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L’éternel incompris

Les Diables Rouges disputeront la Coupe du Monde sans Radja Nainggolan, que beaucoup de grands entraîneurs décrivent pourtant comme un des meilleurs médians du monde. Portrait d’un éternel incompris.

Nous sommes fin février et l’interview de Radja Nainggolan au centre d’entraînement de l’AS Roma se termine. Pour les besoins d’un numéro spécial Coupe du Monde, nous demandons à Alessandro Beltrami, agent et ami de l’Anversois, de nous parler un peu des années de Nainggolan à Piacenza et de son départ d’Anvers, mais il décline poliment.  » De toute façon, Radja n’ira pas en Russie. Vous verrez…  »

Le making of de cette interview mérite un article. A Rome, tout le monde craint qu’une simple parole soit mal interprétée et incite le sélectionneur à ne pas prendre Nainggolan. On nous demande donc d’éviter les questions critiques au sujet de Roberto Martinez et de ne pas revenir sur la vidéo YouTube sur laquelle on voit Nainggolan fêter un peu trop le Nouvel An. Elle lui a déjà valu une sévère réprimande du coach, une lourde amende et un match de suspension… que l’AS Roma a perdu 2-0 face à l’Atalanta, ce qui démontre l’importance de Radja dans cette équipe.

Les autres internationaux belges ne comprennent pas pourquoi Radja n’a pas plus d’ambition que la Roma.

Pour mieux en contrôler encore le contenu, le club souhaite que l’interview ait lieu en italien mais Nainggolan n’est pas d’accord : pourquoi deux Flamands parleraient-ils italien entre eux ? On déniche donc un collaborateur du club qui a étudié le néerlandais à l’université de Trieste et traduit simultanément.

Radja parle ouvertement. Quand on lui demande ce qu’il devrait faire pour être sélectionné, il répond :  » Peut-être essayer d’être mieux vu par le sélectionneur.  » Il ajoute ne pas se sentir mal en sélection.  » Tout le monde m’aime bien, vous pouvez le demander : je n’ai jamais eu le moindre problème avec un autre joueur. Mieux : ils sont tous venus me dire bonjour à Rome.  » Pas tous, bien sûr mais notre enquête révèle que Nainggolan est apprécié en sélection. Et la plupart ne comprennent pas qu’il ait été écarté. Off the record, ils disent qu’ils s’y attendaient mais on leur a demandé, comme à la presse, de ne plus parler de l’affaire Nainggolan. Le sujet est clos.

Arabie Saoudite

Le 27 mars, pourtant, le milieu avait reçu une véritable ovation lorsqu’il était monté au jeu en match amical face à l’Arabie Saoudite. Après le match, Martinez l’avait félicité pour son état d’esprit mais cela n’avait pas changé quoi que ce soit à l’humeur du joueur de l’AS Roma qui avait mal contenu sa déception lorsqu’il avait entendu la mission qui lui avait été confiée en montant sur le terrain. Il devait prendre tout le flanc droit à son compte. Une place à laquelle il peut jouer mais qui n’est pas sa meilleure. À la Roma, ces dernières années, il a joué soit dans l’axe, soit en soutien derrière les attaquants, soit un peu en retrait, comme cette saison.

Et cela n’entre pas dans les plans de Martinez. Le sélectionneur applique un système très clair et a quelques certitudes : Lukaku en pointe et Hazard à gauche. Après le match contre la Grèce, Kevin De Bruyne lui a bien fait comprendre qu’il ne voulait plus jouer sur le flanc droit, où il ne peut donner totalement libre cours à son talent et à sa vision de jeu. Martinez l’a bien compris et il sait que De Bruyne est indispensable chez les Diables Rouges. Donc, désormais, De Bruyne joue dans l’axe et Martinez a besoin d’un 6 qui contrôle et ne part pas vers l’avant quand son instinct lui dit de le faire. Aux yeux du sélectionneur, comme de son prédécesseur, Axel Witsel est dès lors l’homme idéal dans ce rôle : il assure l’équilibre dans une équipe très offensive. Et peu importe qu’il joue au Zenit, à la Juventus ou en Chine. Le fait que Martinez soit parti en Chine pour voir Witsel et YannickCarrasco à l’oeuvre et s’entretenir avec eux après la demi-finale aller de Ligue des Champions entre Liverpool et l’AS Roma en dit long sur l’importance qu’il leur accorde.

Un des meilleurs amis de Nainggolan au sein de la sélection sait qu’après le match contre l’Arabie Saoudite, Nainggolan avait l’impression que Martinez ne l’avait appelé que pour démontrer à toute la Belgique qu’il n’avait pas sa place dans cette sélection.

Quand on lui a fait remarquer, au moment où il a dévoilé sa sélection, que Nainggolan était le seul Belge sur la pelouse en demi-finale de Ligue des Champions, le sélectionneur a répondu que cela lui importait peu :  » Je ne tiens pas seulement compte des prestations des derniers mois mais de celles des deux dernières années.  » En Italie, les gens sont tombés à la renverse en entendant cela. Car hormis quelques mois difficiles avant le Nouvel An, cela fait deux ans que Nainggolan est très constant. Et si on suit le raisonnement de Martinez, comment justifier la sélection d’ Adnan Januzaj, pratiquement invisible au cours des deux dernières années et qui n’a refait surface qu’au cours des derniers mois au sein d’un club bien moins fort que l’AS Roma ? A moins que Martinez n’admette que seules la Premier League et la Liga l’intéressent et que, comme de nombreux spécialistes en Belgique, il estime que la Serie A est devenue un championnat ordinaire.

Après le match contre l’Arabie Saoudite, Nainggolan avait l’impression que Martinez ne l’avait appelé que pour démontrer à toute la Belgique qu’il n’avait pas sa place dans cette sélection.

Ajax

Nainggolan aurait-il dû aller à Manchester United ou à Chelsea, comme il en a eu l’occasion, plutôt que de rester fidèle à la Roma ? Il a toujours été habitué à prendre des décisions seul. Au début des années 2000, l’Ajax avait un droit d’option sur les meilleurs joueurs du Germinal Beerschot mais il n’a jamais songé à Nainggolan. Selon Urbain Haesaert, alors responsable de la formation du club anversois, son nom a bien été cité mais, à Amsterdam, on estimait que le garçon des blocs Chicago de la rive gauche de l’Escaut n’avait pas le profil de l’Ajax.  » C’était encore un diamant brut mais c’était déjà un gagneur. Et en football, il faut des joueurs qui veulent avoir le ballon. L’équipe qui a le ballon ne peut pas perdre. Sur ce plan, Radja est très intéressant car il récupère énormément de ballons et est très fort au duel. Mais j’admets que quand il est parti à Rome, j’ai bien dû constater qu’il était plus fort que je le croyais.  »

Le Ninja avec la vareuse nationale : une image qui appartient désormais au passé.
Le Ninja avec la vareuse nationale : une image qui appartient désormais au passé.© belgaimage

C’est l’agent suisse Alessandro Beltrami qui l’a découvert par hasard, début 2005, en allant visiter les installations de l’Excelsior Mouscron pour le compte d’un agent italien qui voulait racheter les Hurlus. Le rachat n’a pas eu lieu et, en 2009, le groupe autour d’ Antonio Imborgia reprenait Eupen qui, un an plus tard, montait en D1. Au Futurosport, entre deux matches de jeunes, Beltrami avait regardé l’échauffement des jeunes du Germinal Beerschot et un joueur avait attiré son attention. Il avait alors décidé de regarder le match et, après celui-ci, il avait parlé à la maman du garçon. Celle-ci lui avait dit que son fils était prêt à partir à l’étranger et il l’avait alors renseigné à quelques clubs italiens. La Fiorentina voulait qu’il aille faire un test mais le GBA n’était pas d’accord. Piacenza, un club de D2, sautait sur l’occasion et transférait aussi Didier Ndagano, qui évolue aujourd’hui en Provinciale anversoise. Les débuts étaient difficiles et après un mois, Radja, en proie au mal du pays, voulait rentrer chez lui. Mais Ndagano l’encourageait à ne pas abandonner son rêve et son demi-frère lui faisait comprendre que la famille avait besoin d’argent. Radja restait et tout s’enchaînait. Mario Somma, l’entraîneur qui l’a lancé, lui a dit un jour devant tout groupe :  » Tu peux jouer au Real mais tout aussi bien te retrouver en amateurs. C’est toi qui décides.  » Incrédule, Nainggolan a demandé à l’adjoint :  » S’il me trouve si bon, pourquoi me fait-il aussi peu jouer ?  »

En 2004, Piacenza, au bord de la faillite, le vendait pour une bouchée de pain (300.000 euros) à Cagliari. Il devenait un des piliers de la Serie A mais le président, Massimo Cellino, ne voulait pas le laisser partir pour rien. Dès lors, presque personne ne le connaissait lorsque, en 2009, Frankie Vercauteren le sélectionnait en équipe nationale pour la Kirin Cup au Japon. Il était si peu connu qu’on l’abordait en français. La Serie A n’était plus aussi forte qu’avant et le club insulaire n’était pas un des meilleurs du championnat. Alors que les Diables Rouges prenaient, un à un, le chemin de l’Angleterre, Nainggolan devait expliquer pourquoi il ne jouait qu’à Cagliari. En 2011, Roberto Mancini se disait charmé par le milieu mais Manchester City ne suivait pas son conseil.

Le 7 janvier 2014, Nainggolan passait à l’AS Roma, un club bien plus connu. En Belgique, on ne se rendait pas bien compte de l’intérêt qu’il suscitait dans la Botte. L’AC Milan était le premier à se manifester. A Cagliari, Massimiliano Allegri s’était parfois heurté à Radja mais il voyait tout de même en lui le successeur idéal à Gennaro Gattuso. La Juventus et l’Inter le voulaient aussi mais le 6 janvier 2014, la Gazzetta dello Sport écrivait qu’il était transféré à Naples. Une annonce un peu précoce car le lendemain, l’Anversois était présenté à l’AS Roma, le club de Rudi Garcia, qui avait sa préférence. Au cours des derniers jours, Nainggolan avait multiplié les réunions dans les grands clubs, ce qui démontrait combien il était apprécié. En décembre 2014, l’AS Roma se dépêchait de lever l’option sur un joueur qu’elle ne faisait que louer car Liverpool était très intéressé.

Radja est un des meilleures milieux au monde. N’importe quel entraîneur de la planète aimerait l’avoir dans son équipe.  » Stefano Pioli, entraîneur de la Fiorentina

Conte

En avril 2016, on apprend qu’ Antonio Conte va devenir entraîneur de Chelsea. Le premier joueur qu’il veut transférer, c’est Nainggolan, pour lequel le club est prêt à mettre 26 millions de livres. L’été dernier, Chelsea revient à la charge et Conte rencontre personnellement le joueur à Rome, en vain.  » J’opte toujours pour la voie la plus difficile « , dit Nainggolan à ce sujet. Au même moment, José Mourinho le veut à Manchester United pour remplacer Michael Carrick. Il le fait suivre, notamment lors du match de Ligue des Champions face à l’Atlético Madrid. En janvier, quand on apprend que la Roma doit vendre d’urgence un joueur pour s’éviter les foudres de l’UEFA dans le cadre du fair-play financier, Conte tente à nouveau sa chance. Il veut Nainggolan puis Edin Dzeko et se contente finalement d’ Emerson Palmieri. Nainggolan est soulagé.  » Je vis bien à Rome, j’ai tout ce qu’il me faut « , dit-il à la veille des demi-finales de la Ligue des Champions face à Liverpool.  » Et puis, je déteste la pluie. Nous avons passé deux jours à Liverpool et il n’a pas cessé de pleuvoir. De plus, il faisait froid.  »

Les autres internationaux belges ne comprennent pas pourquoi il refuse obstinément de jouer au plus haut niveau et n’a pas plus d’ambition que la Roma. C’est peut-être une question de mode de vie. À Rome, il peut vivre normalement, fumer une cigarette et boire une bière sans que personne ne s’offusque. À Londres ou à Manchester, il serait assailli par les tabloïds qui, au moindre mauvais match, le cloueraient au pilori. De plus, la succession de matches empêche les joueurs d’avoir une vie en dehors du football. Et l’Anversois n’est pas prêt à tous les sacrifices pour sa carrière.

Pourtant, il suscite toujours autant d’intérêt. La semaine dernière, on affirmait que Luis Enrique le voulait à Arsenal s’il y signait. Il a eu des contacts avec l’Inter, le club de son ancien entraîneur, Luciano Spalletti. L’an dernier, celui-ci disait de lui :  » Radja est très fort, il a la classe mondiale. Il vaut bien Paul Pogba. C’est un joueur complet, un peu plus vieux que Pogba mais il tient la comparaison. Il est comme le bon vin : il bonifie avec l’âge.  »

Il y a un mois, Stefano Pioli, l’entraîneur sous la direction duquel il avait percé à Piacenza, nous avait confié :  » Ce que j’appréciais chez lui, c’était son énorme personnalité. A 18 ans, il était non seulement très puissant mais surtout très malin. Il ne fallait pas sans cesse le corriger ou le diriger. Il voulait toujours arracher le ballon et en faire quelque chose. Il sait où il doit aller, c’est un des meilleurs milieux du monde, un joueur complet que n’importe quel entraîneur de la planète aimerait avoir dans son équipe.  »

Spalletti, Pioli, Mourinho, Conte apprécient aussi. Mais le sélectionneur belge ne parvient pas à l’utiliser et estime qu’il a trop de personnalité pour rester sur le banc pendant la Coupe du Monde. Quel luxe, tout de même, les Diables Rouges !

Pour Martinez, Nainggolan est trop grand pour être confiné à un rôle secondaire.
Pour Martinez, Nainggolan est trop grand pour être confiné à un rôle secondaire.© belgaimage

RADJA SUR LE CHEMIN DE MARTINEZ

Le sélectionneur se permet le luxe d’une observation privilégiée. Pourtant, Roberto Martinez connaît déjà ses Diables dans les moindres détails. Mais c’est comme s’il voulait voir de tout près cette Belgique version Marc Wilmots, traumatisée par sa défaite lilloise en quarts de finale du récent EURO. Pour affronter l’Espagne en match amical, l’Ibérique installe le 4-2-3-1 de son prédécesseur, avec Kevin De Bruyne en numéro 10, Eden Hazard à gauche et un duo formé par Axel Witsel et Radja Nainggolan devant la défense. Et la Belgique se noie.  » Le match face à l’Espagne nous a prouvé qu’on ne pouvait pas continuer à jouer comme par le passé.  »

Martinez cherche un nouveau fil conducteur. Son idée directrice est simple : mettre son joueur clé dans des conditions idéales pour briller.  » Eden a connu une période plus difficile quand il avait deux ou trois hommes sur lui et qu’il était bloqué sur son côté gauche « , explique le sélectionneur. Sur le flanc, Hazard est comprimé par la ligne de touche, celle que Pep Guardiola a l’habitude de présenter comme  » le meilleur défenseur du monde « , car elle ne se fait jamais dribbler. Alors, Martinez imagine un rôle entre les lignes pour son nouveau capitaine.

Tout le schéma s’articule naturellement en fonction du numéro 10. Dans le couloir, là où les débordements trop rares de Jan Vertonghen empêchaient Eden de créer la surprise, Martinez place Yannick Carrasco, dribbleur ambitieux et menaçant qui oblige le latéral droit adverse à garder un oeil sur son flanc. Derrière, le sélectionneur installe Witsel, le moins aventureux de ses milieux, pour éviter qu’un infiltreur intempestif vienne réduire le champ d’action du maestro.

À la hauteur d’Eden, mais plus à droite, l’Espagnol imagine d’abord Kevin De Bruyne. Mais posés sur la même ligne, les deux hommes n’arrivent jamais à dialoguer, problème récurrent de leur histoire nationale. Martinez finit alors par reculer d’un cran KDB, qui prend la place de Marouane Fellaini à côté de Witsel. La relance et l’architecture du jeu sont pour le Citizen, les finitions et retouches en finesse pour le prince des Blues. Les deux plus grands talents du pays sont désormais associés, dans un onze qui fait aussi une place à Carrasco, Dries Mertens et Romelu Lukaku. Mais il reste un sacrifice de taille.

La victime s’appelle Radja Nainggolan. Le 3-4-2-1 n’offre plus de place au Ninja. Les romantiques l’imaginent à la place de Witsel, mais ce qui fonctionne sur console ne s’applique pas spécialement au terrain. Le jeu mesuré de l’ancien du Standard est indispensable devant la défense, et Radja s’éloigne d’autant plus de cette concurrence en numéro 6 que Luciano Spalletti le fait briller derrière Edin Dzeko à Rome. Martinez lui offre une chance comparable en le titularisant à la place de Hazard face à la Grèce, mais Nainggolan ne saisit pas l’opportunité.

Contre le Mexique, un 3-5-1-1 est même imaginé pour insérer Radja à l’équation nationale, mais la blessure du Romain contrarie l’expérience. Une demi-heure correcte derrière Lukaku et Michy Batshuayi face à une insipide Arabie Saoudite ne suffit pas à remettre en cause le 28/30 plein de maîtrise et de caractère des qualifications. Absent du plan A, Nainggolan est considéré comme trop grand pour un rôle secondaire. La campagne de Russie s’affrontera donc sans Ninja.

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