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Le rugissement des Red Lions

Ce que les Diables Rouges n’ont pas (encore) pu réaliser, les Red Lions, l’ont fait. Malgré des blessures, un décès tragique, un but concédé rapidement ou une célébration prématurée lors des shoot-outs de la finale, rien ni personne n’a pu les empêcher de fêter leur premier titre mondial. Chronique d’un succès annoncé.

« J’ai raconté comment ma femme a déposé notre petite fille à la crèche. Les quatre premiers jours, elle a pleuré. Le cinquième, elle n’a plus pleuré. Mais ma femme oui. Cela sert d’exemple pour mes joueurs : Vous êtes entrés dans une phase où vous n’avez plus autant besoin de nous, le staff. Vous êtes tellement disciplinés, tellement sûrs de vous, tellement confiants.  »

Le sélectionneur Shane McLeod, passé maître dans l’art de la motivation, savait quel message il devait faire passer à ses joueurs, avant la finale contre les Pays-Bas, dimanche passé. Il n’avait plus besoin de les motiver.

Mais il a insisté sur l’issue inévitable de longues années de dur labeur, qui devaient forcément déboucher sur cette consécration. Il a aussi fait référence au film SlumdogMillionaire, dont l’action se déroule également en Inde et dont le compositeur A.R. Rahman, qui a remporté un Oscar, a composé l’hymne de cette Coupe du monde.

Ce film raconte l’histoire d’un garçon d’origine modeste qui participe au jeu télévisé  » Qui veut gagner des millions ?  » et qui, à la surprise générale, répond correctement à toutes les questions. Jusqu’à ce qu’il tombe sur une dernière question dont il ignore la réponse, qui peut lui rapporter 20 millions de roupies. Jamal décide malgré tout de tenter le coup, avec le risque de tout perdre.  » Car il savait « , a raconté McLeod à ses joueurs,  » que s’il était arrivé aussi loin, c’est parce que le destin lui était favorable. Et, effectivement : il a gagné. C’est pareil avec nous : ce qui doit arriver, arrivera.  »

Quatre claques d’affilée

Ce n’était pourtant pas évident, de croire de façon inébranlable à un déroulement favorable. Car les Red Lions ont perdu la finale d’un grand tournoi quatre fois d’affilée : au Championnat d’Europe 2013 à Boom (1-3, contre l’Allemagne), à la World League en 2015 (1-2 contre l’Australie), aux Jeux Olympiques 2016 (2-4 contre l’Argentine) et au Championnat d’Europe 2017 à Amstelveen (2-4 contre les Pays-Bas, alors qu’ils ont mené 2-0).

Ce fut, à chaque fois, une grosse déception, comme à Rio, lorsque Thomas Briels et ses camarades ne purent éviter de laisser couler une larme de déception sur le podium. Ils n’avaient ‘que’ de l’argent autour du cou.  » Arriver si près du but, sentir l’or du bout des doigts mais ne pas pouvoir s’en emparer… Il faudra du temps pour tourner le bouton « , affirmait-on à l’époque.

Ils ont alors ressenti de la fierté, et ont eu la conviction que cette génération dorée parviendrait un jour à se couvrir d’or. Cette conviction a persisté, même après une nouvelle finale perdue, au Championnat d’Europe, dans un chaudron tout acquis à la cause orange.

C’est dans cet état d’esprit que les Red Lions se sont envolés pour Bhubaneswar, afin de disputer la Coupe du monde. Avec un coeur de lion et la conviction que, cette fois, rien n’y personne ne parviendrait à les empêcher d’atteindre leur but. Comme Thomas Briels l’a expliqué dimanche, après la finale victorieuse :

 » Je le sentais déjà dans le bus, sur le chemin du stade. Il n’y avait aucun stress, et aucune forme de décompression comme lors des finales précédentes. Simplement, un stress positif et une grande confiance.  »

Contretemps

Pendant tout le tournoi, les Red Lions étaient focalisés sur cette finale, et ne se sont jamais laissé envahir par l’excès de confiance. Ni après leur victoire conquise de haute lutte dans leur quart de finale contre l’Allemagne (2-1) ni après leur promenade de santé en demi-finale contre l’Angleterre (6-0).

Mais ils ne se sont jamais laissé abattre par les contretemps. Pourtant, ceux-ci ont été légion : une phase de poule un peu laborieuse, qui a contraint la Belgique à disputer un match de barrage contre le Pakistan ; le 0-1 concédé en quart de finale face à l’Allemagne ; ou le forfait de deux joueurs majeurs, John-John Dohmen (pneumonie) et Manu Stockbroekx (ischiojambiers).

Mais le pire devait encore arriver, avec le décès du papa de Simon Gougnard, des suites d’une longue maladie. Les joueurs ont appris la nouvelle le samedi matin, avant leur demi-finale contre l’Angleterre, mais ce drame les a encore davantage soudés. Ce n’est pas un hasard si, après leur finale victorieuse contre les Pays-Bas, ils se sont tous dirigés vers Simon.

Et ce n’est pas un hasard non plus si, après la finale, Thomas Briels a déclaré que l’image qu’il retiendra du tournoi sera celle de Simon,  » en larmes parce qu’ils avaient tout donné pour lui offrir le titre mondial, à lui et à son père.  » Enfin, ce n’est pas un hasard si Gougnard lui-même a insisté pour jouer la demi-finale, dans laquelle il a même inscrit un but.

 » Simon a tiré toute la force qu’il avait en lui, soutenu par un entourage, une équipe et un encadrement qui lui ont prodigué beaucoup d’amour et ont toujours été à ses côtés « , explique le psychologue du sport Jef Brouwers, qui a longtemps accompagné les Red Lions. On s’en est également aperçu lorsque les deux joueurs qui ont dû quitter le groupe, Stockbroekx et Dohmen, ont été impliqués à distance dans la célébration de la victoire après la finale.

La prophétie de Vanasch

Heureusement que Florent van Aubel a conservé son calme, lorsqu’il a dû tirer le shoot-out décisif, après que la première célébration eut été annulée suite à un appel à la vidéo (parce qu’ Arthur De Sloover avait touché la balle du pied). Un nouveau contretemps, qui n’a pas suffi à engendrer du stress. Van Aubel n’a pas pensé aux circonstances, à la tension, à un éventuel échec. Il n’a pensé, a-t-il expliqué, qu’à ce qui le rend heureux : sa famille, ses amis. Et il a propulsé la Belgique vers le titre mondial.

 » Une telle série de shoot-outs s’assimile à un jeu mental, et nous nous y étions très bien préparés « , a encore expliqué Van Aubel. Les Red Lions avaient encore dans leur tête la date du 6 décembre 2017. Ce jour-là, en quart de finale de la Hockey World League, dans ce même stade Kalinga de Bhubaneswar où ils ont disputé la finale de la Coupe du monde dimanche passé, ils avaient perdu face au pays organisateur, l’Inde, après une séance de… shoot-outs. Ils avaient juré que cela n’arriverait pas une deuxième fois, surtout avec un gardien comme VincentThe WallVanasch. Dans Sport/Foot Magazine, celui-ci avait expliqué avant le tournoi comment il tente de déconcentrer son adversaire,  » en réalisant lui-même une feinte, qui fait encore davantage douter l’autre joueur.  » Et comment il tente d »intimider les adversaires en hurlant après un sauvetage.

Le Néerlandais Steve van Ass voit son shoot-out arrêté par Vincent 'The Wall' Vanasch.
Le Néerlandais Steve van Ass voit son shoot-out arrêté par Vincent ‘The Wall’ Vanasch.© belgaimage

 » Il faut essayer de leur faire croire que rien ne peut vous perturber et que vous êtes presque invincible.  » Dans le passé, il est pourtant arrivé à Vanasch de succomber au doute, mais il a appris à rapidement tourner la page après un contretemps. Et donc, il est resté confiant lorsque la Belgique s’est retrouvée menée 2-0 et semblait mal engagée. Il a même encouragé ses partenaires lors des deux shoot-outs décisifs (avant et après l’appel à la vidéo) :  » Le prochain, je vais l’arrêter !  » Et il a tenu parole.

L’équipe avant tout

C’est révélateur de la confiance qui habitait l’équipe belge, qui a encore davantage formé un bloc qu’à l’accoutumée. Une équipe dans laquelle les joueurs appelés en remplacement des blessés Dohmen et Stockbroekx, Antoine Kina et Augustin Meurmans, se sont adaptés à la vitesse de l’éclair. Deux garçons qui, malgré leur manque d’expérience, ont rempli leur tâche avec brio.

 » Ce n’est pas moi, mais l’équipe qui a été le meilleur joueur du tournoi. Car lors de chaque match, à chaque moment, c’est quelqu’un d’autre qui s’est illustré « , a déclaré Arthur Van Doren en recevant son trophée individuel. L’autre vedette, l’attaquant Tom Boon, a également insisté sur le fait que tout le monde s’est comporté en ‘frères’ et a  » laissé son ego de côté.  »

La meilleure illustration en est la quatrième histoire que le sélectionneur Shane McLeod a racontée à ses joueurs avant la finale contre les Pays-Bas : celle du deuxième gardien Loïc Van Doren, à qui il avait demandé s’il voulait prendre la place de Vanasch lorsque la Belgique menait 5-0 contre l’Angleterre en demi-finale. Il a refusé, car il estimait que les Red Lions devaient conserver leur rythme. L’équipe passe avant tout. Une équipe qui a fait preuve de davantage de réalisme pendant la Coupe du monde. Alors que, dans le passé, certains joueurs voulaient trop soigner le spectacle et la beauté du geste avec un hockey parfois naïf, la solidité de la défense a cette fois prévalu.

 » Avec l’attaque on peut gagner des matches, avec la défense on peut gagner des tournois « , a expliqué l’attaquant Tom Boon. Cette défense, dirigée par un sublime Arthur Van Doren, était une véritable forteresse : durant les quatre derniers matches, Vincent Vanasch n’a dû s’avouer vaincu qu’une seule fois ! C’est presque du jamais vu à ce niveau. Car chacun s’est acquitté de sa tâche de façon solidaire, défendant comme des lions chaque parcelle de terrain. Fidèle à leur slogan pour cette Coupe du Monde : Roartogether, roarforgold.  » Rugissons ensemble, rugissons pour l’or.  »

Jamais encore, les Red Lions n’avaient rugi aussi fort. Parce qu’ils étaient convaincus que malgré leurs quatre échecs précédents, ils finiraient par toucher au but : devenir champions du monde. Un magnifique point d’orgue à cette magnifique année sportive 2018 pour la Belgique.

Les bases du succès

Il y a 24 ans, en décembre 1994, l’équipe nationale belge de hockey avait déjà disputé une Coupe du monde, en Australie. Arthur Van Doren, le meilleur joueur de la dernière édition, avait exactement un mois à l’époque. Il était encore trop jeune pour regarder les quatre défaites et le match nul de la Belgique, éliminée sans gloire à l’issue de la phase de poule : le contraste avec l’époque actuelle est grand.

C’est pourtant une année plus tôt, en 1993, qu’avaient été jetées les premières bases du succès actuel, lorsque l’homme fort du COIB, Eddy De Smedt, a discuté avec le directeur technique de la fédération de hockey, Alain Geens, de la possibilité de créer une équipe de hockeyeuses.

 » Cette initiative n’a pas été couronnée de succès, mais deux ans plus tard, en 1995, nous avons lancé le même projet pour les hommes « , explique De Smedt.  » Nous avions des hockeyeurs doués techniquement, mais trop frêles sur le plan physique. Ils s’entraînaient peu, c’était encore de purs amateurs.

Nous avons apporté du changement dans la perspective des Jeux Olympiques 2000, sans toutefois parvenir à nous qualifier pour Sydney. Mais le projet a été poursuivi, même lorsque l’équipe masculine a loupé d’un cheveu la qualification pour Athènes 2004. Et surtout après l’engagement d’un high performance manager, Bert Wentink, et la nomination de Marc Coudron comme nouveau président visionnaire de la fédération de hockey.

Ensemble, ils ont balisé le chemin avec le COIB : plus de professionnalisme, un meilleur encadrement, plus d’entraînements communs de tous les joueurs de l’équipe nationale, sous la direction d’un coach australien, néerlandais et aujourd’hui néo-zélandais. En cherchant toujours le meilleur, dans une culture de haute performance. Y compris dans la formation de jeunes talents : avec le projet Be Gold, nous nous sommes concentrés sur les high potentials. Des joueurs comme Arthur Van Doren qui, sur le long terme, pouvaient devenir des hockeyeurs de niveau mondial.  »

Tout cela a conduit le hockey belge vers ce qu’il est devenu. À tel point que la fédération de hockey lance désormais des défis au COIB et au gouvernement. C’est une fédération innovante, qui se projette toujours dans le futur. Elle veut étendre le succès des Red Lions aux Red Panthers, l’équipe féminine. C’est le plus grand défi auquel sont confrontées toutes les parties. Mais je ne doute pas un seul instant que Marc Coudron et Adam Commens (le nouveau high performance manager depuis 2016) réussiront, avec l’aide de toute la famille du hockey.  »

Deux grands rendez-vous attendent les Red Lions, qui sont désormais n°1 mondiaux, au cours des 597 prochains jours : la finale du Championnat d’Europe à Anvers, le samedi 24 août 2019. Et comme couronnement suprême, la finale du tournoi olympique de Tokyo, le jeudi 6 août 2020.

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