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Adnan Januzaj, le joker gaucher de Martinez

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

C’est l’histoire d’un pied gauche merveilleux, né dans un pays avare en la matière. D’une rareté qui ouvre les portes d’un deuxième Mondial consécutif après des années d’errance. D’un talent hors-normes nommé Adnan Januzaj.

Quand il rêvait de sa première titularisation au Camp Nou, sous la prestigieuse tunique blaugrana, Yerry Mina n’imaginait sans doute pas pareil cauchemar. Pour le dernier match de la saison du Barça, déjà sacré, Ernesto Valverde lance d’entrée son Colombien, débarqué en Catalogne l’hiver dernier, en défense centrale. Côté gauche, ce qui l’expose à l’homme en forme du sprint final de la Real Sociedad. Au bout de 39 minutes de jeu, Mina s’en va chasser Adnan Januzaj à proximité du point de corner. Il croit se saisir du ballon mais ne récupère qu’une bonne dose de ridicule. Les fesses au sol, il doit lever les yeux pour voir le Belge s’échapper vers le rectangle.

Il n’y a pas tellement de gauchers aussi créatifs dans le football belge. Quand il a le ballon, on sait que quelque chose peut arriver.  » Roberto Martinez

 » J’ai toujours été un dribbleur « , confesse Januzaj dans la presse espagnole au moment de faire un premier bilan de son aventure basque. Sur la photo-finish belge de la saison, le Bruxellois termine ex-aequo avec Mousa Dembélé au nombre de dribbles réussis par match (2,4), loin derrière Eden Hazard et ses chiffres stratosphériques (4,9) mais avec une avance raisonnable sur le reste de la concurrence. En Europa League, où il a reçu un temps de jeu conséquent à Donostia, Januzaj termine même avec la meilleure moyenne de la compétition. Ses 5,3 dribbles réussis par rencontre le placent largement devant Nabil Fekir, Naby Keita ou Gelson Martins. Une telle aisance avec le ballon ne laisse évidemment personne indifférent.

C’est comme si le prodige de Neerpede, parti très tôt pour décoller au sein du premier Manchester United post- Sir Alex Ferguson, retrouvait enfin le plaisir de jouer. Chez les Red Devils, il avait fini par perdre son football au milieu des consignes intransigeantes de Louis van Gaal.  » Un ailier a besoin de confiance, d’un manager qui lui dit d’y aller et de dribbler « , se défend Januzaj dans les colonnes du Daily Mail.  » Avec lui, c’était toujours un jeu de possession lent. Pour un joueur, réfléchir trop sur le terrain, ce n’est jamais bon. Tu as besoin d’instinct dans ton jeu.  » Une liberté progressivement retrouvée, quelque part entre le nord-est de l’Angleterre et le Pays basque.

Roberto Martinez en pleine discussion avec Adnan Januzaj, son joker parfait.
Roberto Martinez en pleine discussion avec Adnan Januzaj, son joker parfait.© BELGAIMAGE

Un gaucher pour Martinez

Sur nos terres, plus personne ne parle de l’invité surprise de la Coupe du Monde 2014 quand il lutte pour le maintien avec Sunderland. Januzaj a été sorti de sa prison dorée par David Moyes, l’homme qui l’avait lancé à Old Trafford. Le manager a beau lui trouver  » quelque chose que les autres n’ont pas « , et affirmer qu’il est  » capable de faire gagner des matches « , le Diable Rouge peine à faire la différence dans une équipe qui passe plus de temps dans sa moitié de terrain qu’aux abords de la surface adverse.

Personne, ou presque. Inquiet d’un étau qui commence déjà à se refermer sur l’association entre Eden Hazard et Yannick Carrasco sur le flanc gauche de son nouveau système, Roberto Martinez prend déjà un coup d’avance :  » Je suis sûr que tous nos adversaires vont tout faire pour contrer ce côté gauche. Et à ce moment-là, il faudra arriver à passer de l’autre côté. C’est pourquoi j’aimerais trouver un gaucher à droite. Je suis notamment Januzaj, parce qu’il a le profil pour ça.  »

Le sélectionneur réitère et précise ses compliments en février, alors que le sort des Black Cats semble déjà scellé et qu’Adnan peine à faire décoller ses statistiques. Invité par la chaîne privée anglaise Sky, le Catalan empile les louanges :  » C’est quelqu’un en qui nous fondons de grands espoirs, parce qu’il n’y a pas tellement de gauchers aussi créatifs dans le football belge. Quand il a le ballon, on sait que quelque chose peut arriver.  »

Federer en crampons

 » Mon boulot consiste à provoquer pour que des choses arrivent « , esquisse Januzaj dans l’auto-portrait d’un homme parfaitement conscient de sa mission et des qualités qu’il a empilées au cours de ses années bruxelloises. L’ancien next big thing du centre de formation d’Anderlecht présente un éventail de talents qui le rendent redoutable dans le football du XXIe siècle : un contrôle de balle hors-normes, qui colle le ballon à sa chaussure gauche, associé à une facilité à combiner dans les petits espaces et à un crochet court dévastateur, capable d’envoyer un défenseur du Barça au tapis. Le tout avec le buste droit et le menton haut, posture presque logique pour un joueur qui ne cache pas son admiration pour Roger Federer. Adnan parle du Suisse comme d’un tennisman  » classe, technique, qui sait toujours quelle est la meilleure manière de taper la balle.  » Januzaj joue sans raquette, mais son jeu de jambes est digne du gazon de Wimbledon.

Au Pays basque, il se fait progressivement une place sur les flancs du 4-3-3 d’ Eusebio Sacristán, coach tellement biberonné aux idées du Barça qu’il était cité parmi les successeurs potentiels de Luis Enrique en début de saison. Quand il parvient à prendre le meilleur sur le redoutable Mikel Oyarzabal ou le chouchou du public Carlos Vela pour s’installer dans le onze, Adnan provoque, dribble et centre. Au milieu de l’automne, il claque deux buts et quatre passes décisives, sans oublier sa tâche défensive. Charmé par ses allées et venues sur le flanc contre le Zenit et le Real, à la poursuite de Domenico Criscito ou de Theo Hernandez, Martinez l’invite au rassemblement de novembre avec une idée derrière la tête :  » Je suis curieux de voir s’il peut être utile dans le rôle de Carrasco.  »

Si l’expérience se conclut par 180 minutes sur le banc, le sélectionneur a le temps de confier au numéro 8 de la Real tout le bien qu’il pense de son profil. Mars et l’Arabie Saoudite se passent malgré tout sans lui, mais l’arrivée d’ Imanol Alguacil à la tête de l’équipe met Adnan en position idéale avant le sprint final.

Le joker

Souvent associé à Alvaro Odriozola, le prometteur latéral droit espagnol, Januzaj terrorise les défenses de Liga lors des derniers matches de la saison. En devenant régulier et décisif, le Belge gomme les principaux défauts de son football, souvent plus impressionnant pour les yeux qu’au tableau d’affichage. Il n’en faut pas beaucoup plus pour que Roberto Martinez lui offre le deuxième Mondial de sa carrière, alors qu’il n’a toujours pas disputé la moindre minute dans un match de qualifications pour une Coupe du Monde.

Adnan Januzaj, le joker gaucher de Martinez

Seulement armé d’un Dries Mertens à bout de souffle pour accompagner Hazard en soutien de son attaquant de pointe, le sélectionneur s’offre un soupçon de variété avec ce gaucher, capable de coller la ligne pour laisser l’intérieur du jeu aux courses avec ballon de Thomas Meunier ou de venir à l’intérieur pour offrir un appui entre les lignes à Kevin De Bruyne. Après l’avoir envisagé dans les couloirs, Martinez semble désormais vouloir le rapprocher du rectangle :  » Adnan a de vraies capacités au numéro 10. C’est un réel talent et sa fraîcheur peut faire la différence « , explique le Catalan, rejoint par l’intéressé au moment d’évoquer sa zone de prédilection :  » Je peux jouer un peu partout, mais il est clair que mes qualités sont plus fortes dans les trente derniers mètres.  »

Près du but, le Bruxellois peut faire parler son football de Brésilien. Roberto Martinez a ausculté le jeu à la belge et il a constaté que dans les cinq grands championnats européens, ils sont onze à tenter plus de deux dribbles par match. Le sélectionneur multiplie donc les dribbleurs aux abords du rectangle adverse, sachant pertinemment qu’un duel ballon au pied finira presque systématiquement par tourner à l’avantage des siens. Dans ce registre, Januzaj a l’allure du joker parfait. Avec son contrôle hors-normes pour faire gagner des mètres en recevant le ballon entre les lignes, son coup de reins et son coup d’oeil, l’ailier de la Real est prêt à sortir du banc pour faire chavirer une défense adverse qui maintient encore la tête hors de l’eau.

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