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Le musée du foot allemand: « Le Mondial 1954 a ressuscité l’Allemagne »

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Les rencontres européennes reprennent la semaine prochaine. Cinq formations allemandes restent en lice. Sport/Foot Magazine a visité le musée du football allemand à Dortmund, en quête d’une explication à ce succès.

Le train est le mode de transport le plus simple pour atteindre le musée. À la sortie de la gare de Dortmund, il suffit de traverser la large avenue de Königswall. Le bâtiment flambant neuf se trouve de l’autre côté du passage pour piétons. L’amateur de football allemand découvre un univers passionnant dans cette construction qui attire plus de 200.000 visiteurs par an depuis son ouverture au public en octobre 2015.

Tous les aspects du football allemand y sont dévoilés, de sa naissance au début du siècle précédent, dans l’empire germanique, jusqu’aux premiers succès internationaux de l’équipe nationale, sans oublier le développement du football en RDA et le boom du football allemand dans toute l’Allemagne. Le musée ne fait pas mystère du côté plus sombre de l’histoire du football allemand. La poursuite des footballeurs juifs pendant la deuxième guerre mondiale est présentée d’une façon particulièrement poignante.

Le 1er avril, c’est ici que sera inauguré le premier Hall of Fame du football allemand, avec ses onze premiers porte-drapeaux, du gardien Sepp Maier au libéro Franz Beckenbauer en passant par le premier champion du monde allemand Fritz Walter et les attaquants Uwe Seeler, Gerd Müller et Helmut Rahn.

L'entrée du musée avec, à l'arrière-plan, l'équipe championne du monde en 1954.
L’entrée du musée avec, à l’arrière-plan, l’équipe championne du monde en 1954.© MUSÉE DU FOOT ALLEMAND

Chaque année, on ajoutera cinq footballeurs au Hall. Entre autres critères, ils devront avoir mis un terme à leur carrière depuis au moins cinq ans.

Un succès rassembleur

Il suffit de prendre l’escalator menant à la première salle, plongée dans une ambiance de match et consacrée au premier sacre mondial de l’Allemagne en 1954, pour comprendre les raisons du succès du football allemand.

 » Le Mondial 1954 a été le big bang du football allemand « , explique avec enthousiasme le directeur du musée, Manuel Neukirchner, philosophe de formation, entre les portraits grandeur nature des onze footballeurs qui ont placé l’Allemagne sur la carte mondiale du football, grâce à la finale de Berne.

 » L’Allemagne n’était pas favorite face à la Hongrie, invaincue depuis quatre ans.  » Une performance incroyable car la DFB, la fédération allemand, n’avait intégré la FIFA que quatre ans plus tôt, à l’insistance de la Suisse, qui estimait qu’il était grand temps de tirer un trait sur la guerre.

 » Aucun prix, de quelque sport que ce soit, ne pourra jamais surpasser cette Coupe du monde, justement à cause de son impact politique « , poursuit le directeur.  » Elle a été le premier succès du pays ayant déclenché la guerre. Elle a rassemblé les gens en Allemagne. La liesse a été modeste mais cruciale car elle a recréé un lien collectif.

Vous devez comprendre qu’à ce moment, l’Allemagne était encore en ruines. Et, d’un coup, une nouvelle nation s’est levée au milieu des cendres et des ruines. Confortée par ce succès sportif, elle a entamé son miracle économique. Après dix ans, cette Coupe du monde a offert un sujet de fierté aux Allemands.

Je présente les choses ainsi : Konrad Adenauer, notre premier chancelier d’après-guerre, a assuré le miracle politique. Ludwig Erhard, le ministre de l’économie, a réveillé celle-ci mais le revirement mental a été initié par Fritz Walter, le capitaine de la Mannschaft, championne du monde.  »

La chaussure d’Helmut Rahn

Le ballon doré du match est exposé au centre de la pièce, sur un socle. À l’époque, on n’utilisait qu’un ballon pour la finale du Mondial. Le sélectionneur allemand, Sepp Herberger, a demandé le ballon à l’arbitre à l’issue du match et l’a fait signer par tous les membres de l’équipe. En fond sonore, on entend l’hymne allemand, entonné sous une pluie battante. Cette pluie a été un facteur déterminant du succès allemand. Sepp Herberger avait établi un plan avec Adolf Adi Dassler, le fondateur d’Adidas, pour obtenir le meilleur équipement possible.

Tous les trophées remportés par l'Allemagne sont exposés au musée.
Tous les trophées remportés par l’Allemagne sont exposés au musée.© MUSÉE DU FOOT ALLEMAND

Adi Dassler avait prévu des chaussures à longs crampons pour la finale, pour permettre aux Allemands de mieux conserver leur équilibre sur le terrain spongieux. Les Hongrois n’avaient pas de chaussures aussi sophistiquées.

Cette anecdote révèle que l’Allemagne était déjà très attentive aux détails qui peuvent faire la différence. Le musée expose une chaussure avec laquelle The Boss, Helmut Rahn, a renversé le match, par deux buts et un assist, pour s’imposer 3-2 alors que la Mannschaft était menée 0-2.

En cette époque où l’intégration et la motivation de joueurs d’origine étrangère style Jerôme Boateng ou Mesut Özil suscitent des remous, il est intéressant de savoir que la formation allemande de 1954 comportait un joueur d’une autre origine. Josef Posipal était né d’un père roumain et d’une mère hongroise qui avaient quitté la Roumanie pour l’Allemagne en 1943, alors que Posipal n’avait que seize ans.

À l’issue de la guerre, il a demandé sa naturalisation. On peut encore lire sa lettre de motivation au musée, flanquée de son passeport roumain et de sa carte d’identité allemande, reçue juste à temps pour pouvoir être sélectionné pour le Mondial. À son terme, Posipal, qui se produisait pour Hambourg, a travaillé comme vendeur dans un magasin de meubles de la ville hanséatique.

Interdit aux Juifs

Deux maillots des champions du monde d’alors sont exposés. Quand on a demandé à Horst Eckel, un fabricant d’outils, d’offrir sa vareuse au musée, il s’est récrié :  » Ce serait m’arracher le coeur !  » Il a ensuite accepté, en comprenant qu’il s’agissait de montrer aux enfants et aux prochaines générations comment les joueurs de l’époque, qui avaient grandi dans la misère, avaient grimpé les échelons à force de labeur. Son maillot est donc exposé à côté de celui du numéro huit, appartenant à Karl Mai, enseignant et gérant d’une papeterie.

Bon nombre d'événements sont organisés au musée.
Bon nombre d’événements sont organisés au musée.© MUSÉE DU FOOT ALLEMAND

Les passages audiovisuels montrant comment l’Allemagne a vécu ce premier succès en Coupe du monde sont impressionnants. En 1954, il n’y avait encore que 54.000 télévisions dans tout le pays. Les gens se rassemblaient donc devant les magasins qui présentaient des appareils TV en étalage. Toutefois, la plupart des Allemands ont vécu le Miracle de Berne en écoutant la radio.

Le musée montre également les années moins glorieuses qui ont précédé le renouveau du football après la Seconde Guerre mondiale. Un choix délibéré, affirme Manuel Neukirchner.  » Ce musée ne montre pas que les moments de gloire. Nous ne voulons pas éclipser les côtés sombres de l’histoire.  »

Ça explique la présence de l’aile impressionnante dédiée au football sous l’ère nazie et à la persécution des footballeurs juifs. On découvre que Sepp Herberger, adulé en 1954, a été membre du NSDAP, le parti national-socialiste, même s’il n’a pas joué de rôle actif.

En revanche, le président de la DFB de l’époque, Felix Linnemann, trouvait parfaitement normal que l’équipe soit Judenfrei, exempte de Juifs, et qu’il justifiait l’élimination de ceux-ci, à laquelle il a participé activement, en tant qu’officier SS. On remarque aussi les articles écrits en 1943 par le sélectionneur Otto Nerz dans un journal berlinois. Il y plaide pour une Europe débarrassée des Juifs.

L’Allemagne divisée

Le musée révèle aussi le destin de deux internationaux juifs au début du nazisme. Gottfried Fuchs, qui a disputé six matches internationaux de 1911 à 1913, est toujours le réalisateur le plus prolifique en un seul match, avec dix buts marqués lors du succès olympique 16-0 de l’Allemagne contre la Russie en 1912. En 1937, il a fui au Canada, en passant par la France.

Julius Hirsch s’est produit pour Karlsruhe, comme Fuchs. International à sept reprises de 1911 à 1913, il n’a pu s’enfuir. En 1933, le régime a interdit aux clubs de conserver des membres juifs. Bien qu’il ait combattu quatre ans pour l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale, il a été arrêté et embarqué pour le camp d’Auschwitz le 1er mars 1943.

Il a donné un ultime signe de vie à cent mètres du musée du football : il est parvenu à envoyer une carte postale avant de monter dans le train fatal. On suppose qu’il a été immédiatement conduit dans la chambre à gaz d’Auschwitz.

On peut également voir une carte de l’équipe nationale allemande, dont les deux joueurs d’origine juive ont été discrètement effacés. Un exemple stupéfiant de propagande qui conduit aux Fake News.

Le musée insiste aussi sur la construction du Mur de Berlin, en 1961. À partir de ce moment, Est et Ouest ont mené des vies parallèles, complètement distinctes. Les joueurs du premier champion d’Allemagne de l’Est, Zwickau, ont reçu des bons de nourriture en guise de prime.

La RDA considérait ceux qui fuyaient à l’Ouest comme des traîtres. Elle continuait à les intimider après leur passage, en les faisant suivre par des agents de la Stasi. L’histoire de Lutz Eigendorf est tragique. En 1979, il est resté en RFA après un match du Dynamo Berlin à Kaiserslautern et a critiqué la RDA. La Stasi l’a traqué. Le musée expose des photos de son appartement, prises par les services secrets est-allemands quand il vivait à l’Ouest. Un document explique la meilleure manière d’éliminer Eigendorf en l’empoisonnant.

Finalement, Eigendorf décédera d’un accident de la circulation très suspect le 5 mars 1983. On suppose qu’il a été aveuglé par des jeux de miroirs.

Dernier match de la RDA à Anderlecht

Jörg Berger, le premier entraîneur de Marc Wilmots à Schalke 04, raconte comment, encore joueur, il a téléphoné du consulat d’Allemagne, après un match à Belgrade à l’arbitre ouest-allemand Walter Eschweiler pour qu’il l’aide à fuir. Il s’entraînait avec l’équipe B de RDA mais ne pouvait jamais disputer de match à l’Ouest : divorcé, il était considéré comme un fugitif potentiel, ne laissant aucune famille derrière lui.

Le successeur de Herberger, Helmut Schön, a également fui l’Est. Ce citoyen de Dresde a préparé sa fuite dans le plus grand secret avec Herberger, qui l’avait sélectionné avant la guerre. Schön, le tout premier sélectionneur de l’équipe embryonnaire de RDA, appelée Ostzone, en 1950, est ensuite devenu le sélectionneur de la Sarre indépendante puis de l’Allemagne de l’Ouest.

Il a quitté Dresde en mai 1950, quand son club, le SG Dresde-Friedrichstadt, a été démantelé pour s’être comporté de manière peu socialiste lors de la finale pour le titre. Il s’est joué d’un garde-frontière à Berlin et a entraîné le Hertha BSC avant de déménager à Wiesbaden.

Il est également possible de revivre les moments de gloire du football est-allemand, notamment grâce à l’enregistrement du Mondial 1974, organisé par la RFA, qui montre le but de Jürgen Sparwasser, qui a offert à la RDA une victoire 3-2 sur la République fédérale, à la grande joie des 1.500  » touristes  » est-allemands présents dans le stade, le contingent maximal.

Il y a aussi des images du dernier match de l’équipe nationale de RDA, remporté à Anderlecht le 12 septembre 1990, sur deux buts de Matthias Sammer. Les deux fédérations ont fusionné le 20 novembre 1990. Sammer allait être le seul Allemand de l’Est titularisé lors du premier match de l’équipe réunifiée, le 20 décembre. L’attaquant Andreas Thom est entré en cours de match.

La Bundesliga est née à Dortmund

La montée en flèche du football féminin est interpellante. La DFB a interdit aux dames la pratique du football de 1955 à 1970, décrétant que  » le football est un sport d’hommes « . 19 ans après la fin de cette interdiction, les dames ont remporté leur premier grand trophée international, l’EURO 1989.

La récompense offerte aux dames montre à quel point la différence entre les deux sexes était colossale : chaque championne a reçu un service à café, certes d’une marque prestigieuse, Villeroy&Boch, mais un an plus tard, les hommes, champions du monde en Italie, ont perçu une prime de 64.000 Mark, soit 32.000 euros.

Comme la fédération, le football de club est né à Leipzig, dont le représentant, le VfB Leipzig, a remporté le premier titre, en 1903. En 1950, il a fallu trouver un compromis entre l’amateurisme et le professionnalisme croissant. Il a consisté en un contrat stipulant qu’un joueur pouvait gagner 320 Mark par mois maximum, soit 160 euros. Le montant était supérieur au salaire moyen de l’époque. Généralement, les clubs offraient à leurs joueurs un logement et un travail en plus du salaire.

Le 28 juillet 1962, la Westfalenhalle de Dortmund a été le théâtre d’un événement crucial : c’est là qu’on a décidé de mettre sur pied une compétition professionnelle, la Bundesliga, avec seize équipes des villes les plus importantes et pas plus d’un club par cité. C’est pour cela que Munich 1860 a été repris et pas le FC Bayern, troisième du championnat bavarois cette saison-là, tandis que 1860 était champion.

Le Borussia Dortmund a enlevé le dernier titre disputé sous forme de finale contre le FC Cologne, en 1963, mais ce dernier a pris sa revanche la saison suivante, en remportant la première saison de Bundesliga. Le sponsoring maillot n’a été autorisé qu’à partir de 1970. L’Eintracht Braunschweig a obtenu l’équivalent de 50.000 euros d’argent de poche de Jägermeister.

Deutschland über alles

Ces années-là, des grands joueurs ont enregistré un disque. Comme Petar Radenkovic, le gardien de Munich 1860. Le musée affiche une pochette de  » Jetzt bin Ich ein Bayer  » ( Maintenant, je suis bavarois, ndlr), avec la photo d’un Jean-Marie Pfaff tout sourire.

Le musée montre aussi l’évolution croissante de l’hégémonie du football allemand. Si le FC Cologne et Munich 1860 en étaient les grandes puissances des années ’60, le Borussia Mönchengladbach a dominé les années ’70. Le Bayern et Hambourg ont pris la relève, suivis dans les années ’90 par Dortmund puis par le Werder Brême.

En 1960, l’Eintracht Francfort, le premier club allemand à disputer une finale européenne, a été vaincu par le Real Madrid (3-7). Dortmund est le premier lauréat allemand, en 1966 – il s’adjuge la Coupe d’Europe des clubs vainqueurs de coupes -. Le Bayern est le premier à remporter le trophée dévolu aux clubs champions en 1974, à Bruxelles, au détriment de l’Atlético Madrid.

Les formations d’Outre-Rhin ont gagné 17 coupes d’Europe. Cette année, le Bayern, Dortmund et Schalke 04 tentent de remettre le couvert en Ligue des Champions tandis que l’Eintracht Francfort et le Bayer Leverkusen sont toujours en lice en Europa League.

Le musée du football allemand

Tous les aspects du football allemand sont passés en revue.
Tous les aspects du football allemand sont passés en revue.© MUSÉE DU FOOT ALLEMAND

L’idée est née pendant la Coupe du monde 2006 en Allemagne. Pour la première fois, les seize villes accueillant le tournoi ont proposé un programme culturel varié. Au terme du tournoi, il a été décidé de fonder un musée dans un tout nouveau bâtiment. Il devait se situer en Rhénanie-Westphalie, là où se trouve la plus forte concentration de clubs de football. En fin de processus, seuls Gelsenkirchen et Dortmund restaient en lice. Celle-ci l’a emporté car son centre-ville est plus compact et qu’il restait un espace disponible juste en face de la gare.

La DFB, la fédération allemande de football, a consacré vingt millions au projet, une somme prise sur les recettes du Mondial. La région a financé une grande partie des frais supplémentaires, ce musée de 7.500 mètres carrés ayant coûté 41 millions.

Après des débuts difficiles, il accueille plus de 200.000 visiteurs par an et organise plus de 200 événements par an, tels que soirées littéraires, lectures et représentations de comédiens du football.  » Nous voulons transmettre les émotions inhérentes au football à toutes les générations « , précise le directeur Neukirchner.

Le musée du football allemand est ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 heures.

Prix : de 10 à 17 euros.

Adresse : Deutsches Fussballmuseum, Platz der Deutschen Einheit 1, 44137 Dortmund.

www.fussballmuseum.de

Le site comporte une version anglaise. Les visites guidées sont organisées en allemand et en anglais mais il est possible de demander une visite en français en envoyant un e-mail à gruppen@fussballmuseum.be.

Les animations sont présentées en allemand.

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