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LE MONDE MARCHANT

La vie se façonne de surprises. Armand Marchant en est une. À presque 20 ans, le Thimistérien porte le ski belge sur les plus hauts massifs du globe. Révélé en décembre 2016, gravement blessé en janvier et réopéré en septembre, il slalome entre obstacles, anesthésies et maturité précoce.

Adelboden, Suisse, 7 janvier 2017. Un dernier virage, une forte compression et la chute. Armand Marchant file, au sol, tête en avant, dans les filets de protection. Résultat : plateau tibial éclaté, ligaments touchés. Une grave blessure qui stoppe net l’explosion d’un môme de 19 printemps, qui n’en a que les traits. Un mois plus tôt, le 13 décembre, la veille de son anniversaire, il s’offre un cadeau qu’il n’oubliera jamais. Marchant marque les premiers points de sa carrière en Coupe du Monde lors du slalom de Val d’Isère, en France, et entre dans le top 30 mondial à la 18e place.

Au départ, il est le plus jeune de tous. Citoyen de Thimister, près de Verviers, il souffle loin des montagnes, mais les descend dès que possible et surtout dès ses deux ans et demi. Ses parents, passionnés de sport, l’embarquent avec sa soeur pour des week-ends réguliers dans les Vosges. La tribu rencontre ensuite Raphaël Burtin, skieur français qui participe notamment aux JO de Turin en 2006. Ensemble, ils fondent la BE Ski Team, qui permet aux passionnés du coin de s’exercer dans les meilleures conditions. L’hiver, les stages à l’étranger s’enchaînent et l’école se suit par correspondance.

Marchant progresse, rafle des titres de champion de Belgique, de France et même de Champion du Monde de super combiné, chez les U18, en 2015. Il ne connaît rien d’une adolescence normale, mais il est fait pour ça. En ce vendredi de la mi-novembre, il se pointe en voiture customisée, avec un genou qui l’est tout autant. Trois énormes cicatrices le suturent. Après sept mois de rééducation, déjà trois anesthésies générales, le Thimistérien doit repasser sur le billard le 7 septembre dernier. Une ligamentoplastie s’impose. Elle met malheureusement fin à ses rêves de Jeux d’Hiver coréens.

Tu te blesses dans la foulée d’une grosse performance, tu es tout près de revenir puis tu dois à nouveau être opéré. Mentalement, ça doit être très dur, surtout à 19 ans…

ARMAND MARCHANT : C’est comme si tu venais de te taper 1.000 bornes en voiture, puis tu prends un rond-point et tu refais les 1.000 bornes dans l’autre sens. Mais j’ai essayé de trouver directement les bons côtés. Ça aurait pu être pire, j’aurais pu perdre ma jambe. Ça me permet aussi d’avoir un an pour revenir au plus haut niveau. Sinon, sans cette deuxième opération, ça aurait presque été la course pour les JO. Ça faisait déjà sept mois, mais j’étais encore loin d’être au top. J’aurais peut-être dû brûler des étapes et je n’aurais pas été prêt à 100 %.

 » JE SUIS RESTÉ QUARANTE MINUTES À EN CHIER  »

Tu peux raconter le moment de ta blessure ?

MARCHANT : C’était la fin de la manche. La première partie plonge vraiment fort, c’est impossible d’arriver en taillant, sinon tu décolles et tu loupes la porte. Tout le monde est obligé de faire des dérapages. Du coup, au fur et à mesure des passages, ça creuse. Il y avait énormément de mecs qui sortaient à cette porte. Comme on dit, la meilleure défense, c’est l’attaque. Je suis venu vraiment fort dessus. Et puis, il y avait un trou. Je ne l’ai pas vu. Avec la pression, ça m’a pété le genou. J’ai senti directement qu’il y avait quelque chose de cassé. Je savais d’entrée que ça n’allait pas être une question de semaines. La chute n’est pas vraiment spectaculaire. Parfois, des mecs n’ont rien sur des chutes monstrueuses et moi, sur un bête truc, je me blesse gravement. Mes parents étaient en bas, ils se sont dit :  » Il est dans les filets, ça arrive « . Finalement, ils voient que je ne me relève pas. J’avais la jambe qui faisait un arc de cercle. Ça faisait sacrément mal, mais je ne pensais pas qu’il y allait avoir autant de chantier dans mon genou…

Ça a pris du temps avant que tu sois évacué…

MARCHANT : Juste avant moi, il y avait un mec qui s’était blessé aussi. Il est tombé et s’est râpé tout le visage, parce que la piste était injectée. Ils mettent de l’eau et ça devient une vraie patinoire. Quand tu tombes, ça te brûle directement. Les secours étaient allés le voir, lui. Ils étaient en train de remonter quand je me suis blessé. Il y en a un qui est arrivé mais il avait la mauvaise valise… Alors je suis resté quarante minutes à en chier comme un fou. Il faisait bien froid, bien humide. Puis, ils m’ont shooté, l’hélicoptère est arrivé. À l’hôpital, ils m’ont déshabillé, j’étais endormi. Ils m’ont mis un fixateur externe, pour remettre ma jambe dans l’axe, et m’ont demandé si je voulais me faire opérer sur place. Je ne voulais pas, je ne les connaissais pas. Le plus dur, c’était de trouver qui allait m’opérer. Mon père m’a dit que c’était la pire journée de sa vie. On était dans la camionnette et celui qui nous rapatriait ne savait pas où aller. Finalement, on a été à Anvers.

 » J’ESPÈRE OUVRIR LA VOIE AU SKI BELGE  »

Est-ce que le fait que tu aies marqué des points à Val d’Isère, un mois plus tôt, a adouci un peu le choc ?

MARCHANT : Ça aide. Sans ça, j’aurais toujours été un peu dans le doute, ça aurait été plus compliqué mentalement. Ça m’a permis de savoir que j’avais le ski pour marquer des points en Coupe du Monde. Mais je n’ai jamais remis en question le fait d’en faire ma vie. Quitte à revivre la même chose. Des blessures, ça arrive à tout le monde. Sinon, je n’arriverais même plus à me regarder dans le miroir. Le mec se blesse pour la première fois et il n’essaye même pas de revenir… J’aurais trouvé ça honteux.

À Val d’Isère, tu t’es dit que tu entrais enfin dans le monde des grands et que, par la même occasion, tu permettais au ski belge de franchir un palier ?

MARCHANT : J’espère ouvrir la voie aux autres. Disons que c’était un point de départ. C’était mon premier objectif de carrière. Il faut au moins prendre une fois les 30 en Coupe du Monde. En plus, à Val d’Isère, il n’y en a pas beaucoup qui le font. Moi, je skie pour la Coupe du Monde. En Coupe d’Europe, il y a un énorme niveau mais il n’y a pas de public. En Coupe du Monde, c’est totalement différent. Il y a toutes les nations, toutes les télés… C’est vraiment ça qui me fait vibrer. Toucher ce milieu, qui est quand même assez restreint, c’est une sensation de fou. Pour vivre du ski, il faut être dans les 30 régulièrement. Tu passes de la catégorie des très bons skieurs aux meilleurs mondiaux. Il y en a beaucoup qui ont largement le niveau, mais il y a ce petit truc qui fait que tu les prends ou que tu ne les prends pas.

C’est quoi ce  » petit truc  » ?

MARCHANT : C’est dans la tête. Il faut arriver à trouver sa sauce. Je suis un skieur qui fait énormément de courses. Je crois que, sur une saison, j’ai dû avoir le record du monde en la matière, avec quasiment 90 courses. J’essayais de trouver ce petit truc mental. À chaque course, tu essayes des nouvelles choses. Tu as une ou deux minutes pour réaliser un passage de fou. Il faut que tous les feux soient verts, que tous tes sens soient éveillés. Il y a ceux qui commencent très fort, dès le départ, ou d’autres qui sont hyper calmes, très sereins. Tu observes et tu apprends de tout le monde. Moi, je suis plutôt un mec calme. Je me motive à bloc mais je ne m’énerve pas. Avant le départ, je discute, je ne me prends pas la tête.

 » JE PEUX TOUJOURS FAIRE QUATRE JO  »

Tu as eu un site et une page Facebook assez tôt. Maintenant, tu as aussi un fan club. Et tu sembles tellement mature qu’on en oublie presque que tu as 19 ans. C’est comme si tu avais été programmé depuis tout petit pour devenir un athlète de haut-niveau…

MARCHANT : C’est parce qu’on avait besoin d’argent assez vite. Une fois que tu montes, si tu veux suivre le train, il faut se faire connaître et pouvoir démarcher des sponsors. Je ne pense pas que j’ai été programmé pour le ski. Je pense surtout que je suis juste fait pour le sport. Des fois, j’aimerais qu’on me dise :  » Ce sport est fait pour toi « . Peut-être que c’est le ski, je ne sais pas. J’en fais depuis que j’ai deux ans et demi. Mon corps est peut-être plus adapté au saut à la perche. Je fais de la moto, du vélo, du karting… Si demain on me dit qu’on va faire du badminton, je suis l’homme le plus heureux du monde. J’adore le sport, mais je ne pense pas que tu sois fait pour ton sport. Si tu as le mental, l’envie de travailler et que tu sais anticiper les choses, tu peux devenir bon dans n’importe lequel. Tu peux avoir des prédispositions, mais ce sont les rencontres que tu fais dans ta vie qui te dirigent vers le sport tu pratiques.

Tout particulièrement dans ton cas. On ne s’attend pas forcément à voir un Belge skier en compétition.

MARCHANT : Quand j’étais petit, je partais quasiment tous les week-ends à la montagne. Après, je me suis inscrit au Ski Club de Malmedy et j’ai rencontré Raphaël Burtin. C’est lui qui a lancé ma carrière et qui m’a donné le goût de la compétition. Mais c’est surtout grâce à mes parents. Mon père voulait faire du moto-cross à haut-niveau, mais ses parents n’étaient pas trop chauds. Ma mère voulait aussi faire du triathlon. À leur époque, c’était assez rare d’avoir des parents qui te poussaient pour le sport. Alors, vu qu’ils n’ont pas pu aller jusque-là dans le leur, ils se sont dit qu’ils allaient me donner toutes les chances de réussir dans le mien. Sans eux, je ne serais pas arrivé là où je suis maintenant.

Il y a deux ans, tu parlais des Jeux d’Hiver comme d’un rêve, voire d’un objectif. Comment tu vis le fait de devoir les regarder depuis ton canapé ?

MARCHANT : (Il rit) Au début, c’était un peu bizarre. Mais si je veux, je peux toujours en faire quatre. De toute façon, j’aurais quand même eu du mal à faire un résultat. Si je veux vraiment vivre les JO et me faire vibrer, il faut que je sois capable de faire quelque chose. Là, j’aurais été en mode spectateur. C’est sûr, c’est une expérience que je ne vivrai pas, mais c’est pour vivre les autres pleinement.

par Nicolas Taiana – photos Belgaimage

 » On a toujours eu un mobilhome, on a toujours aimé le camping. Plus tard, j’en voudrais un aussi, c’est obligé.  » Armand Marchant

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