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 » La boxe m’a apporté le sens du combat « 

Chabal a posé son sac à Gand, où il fait la meilleure saison de sa vie. La Nouvelle-Zélande, Cannavaro, Kane, la culpabilité et la boxe se mêlent à la conversation. Rencontre avec un rocher.

A l’interview, Samuel Gigot a l’accent chantant et sympathique du sud de la France. Il parle avec passion de la ville où il a grandi, Avignon. Il évoque ses balades sur des sites qui nous font rêver comme Saint-Rémy et Les Baux-de-Provence.

Sur le terrain, c’est plutôt Chabal. Compatriote rugbyman légendaire. Même barbe fournie. Même hargne. Même envie de gagner. Même gueule de killer. Samuel Gigot, un des meilleurs Gantois de la saison, a un look de dur. Comme le Seb.

D’ailleurs, le rugby, dans sa famille, c’est un art de vivre. L’entretien commence carrément sur le thème du ballon ovale, des essais, des pénalités, des plaquages et des drops. Parce que, pour le même prix, il n’y a pas qu’un seul champion dans la famille. Il y en a deux !

SAMUEL GIGOT : Quand j’étais gosse, on jouait au rugby tout le temps. Dans la région d’Avignon, c’est plus populaire que le foot. On se castagnait pas mal, j’ai des souvenirs très forts des petits matches qu’on jouait dans le quartier. On se plaquait sur le goudron, ça faisait parfois très mal mais on adorait ça. Si je voulais m’amuser avec mes potes, j’étais obligé de me mettre au rugby. Puis, progressivement, le foot a pris le dessus.

Mon frère Tony est resté dans le rugby. Il joue pour un gros club français, les Dragons Catalans. Cette équipe est reprise dans le championnat d’Angleterre de première division, c’est très populaire là-bas, les matches sont télévisés. Et Tony joue en équipe de France. C’est le rugby à 13. On en parle moins que du rugby traditionnel, à 15, mais il y a de plus en plus de joueurs du 13 qui passent dans le jeu à 15 parce qu’ils ont reçu une super formation. On leur a appris à être très explosifs et ils sont aussi assez musclés. En plus d’être très forts en un contre un.

 » Les rugbymen se foutent sur la gueule puis se serrent la main  »

Point de vue mentalité, il n’y a pas photo avec le foot… Les rugbymen ne simulent pas, par exemple.

GIGOT : Tu as tout à fait raison ! C’est même ça qui m’avait vraiment donné envie de faire du rugby. Les rugbymen se foutent sur la gueule pendant 80 minutes, ils se tapent dedans, des coups se perdent, il y a parfois des vraies bagarres, mais à la fin du match, ils se serrent tous la main. Et c’est fréquent qu’une équipe quitte le terrain en étant applaudie par les gars de l’autre. Puis il y a les troisièmes mi-temps, on sait ce que c’est dans le rugby. A tous les niveaux. Par exemple, mon frère m’a raconté qu’après un match France – Nouvelle-Zélande, ils s’étaient tous retrouvés dans le même vestiaire pour boire des bières. C’est un côté sympa qu’on n’a pas dans le foot, ça donne un bon esprit et une bonne image.

Quand j’étais gosse, on jouait au rugby tout le temps. On se castagnait pas mal, on se plaquait sur le goudron, on adorait ça.  » Samuel Gigot

Quand tu as quitté Arles-Avignon pour venir à Courtrai, c’était comment le contraste ?

GIGOT : Sérieux, je dirais… Déjà, c’était la première fois que je partais loin de chez moi. On m’avait dit qu’il faisait un peu froid ici, que ça touchait le Nord, mais bon, je venais en juin, ça devait être tranquille, supportable. J’ai débarqué en short, tee-shirt et claquettes. J’ai directement pris un froid, ça m’a fait un choc. Après, on s’habitue. Je me suis vite mis dans le bain. Et j’ai très vite apprécié la mentalité des gens. J’ai l’impression que, plus tu montes sur la carte, plus c’est chaleureux. Dans le Midi, on a la météo, donc on s’en fout un peu des autres. On pense surtout à soi, on n’a pas besoin des gens qui passent, on ne fait pas trop attention à eux. C’est plus égoïste.

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Samuel Gigot :  » Si j’avais été présenté avec tout un tralala et si après ça, j’avais été une chèvre sur le terrain, j’aurais eu l’air de quoi ? « © BELGAIMAGE

Et le contraste entre Courtrai et Gand, c’est comment ?

GIGOT : Quand tu joues à Courtrai, tu sais qu’il y a beaucoup de matches qui risquent d’être compliqués. Et si tu les perds, ce n’est pas trop grave. A Gand, tu te doutes que certains matches ne seront pas faciles. Mais tu es obligé de les gagner. Tu arrives au centre d’entraînement, tu entres dans le stade, tu ressens à tout moment que tu dois être au top tout le temps et qu’il faut tout gagner. Point de vue pression, ça n’a rien à voir.

 » Avec Vanhaezebrouck, tout le monde en a pris pour son grade  »

Et donc, ça a été très compliqué en début de saison quand vous étiez tout en bas du classement !

GIGOT : Ah ça c’est sûr. Ça a été une période très difficile mais elle nous a fait grandir. On ne comprenait pas trop pourquoi ça ne marchait pas. Mais on comprenait qu’on n’avait pas intérêt à lâcher. Il y avait une grosse panne de confiance. Et un manque de chance à certains moments. Dans certains matches, on avait l’impression que même si on tirait douze fois au but, ça ne rentrerait pas. Par contre, l’adversaire tirait une fois et ça rentrait. On se crispait, on n’osait plus faire des choses qu’on a réappris à faire entre-temps.

Simplement, la grande équipe de Gand était au bout d’un cycle et Hein Vanhaezebrouck était au bout de son histoire, il fallait du sang neuf. Tu es d’accord ?

GIGOT : Vanhaezebrouck a fait des choses extraordinaires ici, après on sait qu’il y a des cycles qui s’arrêtent et des nouveaux qui démarrent. C’est quoi, la période de validité d’un entraîneur dans le championnat de Belgique ? Un an ? Peut-être que Vanhaezebrouck était au bout, peut-être qu’il n’arrivait plus à faire passer ses idées.

Quand un coach toujours aussi sûr de lui reconnaît qu’il ne voit plus de solutions, tu es étonné ?

GIGOT : Il faut voir ce qu’il y avait exactement derrière son discours. C’était peut-être une façon pour lui de nous piquer en faisant passer son message par les médias. Il espérait peut-être que ça allait nous pousser à nous rebeller sur le terrain. Tout le monde en a pris pour son grade. Je n’ai pas été épargné. Et tous les joueurs ne réagissent pas de la même façon quand ils se font piquer. Mais le but de Vanhaezebrouck n’était jamais de nous blesser, de nous casser, de nous tuer. Il voulait nous faire réagir, nous faire avancer.

Plus tu montes sur la carte, plus c’est chaleureux. Dans le Midi, on a la météo, donc on s’en fout un peu des autres.  » Samuel Gigot

Tu es allé voir la psychologue du club ?

GIGOT : J’ai parlé avec elle juste une fois, avant le départ de Vanhaezebrouck. J’ai vite fait mon analyse de la situation. J’avais fait des erreurs, comme tout le monde, et à partir du moment où j’étais moins performant, c’était logique que le coach me critique, moi aussi. C’était lui le boss, et s’il avait des choses à dire, il avait le droit de nous les dire en face. Que ça plaise ou pas.

 » L’alchimie s’est faite immédiatement avec Vanderhaeghe  »

Il y a régulièrement un effet psychologique quand un nouvel entraîneur débarque. Mais avec Yves Vanderhaeghe, l’effet a été spectaculaire, immédiat, et ça a duré.

GIGOT : Le départ de Vanhaezebrouck, ça a été un électrochoc pour nous. On savait tous qu’il avait réussi des trucs fantastiques ici, puis du jour au lendemain, il est parti. Là, on s’est dit : C’est peut-être notre faute s’il n’est plus là. Il y a eu une réaction naturelle par rapport à ça.

Un sentiment de culpabilité ?

GIGOT : Quelque part, oui. Quand les résultats ne suivent pas, tu ne peux pas toujours te cacher derrière ton entraîneur. Tu dois regarder tes propres erreurs. Quand Vanhaezebrouck nous a quittés, on s’est dit qu’on n’avait pas le droit de laisser le club là où il était. Gand n’était plus à sa place, clairement.

Et on a eu la chance que l’alchimie se fasse directement avec Vanderhaeghe. Il a aussi su trouver les mots justes pour nous remettre très vite en confiance. Il a mis l’accent sur le côté humain, on en avait besoin.

Il a aussi abandonné la défense à trois de Vanhaezebrouck pour vous faire jouer à quatre derrière. Ça a été déterminant ?

GIGOT : Quand on regarde nos résultats entre-temps, on peut se dire que c’était bien vu. On avait sans doute besoin de retrouver une stabilité défensive qu’on n’avait plus en jouant à trois derrière, avec le système assez offensif de Vanhaezebrouck. On s’est mis à jouer un foot plus défensif, parfois en misant sur la contre-attaque.

Avec Vanhaezebrouck, on était ultra offensifs dans beaucoup de matches, et les buts des contre-attaques, c’était généralement Gand qui les encaissait. Ce changement a été une clé de notre remontée au classement. On était au plus bas quand il y a eu le changement d’entraîneur, puis on a fini la phase classique avec la meilleure défense. C’est une fierté.

 » On veut aller chercher la troisième place  »

Qu’est-ce qu’on peut attendre de Gand dans les play-offs ?

GIGOT : On ne doit plus penser à la remontée qu’on a faite pour se qualifier, c’est le passé. Aujourd’hui, on pense clairement à aller chercher la troisième place.

Tu fais la meilleure saison de ta carrière ?

GIGOT : Elle n’est pas finie, je ferai les comptes après les play-offs. Ça ne s’est pas trop bien passé au début, puis ça a été beaucoup mieux. Je ne m’emballe pas, je suis trop bien placé pour savoir que tout peut basculer très vite dans les deux sens. Je n’oublie pas que je me suis retrouvé dans le fond du fond du foot français peu de temps après avoir cru que ma carrière allait décoller. Donc, je reste cool, tranquille, sobre.

Tu as presque le maximum de temps de jeu alors que tu joues à un poste à risques, en défense centrale. Ça veut dire que tu prends peu de cartes. Ce n’était pas toujours comme ça en France !

GIGOT : C’est vrai que ça ne s’est pas bien passé à ce niveau-là pendant ma dernière saison à Arles-Avignon. J’avais été exclu trois fois. C’était un de mes défauts. Trop de fougue. Je rentrais un peu trop dans les duels. Mais avec l’âge, tu grandis, tu prends de la maturité. On m’avait aussi prévenu quand je suis arrivé à Courtrai, on m’avait expliqué que les arbitres belges sortaient facilement les cartons.

Tu as été exclu cette saison à Mouscron et tu ne le méritais pas. Ce jour-là, un de tes coéquipiers a dit que le niveau de notre arbitrage était lamentable. Tu confirmes ?

GIGOT : Mon intervention était peut-être un peu trop agressive, je ne sais pas. Mais je retiens le plus important : je n’ai blessé personne. L’arbitrage est un métier difficile, j’essaie parfois de me mettre à la place des arbitres. Si j’ai un reproche à leur faire, c’est qu’ils ne sentent pas toujours le jeu. Ils n’arrivent pas à déterminer si certains gestes sont intentionnels ou pas. Ils ont parfois du mal à faire la différence. Il y a eu beaucoup de problèmes depuis le début de la saison, j’espère que ça va aller mieux parce que c’est un handicap pour le football belge.

Samuel Gigot  :
Samuel Gigot :  » Yves Vanderhaeghe a mis l’accent sur le côté humain, on en avait besoin. « © BELGAIMAGE

 » J’étais fan de Cannavaro  »

Tu pensais que ça irait mieux avec la vidéo ?

GIGOT : Oui. Il faudrait mieux s’en servir. Il y a peut-être des problèmes de communication, en tout cas je vois des décisions bizarres.

Un défenseur adapte son jeu quand il sait qu’il y a le VAR sur son match ?

GIGOT : Non, il faut essayer de ne pas trop y penser. Ou peut-être simplement faire plus attention sur les tirages de maillot, par exemple. Ils peuvent être plus pénalisants s’il y a la vidéo.

Pourquoi Fabio Cannavaro était ton modèle ?

GIGOT : Oui, j’étais fan de lui, de sa posture. Il se tenait toujours très droit, c’était le leader incontesté de la défense italienne. Il mettait toute sa hargne, toute son envie dans les duels. Après la finale de la Coupe du Monde en 2006, j’étais déçu que la France ait perdu. Mais j’étais content que Cannavaro ait levé le trophée. Il avait un charisme incroyable. Et un style élégant.

Tu as fait de la boxe dans ta jeunesse, ça t’a aidé dans le foot ?

GIGOT : Je n’en ai pas fait énormément parce que c’était compliqué de combiner boxe, rugby et football. Mais la boxe m’a apporté certaines choses, comme le sens du combat. Quand tu es défenseur, tu combats contre les attaquants. C’est une succession de duels, de luttes. Tu dois les gagner pour sortir vainqueur de ton match. Tout donner pour quitter le terrain avec la victoire, tu apprends très bien ça sur un ring.

Face à Christian Eriksen, de Tottenham : un grand souvenir !
Face à Christian Eriksen, de Tottenham : un grand souvenir !© BELGAIMAGE

La tête encore à Wembley

Fin janvier 2017. Gand recrute en masse. Lovre Kalinic débarque : 3,1 millions. Yuya Kubo arrive : 3,5 millions. Ils ont droit à une présentation officielle, aux photos et tout ça. Puis Samuel Gigot pose son sac à la Ghelamco Arena. Dans une relative indifférence. Il coûte un bon million et son transfert est annoncé simplement par un communiqué sur le site du club.

Mais deux jours plus tard, il est déjà dans l’équipe qui bat Bruges. Puis Hein Vanhaezebrouck le glisse dans la liste des joueurs qualifiés pour l’Europa League, et à la mi-février, il affronte Tottenham. Quand on l’interroge à l’époque sur ses débuts fulgurants, il compare sa situation à celle du petit gosse qui apprend à nager :  » C’est mieux de le balancer directement dans la grande profondeur.  » Et une légende urbaine raconte qu’il est très vite un des premiers joueurs que HVH inscrit sur la feuille de match.

SAMUEL GIGOT : Honnêtement, ça ne m’a pas choqué de ne pas avoir une présentation officielle. Je n’avais même pas fait attention à ça, ce sont des journalistes qui me l’ont fait remarquer. C’est logique qu’on ait fait ça pour Kalinic et Kubo, qu’on les ait mis en tête d’affiche parce qu’ils avaient déjà une certaine réputation. Si j’avais été présenté avec tout un tralala et si après ça, j’avais été une chèvre sur le terrain, j’aurais eu l’air de quoi ?

Tu n’avais pas été surpris que Vanhaezebrouck te lance aussi vite ?

GIGOT : C’est clair que ça a été très vite, que je n’ai pas eu le temps de cogiter. En plus, c’était un match particulier, contre Bruges. Quand j’étais à Courtrai, je ne me rendais pas compte qu’il y avait une rivalité pareille entre Gand et Bruges. J’ai vite compris quand je suis arrivé, quelques heures avant ce match. J’ai vu que c’était le match de l’année pour les supporters de Gand. Et on n’était pas sûrs du tout qu’on allait se qualifier pour les play-offs, ça ajoutait encore un peu de pression. Mais je ne me suis pas posé de questions. Maintenant, je ne suis pas spécialement un fonceur. Je suis plus joueur que fonceur. Je ne fonce pas dans n’importe quoi, je veille toujours à y aller avec un minimum de jugeote.

Le match contre Tottenham à Wembley, c’est le sommet de ta carrière jusqu’ici ?

GIGOT : Clairement. C’était le rêve. Je regarde encore souvent les images, c’était fou, l’ambiance était exceptionnelle. Magique. Rien que ça, ça me donne encore plus envie de jouer un jour dans le championnat d’Angleterre. Le match aller chez nous avait déjà été extraordinaire, avec notre victoire que personne n’attendait. Mais c’était encore plus fort là-bas, avec la qualification, carrément. Pourtant, en préparant ces matches, on se demandait vraiment ce qu’on allait pouvoir faire contre des joueurs pareils. On visionnait des vidéos, on voyait qu’ils savaient tout faire. Ils sont rapides, ils sont costauds, ils jouent super bien au foot. On se disait : Mais qu’est-ce qu’ils vont nous donner comme clés pour qu’on ait une chance de les bousculer ? Puis on est montés sur le terrain en se disant que c’étaient des hommes comme nous. C’est la confiance accumulée au match aller qui nous a permis de faire l’exploit là-bas.

Jouer sur Harry Kane, c’était comment ?

GIGOT : Le meilleur attaquant que j’aie affronté depuis que je joue au foot, c’est sûr. Mais ce n’est pas parce que tu joues contre une légende pareille que tu dois perdre tes moyens. Le nom de l’adversaire, ça ne veut pas toujours dire. Je te prends un exemple : Toby Alderweireld, qu’on a affronté dans ces deux matches, il est habitué à tenir les meilleurs attaquants du monde mais il a eu beaucoup de mal contre Jérémy Perbet.

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