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LA SERENA DE DEMAIN

Ses racines sont basques, elle est née au Venezuela, a été élevée en Catalogne et joue pour l’Espagne. Portrait de Garbiñe Muguruza (24 ans), dont on dit qu’elle succédera à Serena Williams.

G arbiñe Muguruza baisse la tête, elle ne voit plus le micro. Un journaliste lui pose une question mais elle ne réagit pas. En pleine conférence de presse, un ange passe. Un ou l’autre flash retentit mais Muguruza reste figée, le regard fixé au sol. On comprend qu’elle vient d’éclater en larmes. Elle renifle, quelqu’un vient la prendre par la main et l’éloigne.

Nous sommes le 4 juin 2017. Muguruza vient de se faire éliminer en huitièmes de finale du tournoi de Roland Garros par la Française Kristina Mladenovic, en trois sets. En 2016, pourtant, Muguruza s’était imposée et cette fois encore, elle était la grande favorite puisque Serena Williams, enceinte, n’était pas là. Mais ce n’est pas l’élimination qui l’avait déstabilisée. Ce qu’elle n’admettait pas, c’était la réaction du public. Celui-ci avait ouvertement pris fait et cause pour Mladenovic, une compatriote. Ce qui n’est guère étonnant : le Français est chauvin.  » Mais j’étais tenante du titre et j’attendais davantage de respect « , dira Muguruza plus tard.

Ce n’est pas la première fois que l’Espagnole peine à contrôler ses émotions. Pour les connaisseurs, c’est elle qui doit prendre la relève de Serena Williams (36 ans) mais ils pensent aussi que seule sa sensibilité extrême pourrait l’en empêcher. Elle n’est pas d’accord :  » Je suis très émotive. Je vis pour le tennis et il est effectivement difficile de faire en sorte que mes émotions n’influencent pas le jeu. Mais je ne pense pas que je doive me contrôler davantage. En tennis, votre pire ennemi, c’est bien souvent vous-même. On est seul et on doit pouvoir faire abstraction de ses erreurs, accepter de prendre très souvent la mauvaise décision.  »

Sur le terrain, elle tente de se maîtriser. Au point que, bien souvent, elle a l’air d’un robot.  » Il faut pouvoir laisser ses émotions dans un coin de sa tête, se dire : pas comme ça, pas comme ça non plus… Il faut même être un peu actrice. Souvent, je prends l’attitude d’une joueuse de poker, je fais semblant d’être calme alors qu’intérieurement, je suis très tendue.  »

Un exemple

Un bon mois après son élimination précoce à Roland Garros, elle s’impose à Wimbledon en balayant Venus Williams en finale : 7-5, 6-0. Vingt-trois ans après Conchita Martínez, une Espagnole s’impose enfin sur le gazon sacré. En septembre, elle devient numéro un mondiale, ce que seule Arantxa Sánchez Vicario a réussi à faire avant elle. En 1995, la Catalane a occupé la première place du classement WTA pendant douze semaines. Entre-temps, Muguruza a dû laisser passer la Roumaine Simona Halep mais elle ne devrait pas tarder à faire mieux que Sánchez Vicario. Et comme, à 24 ans, elle compte déjà deux tournois du Grand Chelem à son palmarès, elle devrait également battre le record de Sánchez Vicario en la matière (3).

L’ascension de Garbiñe – avec un tilde sur le n insiste-t-elle auprès des directeurs de tournoi – n’a rien de surprenant. Elle est née avec une raquette de tennis en main. Combien de fois sa mère, Scarlett Blanco, ne lui a-t-elle pas donné la panade sur le bord du terrain où jouaient ses deux frères, Igor et Asier ?À six mois, elle marchait déjà. Et elle n’avait pas encore deux ans qu’elle faisait déjà du patin à roulettes. Par la suite, elle n’a plus rien fait d’autre que jouer au tennis.  » Je suis tennis, je suis pour ainsi dire née pour jouer au tennis. Je ne me souviens pas avoir pratiqué un autre sport.  »

Elle n’est pas née en Espagne mais à Caracas, au Venezuela. Sa mère est vénézuélienne tandis que son père, José Antonio, est un Basque émigré à Caracas, où il a monté une petite entreprise dans le secteur du métal. Elle avait six ans lorsque sa famille s’est installée à Barcelone, où les trois enfants se sont inscrits à la Bruguera Academía. Il s’est rapidement avéré que Garbiñe avait plus de talent que ses deux frères réunis.

À un certain moment, elle a dû faire un choix : celui de représenter l’Espagne ou le Venezuela. Elle y a pensé pendant des mois.  » C’était une décision importante. Je porte les deux pays dans mon coeur et dans mon sang.  » Finalement, elle a opté pour l’Espagne, qui se cherchait des exemples en matière de sport féminin. Chez les hommes, le pays ne manquait pas d’idoles : Rafael Nadal, Fernando Alonso, Alberto Contador, … sans parler de joueurs de football comme Andrés Iniesta, Isco, etc. Chez les femmes, il y avait bien la nageuse Mireia Belmonte ou la joueuse de badminton Carolina Marín mais le tennis frappe tout de même davantage les imaginations.  » Quand une gamine vient me voir et me dit qu’elle veut jouer comme moi, je suis très émue « , dit Muguruza.  » Plus on a du succès, plus on a de responsabilités. Je dois être exemplaire car je suis sans cesse observée. C’est difficile car je ne suis pas parfaite. Je veux que les femmes s’identifient à moi parce que je suis une fille normale qui donne tout pour réaliser ses rêves.  »

Marketing

Garbiñe Muguruza s’est engagée avec l’agence de management IMG. Son agent est un Hollandais qui répond au nom d’Olivier van Lindonk. La première fois qu’il a vu Muguruza à l’oeuvre, elle avait 19 ans et était 112e mondiale.  » Mon patron m’a dit d’aller la voir. Elle jouait sur le court 28 et il faisait 43 degrés « , déclare-t-il au journal hollandais NRC Handelsblad. Il a directement vu son potentiel alors qu’elle était encore très tendre.  » Elle avait un bon service et un bon coup droit mais elle manquait de constance.  »

Cela reste son plus gros défaut. L’an dernier, après sa victoire à Roland Garros, elle a connu un passage à vide. Elle a avoué plus tard avoir pensé que tout irait désormais tout seul. Cette année, elle fait davantage attention à ce qu’elle mange.  » J’ai laissé tombé les sucreries et les boissons pétillantes. Avant, je mangeais une pizza quand j’en avais envie, maintenant plus.  » Et cela porte ses fruits. Après Wimbledon, elle a également remporté le tournoi de Cincinnati, où elle n’a laissé aucune chance à Simona Halep en finale (6-0, 6-1). C’est la première fois qu’elle gagne deux tournois au cours de la même année.  » Je suis plus expérimentée. J’ai compris que ce n’est pas parce qu’on vient de gagner un Grand Chelem que ce sera plus facile dans un plus petit tournoi. Il faut avant tout travailler dur, souffrir chaque jour.  »

Pour Van Lindonk, c’est clair :  » Garbiñe peut prendre la place de Serena Williams et de Maria Sharapova, mais cela doit se faire progressivement.  » Elle a tout : elle est jeune, attractive et possède une forte personnalité. Lors de la conférence de presse qui a suivi sa victoire à Wimbledon, elle a séduit tout le monde. Elle a cité Venus Williams en exemple et quand on lui a demandé avec quel finaliste masculin (la finale masculine devait encore avoir lieu, ndlr) elle préférait ouvrir le bal des champions, elle a répondu  » Je veux voir si Roger Federer est aussi élégant sur la piste de danse que sur le court.  »

Chez IMG, on veille à ce que Muguruza ne devienne pas trop vite la figure de proue de la nouvelle génération mais le circuit WTA a un urgent besoin de nouvelles stars. Van Lindonk la protège. Il ne veut pas qu’il lui arrive la même chose qu’à la talentueuse Eugenie Bouchard, demi-finaliste de l’Open d’Australie et de Roland Garros puis finaliste de Wimbledon en 2014 mais aujourd’hui retombée aux alentours de la 80e place mondiale. Le fait est cependant que l’intérêt du monde des affaires pour Muguruza va croissant.  » Si Garbiñe continue à gagner, elle peut devenir une des joueuses les plus commercialisables du circuit et gagner 20 à 30 millions par an « , dit Van Lindonk. L’avenir lui sourit mais la place de numéro un n’est pas facile à prendre : Karolina Pliskova, Jelena Ostapenko, Johanna Konta et Simona Halep, la briguent également. Et en coulisses, Serena Williams se prépare à effectuer son grand retour : à 36 ans, la jeune maman n’a pas dit son dernier mot. Les prochains mois s’annoncent très intéressants sur le circuit féminin…

par steve van herpe – photos adidas

 » Avant, je mangeais une pizza quand j’en avais envie, plus maintenant.  » – Garbiñe Muguruza

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