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Les marches de la gloire

Rom’ ne s’est pas fait en un jour. Des galères de l’enfance à ses obsessions, en passant par les moqueries des débuts, sa méfiance vis-à-vis du monde extérieur, ou sa soif de réussite, voici l’histoire vraie du numéro 9 de Manchester United racontée par son clan.

« Romelu, c’est mon petit-frère. Je suis toujours là derrière, personne ne le touche. Je suis comme ça avec mes autres amis proches aussi.  » On le croit sur parole. Car Nicaise Kudimbana, solide gabarit d’un mètre 90 pour 94 kg, a tous les arguments pour vous intimider. L’actuel gardien de l’Union Saint-Gilloise, qui évoluait l’an passé à l’Antwerp, fêtera prochainement ses 31 balais. Une différence d’âge relative avec l’attaquant de Manchester, et pourtant le duo semble inséparable depuis leur première rencontre.

 » J’avais un appartement à Anderlecht dans une petite propriété privée proche de la chaussée de Ninove « , raconte Kudimbana.  » Romelu et moi étions voisins. Il vivait avec ses parents et son frère, Jordan. Il y avait aussi Kanu, Reinaldo, Kouyaté, à proximité. On a appris à se connaître là-bas. J’étais en équipe première, lui était chez les Espoirs. Je l’ai connu quand il n’était rien, bien avant la gloire. J’allais le déposer à l’entraînement, il venait chez moi quand il était seul dans son appartement. Quand il est arrivé en équipe première, il a demandé de s’asseoir dans le vestiaire à côté de moi et je l’ai pris sous mon aile.  »

Quand mon père a arrêté de jouer, on a atterri dans un trou, les gens nous ont laissé tomber. J’ai toujours gardé ça en tête.  » – Romelu Lukaku

Joueur  » trafiqué  »

Avant de rejoindre les pros, Lukaku s’était taillé une solide réputation au sein des équipes d’âge.  » J’entendais beaucoup de bien de lui, on parlait d’un jeune attaquant costaud qui marquait plus de 100 buts chez les jeunes. Une sorte d’Avenger, de super-héros « , sourit Kudimbana.  » Et la première fois que je l’ai vu, je lui ai dit : – Alors c’est toi Romelu Lukaku ? Mon gars tu vas souffrir. Moi qui suis né au Congo, on m’a souvent répété qu’on avait  » trafiqué  » ma date de naissance. Et bien, malgré que tu sois né ici, on va aussi t’embrouiller en te disant que tu es trafiqué.  »

Le statut actuel de Big Rom' ne lui fait pas oublier ses années de galère.
Le statut actuel de Big Rom’ ne lui fait pas oublier ses années de galère.© belgaimage

Toute son enfance, Romelu a vécu avec les suspicions des parents ou des coaches adverses. Rom’ était plus grand, plus costaud, plus rapide que ses adversaires. À quatorze ans, le club du LOSC l’invite en test. Romelu est très vite séduit par le domaine flambant neuf de Luchin. Les décideurs du club nordiste, eux, s’interrogent sur l’âge réel de cet enfant hors norme.

 » J’ai dû faire un test de sprint, puis ils m’ont ramené à un scanner « , se rappelle Romelu.  » Je savais ce que c’était parce qu’à Anderlecht, beaucoup de jeunes devaient passer par là s’ils n’étaient pas nés en Belgique. J’ai dit à mon père : – Je ne viens pas ici.  »

Le temps des galères

La vie de Romelu Lukaku n’a jamais été un long fleuve tranquille. Dans l’esprit de beaucoup, il est le fils de Roger, ancien international congolais passé par Seraing ou Ekeren. Un fils de joueur pro, donc, qui a bien gagné sa vie, et dont l’expérience du haut niveau a dû aider à l’éclosion de ses progénitures. Et pourtant, on est bien loin de cet image d’Épinal.

 » Comme Romelu, j’ai grandi dans un logement social à Molenbeek. Mais quand il me raconte par où il est passé, ça n’avait rien à voir avec ce que j’ai connu. Il a vraiment galéré « , témoigne Kudimbana.  » Nos conditions de vie n’étaient pas meilleures qu’au Congo, où j’ai grandi « , raconte sa maman, Adolphine.  » Le chauffage ne fonctionnait pas, je devais me couper en quatre pour offrir un repas chaud à mes enfants et, à l’école, on se moquait d’eux parce qu’ils portaient des chaussures déchirées ou des vêtements troués. On ne peut pas cacher la misère…  »

La fin de carrière de Roger Lukaku va les entraîner dans un grand désarroi. Romelu :  » Tout a changé en même pas deux mois. Je me souviens de tout parce que j’avais cinq-six ans, je venais de commencer le foot. À ce moment-là, mon père venait d’arrêter : on n’avait pas de télé à la maison, on n’avait pas d’électricité. Après, on s’est fait mettre hors de l’appartement où on vivait et on est parti à Anvers. Au début, on n’avait pas de rideaux, on dormait à terre avec ma mère et mon frère à l’étage alors que mon père dormait en bas.

J’ai eu des frustrations : j’ai dû arrêter le foot parce que mon père ne savait pas me déposer à l’entraînement. Ma mère est devenue diabétique à ce moment-là aussi, donc la santé n’allait pas très bien, j’ai vécu chez ma tante pendant quelque temps. Et je suis revenu quand ma mère est revenue à la maison.  »

Ces cicatrices de l’enfance semblent indélébiles. L’intéressé ne s’en cache pas d’ailleurs.  » Quand mon père a arrêté de jouer, on a atterri dans un trou, les gens nous ont laissé tomber. J’ai toujours gardé ça en tête.  »

Derrière la carapace

Aujourd’hui encore, ses détracteurs le cataloguent souvent comme distant, suffisant, voire arrogant.  » Je pensais au début qu’il était introverti « , raconte Kudimbana.  » Mais il se méfie beaucoup des gens. Il se dit : Pourquoi cette personne est là ? Parce que j’explose sportivement ? Parce que j’ai de l’argent ? Aujourd’hui, il a su faire le tri. Quand je vois maintenant ses bêtes selfies (il rit), il se lâche. Il devient homme le coco.  »

Petit retour en arrière, 24 mai 2009. Le championnat de Belgique connaît un final hitchcockien. Dans une ambiance de feu, le Standard mène 1-0 et s’apprête à fêter un deuxième sacre de suite. Ariel Jacobs lance sa dernière arme dans la bagarre au cours des dernières minutes : Romelu Lukaku. Un jeune ado d’à peine 16 ans qui, dès sa première touche de balle, enchaîne passements de jambes et enrhume Landry Mulemo avant d’adresser un centre repoussé par la défense.

Le sacre est rouche mais le jeune Lukaku a déposé sa carte de visite. Tout va alors très vite, trop vite. Il est l’ado-star du foot belge, bien plus encore que ne l’a été Vincent Kompany ou ne le sera Youri Tielemans. Ce barnum médiatique entraîne jalousies, voire moqueries. Un peu plus de deux ans après ses débuts, Rom’ signe dans le club de ses rêves : Chelsea. Les haters l’attendent au tournant.

 » À Chelsea, il ne voulait pas nous montrer qu’il vivait des moments difficiles « , raconte le  » grand-frère  » Kudi.  » Il encaissait déjà suffisamment de critiques. Ça ne servait à rien de remuer encore un peu plus le couteau dans la plaie. Dans les moments où ça ne va pas, il se retourne vers sa maman. Et personne d’autre (voire cadre).  »

Aujourd’hui encore, Big Rom’ déteste se mélanger.  » Je n’ai pas besoin d’être entouré de beaucoup de personnes. Seulement de ma mère, mon frère, mes copains d’enfance. Je n’ai pas besoin de plus.  »

Ils sont nombreux à avoir tenté de profiter de son succès fulgurant. L’an dernier encore, Romelu a fait la connaissance à plusieurs reprises à Manchester d’un avocat réputé de la place londonienne… qui s’est avéré être un chauffeur de taxi qui voulait lui soutirer de l’argent. Que ce soit son ex-agent, Christophe Henrotay, voire son père avec qui les relations se sont compliquées au fil des ans, ou des coéquipiers, Romelu a connu de nombreuses déceptions dans le monde du foot.

 » C’est quelqu’un qui peut avoir la dent dure, qui n’oublie pas, même s’il ne le montre pas « , assure Zouhair Essikal, autre  » grand-frère « , âgé de 38 ans, devenu agent de joueur, et notamment partenaire sur la Belgique de la réputée agence anglaise, Base Soccer.

Foot sans alcool

Quand il rentre sur Bruxelles, Romelu revoit toujours ou presque sa même bande de fidèles, un noyau de quatre, cinq personnes, pas plus. Ils se retrouvent au Bowling Stones de Jette, autour d’un snack, ou chez l’un d’entre-eux. Et chaque été, c’est la même  » équipe  » qui part en vacances. Vinnie Frans, l’ami d’enfance de Wintam, près de Bornem, où les Lukaku ont un temps élu domicile, est aussi de la partie. Chez Romelu, les excès sont rares.  » J’ai goûté une fois à de l’alcool, ça a brûlé mon estomac. J’ai dit : – c’est Satan là-dedans, je peux pas.  »

 » Il a toujours su mettre des barrières « , poursuit Nicaise.  » Il faut le booster pour sortir. Ça a le don de m’énerver. Le jour où on a été champion avec Anderlecht, j’ai dû le tirer pour aller au Carré. Il était mal à l’aise. Tu vois que ce n’est pas son monde. Aujourd’hui, il va s’amuser en boîte quand il est avec ses potes mais sinon ça ne va jamais lui traverser l’esprit de sortir. Si j’étais parti sans lui à Miami, on m’aurait demandé à mon retour si j’avais dormi. Lui, il lui faut son sommeil, son petit-déjeuner, ses trois repas par jour.  »

En vacances, Rom’ arrose ses potes qui ne boxent pas financièrement dans la même catégorie. Au programme : voyage en business, bolides de luxe et villa XXL. Cet été, afin d’éviter que son esprit ne soit trop occupé par son futur transfert, Mino Raiola envoie son avocate et assistante, Rafaela Pimenta, à ses côtés lors de ses vacances à Miami.

Su la côte est américaine, ce grand fan de la culture urbaine US (NBA et Rap) se détend avec ses gars mais n’oublie jamais le ballon. Kudimbana :  » Il allait signer un transfert record à 100 millions, et il a quand-même voulu faire un  » foot five  » à Miami contre des inconnus. Moi, dans sa situation, je ne touche pas un ballon. Dans la villa, il bougeait les divans, et on jouait un tennis-ballon. À la piscine, il se mettait à faire des volées : -Mais calme-toi avec cette balle (il rit) !  »

Les marches de la gloire

Né pour réussir

 » Romelu est né professionnel. Il avait un but : jouer au foot et réussir. Je n’ai jamais vu une telle détermination chez quelqu’un. Il avait une telle faim de marquer ! « , se rappelle Arnold Rijzenburg qui fut son entraîneur chez les U17 à Anderlecht alors qu’il n’avait que 14 ans.  » J’avais coaché Christian Benteke au Standard qui était peut-être plus fort techniquement mais il n’avait pas cette obsession du but. Romelu, c’est un prédateur. Chez les jeunes, il avait une telle puissance que tout était trop facile pour lui. Je lui rappelais qu’il devait travailler ses premières touches de balle. Il ne s’en rendait pas encore compte.

Les marches de la gloire

Mais ce n’était pas du tout une grande gueule. Au contraire, il était toujours à l’écoute, souriant, tout le monde l’aimait dans l’équipe. Et c’est quelqu’un de très sensible. Il l’est resté. Je me rappelle d’un match à Charleroi où des parents l’insultaient. Il a commencé à s’énerver et à courir vers eux. Heureusement que son père est monté sur le terrain pour l’arrêter.  »

Chez les pros, la machine à marquer va se transformer en un véritable stakhanoviste.  » Il me faisait chier à Anderlecht. J’étais fatigué à la fin de l’entraînement, j’étais 32e gardien (sic) et je devais me farcir des exercices de finition avec Romelu. Et je ne pouvais pas dire non. Il ne prenait pas Roef, Bruzzese, ou Cordier, c’était pour ma gueule « , se remémore Kudimbana.

La détermination

Élevé à la culture congolaise et aux sons de Papa Wemba ou Koffi Olomidé, Big Rom’ va découvrir le rap US au début de l’adolescence. Le classique  » All eyez on me  » de Tupac sera son premier album alors que les stars de la NBA sont ses modèles (le club de basket de Puurs lui proposera même de le rejoindre en D3). Kobe Bryant est l’un des plus célèbres d’entre eux. Il s’inspire du sportif mais aussi de l’homme.

Romelu veut franchir les étapes au plus vite.  » À Anderlecht, il me parlait déjà de Chelsea, de Drogba, etc. Mais je lui rappelais qu’Anderlecht, c’était pas Chelsea. Mais six mois après, il signait là-bas. Sa réponse : –c’est comme ça la vie Nicaise, c’est la détermination.  »

Lors de sa première saison chez les Blues, Romelu s’accroche et bosse, dans un quasi anonymat. À la fin de la saison, alors qu’il n’est plus qu’un U21 de Chelsea, il rejoint ses amis à Bruxelles, avant de s’envoler pour des vacances à Ibiza.

 » On s’était retrouvé pour un futsal entre potes dans la salle de Neder-Over-Hembeek « , se souvient Zouhair Essikal.  » Il y avait quelques jolis manieurs de ballons et lui voyait qu’il avait encore des gestes techniques à améliorer. Il nous a cassé la tête pour qu’on rejoue tous les soirs. Pendant cinq jours de suite, il a loué la salle dans le seul but de progresser.  »

Aujourd’hui encore, Lukaku est loin de lever le pied. Façon geek, son pc entasse des vidéos d’actions des plus grands joueurs de la planète ou des actions de ses matches.  » Et il visionne ça en boucle « , enchaine Kudi.  » Il regarde tous les matches. Il est arrivé à plusieurs reprises qu’il m’appelle pour me parler d’un de mes matches à l’Antwerp l’an dernier ou de cette année à l’Union.  »

Zouhair Essikal :  » Pour progresser, je suis sûr qu’il utilise la visualisation mentale sportive. C’est à dire qu’il visualise mentalement son activité. C’est une technique utilisée par les grands sportifs américains. Romelu a tout compris au niveau du développement personnel. Je le cite en exemple pour les plus petits. Il suffit de voir où il était il y a cinq ans au niveau du contrôle de balle. Et où il en est aujourd’hui. Il n’est jamais rassasié. Il se fixe toujours de très hauts objectifs. Je suis sûr qu’il vise encore plus haut que Manchester United. Même si ça devient difficile…  »

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 » Ma mère, c’est la boss  »

 » Romelu, c’est famille et foot. C’est quelqu’un de très croyant aussi « , résume Nicaise Kudimbana.  » Mais ‘Maman Adolphine’ , tu ne la touches pas. Si tu veux que Romelu t’efface de sa vie, il suffit de critiquer sa mère. Romelu est quelqu’un qui ne va pas se confier quand ça va moins bien. Mais sa mère est une des rares personnes qu’il écoute.  »

Romelu Lukaku n’est pas coutumier des pétages de plomb. En octobre 2015, Rom’ offre pourtant un tout autre visage lors d’une altercation avec Mamadou Sakho lors du derby de la Mersey.  » Il y a eu des mots qu’il a dit qu’il n’aurait pas dû dire, sur la famille. À partir de là, on sort du stade et c’est toi et moi. Je n’ai peur de personne.  »

Cette saison, la mauvaise passe qu’il a connue après un début de championnat rêvé (7 buts en 7 matches) coïncide avec les ennuis de santé de sa mère qui souffre d’un diabète particulièrement aigu. Rom l’appelle trois fois par jour.

 » Ma mère, c’est la boss. Les décisions sur le plan footballistique, je les fais sans elle mais pour le reste c’est mon inspiration. Quand je vois comment elle a trimé pour nous. Elle nettoyait les maisons, les cafés tout en étant diabétique. Je me rappelle qu’on prenait le bus d’Anvers pour aller jouer à Boom. Je jouais mon match, Jordan jouait le sien et puis on partait directement vers son travail à Anvers où elle nettoyait les cafés où nous l’aidions à rentrer les tables avant de rentrer le soir à la maison. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de soirées, de tous ces trucs. C’est les trucs simples qui me rendent heureux. Me retrouver avec ma mère, Jordan et mater un film par exemple, ça ça me rend heureux « .

Un duel de poids lourds

 » Romelu, c’est la puissance à l’état pur « , affirme Kudimbana.  » Il est tombé dans la marmite quand il était petit. La première fois qu’il a débarqué dans le vestiaire d’Anderlecht, je lui ai dit : – t’es un Chevalier du Zodiaque, ton corps c’est une armure. Moi, à 16 ans, j’étais petit avec une grosse tête. J’ai grandi d’un coup. Par contre, ses pieds c’est du 74 ! Il n’aime pas quand je le lui rappelle. D’ailleurs, on s’est déjà battu façon épreuve de force. C’était lors d’un stage avec Anderlecht. Il est arrivé dans la chambre et m’a dit : – là je suis prêt. Tout le monde a toujours peur de moi. Mon surnom, c’est Kudi Sensei ( » Sensei  » est une sorte de maître des arts martiaux, ndlr), et ce n’est pas pour rien (il rit). Je l’ai étalé. J’avais un peu stressé, car il était jeune mais déjà puissant. Je l’avais quand même serré. Mais à la fin, j’ai vu sa bouche pleine de sang. Il m’a simplement dit : oui, je saigne, c’est pas grave. Dernièrement, il m’a dit que j’avais pris de l’âge et qu’il allait me détrôner. J’attends de voir. « 

Romelu avec ses potes, parmi lesquels Nicaise Kudimbana, ancien coéquipier à Anderlecht et actuel portier de l'Union.
Romelu avec ses potes, parmi lesquels Nicaise Kudimbana, ancien coéquipier à Anderlecht et actuel portier de l’Union.

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