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Le Sporting du futur

Lancée dans la troisième saison de sa reconstruction, l’école des jeunes de Charleroi n’a pas encore placé de joyau dans le noyau de Felice Mazzù. Pourtant, à Marcinelle, tout est mis en oeuvre pour que cela change. Immersion chez les Zébrions.

Le vent froid qui balaye la pelouse synthétique de Marcinelle est combattu à coups d’encouragements par les supporters malinois, venus en nombre dans le Pays Noir pour soutenir leurs U19, en lutte pour une place en play-offs 1. Accoudé à quelques mètres du banc, où le coach Geoffrey Valenne distribue les instructions, Samba Diawara partage son regard entre les joueurs et sa montre. Le nouveau T3 du Sporting carolo devra s’éclipser à la mi-temps, direction le Mambour, où les Zèbres se préparent à accueillir l’Antwerp. Le grand écart entre Marcinelle et le boulevard Zoé Drion est désormais la gymnastique quotidienne du nouvel adjoint de Felice Mazzù.

On vient de tripler le budget pour l’école des jeunes et on a engagé 15 % de personnel en plus par rapport aux deux dernières saisons.  » Mehdi Bayat

Entré en fonction au début de l’année, avec une participation au stage hivernal des Carolos en Espagne en guise de plongée dans le grand bain, Diawara est venu combler un vide présent depuis de longs mois dans l’organigramme du Sporting. Cet été, déjà, Alain Decuyper annonçait l’arrivée prochaine d’un T3 dans le staff de Mazzù. Le directeur de l’école des jeunes de Charleroi parlait alors d’un adjoint  » chargé de faire la transition entre les jeunes et le noyau A « , mais le chantier de son élection a été bien plus long que prévu. Coutume wallonne, diront certains.

Tout semblait pourtant parti pour une conclusion rapide, quand Laurent Demol avait été sur le point de s’engager au Sporting en début de saison. Candidat idéal de Felice Mazzù, l’homme a finalement opté pour Mouscron, et les autres T3 potentiels ont souvent été recalés, comme une preuve des divergences de vue footballistiques entre Mazzù et Decuyper, bien connues de tous ceux qui suivent de près la formation carolo. Le jeu de possession, doublé d’un pressing ambitieux et généralement animé par de petits gabarits, enseigné à Marcinelle, n’est pas vraiment taillé pour faire éclore des prototypes que le T1 des Zèbres juge prêts à lutter contre les colosses de Lokeren ou de l’Antwerp. Depuis l’arrivée de Decuyper à la tête de l’école des jeunes, aucun Zébrion n’a foulé la pelouse du Mambour.

DEUX MILLIONS D’INVESTISSEMENTS

L’attente commence à être longue pour Mehdi Bayat. L’administrateur-délégué du Sporting profitait récemment de la présence des journalistes à San Pedro del Pinatar pour le rappeler :  » J’investis beaucoup d’argent, à savoir près de deux millions d’euros en un an et demi, dans cette école des jeunes.  » Des dépenses réparties entre l’installation du terrain synthétique, l’augmentation des staffs sportifs et l’ébauche d’un internat, que l’homme fort du Pays Noir aimerait bientôt voir créer de premiers fruits.

 » D’ici deux ou trois ans, j’espère qu’on sera capable de sortir régulièrement des jeunes « , poursuit Bayat. S’il aime citer l’exemple de Dorian Dessoleil, Mehdi est évidemment conscient que le défenseur central a dû s’exiler en D2 pendant deux ans pour véritablement devenir un joueur-cadre du noyau carolo. Quant à Jessy Galvez-Lopez, il a fini par être jugé insuffisant après quelques apparitions prometteuses lors des premières saisons de Felice Mazzù.

Amener des jeunes vers le noyau A est pourtant l’un des jalons posés dans le fameux plan  » 3-6-9  » qui guide l’évolution carolo. Sa réalisation semble complexe, là où les autres objectifs zébrés sont généralement atteints avec quelques mois d’avance. Avant le stage hivernal, un départ d’ Enes Saglik a bien été envisagé pour faire une place plus grande dans le noyau au jeune Nathan Rodès, mais le Belgo-Turc devrait finalement rester à Charleroi. Qui plus est, Rodès, débusqué à Grimbergen l’hiver dernier et abonné aux matches avec la réserve depuis, ne peut pas vraiment être considéré comme un produit de Marcinelle.

Sur les terrains de la rue du Bois-Planté, on mise principalement sur des éléments nés après 1998, après avoir dû composer avec quelques générations perdues. Face à Malines, le jeune Nathan Durieux impressionne au milieu de terrain. Beaucoup, au sein de l’école des jeunes, le considèrent comme le joueur le plus apte à faire rapidement le grand saut vers la D1. Pourtant, lors du stage à San Pedro del Pinatar, Mazzù souhaitait seulement emmener Gaetan Gall. Son retour tardif de blessure en a décidé autrement, et les Zèbres sont finalement partis sans espoirs sur la Costa Blanca.

Nathan Rodès : un jeunot susceptible de faire un jour la jonction avec la Première.
Nathan Rodès : un jeunot susceptible de faire un jour la jonction avec la Première.© belgaimage

DE COLASSIN À IMBRECHTS

Entre les perches carolos, Joachim Imbrechts multiplie les miracles. Le gardien belgo-suédois, qui vient à peine de fêter son seizième anniversaire, participe déjà aux entraînements du noyau pro. Mehdi Bayat a offert un contrat à ce jeune talent de la région namuroise, formé à Namur et à Meux, que Joachim a paraphé trois jours seulement après ses 16 ans.  » Je n’ai pas le souvenir qu’on ait fait signer un joueur aussi jeune « , admet l’administrateur-délégué du Sporting, prêt à passer à la caisse pour protéger ses talents les plus prometteurs.

Au sein de l’école des jeunes, Imbrechts a longtemps été un secret précieusement gardé. Les têtes pensantes de la formation zébrée craignaient un départ précoce de celui qui a déjà été convoqué avec les jeunes Suédois, qui ont même dépêché un interprète pour lui permettre de suivre les séances avec les équipes d’âge de la sélection suédoise. Il fallait donc à tout prix éviter d’ébruiter démesurément le talent d’Imbrechts avant qu’il puisse être mis sous contrat, histoire de ne pas le voir filer trop vite sous d’autres cieux.

Car Charleroi voit souvent ses talents boucler leurs valises pour s’installer dans les grosses écuries du pays. Antoine Colassin, que Decuyper avait un jour présenté à Mehdi Bayat comme le prochain joueur de Marcinelle à fouler la pelouse du Mambour, a ainsi pris la direction d’Anderlecht, qui le considère aujourd’hui comme une de ses grandes promesses pour l’avenir. Comme Imbrechts, Colassin venait de la région namuroise. C’est une facilité pour le club, qui cherche principalement ses talents dans un rayon de trente kilomètres autour de la ville vu l’absence actuelle d’internat au sein des installations ou de système de navette.

D’ici deux ou trois ans, j’espère qu’on sera capable de sortir régulièrement des jeunes.  » Mehdi Bayat

 » C’était le fer de lance de la philosophie qu’on tente de mettre en place ici « , déplore-t-on encore du côté de l’école des jeunes carolo. Le club a fait le forcing pour conserver Colassin, mais la proposition du Sporting de la capitale ne jouait pas dans la même galaxie.

MAZZÙ ET LES JEUNES

Les Zèbres peinent toujours à conserver leurs meilleurs jeunes. Ils avancent pourtant l’argument d’une accession plus aisée à l’équipe première, même si les chiffres disent le contraire. À Marcinelle, on aime raconter l’histoire d’ Alpha Diallo, débarqué alors que l’école des jeunes cherchait un attaquant pour sa génération U16. Le jeune avant n’était pas vraiment le premier choix carolo, mais les autres candidats avaient opté pour Anderlecht, où ils n’ont jamais percé. Tandis que quelques mois après son arrivée, le jeune Diallo a profité d’une blessure de David Pollet pour s’inviter au stage de Mierlo, pendant l’été 2016, car Felice Mazzù avait besoin d’un attaquant. Il a reçu sa chance, mais ne l’a pas saisie. À moins qu’il ne l’ait pas reçue vraiment ? À Marcinelle, certains ont grincé des dents quand pour le dernier match des play-offs 1, sans enjeu, à Zulte Waregem, le coach des Zèbres n’a pas offert la moindre minute de jeu à Nathan Rodès ou Massimo Di Vita, repris dans les 18 au stade arc-en-ciel.

Felice Mazzù n’est pourtant pas un coach allergique aux jeunes joueurs. Il est d’ailleurs impliqué dans certaines décisions, quand elles touchent à la passerelle à établir entre le centre de formation et le noyau pro. Il a ainsi suggéré que les joueurs intégrés au pôle espoirs, considérés comme les talents les plus prometteurs nés entre 1998 et 2000, puissent être distingués des autres, afin de créer une émulation. Le Sporting a parfois du mal à valoriser ses éléments les plus proches du noyau pro. L’équipe réserve occupe ainsi des vestiaires parfois précaires, avec des horaires variables, comme si elle remplissait les cases laissées libres par toutes les autres catégories, alors qu’elle devrait constituer le premier réservoir du noyau pro.

À la décharge de Mazzù, Charleroi ne lui a donc jusqu’ici pas offert de teenagers de qualité suffisante pour faire leur trou dans un noyau où les places semblent de plus en plus chères. Désireux de donner une touche locale à son onze de base, Mehdi Bayat fait en sorte que ça change. C’est lui qui a poussé pour que le dossier du T3 soit bouclé cette saison, alors que son coach semblait avoir rangé l’idée au placard après le refus de Demol.

LE RÊVE DE MEHDI

 » Mehdi Bayat croit vraiment en l’école des jeunes « , racontait d’ailleurs Decuyper au printemps 2016.  » L’addition que je lui ai présentée dépassait largement le budget fixé, mais il n’a pas hésité à répondre à nos besoins.  » L’administrateur-délégué du Sporting entre lui-même dans les détails :  » On vient de tripler le budget pour l’école des jeunes, on a engagé 15 % de personnel en plus par rapport aux deux dernières saisons.  »

Au sein de l’encadrement, on distingue notamment d’anciens Zèbres, qui viennent appuyer les entraîneurs lors de séances plus spécifiques : Alex Teklak prend en charge les défenseurs, Laurent Wuillot s’occupe des milieux de terrain, et Toni Brogno travaille la finition avec les buteurs en devenir du centre de formation. Pour accompagner les quelque 300 jeunes élites qui montent chaque semaine sur les pelouses de Marcinelle, le Sporting peut désormais compter sur un organigramme d’une cinquantaine de personnes.

Les moyens augmentent, et la pression aussi. Alain Decuyper sait que Mehdi Bayat n’est pas du genre à déposer des euros dans une tirelire qui ne gonfle pas. L’homme fort du Pays Noir l’a d’ailleurs rappelé dans les colonnes de Sudpresse :  » On a massivement investi dans la structure de notre école de formation, et on ne l’a pas fait pour rien. Donc, il faut que celle-ci puisse très rapidement nous envoyer de bons joueurs. Sans cela, ce serait un échec financier.  »

Dans le cas contraire, le compte en banque du Sporting pourrait rapidement sourire en pensant à Marcinelle. Car du haut de ses années d’expérience, Nicolas Penneteau peut en témoigner aisément :  » Ce sont toujours tes jeunes qui, à un moment, vont t’amener un réservoir que tu pourras potentiellement vendre par la suite. C’est ça qui peut te permettre de faire des plus-values.  »

Le rêve d’un Zébrion qui galope sur des pelouses étrangères après avoir dévoré celle du Mambour vaut bien quelques millions investis autour de la rue du Bois-Planté.

Fidéliser les plus jeunes

Face à la concurrence féroce des clubs du G5, Charleroi doit faire preuve d’inventivité pour éviter que ses plus grands talents aient des envies d’ailleurs.  » Nous voulons nous concentrer sur le fait de prendre des enfants très tôt, et de les accompagner le plus loin possible « , expliquait Mehdi Bayat aux parents, rassemblés dans une salle du Mambour l’été dernier.

 » Il ne faut pas être au Sporting de Charleroi en pensant que l’année prochaine on sera à Gand, à Bruges ou ailleurs, parce que là il y a de l’argent « , embraie Alain Decuyper.  » Créer une identité, c’est vraiment fondamental pour nous. Des garçons m’ont annoncé qu’ils nous quittaient pour leur club de coeur… « , déplore le directeur de la formation, arrivé au Sporting au bout de l’été 2015, après 25 années passées à enseigner à l’école fédérale des entraîneurs. L’objectif est donc de travailler avec les futurs talents dès leur plus jeune âge, pour que leur coeur soit peint en noir et blanc.

Charleroi tente de fidéliser les plus petits, pour les installer sur sa pelouse ou dans ses gradins. Avant le coup d’envoi de chaque rencontre à domicile, des équipes de jeunes des environs sont invitées à faire le tour du stade, conclu par un clapping avec les Ultras massés dans la bouillante T4. De quoi éveiller leur fibre carolo.

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