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LE DÉPANNEUR

Le Bayern est tombé en ruines sous Carlo Ancelotti. Jupp Heynckes (72 ans), un vieux serviteur, en est à son quatrième mandat en Bavière. Il est bien décidé à remettre de l’ordre.

Parfois, un match est suffisamment éloquent pour se passer d’explications. Comme la victoire 5-0 du Bayern contre le SC Fribourg. Jupp Heynckes, le nouvel entraîneur du Bayern, a commenté la rencontre d’une voix rauque. C’est normal quand on a passé quatre ans à la retraite et qu’on doit subitement crier le long de la ligne.

Quatre jours plus tard, le Bayern a battu le Celtic 3-0 mais ces deux succès sur un goal-average de 8-0 ne plongent pas Heynckes dans l’euphorie.  » C’est un début positif, qui rend confiance.  » Mais à l’heure de jeu contre les Écossais, le Bayern s’est relâché et a concédé des occasions de but, ce qui n’a pas plus à l’entraîneur.

Si Carlo Ancelotti restait stoïquement sur sa ligne, sans intervenir, Heynckes est hyperactif. Il saute du banc, dirige ses joueurs et partage leur joie quand ils marquent.

Fin communicateur, Heynckes a rendu leur plaisir de jouer à ceux qui étaient mécontents d’Ancelotti, comme Hummels, Müller, Robben ou Boateng.Il a aussi rassuré les Hispaniques, qui appréciaient l’approche de l’Italien. Thiago a livré son meilleur match de la saison contre Fribourg et Javi Martinez s’est livré à fond au 6, la position qu’Heynckes estime être sa meilleure. L’entraîneur a clairement établi sa hiérarchie en alignant quatre joueurs qui ont remporté avec lui le triplé en 2013 au lieu de quatre nouveaux.

LE DRAME PARISIEN

En découvrant la composition d’équipe de Carlo Ancelotti au PSG, Karl-Heinz Rummenigge, fin connaisseur, a compris que ça n’allait plus. Le Bayern a perdu ce duel de prestige sur le score de 3-0 et Ancelotti a perdu en même temps le contrôle de son équipe, à supposer qu’il l’avait encore. De retour à Munich, le président Uli Hoeness a déclaré que cinq joueurs s’étaient retournés contre Ancelotti. Parmi eux, Jérome Boateng et Franck Ribéry, qui ont exprimé leur mécontentement, comme Thomas Müller l’avait fait à plusieurs reprises la saison passée, l’entraîneur ne le titularisant pas dans les matches importants. En juillet, pendant le trip chinois, Müller, capitaine et porte-parole des joueurs, a fait des heures supplémentaires mais s’est retrouvé sur le banc dès la deuxième journée, contre Brême. Il a déclaré :  » Mes qualités ne sont peut-être plus nécessaires ici.  » Ancelotti lui a préféré Thiago, longtemps blessé. L’Espagnol est le préféré d’Ancelotti, avec James et Javi Martinez. Les autres joueurs ont mal vécu la prédilection de l’entraîneur italien pour les Ibériques. On se demande même si leurs apartés n’ont pas influencé la composition d’équipe. Cette suspicion témoigne à elle seule de l’ambiance pourrie du vestiaire.

En remplaçant Ribéry contre le Real et Dortmund et en ne le reprenant pas fin avril à Wolfsburg, où le Bayern a fêté son titre, Ancelotti s’est fait un premier ennemi. Le Français a râlé mais n’a éclaté que contre Anderlecht : remplacé, il a jeté son maillot sur le banc, fou de rage. Conséquence ? Les 40 proches auxquels il avait acheté des billets pour le match de Ligue des Champions à Paris n’ont pas vu leur préféré jouer une seule minute.

Quelques mètres plus haut, dans la tribune du Parc des Princes, un autre joueur fâché. Il était convenu que Boateng ne soit pas titularisé mais pas qu’il soit écarté. Ancelotti avait déjà eu maille à partir avec lui en demi-finale de la coupe d’Allemagne, mais ce n’était pas le seul heurt la saison passée. Par exemple, le coach n’avait pas retiré un Arturo Vidal hors de lui à Madrid, malgré sa carte jaune. Ancelotti ne procédait pas à de gros remaniements tactiques. Contre Wolfsburg, alors que le Bayern piétinait (2-2), il a simplement fait remarquer, au repos :  » Vous devez faire plus attention.  »

Son fils Davide, adjoint, et Giovanni Mauri sont aussi critiqués. Le préparateur physique, gros fumeur, laisse plus de mégots, même dans le vestiaire, que de bons souvenirs. Un échauffement de trois minutes était suffisant à ses yeux.

Karl-Heinz Rummenigge a donc souvent entendu les plaintes de piliers comme Neuer, Müller ou Boateng. Arjen Robben fait remarquer, dans les couloirs, que son fils s’entraîne plus dur que lui. Plusieurs joueurs demandent des séances supplémentaires à Ancelotti, qui refuse. Ils s’entraînent quand même, ailleurs. De jeunes footballeurs ambitieux comme Joshua Kimmich et Kingsley Coman se sentent mésestimés. Au printemps, ils demandent à la direction ses projets. Boateng envisage même de partir.

Ancelotti communique peu. La langue a peut-être constitué un obstacle, même si quelques mots clairs, peu importe dans quelle langue, auraient suffi à tancer Renato Sanches quand il a raté son avion à Lisbonne, arrivant trop tard à l’entraînement, ou les joueurs qui s’intéressaient plus à leur téléphone qu’à autre chose dans le vestiaire. Il aura fallu le match contre le PSG pour qu’Ancelotti effectue des analyses vidéo détaillées, tout ça pour aligner des joueurs qui n’étaient pas concernés par ces données.

PAS ASSEZ VITE

Le mandat d’Ancelotti a pris fin après sept journées. Jamais le Bayern n’avait limogé un entraîneur aussi rapidement. C’est Jupp Heynckes qui détenait le record : lors de son premier séjour au Bayern, en 1991-1992, il a été remercié après treize journées.

Interrogé sur ce renvoi prématuré, Mats Hummels a été éloquent :  » La question, est : était-ce rapide ou pas assez.  » Les dirigeants du Bayern ont agi plus vite qu’ils ne le pensaient. En rejoignant Paris, ils n’imaginaient pas virer leur entraîneur deux jours plus tard.

Limoger son entraîneur aussi tôt démontre qu’on est intervenu trop tard. Le Bayern aurait mieux fait de se séparer d’Ancelotti au bout d’un an, puisque des joueurs-clefs comme Philipp Lahm et Xabi Alonso avaient déjà tiré la sonnette d’alarme et prévenu la direction que le groupe travaillait trop peu. En fait, chacun pouvait faire ce qu’il voulait. Sans contrôle, sans intervention. Pendant un an, le staff italien a vécu dans une bulle. La colère de Müller, Ribéry ou Boateng a été ignorée. Le cinquième titre d’affilée a camouflé une grande partie de ce mécontentement. Qui renvoie un entraîneur sacré champion avec quinze unités d’avance ?

L’entraîneur qui avait enlevé la Ligue des Champions à deux reprises avec Milan et une fois avec le Real n’était plus que l’ombre de lui-même. Sportivement, son séjour en Bavière est synonyme d’une année perdue. L’entraîneur réputé pour ses bons rapports avec les stars laisse un groupe déchiré derrière lui. La teneur générale, c’est qu’il n’a jamais fait beaucoup d’efforts. Après trois saisons sous la direction de l’exigeant et fatigant Pep Guardiola, le Bayern avait besoin d’une main douce. Malheureusement, elle était surtout fainéante. L’entraîneur transalpin a laissé la situation pourrir. Il a perdu toute autorité en ne réagissant pas quand Lewandowski s’est plaint de recevoir trop peu de soutien des coaches et de ses coéquipiers dans sa chasse au titre de meilleur buteur et que Ribéry a jeté son maillot sur le banc. Sa composition d’équipe à Paris a été la goutte de trop.

Après son renvoi, le Bayern a cherché un homme apte à remettre rapidement de l’ordre. Le jour-même, le téléphone a sonné dans une villa de la vallée de la Salm, aux environs de Mönchengladbach, où un vieil ami d’Uli Hoeness profitait de sa retraite. Jusqu’au moment où il a décroché le téléphone.

UN DÉPANNEUR

L’avion de Jupp Heynckes a atterri à Munich le dimanche 8 octobre. Le soir-même, il discutait avec la direction du Bayern.

Heynckes était un retraité actif. Après avoir promené son chien Cando, il entretenait sa condition de dix à douze heures dans sa salle de fitness et sa piscine. La discipline et le labeur sont des valeurs essentielles à ses yeux, comme le sens du devoir et la reconnaissance.  » Sans le Bayern, jamais je n’aurais pas réussi pareille carrière d’entraîneur « , a-t-il déclaré avant même son arrivée.  » Je me dois donc de lui venir en aide.  » Même s’il avait d’autres soucis. Sa femme Iris va bientôt être opérée du genou.  » Mon jardinier, qui a le niveau de la Ligue des Champions dans son domaine, va devoir travailler plus.  »

En première instance, Heynckes travaille la condition physique et ramène la discipline. Il rend au groupe une clarté tactique. Thiago va devoir se bouger davantage et Arturo Vidal ne pourra plus se reposer sur son expérience et quelques actions sporadiques.

Heynckes a donc entamé son quatrième mandat au Bayern. C’est son deuxième dépannage. Le premier, en avril 2009, n’a duré que six semaines, après le limogeage de Jürgen Klinsmann. Celui-ci s’étend sur trois quarts de saison. Il retrouve la plupart des joueurs avec lesquels il a réussi le triplé en 2013 : Neuer, Alaba, Boateng, Müller, Martinez, Ribery, Robben. Et il a travaillé avec Vidal au Bayer Leverkusen de 2009 à 2011.

Jérome Boateng, qu’Ancelotti n’appréciait guère, doit redevenir un leader, pour autant qu’il reste en bonne santé. Tous les joueurs du Bayern doivent travailleur leur condition physique. Ceux qui ont fêté le triplé se souviennent que même Ribéry et Robben avaient dû apprendre à participer à la défense, sous peine de perdre leur place. Si Heynckes avait encore joué le rôle du gentil tonton la saison suivant le règne de Louisvan Gaal, histoire d’améliorer l’ambiance et aussi de soutenir le sensible Ribéry, il s’était aussi rapidement fait respecter.

Il n’a toujours pas l’intention de se comporter en brave grand-père. Il exige la collaboration de tous mais aussi de la discipline et une mentalité exemplaire. Il doit aussi veiller à ce que les hispanophones, qui appréciaient Ancelotti, ne se sentent pas exclus. Heynckes, qui a entraîné le Real, Ténérife et l’Athletic Bilbao et parle espagnol, doit y parvenir sans trop de mal. Il compte aussi refaire le retard physique et rendre son punch à Lewandowski. Il a signifié à Hummels qu’il était bon mais qu’il pouvait faire encore mieux. Il y a quelques années, Ribéry a confié à Heynckes qu’il rêvait de devenir Footballeur européen de l’Année. L’entraîneur lui a expliqué que pour ça, il devait vivre davantage pour son sport et travailler plus dur. Résultat, Ribéry a remporté le trophée qu’il convoitait en 2013.

Le nouvel entraîneur place des accents différents dans les séances. Les joueurs n’avaient plus eu d’échauffement intense, qui les fasse transpirer, depuis 14 mois, puisque Giovanni Mauri se contentait de quelques minutes. Contre le Hertha Berlin, le Bayern en voulait toujours après une heure mais n’était plus capable de tenir le rythme.  » Nous devons avant tout nous réentraîner convenablement. Les joueurs doivent réaliser dans ces séances tout ce qu’ils doivent montrer en match « , a déclaré Heynckes, qui compte aussi augmenter le nombre des entraînements.

SODOME ET GOMORRHE

Heynckes a donc découvert une équipe dont chaque élément faisait ce que bon lui semblait. En interne, on a même parlé de Sodome et Gomorrhe. Le nouvel entraîneur formule clairement ses objectifs :  » L’équipe est au-dessus de tout. Je dois former une phalange soudée. Chacun doit s’effacer, oublier ses intérêts personnels au profit du collectif.  »

Il faut de l’ordre sur le terrain car jusqu’à présent, le Bayern était un orchestre sans dirigeant. Il n’était que chaos.  » L’équipe a besoin d’être dirigée « , précise Heynckes. Elle a besoin d’analyses, de corrections, de directives claires. Il manie la carotte et le bâton, il flatte et critique en même temps.

Ancelotti ne parlait guère aux joueurs en-dehors du terrain. Ça aussi, ça va changer.  » Je suis un homme de communication « , rappelle Heynckes. Deux jours après son retour, il a déjà eu un entretien avec Thiago, le chouchou d’Ancelotti. Il lui a fait comprendre que ce statut ne lui nuirait pas. En ajoutant :  » Je n’ai pas peur de chercher le conflit quand c’est nécessaire.  »

La retraite de Philipp Lahm a laissé un vide hiérarchique dans le vestiaire cette saison, comme le départ de Xabi Alonso, l’homme de liaison entre germanophones et hispanophones. Par-dessus le marché, le capitaine Manuel Neuer s’est blessé et Thomas Müller a été renvoyé sur le banc par l’Italien. Blessé, Boateng n’a pu reprendre leur rôle et Lewandowski n’est pas de la race des leaders. En attendant le retour du gardien international, Müller, Boateng, Robben et Hummels doivent assumer ce leadership.

Heynckes est le dépanneur idéal. Tout le monde connaît ses méthodes, l’ADN du club lui est familier et il a entraîné plusieurs joueurs. À une période de la saison où peu de grands entraîneurs sont disponibles, le Bayern dispose de neuf mois pour chercher tranquillement le parfait successeur.

PAR KARLHEINZ WILD ET MOUNIR ZITOUNI – PHOTOS BELGAIMAGE

Le Bayern aurait dû se séparer d’Ancelotti après un an mais qui vire un entraîneur champion avec quinze unités d’avance ?

En voyant la composition d’équipe de Carlo Ancelotti au PSG, Karl-Heinz Rummenigge a compris que ça n’allait plus.

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