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Monstre & Cie

Nouveau Mangala, Onyewu 2.0, Vidic congolais, The strong man, salopard, beau bébé, … Christian Luyindama aurait presque autant de surnoms éloquents que de kilos de muscles. La défense du Standard tient son nouveau colosse. Découverte.

Les premiers traits du portrait se dessinent dans les catacombes de Sclessin, à la mi-temps de Standard – Waasland Beveren. Autour d’un café et d’une table haute avec, en face, RodrigoBeenkens. Pourquoi lui pour nous aider à dessiner Christian Luyindama ? Parce que le commentateur télé kiffe visiblement cet Africain à la morphologie atypique. Même pas besoin de monter fort le son du poste pour comprendre ça. Dans ses commentaires, Rodrigo Beenkens est donc élogieux. On a, d’un côté, ceux qui hurlent que le gars ne sait pas jouer au foot. De l’autre, ceux qui le trouvent monstrueux. Et donc, Rodrigo est clairement de l’autre côté.

 » Dire que je suis fan de Luyindama, c’est peut-être excessif « , lâche-t-il.  » Que tout soit clair : je préférais quand même voir jouer Franz Beckenbauer ou Hans-Georg Schwarzenbeck ! Mais Luyindama a un profil atypique et je ne vois pas d’autre joueur avec les mêmes caractéristiques dans notre championnat. Tu le mets sur le 9 adverse, qui est souvent un gars costaud, et bien le 9 d’en face, il va avoir peur. Je pense par exemple au match que le Standard a gagné à Mouscron. Luyindama était sur Jonathan Bolingi dans les premières minutes, puis Bolingi a vite déménagé vers un flanc. C’est révélateur. Luyindama, c’est un beau bébé.  »

Flash-back. Mars dernier. Aleksandar Jankovic, coach du Standard peu consulté sur les transferts entrants et sortants, voit débarquer Christian Luyindama et Merveille Bokadi. Transférés fin janvier mais bloqués quelques semaines de plus au Congo pour raisons administratives. Jonathan Bolingi, lui, a pu venir plus tôt à Liège. Sacha est immédiatement frappé par le gabarit de Luyindama. Mais pas que.

 » J’ai vite vu que c’était un guerrier.  » Pourtant, Luyindama ne joue pas du tout avec Jankovic. Compréhensible à partir du moment où il doit s’adapter, parce qu’il est arrivé en pleine saison et surtout parce que le Standard est englué dans les problèmes et les doutes. Son vrai départ liégeois, le Congolais le prendra avec José Jeunechamps en play-offs 2, dans des matches sans enjeu, un contexte idéal pour voir si les trois joueurs prêtés par le TP Mazembe méritent d’être transférés définitivement.

Scholz aux fraises

 » On parlait mais il savait lui-même qu’il n’était pas prêt à l’époque comme il l’est aujourd’hui « , nous explique Aleksandar Jankovic.  » Si je dois résumer le personnage en quelques mots ? Spontané, naturel, direct, ouvert, positif, sincère, posé, adorable, super pro. Et il gère très bien son stress. Au Standard, tu as en permanence le stress des résultats et du public, et pour lui, il y a maintenant le stress de devoir faire ses preuves en sentant qu’il y a sur le banc, pour le concurrencer, AlexanderScholz. Un ancien capitaine.  »

Scholz, le nom est lâché. Le coupable de ses malheurs actuels, c’est Christian Luyindama. Le responsable de la nouvelle imperméabilité défensive du Standard, c’est encore lui. Début de championnat. Contre Malines, Genk et Saint-Trond, Luyindama n’est même pas dans le groupe. Contre Zulte Waregem et Bruges (deux défaites 4-0), il est sur le banc et il y reste. Le duo KostasLaifis / Alexander Scholz est aux fraises.

Pour le match suivant, contre Charleroi, Luyindama est titulaire. Pour la première fois de la saison, le Standard n’encaisse pas. Entre-temps, le Congolais n’a pas manqué une minute. Et l’équipe n’a plus jamais pris plus d’un but par match. Alex Teklak analyse la métamorphose :  » La charnière Scholz / Laifis souffrait, ils n’osaient plus prendre leurs responsabilités, aucun des deux n’arrivait à endosser le costume du boss, ils se cachaient. Avec Luyindama, c’est différent, les choses sont nettement plus claires. Il suffit de les voir jouer ensemble pour constater leur complémentarité. Luyindama gagne quatre duels sur cinq. Avec Scholz, ce n’était pas la même proportion.  »

L’analyste télé revient sur une phase précise, un but de Bruges.  » Scholz s’est fait bousculer par Wesley. Je ne suis pas certain qu’on aurait vu la même chose avec un colosse comme Luyindama.  » Confirmé par José Jeunechamps, qui ose comparer le Congolais à Oguchi Onyewu.  » Scholz et Laifis sont trop gentils, trop tendres dans les duels. Laszlo Bölöni aimait dire, peut-être un peu maladroitement, qu’il avait besoin de salopards dans son équipe. Luyindama possède ce profil indispensable.  »

The strong man

Dur, intraitable, intransigeant, oui. Salopard, peut-être, même s’il navigue toujours à zéro carte jaune en neuf matches complets consécutifs, dans la zone du terrain où on est le plus censé se faire avertir. Maintenant, quand il est question de jouer au foot, c’est moins ça. Son déchet technique est, par moments, énorme. Parfois, ça fait mal aux yeux. Et au Congo, comment voit-on le phénomène Christian Luyindama ? Un coup de fil dans les coulisses de l’équipe nationale, en fin de semaine passée, au moment où les Léopards préparent leur dernier match éliminatoire pour le Mondial. Le Rouche, surnommé The strong man au pays, est repris, il vise sa troisième cap.

On contacte une journaliste très au courant du quotidien de la sélection de RDC. Une certaine SylvieMeya qu’on nous a décrite comme  » la Christine Schréder congolaise « . Ça part plutôt pas mal. Elle couvre le foot pour Radio Top Congo FM. Et elle déroule directement quand on lui demande des infos sur le colosse.  » Il s’est d’abord fait remarquer dans un des grands clubs de Kinshasa, le DC Motema Pembe. Puis, il a confirmé au Sanga Balende et ça lui a permis de se retrouver au Tout Puissant Mazembe. Un premier aboutissement, parce que le TP, c’est quelque chose, évidemment. Maintenant, si tu me demandes de décrire le footballeur comme on le voit chez nous… Sa première caractéristique, c’est son engagement physique. Il applique les consignes à la lettre et c’est le type de joueur, si tu lui dis de tenir un attaquant à la culotte, il sera sans pitié. Aujourd’hui, il est dans le noyau de l’équipe nationale A et ça semble logique pour tous ceux qui suivent le foot congolais. Il était déjà en sélections de jeunes et il a participé à une Coupe d’Afrique U20.  »

Et ces lacunes techniques ?  » C’est un peu la maladie de beaucoup de joueurs formés en RDC « , continue la Christine de Kinshasa.  » Chez nous, il n’y a pas de centres de formation comme en Belgique, hein ! Tu as des talents purs, mais dans les défenseurs, ce sont surtout les qualités purement physiques qui prédominent. Les gars qui jouent derrière ont souvent des problèmes à la relance et on ne s’en inquiète pas vraiment, on n’essaie pas trop de les faire progresser sur ce plan-là. Le discours, c’est plutôt : -Utilise à fond tes atouts athlétiques. En RDC, si tu es né avec des qualités techniques, c’est très bien. Si tu n’en as pas, on fait avec.  »

À l’image de Luc Millecamps

Aleksandar Jankovic revient dans le débat.  » Dans une équipe en confiance, tu peux cacher ton déficit technique. C’est ce que Christian Luyindama fait aujourd’hui au Standard. On a tous des qualités et des défauts. Et une de ses plus grandes qualités, c’est qu’il se connaît parfaitement. Il ne prend pas de risques inutiles, et ça c’est magnifique ! On dit qu’il est moins propre techniquement que Scholz, mais tu peux me citer une seule boulette de Luyindama qui a coûté un but au Standard ? Moi pas. Il évite de s’aventurer dans ce qu’il n’est pas capable de faire, dans ce qu’il n’est pas sûr de réussir.  »

Après ça, Sacha nous balance une comparaison qui claque !  » J’ai eu le privilège de travailler avec un jeune défenseur qui n’était pas un surdoué sur le plan technique. Ça ne l’a pas empêché d’obtenir un bon transfert en Russie puis de devenir capitaine du grand Manchester United. Nemanja Vidic, ça te dit quelque chose ? … Son engagement physique et son mental extraordinaire ont compensé beaucoup de choses qu’il ne possédait pas.  »

Et donc, José Jeunechamps cite Oguchi Onyewu mais aussi Eliaquim Mangala. Aleksandar Jankovic évoque Nemanja Vidic. Rodrigo Beenkens, lui, remonte plus loin dans le passé. Son analyse va déboucher sur… Luc Millecamps.  » J’entends souvent que la combinaison idéale en défense centrale, c’est un gaucher et un droitier. Pour moi, c’est encore mieux d’avoir un gars qui a une bonne relance, qui sait construire, qui a la vista, l’intelligence du jeu, et un autre qui est terrible sur l’homme. J’ai grandi avec Luc Millecamps et Walter Meeuws.

L’équipe nationale a encore fait des grands résultats après la retraite de Millecamps, mais qu’est-ce qu’on a pris comme buts à la Coupe du Monde au Mexique, par exemple ! Des défenseurs comme Millecamps ou Theo Poel étaient toujours sous-estimés mais ils avaient leur utilité. Même chose pour Luyindama. Physiquement, il est monstrueux. Si tu as un profil plus footballistique à côté, un gars qui sait jouer au foot, ça peut être très bien. Et on sent qu’il a encore une vraie marge de progression. Normal. Maintenant, avec aussi peu d’expérience, s’il n’avait aucune faiblesse à la relance, en étant aussi solide dans les combats physiques, il ne serait déjà plus au Standard. Il est fait pour l’Angleterre.  »

 » Il est fait pour un championnat costaud, où le combat physique est permanent « , dit à son tour Aleksandar Jankovic.  » Il aura un jour des possibilités ailleurs qu’en Belgique, c’est certain.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Tu le mets sur le 9 adverse, qui est souvent un gars costaud, et bien le 9 d’en face, il va avoir peur.  » Rodrigo Beenkens

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