il savait qu’il allait trouver un nouveau club. En tout cas, il était bien décidé à quitter Anderlecht. Il fallait le voir bosser avec les jeunes. Il se donnait toujours à 100 %. Pendant cette courte période, on a eu deux ou trois matches amicaux et il a insisté pour les jouer.  »

Entre-temps, il y a eu ces deux saisons en Serie A mais aussi une affirmation dans l’équipe des Espoirs de Johan Walem, qui en a aujourd’hui plein la bouche.  » Au niveau football, il est très intéressant à plusieurs points de vue. Il a une capacité d’endurance énorme, une très bonne accélération balle au pied, ses jaillissements défensifs et offensifs font mal. Sa technique est bonne sans être exceptionnelle mais il a un super passing. Il a énormément grandi depuis six ou sept mois. Personne ne s’attendait à le voir aussi vite à un tel niveau.

Il faut dire qu’il est arrivé sur la pointe des pieds. Il souffrait pour s’imposer en Italie et ce n’est pas le genre de gars à se mettre en avant dans un groupe. Il est discret. Mais petit à petit, par son abattage aux entraînements, puis par ses prestations, il s’est révélé. Aujourd’hui, c’est le genre de joueur dont je dis qu’il apporte toujours quelque chose d’exceptionnel. Il y a eu une période où je l’utilisais beaucoup plus en déplacement qu’à domicile, parce que quand on joue chez nous, je demande à l’équipe de produire un jeu plus technique, d’oser davantage.

Samuel Bastien a compris tout ça et il s’est mis à niveau. Maintenant, je sais que je peux compter sur lui aussi bien pour les matches à Louvain que pour ceux à l’étranger. Il a été très fort récemment contre la Hongrie. Et lors de la deuxième mi-temps de notre victoire aux Pays-Bas, il a été sympa aussi. Le Standard a transféré du solide. Un joueur qui s’est affirmé dans un club italien où il y a non pas deux, mais trois joueurs pour chaque poste. Et je sais de source sûre que d’autres gros clubs étaient sur lui.  »

 » Bruges a fait deux offres au Chievo  »

Les agents de Samuel Bastien égrènent, dans le désordre, les différentes raisons qui l’ont poussé à signer au Standard et pas ailleurs :  » Il y avait déjà clairement une volonté du club de le rapatrier pendant l’hiver mais, sportivement et financièrement, les choses n’étaient pas en place. Le Standard était un peu dans le flou à l’époque, sa situation sportive n’était pas limpide comme elle l’est aujourd’hui. Mais le contact a toujours été maintenu entre-temps.

Bruges a fait deux offres au Chievo mais on ne sentait pas autant d’envie que du côté du Standard. Le fait que le staff ait été changé a aussi joué en faveur de ce transfert parce que Michel Preud’homme et Emilio Ferrera sont deux férus de tactique et ils savent à quel point un joueur progresse quand il passe par le championnat italien.

Sam a dû apprendre à faire son trou dans une équipe qui était rarement dominante. C’est un foot dans lequel l’entrejeu est régulièrement ignoré. Mais on ne peut pas en vouloir à l’entraîneur. Dans l’histoire de la Serie A, il y a plusieurs clubs du calibre du Chievo qui ont subitement essayé de pratiquer un foot plus offensif et qui se sont cassé la figure.

En signant au Standard, Sam revient aussi dans la région où il a grandi, c’est encore un argument qui a joué dans sa réflexion. Et l’idée d’y retourner par la grande porte après être parti par la petite, ça lui plaît.  »

 » Tout le monde est gagnant  »

Quels souvenirs garderez-vous du passage de Samuel Bastien dans votre club ?

MICHELE SEBASTIANI, directeur général du Chievo Vérone : A good guy ! C’est un transfert qu’on n’a jamais regretté. C’est un bosseur qui a toujours affiché une mentalité positive, même quand ce n’était pas évident pour lui. Il a dû attendre plusieurs mois avant de commencer à jouer. Ici, il y a de la concurrence…

Vous n’avez pas essayé de le dissuader quand il vous a annoncé qu’il voulait partir ?

SEBASTIANI : On a bien compris tout ce que le Standard de Liège représente pour lui. Il nous l’a bien expliqué. Il reçoit peut-être une opportunité unique pour faire décoller encore un peu plus sa carrière. Imaginez que son équipe se qualifie pour la Ligue des Champions. De toute façon, il est déjà assuré de jouer au moins l’Europa League. Et on me dit que cette équipe devrait aussi batailler pour le titre en Belgique. Il nous a dit que c’était une offre difficile à refuser et on le suit dans son raisonnement.

Financièrement, vous faites aussi une bonne affaire. Vous prenez près de 4 millions pour un joueur que vous aviez acheté un million à Anderlecht.

SEBASTIANI : Je ne vous le fais pas dire… En fait, tout le monde est gagnant dans cette histoire. Maintenant, je suis persuadé que si on l’avait gardé encore une saison ou deux, on l’aurait vendu encore plus cher. Je suis certain que sa valeur va continuer à augmenter.

Il se plaint du style de jeu peu attrayant du Chievo. Vous le comprenez ?

SEBASTIANI : La Serie A est un championnat très difficile, je pense qu’il s’en est bien rendu compte entre-temps. C’est vrai que le Chievo ne produit pas un jeu spectaculaire, c’est une tradition. Mais on demande chaque année à notre entraîneur de sauver l’équipe et Rolando Maran y est encore parvenu cette fois, donc l’objectif est atteint. Tant pis pour la manière. Mais je constate quand même que Samuel Bastien a su s’adapter à ce style. La preuve par son temps de jeu assez conséquent. Je peux vous citer un exemple : Gianluca Gaudino, un joueur formé au Bayern et qui a signé chez nous l’année passée. Malgré tout le bien qu’on pense de lui, il a à peine joué cette saison. Tellement l’apprentissage de ce championnat est compliqué.

Samuel Bastien se plaint aussi du racisme dans la région de Vérone.

SEBASTIANI : Pour moi, c’est un faux problème. On a des joueurs de couleur qui ne s’en plaignent jamais.

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