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Le diamant brut devenu joyau

Jan Ceulemans détient toujours le record du nombre de caps en équipe nationale belge. Dans une semaine, il cédera le témoin à Jan Vertonghen. Sans faire de bruit, celui-ci est devenu un des piliers des Diables Rouges. Retour sur sa carrière.

Jan qui ? Une partie de la presse belge doit faire des recherches pour savoir qui est le 24e Diable Rouge sélectionné par René Vandereycken pour le match face au Portugal, le 2 juin 2007. Jan Vertonghen est l’un des 195 Belges qui, à l’époque, officient dans un club professionnel hollandais. Il vient de disputer douze matches avec RKC, lanterne rouge et descendant de Division d’Honneur, où il est l’équipier d’Erwin Lemmens et Benji De Ceulaer. C’est son entraîneur, Mark Wotte, qui lui annonce la nouvelle. Dans un premier temps, Vertonghen pense qu’il s’agit d’une blague. La veille encore, après le verdict de la relégation, il s’est effondré sur le terrain. Le lendemain, il rejoint le groupe des Diables Rouges.  » Je passe de l’enfer au paradis « , dit-il.

Jan Vertonghen est l’un des deux nouveaux venus en sélection. L’autre, c’est Faris Haroun. Vandereycken explique qu’il aurait déjà voulu sélectionner Haroun par le passé mais que celui-ci était blessé. Et s’il a pris Jan Vertonghen, c’est parce que deux autres gauchers, Bart Goor et Koen Daerden, sont blessés. Un petit coup de pouce du destin. A l’époque, les Diables Rouges ne se portent pas bien. La Belgique n’est que 71e au ranking FIFA, elle n’a jamais été aussi mal classée. En cas de défaite face au Portugal, elle pourra faire une croix sur la qualification pour l’Euro 2008 en Suisse et en Autriche. Les Diables Rouges s’inclinent 1-2 et le meilleur Diable sur le terrain est Stijn Stijnen, le gardien. Ça en dit long.

Sur la photo prise avant le match dans un stade Roi Baudouin bien rempli, Jan Vertonghen est en haut à droite, aux côtés de Philippe Clement. Marouane Fellaini, Timmy Simons, Steven Defour et Thomas Vermaelen sont également titulaires. Mousa Dembélé et Nicolas Lombaerts, qui feront également partie plus tard de la belle génération, sont absents. Dembélé est blessé, Lombaerts n’a pas été sélectionné. Les prestations de Vertonghen sont bonnes mais il ne fait pas encore partie d’une grande équipe. La Belgique ne remporte que trois des dix premiers matches auxquels il participe. Et elle en perd cinq.

Vandereycken se reconnaissait en lui

René Vandereycken, qui accepte de sortir de sa réserve par respect pour le futur recordman, se souvient bien des circonstances qui l’avaient poussé à opter pour Vertonghen. Et le fait que celui-ci évolue dans un club relégué n’avait aucune importance à ses yeux.  » Quand on arrive à la fin d’un cycle parce que des joueurs arrêtent, il faut se mettre à la recherche d’éléments neufs et talentueux. Si, à l’époque, j’avais pu compter sur trois ou quatre joueurs plus expérimentés à son poste, il n’est pas sûr qu’il aurait directement joué. Mais ce n’était pas le cas et c’est tant mieux pour lui. Plus tard, Hazard a eu sa chance dans les mêmes circonstances. Cela leur a permis d’acquérir très rapidement de l’expérience internationale et de prendre confiance. Ce sont les seuls mérites des sélectionneurs nationaux car c’est surtout dans leur club qu’ils ont progressé.  »

Qu’avait-il décelé exactement, à l’époque, chez le Waeslandien ?  » Je n’avais pas encore remarqué que c’était un leader « , dit Vandereycken.  » Mais sur le terrain, il affichait la bonne mentalité. Jan n’est pas super rapide et ce n’est pas un super technicien mais c’est un joueur complet et il a de la personnalité. J’ai tout de suite vu qu’il avait du potentiel.  » A l’époque, le choix de Vandereycken avait surpris tout le monde. Mais pas David Endt, alors team manager de l’Ajax et aujourd’hui publiciste/commentateur de télévision et dirigeant de football.  » Je me suis dit que René avait fait le bon choix et qu’il se reconnaissait en Jan.  »

Car c’est ce qui frappe le plus : Jan Vertonghen se débrouillait bien dans l’axe de l’entrejeu.  » Personnellement, j’ai toujours un peu regretté qu’il ne soit pas resté médian « , dit Vandereycken.  » Lorsque Vermaelen s’est blessé, l’Ajax l’a fait redescendre. C’est ainsi qu’il est devenu défenseur. Mais je me souviens encore du fameux match contre l’Espagne, lorsque Anthony Vanden Borre était si bon. Jan avait dû jouer dans l’entrejeu et il s’était très bien débrouillé aux côtés de Simons et Fellaini. Il pouvait presser haut et il tirait bien de loin. Je suis convaincu qu’il aurait également pu jouer au plus haut niveau international dans l’entrejeu.  »

Vandereycken se reconnaissait-il en Vertonghen ?  » C’est vrai « , dit l’ex-sélectionneur, qui reconnaît avoir progressé comme joueur parce qu’il avait des qualités mais aussi en fonction des besoins ponctuels de l’équipe.  » Pour mon premier match international, Raymond Goethals m’a fait jouer extérieur gauche, avec Jean Dockx derrière moi. Au cours de mes deux premières saisons à Bruges, j’étais médian offensif. Ce n’est que plus tard que j’ai reculé mais j’ai continué à marquer beaucoup de buts sur des centres d’UlrikLe Fèvre ou RogerVan Gool. Je ne sais pas si Jan marquait beaucoup en équipes d’âge.  »

Tête de turc

La réponse est oui. Au VK Tielrode, Jan Vertonghen s’emparait du ballon, traversait la moitié du terrain en dribblant quelques joueurs puis il mettait le ballon au fond. Mais c’est son frère Ward, un attaquant, qu’un scout du Germinal Ekeren, tuyauté par Urbain Haesaert, était venu voir en premier. L’entraîneur l’avait alors pris par le bras et lui avait indiqué Jan. Un peu plus tard, Hasaert avait vu le futur recordman des sélections nationales à l’oeuvre pour la première fois, avec une sélection du Pays de Waes, sur le terrain de Haasdonk.

 » Jan avait le profil du joueur que je recherchais « , dit-il.  » De l’engagement, une mentalité de gagneur et un bon pied gauche. Il évoluait alors dans l’entrejeu, à gauche ou dans l’axe, mais se débrouillait également en défense, en cinq ou en quatre. Il n’aimait pas jouer à l’arrière gauche. Sa meilleure place, c’est en 4, dans l’axe. Jan n’est pas un showman mais il contrôle bien le ballon, il joue juste et peut jouer long.  »

C’est à Haasdonk que Haesaert rencontre les parents de Jan. Ceux-ci lui expliquent qu’ils sont dans une situation difficile car Paul, le père de Jan, souffre d’une maladie qui lui coûtera la vie quelques années plus tard.  » J’ai dû leur parler. Jan travaillait bien à l’école. Il ne voulait pas seulement briller sur le terrain mais j’ai insisté car il était sage, intelligent et il lisait bien le jeu. Il jouait bien au football, il avait du caractère et c’était un gagneur. Avec de telles armes, il pouvait partir à la guerre. La plupart du temps, quand les gens m’indiquaient un joueur, c’était un numéro dix qui contrôlait bien le ballon et qui aurait fait fureur sur YouTube mais qui, plus tard, n’aurait pas brillé sur un grand terrain.  »

Le gamin quittait son village pour la ville d’Anvers où les gamins se moquaient de son accent campagnard mais il ne se laissait pas faire et Haesaert n’hésitait pas à intervenir lorsque la situation risquait de dégénérer.  » Il y avait quelques grandes gueules dans l’équipe, des gars qui critiquaient tout le monde mais ne songeaient qu’à dribbler. Il y avait des clans et Jan était souvent leur tête de turc. Aujourd’hui, certains d’entre eux sont devenus ses amis.  »

Quelques années plus tard, après avoir réussi un test, Vertonghen passait à l’Ajax, qui collaborait avec le Germinal Beerschot au niveau de la formation des jeunes. Paul, son père, estimait que Jan n’avait pas suffisamment de qualités pour s’imposer aux Pays-Bas et il avait demandé à Haesaert ce qu’il en pensait. Haesaert lui avait expliqué qu’une équipe avait besoin de différents types de joueurs, pas uniquement de dribbleurs.  » Si je n’avais pas insisté, il ne serait pas parti à l’Ajax « , dit-il.

à vélo

Que serait-il alors advenu de lui ?  » Le GBA ne croyait pas aux jeunes joueurs qui passaient des tests à l’Ajax. Si Jan n’était pas parti là-bas, il jouerait tout au plus à Lokeren ou à Waasland Beveren.  » C’est ainsi qu’un jour, David Endt découvrait Jan Vertonghen à l’oeuvre avec les juniors de l’Ajax.  » Il était très costaud pour son âge mais il avait énormément de lacunes par rapport aux exigences du club : on ne pouvait pas dire qu’il brillait par sa technique et sa grâce. C’était cependant un bon joueur et il est très rapidement passé des juniors au noyau A.  »

C’est à cette époque que son père est décédé. Endt se rappelle avoir assisté aux funérailles à Tielrode.  » La cérémonie était tellement prenante que, par la suite, je n’ai plus jamais considéré Jan comme un joueur comme les autres. Je me suis dit que je devais le suivre d’un peu plus près. Sur place, j’ai compris qu’en venant de Tielrode, il ne pouvait pas être un fanfaron. Il fréquentait une école difficile, dans un quartier problématique du sud-est d’Amsterdam. On lui cherchait parfois des poux mais il s’en fichait. Il est devenu plus Amstellodammois que la plupart des joueurs de l’Ajax.  »

Endt s’entendait bien avec Vertonghen.  » On pouvait parler de choses plus profondes, pas seulement de sport.  » Plus tard, le joueur ne lui a pas demandé à vivre en dehors de la ville, comme le font la plupart des joueurs. Il voulait habiter en plein centre.  » Je me souviens de soirées sportives à Amsterdam où il venait à vélo. Le capitaine de l’Ajax qui se promène à vélo dans la ville, c’était quelque chose.  »

Pour Endt, le moment-clef de la carrière de Vertonghen, c’est son prêt au RKC Waalwijk, fin janvier 2007. Après ses débuts en équipe première de l’Ajax, lors du match européen face au FC Copenhague, il avait joué trois matches de championnat puis l’Ajax avait rappelé Edgar Davids. Il risquait dès lors de ne plus beaucoup jouer cette saison-là, d’autant que, selon Endt, il ne s’entendait pas très bien avec l’entraîneur, Henk Ten Cate. Pourtant, Vertonghen ne voyait pas d’un très bon oeil ce prêt au club de Waalwijk.  » Il prenait ça comme un affront, il craignait d’y dépérir. Cela ne faisait pas partie de son plan de carrière. On ne peut jamais dire comment un joueur prêté va réagir.  »

Le 2 avril 2007, RKC accueillait l’Ajax, qu’il contraignait au match nul (2-2), Vertonghen inscrivait un des buts qui coûtait au club amstellodammois sa place de leader.  » Il voulait se montrer « , dit Endt qui était assis sur le banc.  » Je trouvais cela très bien mais Ten Cate était furieux. Lorsque Jan a quitté le terrain, il l’a engueulé, il était hors de lui : Je ne veux plus jamais te voir, on ne fait pas ça à son propre club. Un des adjoints en a encore rajouté tandis que je me disais que si le résultat dépendait d’un joueur prêté, c’était grave. Jan, lui, se demandait ce qui lui arrivait. Il craignait que ce soit terminé pour lui. Je suis alors allé dans le vestiaire de RKC, où il était effondré. Je lui ai dit : Jan, n’aie pas peur : tu viens de montrer que tu étais taillé pour l’Ajax. Un peu plus tard, Ten Cate est parti et tout s’est bien passé pour Jan.  »

Joueur de l’Année 2012

Après le départ de Ten Cate, Vertonghen s’est complètement épanoui.  » Bien que je préférais lorsqu’il jouait à gauche dans l’entrejeu, c’est quand il a reculé en défense centrale qu’il est vraiment devenu le joueur qu’il est aujourd’hui. Avec sa personnalité, son influence sur ses partenaires. Jan pouvait tacler très du-rement, presque méchamment. Il était également très fort dans le jeu aérien. Sous la direction de Martin Jol, c’était lui qui relançait le jeu tandis que Luis Suarez concluait.  »

Endt se souvient encore de quelques bons moments :  » Après un titre, il avait bu une bière de trop, s’est emparé du micro et a hurlé quelques insanités à l’égard de Feyenoord. Nous nous sommes dit qu’il fallait vite lui retirer le micro mais il était déjà trop tard. Nos supporters, eux, trouvaient ça terrible.  »

Un trophée de l’Ajax a également gardé des séquelles du passage de Vertonghen.  » Après un titre, nous faisions le tour de la ville dans un bus à ciel ouvert pour exhiber le trophée. Les joueurs étaient à l’étage et ils ont vu qu’il y avait des fils du tram au-dessus de leur tête. Ils ont voulu sauver le trophée mais l’ont laissé tomber. J’ai dit qu’on ne ferait pas réparer la bosse.  »

Au printemps 2012, Jan Vertonghen était élu Joueur de l’Année aux Pays-Bas. En mai, on évoquait pour la première fois un transfert à Tottenham, mais l’affaire n’était conclue que le 12 juillet, pour un montant de 12 millions d’euros. Comme prévu dans son contrat, Vertonghen réclamait les 15 % de cette somme auxquels il avait droit, d’autant que son salaire était bien moins élevé que celui d’autres joueurs de l’Ajax, dont il était pourtant le capitaine.  » Si nous ne trouvons pas d’accord, je resterai encore un an et je partirai gratuitement en fin de saison prochaine « , disait-il. Mais tout a fini par s’arranger. Endt pense que Jan Vertonghen est parti au bon moment.  » Nous avons beaucoup perdu. Pas seulement en raison de ses qualités footballistiques mais parce que c’était un grand homme. Mais son heure était venue.  »

En décembre 2016, il rempilait à Tottenham mais Endt est convaincu qu’avec ses qualités physiques et son dynamisme, il pourrait jouer dans n’importe quel pays.  » A l’Ajax, on accorde beaucoup d’importance aux capacités tactiques des joueurs. On leur demande constamment de lire le jeu de l’adversaire, de réfléchir à ce qu’il faut faire pour bien jouer en fonction des circonstances. Jan a beaucoup appris chez nous. C’était un diamant brut. Aujourd’hui, c’est un joyau.  »

En attendant Eden

L’an dernier, Endt espérait que Vertonghen signe à l’Inter, où Frank de Boer, qui avait été son coach à Ajax, était entraîneur.  » Cela aurait été chouette et Jan avait le niveau mais quand on voit comment les choses se sont passées (De Boer a été licencié après 84 jours, ndlr), on se dit qu’il a peut-être bien fait de ne pas y aller.  »

Chez les Diables Rouges, Vertonghen évolue sur le flanc gauche de la défense mais Endt pense que Vincent Kompany lui fait de l’ombre.  » Je sais que Kompany est le patron de l’équipe mais c’est à sa place que Jan est le meilleur. Lui aussi, il peut diriger et replacer les autres. Je comprends cependant qu’on en discute. A l’Ajax non plus, personne n’était d’accord sur sa meilleure place. Il aurait également pu être box-to-box. J’ai toujours espéré qu’il devienne le moteur de l’équipe en jouant à gauche dans l’entrejeu car c’était une machine, il couvrait énormément de terrain. C’était un joueur à la Vandereycken, fort techniquement et tactiquement mais surtout impitoyable au duel.  »

René Vandereycken, l’homme qui l’a lancé, est-il surpris de le voir battre le record de Jan Ceulemans ?  » Il le mérite. Il n’a pas été souvent blessé et il a rarement été suspendu. Il a toujours été très constant. Mais je pense qu’un jour, Eden va le dépasser car il est encore beaucoup plus jeune.  » La réussite de Jan Vertonghen ne surprend pas Urbain Haesaert non plus.  » Jan a toujours placé la barre très haut et il a toujours voulu faire mieux.  »

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je suis convaincu qu’il se serait également imposé au niveau international en jouant dans l’entrejeu.  » – René Vandereycken, ex-sélectionneur fédéral

 » Il est devenu plus Amstellodam-mois que la plupart des joueurs de l’Ajax.  » – David Endt, ex-teammanager de l’Ajax

 » Si Jan n’était pas parti à l’Ajax, il jouerait tout au plus à Lokeren ou Waasland Beveren.  » – Urbain Haesaert, son découvreur

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