© belgaimage

Jordan Pickford : bons pieds, bon oeil

Il y a cinq ans, Jordan Pickford (24 ans) défendait encore le but d’Alfreton Town, en D5 anglaise. Ce jeudi, il va regarder les attaquants belges droit dans les yeux.

Les analystes n’étaient pas très confiants, outre-Manche, quand Wilmar Roldan a sifflé le coup d’envoi de Tunisie-Angleterre. Onze joueurs collectionnant, ensemble, 248 caps seulement, c’était le total le plus bas depuis le Mondial 1962.

Kieran Trippier (27 ans), qui abat le flanc droit de Tottenham, enfilait à cette occasion le maillot des Three Lions pour la troisième fois, Harry Maguire, le défenseur central de 25 ans de Leicester, obtenait, lui, sa sixième cap, tandis que Jordan Pickford (24 ans) prenait place dans le but pour son premier match officiel, après avoir disputé trois joutes amicales.

L’Angleterre retrouve enfin un portier dont elle peut être fière.  » Peter Shilton

Gareth Southgate, le sélectionneur, a apprécié ses débuts.  » Jordan n’a encore jamais disputé de finale de coupe, il n’a pas joué une minute non plus en Ligue des Champions mais ça ne s’est pas remarqué. Il était calme, concentré et déterminé. C’est un gardien doté d’un énorme potentiel.  »

L’académie de Sunderland, qu’a rejointe Pickford à huit ans, le savait depuis longtemps. Adolescent, il a fait le désespoir de Kevin Ball, une légende vivante des Black Cats devenue directeur du centre de formation. Ball exigeait que ses gardiens passent le ballon aux défenseurs mais Pickford préférait l’adresser aux deux ailiers, à 50 mètres de lui.

 » Quand je lui expliquais que l’objectif était de construire le jeu de l’arrière, il me répondait toujours : – D’accord mais mes passes sont plus précises que celles de mes défenseurs. Le pire, c’est qu’il avait raison. Je me rappelle un match amical des U16. Je l’avais posté au centre de la défense afin qu’il puisse lire le jeu un cran plus haut que d’habitude. Son passing était phénoménal, au moins aussi bon que celui de mes joueurs de champ.  »

Un tout bon passing

George Honeyman, un ami d’enfance de Pickford, qui a débuté en même temps que lui en équipe première de Sunderland, est allé encore plus loin dans les colonnes du Daily Mail.  » Il voulait jouer dans le champ dans les matches d’entraînement. Il finissait par nous énerver et nous criions : -Jordan, veux-tu bien retourner dans le but ! Un phénomène. Certains jours, des gens se déplaçaient spécialement pour voir l’entraînement. Pas pour admirer un attaquant qui marquait beaucoup de buts mais un gardien de seize ans.  »

Ses bons pieds ont été déterminants aux yeux de Southgate, au moment d’effectuer sa sélection. Il a écarté Joe Hart, le portier de 31 ans de West Ham United, malgré ses 75 caps, Nick Pope (Burnley) est le numéro trois et Jack Butland (Stoke City) a dû céder sa place à Pickford, élu Joueur de l’Année d’Everton par les supporters et ses coéquipiers.

Le sélectionneur a travaillé avec lui en U21 anglais et il a apprécié ses prestations à Goodison Park, une équipe moyenne, durant sa première saison. Martyn Margetson, l’entraîneur gallois des gardiens avec lequel il a travaillé ces six derniers mois à Everton et avec l’Angleterre, a effacé les derniers doutes de Southgate.

 » J’ai sans doute eu une longueur d’avance grâce à la présence de Marge » , a confié le gardien au Northern Echo.  » J’ai connu un bon début de saison à Everton, malgré des conditions difficiles (le club a renvoyé Ronald Koeman, a été balayé de l’Europa League et n’a terminé le championnat qu’en huitième position, ndlr). Je suis parvenu à ne pas me laisser distraire. Ce ne sera pas différent en Russie. Où qu’on joue, le terrain et la cage ont les mêmes dimensions.  »

Une relation d’amour-haine avec son mentor

Jordan Pickford a grandi à Washington, une ville de 65.000 âmes à l’ombre de Sunderland. Ses parents étaient de fervents supporters des Black Cats et toutes les deux semaines, la petite famille se rendait au Stadium of Light.  » J’étais fanatique. A cinq ans, je me postais à l’entrée du complexe d’entraînement, avec mes cousins. Nous arrêtions les voitures des joueurs pour mendier des autographes et des photos.  »

Kevin Ball a été le premier à s’arrêter. Il chérit toujours cette photo, même si, devenu entraîneur, Ball a été sévère à son égard.  » Quand nous discutions du rôle du gardien, il disait que je ne réussirais jamais à cause de mon caractère spécial. Moi, je lui répondais que si.  »

Quand Ball en avait marre, il punissait l’adolescent. Pendant deux semaines, il devait nettoyer les chaussures, les vestiaires, pomper les ballons.  » Ce n’était pas marrant mais j’ai toujours respecté Kevin.  » La preuve : en janvier 2016, il doit effectuer ses débuts en équipe première de Sunderland contre Arsenal. Le matin du match, il téléphone à son maître pour le remercier.

 » Nous nous parlons régulièrement « , a dit Ball avant le début de la Coupe du Monde.  » Parfois, il m’envoie un sms : envie de bavarder, Kevin ? Et il vient à Sunderland. Trois heures en voiture. Jordan n’a jamais oublié ses racines.  » L’année dernière, en apprenant que le Washington Arms FC, une équipe de café de sa ville natale, cherchait un sponsor, il a payé de sa poche des survêtements et des tenues de match.  » Washington m’a tant donné. C’était la moindre des choses.  »

Le gardien britannique le plus cher de l’histoire

On ne lui a pas fait de cadeau. Il a certes signé son premier contrat pro en 2011 mais à 17 ans, il n’était pas encore prêt pour la Premier League et il a collectionné les petits clubs. Ses déplacements à Darlington et Alfreton Town (Conference Premier, D5) ont été mémorables. Ses parents étaient assis devant pendant qu’à l’arrière, un Tupperware sur les genoux, il avalait un plat de pâtes ou de poulet préparé par sa mère.

Il a ensuite transité par Burton Albion et Carlisle United (League Two, D4), Bradford City (League One) et Preston North End (Championship), avant de revenir définitivement au nid en janvier 2016, à 21 ans.  » Il n’a jamais été impressionné. J’ai rarement vu ça « , a déclaré le manager David Moyes à l’issue de la première saison complète de Pickford.

 » David de Gea avait joué deux ans à l’Atlético Madrid mais durant sa première saison à Manchester United (2011-2012, ndlr), il a régulièrement commis des fautes. Pas Jordan.  »

Quand Sunderland a quitté la Premier League, à l’issue de sa première saison, il y a un an, Everton a versé 28,5 millions d’euros -plus 5,7 millions de primes, faisant de Pickford le gardien britannique le plus cher de l’histoire. Sur la liste universelle des portiers, il est troisième après Gianluigi Buffon (2001, 51,6 millions, de Parme à la Juventus) et Ederson Moraes (2017, 40 millions de Benfica à Manchester City).  » Est-ce trop ? Il vaut chaque centime de son prix « , a réagi Peter Shilton, l’ancien gardien international anglais.  » L’Angleterre retrouve enfin un portier dont elle peut être fière. « 

Par Chris Tetaert

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire