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LA MÉCANIQUE DE L’OMBRE

Médiatisé comme jamais après son renvoi de la Roja à l’aube du Mondial, Julen Lopeteguiva connaître l’exposition permanente en s’installant sur le banc du Real. Presque un paradoxe, pour un homme qui a grandi à l’abri des projecteurs.

Une Coupe du Monde, c’est peut-être un peu comme une émission de télé-réalité. Enfermés dans leur bulle, les acteurs font partie d’un univers où les émotions sont décuplées, et où chaque décision peut prendre une dimension insoupçonnée.

En trois jours, Julen Lopetegui a pris un ascenseur vertigineux dans les deux sens. Comme dans un parc d’attractions, où l’estomac se noue en partant vers les sommets, avant de se décomposer lors de la chute libre.

Annoncé comme coach du Real Madrid le mardi, licencié de la Roja le lendemain, puis présenté dans la capitale espagnole au cours d’une conférence de presse qui, fait marquant pour la Casa Blanca, n’a presque pas parlé du club le plus titré de l’histoire ou de l’épineuse succession d’un Zinédine Zidane parti après trois Ligues des Champions consécutives.

Lopetegui était sans doute prêt à affronter les questions. Peut-être moins que Guti, enfant chéri de la maison blanche et autre candidat annoncé à la succession de Zizou. Mais l’homme en est déjà à sa troisième signature au Bernabéu.

La première remonte à 1985, quand Julen quitte son Pays basque natal, où son père a conquis une gloire locale dans l’art aussi noble qu’étonnant des souleveurs de pierre, sorte d’haltérophilie pratiquée avec les moyens du bord. Il rejoint alors Madrid et son centre de formation. Quatre années plus tard, il rallie la mythique équipe fanion de l’époque, emmenée par la Quinta del Buitre, mais ne sort de son costume de gardien réserviste qu’à une occasion, au milieu du printemps 1990, pour un match rempli de buts mais vide d’enjeu face à l’Atlético (3-3).

S’il pose aussi ses gants au Camp Nou, après une expérience spectaculaire à Logroñés, dans le bas de tableau de l’élite espagnole, son passage au sein de la Dream Team de Johan Cruyff se vit essentiellement entre les tribunes et le banc de touche.

Le roi des ombres

Fort d’une expérience construite au sein des deux équipes marquantes du virage des nineties en Espagne, Lopetegui entame sa carrière d’entraîneur là où il a posé les gants, soit au Rayo Vallecano, modeste club aux accents passionnés d’Amérique du Sud basé dans les faubourgs de Madrid.

La première expérience vire à l’échec, et son avenir semble plutôt se dessiner à la télévision. Pendant la Coupe du monde allemande, il est consultant pour La Sexta, vivant un deuxième Mondial dans un rôle de spectateur attentif après avoir passé l’été 1994 sur les bancs américains, dans le rôle de troisième gardien de la Selección. C’est encore Madrid qui le ramène au football.

Sous le règne de Ramon Calderón, qui assure la transition entre les deux ères victorieuses de Florentino Perez, Julen Lopetegui devient d’abord responsable des scouts internationaux du Real, avant de prendre les rênes de la Castilla, l’équipe B du club, lors de la saison 2008-2009.

Le retour du président galactique et la restructuration de l’organigramme madrilène lui coûtent son poste, et le coach déchu retourne parler de ballon sur TVE, jusqu’à l’appel de la fédération espagnole, qui lui donne le rôle principal dans la post-formation de ses meilleurs talents.

Dans l’ombre des sacres de la bande à Xavi et Iniesta, vainqueurs de trois grands tournois de rang, Lopetegui prépare alors la relève. Il emmène les De Gea, Carvajal, Thiago et Koke sur le toit de l’Europe, en U19 puis en U21, libérant le talentueux Isco des contraintes de son jeu de position, forcément inspiré par le Barça dominateur de Pep Guardiola, pour en faire le meilleur jeune joueur d’Espagne.

À l’image de Zidane, Lopetegui est capable de sacrifier certains rouages de son système au profit du talent qu’il tient à sa disposition.

Ce sont déjà les premiers signes d’un coach qui, à l’image de Zidane, est capable de sacrifier certains rouages de son système au profit du talent qu’il tient à sa disposition.

Fiasco à Porto

Lopetegui devient hype. Les suiveurs se fascinent pour cet homme qui cuit la viande et sert les assiettes à un barbecue organisé avec ses joueurs, avant de les emmener au sommet du continent.  » Comme tout bon leader, Julen manie différents registres selon la situation ou le joueur. Il peut être autoritaire par moments, avant de devenir plus rassembleur « , raconte à El PaísJuan Carlos Álvarez, expert renommé en techniques de leadership devenu proche du Basque.

Au côté du président Florentino Perez.
Au côté du président Florentino Perez.© BELGAIMAGE

Le style et les résultats tapent dans l’oeil de Jorge Mendes, le puissant agent portugais, qui invite Lopetegui dans son écurie avant de le déposer sur le banc d’un FC Porto où il a ses entrées.

Sur le déclin depuis son dernier titre européen, gagné à force de buts de Falcao et de frappes d’ Hulk dirigées par les idées d’ André Villas-Boas, le club du président Pinto da Costa se cherche. En optant pour Lopetegui, il décide de construire son avenir avec le ballon, partant dans une direction diamétralement opposée à celle qui lui avait offert la Ligue des Champions lors de son voyage riche en trophées avec José Mourinho.

Fidèle à ses idées, Julen installe le football de son équipe entre les pieds jeunes et agiles d’ Oliver Torres, prêté par l’Atlético, prototype du milieu de terrain espagnol qui fait vivre le ballon tout en ayant besoin du ballon pour vivre.

Les dribbles de Yacine Brahimi, les buts de Jackson Martinez et les muscles de Casemiro complètent la colonne vertébrale du jeu des Dragons, qui loupent le titre mais s’invitent en quarts de finale de la Champions, arrêtés brutalement (6-1) par le Bayern de Guardiola malgré un succès 3-1 lors de la manche aller.

Un an après avoir insisté pour que le club dépense beaucoup d’argent sur Adrián, Lopetegui récidive en implorant la signature de Gianelli Imbula. Les deux joueurs sont des flops, et la presse locale ne tarde pas à rappeler qu’ils sont des clients d’un certain Jorge Mendes…

L’appel de la nation

Quelques jours après avoir mis un terme à sa collaboration avec Lopetegui, Pinto da Costa s’installe devant les caméras de l’une de ses chaînes de télévision, et tire à vue :  » Il ne s’est pas intégré au football portugais. Il n’a pas voulu comprendre que les choses n’étaient pas comme il l’avait pensé, et il a insisté dans un processus qui n’était pas assimilé par l’équipe.  » Les relations entre un coach qui aime le ballon et un président qui a tout gagné en se moquant de la possession sont souvent épineuses.

 » Imbula est arrivé à sa demande « , poursuit Pinto da Costa dans son entreprise de démolition.  » Il m’avait dit que c’était une Ferrari. Plus tard, je lui ai demandé s’il m’avait demandé une Ferrari uniquement pour la laisser au garage « , conclut-il, évoquant le maigre temps de jeu de l’homme le plus cher de l’histoire du FC Porto.

Quelques mois après son éviction portugaise, Julen Lopetegui compte plus sur son agent que sur son CV pour se remettre en selle. Le Basque suit des cours d’anglais avec assiduité, et prépare la saison 2016-2017 avec le club de Wolverhampton, autre membre des amis de Jorge Mendes. Jusqu’à ce qu’un appel vienne tout changer.  » Nous avons passé du temps à travailler avec les Wolves, mais quand la sélection est entrée dans la danse, tout le reste est passé au second plan « , explique Lopetegui.

C’est à la surprise générale que Julen Lopetegui s’installe sur le siège de sélectionneur, laissé vacant par un Vicente Del Bosque aux idées fatiguées. Rapidement, et malgré le peu de temps de jeu de celui-ci au sein du premier Real de Zidane, le nouvel homme fort du football espagnol installe Isco au coeur de son projet, qui mélange les glorieux anciens du triplé 2008-2010-2012 et la nouvelle génération ibère, plus dynamique et verticale.

Koke, Saúl ou Isco prennent enfin la main au sein d’une équipe qui démarre sa série victorieuse au stade roi Baudouin (0-2 contre les premiers Diables de Roberto Martinez), et arrive en Russie sans jamais avoir connu la défaite, malgré un calendrier qui a croisé la route de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France ou de l’Argentine au cours d’un parcours long de vingt rencontres.

Real d’Isco ou de Lopetegui ?

 » Nous n’allons pas faire une révolution, mais plutôt une évolution « , avait prévenu Lopetegui au moment de sa prise de fonction. Près de deux ans plus tard, huit des membres de son équipe-type étaient déjà dans le onze éliminé par l’Italie lors des huitièmes de finale de l’EURO français.

Le résultat de cette alchimie nouvelle, dans un football espagnol devenu moins obstiné dans sa possession stérile, restera toujours au conditionnel. Mis au ban de la sélection pour avoir négocié avec le Real, Lopetegui consacre désormais son avenir à la pérennité des succès madrilènes.

Florentino Perez a misé sur un profil proche de celui de Zidane, et sur un coach qui partage le même agent que Cristiano Ronaldo. Les idées marquées de Mauricio Pochettino étant contractuellement liées à Tottenham, club toujours difficile en affaires, le prochain Real n’associera pas son nom à celui d’un coach, mais à ceux de ses joueurs.

On parle du Liverpool de Klopp, du City de Guardiola, mais on évoquera sans doute plutôt le Real d’Isco que celui de Lopetegui.

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