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 » Le grand changement, c’est l’arrivée des réseaux sociaux « 

Comment la Ligue des Champions peut-elle survivre à travers les chaînes payantes, les réseaux sociaux et les jeunes qui ne regardent plus que rarement la télévision ? C’est la question que nous avons soumise à Peter Willems, un Belge responsable du marketing et du sponsoring à l’UEFA.

Il parle un néerlandais assorti de quelques expressions anglaises. Le plus clair de son temps, Peter Willems (43 ans) le passe à Nyon, en Suisse, où il est, depuis 12 ans, le responsable du marketing et du sponsoring de l’UEFA.

Originaire de Saint-Trond, il ne revient plus que très rarement en Belgique. La dernière fois, c’était au début février, en tant qu’invité de l’ International Football Business Institute (IFBI) à Bruxelles. Une dizaine d’étudiants issus de toutes les régions étaient pendus à ses lèvres.

Ils avaient tous payé 40.000 euros pour suivre un cours sur le management du football pendant un an. Pour en savoir plus sans devoir délier trop largement les cordons de la bourse, Sport/Foot Magazine s’est adressé directement à lui.

Quelle est la principale leçon que les étudiants de l’IFBI devraient retenir de votre conférence ?

Peter Willems : Que le sponsoring de l’avenir tourne autour des données personnelles. Pour nous, les données des fans sont plus importantes que les chiffres d’audience. Ces chiffres n’augmentent pas, parce que la Ligue des Champions est retransmise par des chaînes payantes dans de plus en plus de pays. En plus, les entreprises veulent de plus en plus toucher les consommateurs de manière ciblée. Pour y parvenir, pour créer un lien plus profond entre les sponsors et les fans, les données personnelles sont essentielles. L’UEFA réalise d’importants investissements dans ce sens. Nous avons une vision à long terme, qui nous permet de contacter un constructeur automobile pour lui dire : ‘Dans notre banque de données, nous avons x-milliers de personnes qui possèdent une voiture vieille de sept ans ou plus.’ Si ce constructeur automobile parvient à communiquer avec ces clients potentiels dans un contexte qui leur parle – le football – il sera prêt à payer.

Nous travaillons à un plan marketing pour la Ligue des Champions en Asie. Il sera très digital.  » Peter Willems

Vous demandez des informations personnelles à des gens qui achètent un ticket. De quelle manière obtenez-vous ces données ?

Willems : Nous avons récemment conclu un accord avec booking.com pour l’EURO 2020. Les négociations ont été ardues pour l’échange de données. Certaines firmes et agences parviennent à relier nos fans à des données qu’elles possédaient précédemment. Nous parvenons ainsi à récolter des données très approfondies. Bien sûr, il est important que tout se passe dans la plus stricte légalité.

 » Dans nos contrats d’il y a 12 ans, on ne parlait pas encore de Facebook  »

Vous gagnez plus avec les chaînes payantes qu’avec les chaînes publiques. Dès lors, la baisse des chiffres d’audience vous préoccupe-t-elle ?

Willems : Nous nous rendons compte que la baisse des chiffres d’audience n’est pas nécessairement une bonne chose, car nous ne voulons pas seulement réaliser des bénéfices au cours des prochaines années, mais bien au-delà. C’est pourquoi nous continuons d’investir dans la promotion de la Ligue des Champions, afin que celle-ci ne disparaisse pas. Nous développons de nouvelles initiatives : pendant la finale de la Ligue des Champions à Kiev, il y aura des viewing parties à São Paulo, Londres et Shanghai. De cette manière, nous offrons également plus de possibilités aux sponsors d’activer leurs droits. Je reste cependant convaincu que la marque Champions League est suffisamment forte pour effectuer la transition vers les chaînes payantes. Regardez la Premier League, une autre marque très forte dans le football. Depuis des années, chaque match est diffusé par des chaînes payantes partout dans le monde. Or, la Premier League n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui. Les chaînes payantes offrent également des avantages pour les sponsors. Le public qui donne de l’argent pour la Ligue des Champions, sera réellement devant son téléviseur le soir des matches.

Quel est le plus grand changement qui se soit produit dans votre job au cours des 12 dernières années ?

Willems : L’arrivée des réseaux sociaux. Dans nos contrats d’il y a 12 ans, on ne parlait pas encore de Facebook. Aujourd’hui, nous développons un plan marketing pour le football féminin ( voir encadré, ndlr), mais les jeunes filles ne regardent plus la télévision. Nous devons les chercher là où elles se trouvent : sur Facebook, YouTube et musical.ly. Et lorsque des jeunes regardent encore la télévision, ils le font avec 27 autres écrans autour d’eux. Ce nouveau contexte engendre des défis mais aussi des opportunités. Nous devons veiller à ce que nos matches restent visibles à la télévision, mais nous devons aussi nous demander comment rendre ces matches attrayants sur l’iPad et le gsm ( il se tait un moment). Gsm est un mot ancien, je devrais dire : le smartphone ( il rit). Tout l’art consiste à trouver des gens qui parlent aux jeunes et à les lier à nos compétitions. C’est la raison pour laquelle nous avons engagé le DJ David Guetta pour l’EURO 2016. Ce qu’Adidas fait avec ses influencers, comme TheF2 Freestylers et le Tango Squad, est aussi intéressant.

 » Amazon : c’est peut-être là que réside le plus grand enjeu  »

Attendez, je ne suis plus.

Willems : Le Tango Squad comprend des personnes inconnues qui jouent au football et sont entraînées par Xabi Alonso. Elles vont jouer partout dans le monde. Tous les 15 jours, Adidas met un programme sur pied. C’est extrêmement populaire. Et cela permet d’attirer un nouveau public pour la Ligue des Champions, car lorsque ces gens deviendront plus âgés, ils continueront à regarder le football. Pour promouvoir le football féminin, nous sommes occupés à convertir quatre joueuses professionnelles en héroïnes YouTube. Chaque semaine, elles vloggent pour nous ( vlog est une expression pour désigner le video weblog, un journal sur internet, ndlr). Elles nous montrent ce qu’elles font toute la journée : faire à manger, aller au cinema, s’entraîner. Vous ne vous imaginez pas à quel point c’est populaire. Cliquez sur WePlayStrong sur YouTube. C’est chouette, vous savez ( il rit). Même moi, il m’arrive de regarder.

A l’avenir, Facebook et Twitter interviendront-ils dans les droits TV de la Ligue des Champions ?

Willems : N’oubliez pas Amazon. C’est peut-être là que réside le plus grand enjeu. Ces firmes ont déjà acheté quelques matches à gauche et à droite dans la périphérie, mais il est difficile de dire si l’une d’elles prendra de l’importance. Facebook a récemment engagé Peter Hutton ( ex-CEO d’Eurosport, ndlr). Beaucoup considèrent cela comme un statement of intent, car il est très respecté dans le monde de l’achat des droits TV.

Les droits TV continueront-ils à augmenter ?

Willems : Plus il y aura de joueurs sur le marché, plus grande sera la demande. Et la loi de l’offre et de la demande veut que plus la demande est grande, plus les prix sont élevés.

L’administrateur d’Anderlecht, Michael Verschueren, avait déclaré en fin d’année dernière dans notre magazine : ‘L’UEFA et les clubs doivent montrer que le football et l’afflux d’argent peuvent aller de pair de manière correcte.’

Willems : Si je devais projeter cela au niveau du sponsoring, je dirais que les fans ne seraient pas opposés aux sponsors s’ils constatent que ceux-ci font également quelque chose pour eux. Un sponsor qui veille à ce qu’il y ait du wifi dans le stade, par exemple. Les fans apprécieraient.

 » Nous devons d’abord veiller à soigner nos propres fans européens  »

L’un des principaux changements de ces 12 dernières années, est l’intérêt croissant de l’Extrême-Orient pour le football européen, avec l’afflux d’argent qui en découle.

Willems : Il y a de l’argent à gagner à ce niveau, nous essayons de grappiller notre part.

N’êtes-vous pas trop modeste ? Il y a une masse d’argent à gagner !

Willems : OK, mais on pense qu’il n’y a qu’à cueillir l’argent qui vient de l’Extrême-Orient. C’est faux. Pour l’EURO 2016, nous avions conclu un accord avec la firme chinoise Hisense ( producteur d’électronique et d’appareils ménagers, ndlr). J’ai dû autant convaincre le manager marketing de cette firme que celui de Heineken. Les gens d’Extrême-Orient ne veulent pas avoir l’impresson que l’on ne s’intéresse à eux que pour leur argent. Ils doivent constater que l’on fait aussi quelque chose pour eux, il faut construire une collaboration.

L’UEFA pourrait-elle rendre la Ligue des Champions plus attractive pour l’Extrême-Orient ?

Willems : Vous voulez parler d’avancer l’heure du coup d’envoi des matches, comme en Premier League ? Mettre cela en pratique est compliqué, car nous jouons le mardi et le mercredi en Ligue des Champions. Nous sommes une fédération européenne et nous devons d’abord veiller à soigner nos propres fans. Si vous adaptez chaque semaine votre produit à un autre marché, vous l’affaiblissez.

Arrivera-t-il un jour où des matches de Ligue des Champions se disputeront le week-end ?

Willems : ( il rit) C’est une question qui dépasse mes compétences. Mes patrons auront ce genre de discussions avec les clubs.

Avancer l’heure du coup d’envoi des matches, est-ce la seule chose que l’UEFA puisse faire vis-à-vis de l’Extrême-Orient ?

Willems : Nous travaillons à un plan marketing pour la Ligue des Champions en Asie. Il sera très digital. Dans des pays comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud, Facebook est très présent, mais en Chine, WeChat est encore plus important. Nous n’y sommes pas encore présents.

 » L’EURO dans différents pays, ce sera un one-shot  »

L’EURO 2020 se disputera dans différents pays. Cela va-t-il devenir une tendance ?

Willems : Non, je crois que ce sera un one-shot, pour fêter les 60 ans du Championnat d’Europe. Le principe est beau et cela coûtera moins cher aux pays, mais cea coûtera plus cher à l’UEFA, qui devra couvrir un immense territoire. Il y aura des matches de Bakou jusqu’au Danemark. Pour mon équipe, ce sera un sérieux défi de créer un sentiment européen au niveau marketing, alors que des matches pourraient se disputer dans des pays qui ne sont même pas qualifiés. Sur le plan pratique, ce sera aussi très compliqué. Car jouer dans 12 villes, cela implique de composer avec 12 législations différentes et 12 systèmes d’imposition différents. D’un autre côté, on ne peut pas nier que cela devient très lourd, pour certains pays, d’organiser seul un Championnat d’Europe et de devoir construire huit à neuf stades.

Les pays qui le font restent donc avec des stades qu’ils ne parviendront plus à remplir par la suite.

Willems : Mais en Allemagne et en Turquie, les candidats pour l’EURO 2024, les grands clubs possèdent déjà un grand stade, et si ce n’est pas le cas, ils auraient besoin d’en avoir un. Si l’on organise une édition de l’EURO dans un ou deux pays, cela ne signifie pas par définition que l’on aura des éléphants blancs.

Anderlecht aurait aussi besoin d’un nouveau stade. Mais celui que l’on avait prévu de construire à Bruxelles, aurait été trop grand pour lui.

Willems : Ne vous trompez pas de cible. L’UEFA n’a jamais demandé à l’Union belge de construire un stade aussi grand. C’est l’Union belge qui a voulu un grand stade pour obtenir l’organisation de l’EURO.

 » Le stade national a foiré pour une question d’egos  »

Parlons aussi de l’EURO 2020. Bruxelles a été écarté par l’UEFA, parce que la ville ne parvenait à construire un nouveau stade national.

Peter Willems : ( il soupire profondément) Et je suis l’un des deux Belges à l’UEFA.

Vous a-t-on charrié à ce sujet ?

Willems : Oui. Les dix premières années, c’était à propos de notre équipe nationale qu’on me charriait. Maintenant, on a trouvé une autre raison de se moquer de moi. Tous ces problèmes de stades en Belgique, et pas seulement à Bruxelles, sont très tristes. Lorsqu’on a quitté la Belgique depuis longtemps, on se dit parfois : mon Dieu !

Où l’erreur a-t-elle été commise ?

Willems : Au niveau des egos. Tous les clubs ont besoin d’un nouveau stade, sauf Gand. Ne serait-ce pas mieux pour chacun que chaque club en reçoive un, plutôt qu’aucun n’en reçoive ? En agissant comme aujourd’hui, nous ne nous rendons pas service.

Peter Willems :
Peter Willems :  » Pour promouvoir le foot féminin, nous sommes occupés à convertir quatre joueuses professionnelles en héroïnes YouTube. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

The next big thing : le foot féminin

Peter Willems, responsable du marketing et du sponsoring à l’UEFA, se concentre aussi très fort sur le football féminin.  » Nous pensons que c’est the next big thing. Le sport devient de plus en plus important chez les femmes, on porte beaucoup d’attention à l’égalité des sexes. Toutes ces tendances mises ensemble engendrent un courant.

Nous sommes en train de développer un beau plan d’investissement pour le football féminin dans nos 55 fédérations. Jadis, nous avons réalisé de nombreuses enquêtes pour connaître les raisons qui poussent les filles à jouer au football et celles qui poussent les garçons à jouer au football. Un garçon joue au football parce qu’il rêve de devenir le nouveau Lionel Messi. Une fille veut surtout s’amuser avec ses amies. Donc, il faut approcher le football féminin différemment.

Au Danemark, par exemple, les cours pour devenir entraîneur de joueuses de football sont différents de ceux destinés à entraîner des garçons. Chez les filles, il faut inclure davantage de moments où elles prennent du plaisir. Mais le premier pas que doit effectuer le football féminin, est de bien développer le produit, sinon il ne parviendra pas à se faire une place sur le marché.

Si une campagne publicitaire parvient à convaincre une fille que le football est fait pour elle, celle-ci doit rapidement pouvoir trouver un club. La Belgique ne se débrouille pas mal dans ce domaine, mais beaucoup d’autres fédérations n’ont pas encore assez de clubs.  »

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