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 » Le film Madagascar nous a fait rigoler aussi « 

Madagascar sera à l’honneur ce week-end au Bosuil. Le match Antwerp-Charleroi opposera l’international Zotsara Randriambololona au futur international Marco Ilaimaharitra. Allez Barea !

Nous avons presque de la peine pour le speaker de l’Antwerp qui, samedi, devra prononcer les noms de Zotsara Randriambololona et de Marco Ilaimaharitra. Les deux Français d’origine malgache possèdent sans doute les noms de famille les plus exotiques de la Jupiler Pro League.  » Tout le monde rigole de ça « , dit Randriambololona.  » Les gens m’appellent Zout, diminutif de mon prénom. Ça ne me dérange pas. Au moins, comme ça, ils n’estropient pas mon nom.  » Ilaimaharitra :  » À part mes compatriotes, je n’ai encore rencontré personne qui soit capable de prononcer correctement mon nom dès la première fois. Je dois souvent le répéter quelques fois. Et même comme ça…  »

Grâce à Randriambololona et Ilaimaharitra, on parle enfin de Madagascar en Belgique. Et le duo doit placer les Barea, 103e au classement FIFA, sur la carte du monde footballistique. La Belgique n’est qu’une étape vers leur but ultime : disputer pour la première fois un grand tournoi avec Madagascar.

Comme de nombreux footballeurs français, c’est un concours de circonstances qui vous a amenés en Belgique.

MARCO ILAIMAHARITRA : J’étais en fin de contrat à Sochaux et je ne voulais pas rempiler. J’étais en conflit avec la direction – on me regardait même de travers – et l’entraîneur m’a conseillé de partir. Après dix ans passés là-bas, j’ai compris que tout était fini entre nous. L’heure du départ avait sonné.

ZOTSARARANDRIAMBOLOLONA : Je suis né à Nice mais c’est à Sedan que j’ai appris à jouer au football. Lorsque ce club a fait faillite, j’ai tenté ma chance à Auxerre, que j’ai dû quitter après un an seulement. Auxerre a cependant attendu la dernière minute pour me dire qu’il ne comptait plus sur moi et, dans la plupart des clubs français, la période de tests était terminée. J’ai dû patienter jusqu’à la fin de l’été pour trouver refuge ici, à Virton.

Dépaysement total

Passer d’Auxerre à Virton, c’est une fameuse différence ! Tu n’as pas pris un coup sur la tête ?

RANDRIAMBOLOLONA : Je n’avais pas envie d’aller à Virton. Le noyau était complet et je n’étais pas considéré comme un joueur du noyau A. J’ai même entamé la saison avec les Espoirs. Mais c’était ça ou rester à la maison sans rien faire. Petit à petit, je me suis forgé ma place, même si cela a pris du temps. En France, tout tourne autour du ballon. À Virton, il arrivait qu’on s’entraîne sans voir le cuir, on ne faisait que courir. Après quelques jours, je voulais rentrer en France.

ILAIMAHARITRA :Lorsque j’ai vu Charleroi pour la première fois, je me suis dit : Qu’est-ce que je fais ici ? J’ai mis du temps à apprendre à apprécier la ville. Jean-Charles Castelletto (ex-Club Bruges, ndlr), avec qui j’ai joué en équipe nationale de jeunes, m’avait pourtant prévenu.

RANDRIAMBOLOLONA : De quoi ? Que Charleroi était la ville la plus bizarre de Belgique ? (il grimace)

ILAIMAHARITRA : J’ai ouvert de grands yeux… Comme j’étais souvent seul à l’hôtel, Dodi Lukebakio m’emmenait à Bruxelles, histoire que je respire un autre air.

RANDRIAMBOLOLONA :Mais aujourd’hui, après plus de trois ans passés en Belgique, je peux dire que la vie est belle ici. Et le niveau du football est bon aussi.

Marco, c’est vrai que tu as été un grand espoir du football français ?

ILAIMAHARITRA : À dix-huit ans, j’avais déjà douze matches de Ligue 1 dans les jambes. La première fois que j’ai été titularisé, c’était à Nice, en décembre 2013. Le nouveau stade venait d’être terminé et il y avait tellement d’ambiance que je n’arrivais pas à communiquer avec mes équipiers. À la fin de la saison, nous sommes descendus.

RANDRIAMBOLOLONA : Moi, j’ai éclos sur le tard. À Sedan et à Auxerre, je n’ai pas joué un seul match de Ligue 2 en deux ans. En fait, voilà seulement que je découvre vraiment le foot professionnel. Je peux dire que j’ai eu de la chance de sortir des divisions inférieures, sans quoi je ne sais pas où je serais…

ILAIMAHARITRA : Je vais vous faire une confidence : avant, je ne voulais pas être footballeur, ce n’était pas du tout mon occupation favorite. Jusqu’à ce qu’un oncle me mette au pied du mur : ou je m’affiliais à un club, ou je me donnais à 100 % pour les études. Je me débrouillais bien à l’école mais ce n’était pas trop mon truc. Alors, le choix a été vite fait. Lorsque j’ai signé mon premier contrat à Sochaux, je n’ai plus eu qu’une idée en tête : faire du football mon métier.

La Ligue 2, plus jamais

Vous rêvez toujours d’une carrière en Ligue 1 ?

ILAIMAHARITRA : Si on me donne une seconde chance, j’y retournerai. Mais ce n’est plus une priorité. Je n’ai en tout cas plus du tout envie de jouer en Ligue 2, un championnat où les ballons me passent sans cesse au-dessus de la tête. Je ne suis d’aucune utilité quand on joue de la sorte. Je préfère le championnat belge.

RANDRIAMBOLOLONA : La Ligue 2, c’est très dur et pas beau à voir du tout.

ILAIMAHARITRA : J’ai trois saisons de Ligue 2 dans les jambes et j’ai souvent eu l’impression que ça ne ressemblait à rien. C’était à devenir fou (il souffle) Vous imaginez que, parfois, je regardais le chrono du stade et je me disais : Pfff, il n’y a qu’une demi-heure qu’on joue. J’étais content quand l’arbitre sifflait la fin et le résultat importait peu.

Pour beaucoup de gens, Madagascar, c’est un film d’animation américain sorti en 2005. J’imagine que vous devez souvent expliquer comment la vie se passe sur l’île.

RANDRIAMBOLOLONA : Lorsque le film est sorti, je l’ai regardé à la maison avec quelques amis. J’ai trouvé ça marrant. En Belgique, on m’a déjà demandé quelques fois s’il reflétait vraiment la réalité.

ILAIMAHARITRA : Je constate que mes équipiers s’intéressent vraiment à Madagascar. C’est logique car je suis sans doute le premier Malgache qu’ils rencontrent.

RANDRIAMBOLOLONA : Ils veulent savoir si le pays est beau. Je suppose que, bientôt, j’aurai droit aux mêmes clichés que ceux que j’entendais en France à notre sujet. (il grimace)

ILAIMAHARITRA : Mes amis antillais nous décrivent comme des fainéants. Venant d’eux, ce n’est pas du tout crédible évidemment : en matière de paresse, les Antillais sont plus forts que nous !

RANDRIAMBOLOLONA : On a la réputation d’être toujours en retard. On dit aussi qu’on aime rester entre nous. Dans mon cas, c’est vrai. Je me sens profondément Malgache. Je fais partie d’une communauté chrétienne malgache à Pouru-Saint-Remy, un hameau des environs de Sedan. Mes amis sont à 99 % malgaches. Malheureusement, je ne parle pas la langue.

ILAIMAHARITRA :Moi, je l’ai oubliée aussi. En partie à cause de mon frère. Mes parents ont déménagé en France lorsqu’il avait neuf ans et il ne voulait parler que malgache. Même à l’école, il refusait de s’exprimer en français. Mes parents ont alors pris une décision draconienne : ils ne nous ont plus parlé qu’en français. Mais je me sens malgache à 100 % et français à 100 % aussi.

Deux Belges en sélection A malgache ?

C’est la raison pour laquelle tu n’as pas encore joué pour l’équipe nationale de Madagascar ?

ILAIMAHARITRA : C’est plus compliqué que ça. En 2015, j’ai été contacté par la fédération malgache mais à l’époque, je jouais avec les U20 français. Le Tournoi de Toulon approchait et je voulais terminer la saison avec les Bleus. Je n’ai pas refusé mais je n’ai pas non plus directement dit oui. Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles… Pourtant, je veux vraiment jouer pour Madagascar. Mon frère et mon père m’ont conseillé d’attendre encore un peu. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mon père ne parle pas beaucoup mais quand il dit quelque chose, c’est toujours sensé. Il doit donc avoir ses raisons. Si ça ne dépendait que de moi, je prendrais le premier avion pour Madagascar. En fait, je ne dois plus convaincre que deux personnes : mon père, et le sélectionneur, Nicolas Dupuis. Il ne faut plus que ça traîne…

RANDRIAMBOLOLONA : Tu veux que je donne ton numéro au coach ? (il rit) Je suis certain que Dupuis va t’appeler très rapidement. Il veut juste avoir la certitude que ça t’intéresse. Il est toujours à la recherche de joueurs qui peuvent renforcer l’équipe. En fait, l’équipe malgache ne peut pas se permettre de refuser des joueurs. Moi, j’ai été sélectionné alors que je ne jouais même pas à Auxerre. Avant ça, je n’avais jamais songé pouvoir entrer en ligne de compte pour l’équipe nationale. Pour moi, le football international, c’était un concept très éloigné.

Aujourd’hui, tu comptes six capes avec les Barea.

RANDRIAMBOLOLONA : Mon premier match international remonte à trois ans déjà mais je ne m’entendais pas avec le sélectionneur précédent. J’avais l’impression qu’on lui avait imposé de me sélectionner. Parfois, je traversais la moitié du globe pour m’asseoir sur le banc. Alors, je me disais qu’il aurait mieux fait de ne pas m’appeler. C’est d’ailleurs arrivé pendant un moment mais le nouveau coach compte sur moi.

ILAIMAHARITRA : Selon le capitaine, Faneva Andriatsima, qui a été mon équipier à Sochaux, avec mes qualités je rentrerais bien dans le moule au sein de l’équipe. Madagascar n’est pas un pays africain typique où on balance des longs ballons devant et où tout le monde court aveuglément. Omar Daf, un Sénégalais que j’ai connu à Sochaux, a déjà affronté Madagascar et il était très élogieux à propos du football que l’équipe tentait de produire.

Changer les mentalités

L’équipe nationale malgache est-elle très politisée ? En mars, lors du match de pré-qualification à São Tomé, le sélectionneur a aligné une équipe composée à 90 % de joueurs évoluant à l’étranger. Quatre jours plus tard, lors du match retour à domicile, la moitié des joueurs alignés provenaient du championnat local.

RANDRIAMBOLOLONA : Vous pensez qu’il avait le choix ? Il n’entretient pas de relations privilégiées avec certaines factions au sein de la fédération et ne se sent pas obligé d’aligner un ou l’autre joueur. Il veut mettre en place l’équipe la plus compétitive possible et ça marche. Mais certaines personnes au sein de la fédération ont le bras long.

ILAIMAHARITRA :Toutes ces histoires ne me font pas peur. Un équipier m’a dit un jour : n’écoute pas ce que les Français disent du football africain. C’est vrai que tout y est plus relax, que les structures ne sont pas aussi claires mais ce que tu vivras là-bas, tu ne l’oublieras jamais.

Madagascar est retombé tellement bas au classement qu’il doit disputer un tour de pré-qualifications avant de pouvoir participer aux éliminatoires de la Coupe d’Afrique. Avec les Comores, Djibouti, l’Île Maurice…

RANDRIAMBOLOLONA : Et le Sud-Soudan… On ne méritait pas mieux car on n’a jamais rien fait de bon par le passé. C’est pourquoi, parfois, je ne comprends pas les réactions du public. Les Malgaches sont très fiers et quand ça ne tourne pas, ils nous sifflent sans pardon. Nos résultats ont longtemps été moyens, même carrément mauvais mais les fans pensent qu’à domicile, on n’a qu’à paraître pour vaincre. Depuis un moment, cependant, les choses changent. On n’a perdu qu’un seul de nos treize derniers matches et les autres pays africains commencent à nous craindre.

Une nouvelle génération de joueurs malgaches est en train de percer en France. Cela suffira pour se qualifier pour une Coupe du monde ou une phase finale de Coupe d’Afrique ?

ILAIMAHARITRA : Des joueurs, il y en a. Encore faut-il qu’ils soient prêts à représenter Madagascar. Il faudra du temps pour changer les mentalités.

RANDRIAMBOLOLONA : Nous commençons même à naturaliser des joueurs. Thomas Fontaine peut jouer avec nous parce que sa grand-mère est malgache. Cela ne me dérange pas si ça renforce la sélection. En tout cas, on sent que les choses bougent.

par Alain Eliasy – photos Belgaimage – Christophe Ketels

 » Au tout début, je me suis demandé ce que j’étais venu faire à Charleroi.  » – Marco Ilaimaharitra

 » Je me sens profondément malgache même si je ne parle pas la langue.  » – Zotsora Randriambolona

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