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 » Je suis encore un bébé « 

Ethan Horvath nous parle de ses neuf premiers mois en Belgique, de la vie à Molde et des ambitions du Club Bruges.  » Concentrons-nous sur le titre et sur la coupe, en espérant gagner les deux.  »

Nous sommes jeudi, peu après treize heures. À l’autre bout du monde, après Harvey, c’est Irma qui fait des dégâts. Les ouragans inquiètent Ethan Horvath (22 ans), le gardien américain du Club Bruges.  » Je ne connais personne qui soit touché, ma famille et mes amis habitent plus au nord mais ça doit être terrible de voir tout ce qu’on a construit emporté en un clin d’oeil et de devoir tout reprendre de zéro.  »

À Bruges, c’est une autre tempête qui a soufflé, celle de l’élimination européenne. Aujourd’hui, le break international aidant, l’orage est passé mais les joueurs auront sans doute un pincement au coeur en voyant le match de Zulte Waregem face à Nice.  » L’élimination procure de très mauvaises sensations « , dit Horvath.  » Avec Molde, mon ancien club, on a connu une très belle campagne en Europa League et je voulais revivre ça, jouer dans de grands stades et me montrer face à des stars. Heureusement, le week-end libre nous a fait du bien car les six, sept, huit dernières semaines avaient été intenses. Il était temps de souffler un peu, d’oublier le football pour un jour ou deux.  »

Il en a profité pour partir à Paris avec sa copine, une Norvégienne qui vit à Bruges avec lui depuis un mois. La saison dernière, elle était encore étudiante. Paris est à un jet de pierre, comme Gand et Anvers, c’est l’un des avantages de la vie en Belgique.  » À Molde, c’était chouette aussi « , dit Horvath.  » Ça caillait, évidemment, et c’était cher mais c’est valable pour toute la Norvège. Le seul inconvénient, c’était l’isolement.

Nous, les Américains, nous sommes habitués aux grandes villes, nous n’aimons pas avoir huit heures devant nous. Je ne pouvais pas non plus passer mes journées sur Skype ou sur Facetime. Molde était un gros village de vingt, vingt-cinq mille habitants. Si je voulais me rendre à Oslo, je devais prendre l’avion ou me taper huit heures de voiture. Trondheim, c’était quatre heures. Il n’y avait pas grand-chose à faire : manger un bout, aller au cinéma. Et je n’étais jamais anonyme, les Norvégiens sont parfois un peu collants.  » (il rit).

Shit happens

En janvier, il est arrivé en Belgique. Son objectif : être prêt à devenir premier gardien cette saison.  » C’est ce que Jan (Van Steenberghe, l’entraîneur des gardiens, ndlr) m’avait toujours dit. Au début, j’ai eu un peu de mal à m’adapter. C’était une autre culture, un autre football. Molde et Rosenborg, ce sont des exceptions. Le reste… Aux Etats-Unis, nous avons coutume de dire : they kick ball.

Deux ou trois grands costauds devant vers qui on balance de longs ballons de l’arrière ou par les flancs. Ici, ça joue plus vite, les joueurs sont de meilleure qualité, certains tirent plus fort, il faut réagir plus rapidement. Une fois adapté, je me suis senti mieux. Et j’étais heureux que Michel (Preud’homme, ndlr) me donne du temps de jeu en fin de saison.  »

L’entraîneur des gardiens estime même qu’il aurait pu jouer plus que quatre matches de play-off 1.  » C’est ce qu’il ma dit mais ce n’est pas lui qui faisait l’équipe « , rigole Horvath.  » Pour un entraîneur, il est toujours délicat de changer de gardien en cours de compétition et plus encore quand on a été gardien soi-même car on sait ce qui se passe dans la tête du joueur. Il a probablement connu ça.  »

Horvath a effectué ses débuts lors de la 7e journée des play-off, à Charleroi. La veille, comme avant chaque entraînement, il faisait tranquillement du vélo et du stretching dans la salle de fitness lorsque le team manager est venu le chercher. Preud’homme voulait lui parler.  » Il m’a dit que j’avais beaucoup progressé depuis mon arrivée et qu’il était temps que j’écrive ma propre histoire.  »

À Charleroi, Bruges a mené au score et il a arrêté un ballon qu’il a ensuite relâché, pensant que l’arbitre avait sifflé un coup franc en sa faveur. David Pollet en a profité et a marqué : le coup de sifflet était venu des tribunes.  » Shit happens, comme vous dites. J’ai gambergé pendant quelques secondes mais, une fois le ballon remis en jeu, j’ai oublié. Je savais que je devais rester concentré car j’allais encore avoir du travail.  »

Et en effet, il a effectué deux arrêts difficiles. De plus, il a délivré un assist sur le troisième but brugeois. Le week-end suivant, contre Anderlecht, il a arrêté un penalty. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les premières pages de son histoire brugeoise ne sont pas passées inaperçues.  » Mais quel est son style ?  » Je me considère volontiers comme un gardien offensif. J’aime intervenir sur un ballon en profondeur mais je ne suis pas non plus un aventurier. J’ai beaucoup de confiance en moi. Un gardien doit être sûr et tenter de prendre la bonne décision. Parfois, il échoue mais ça arrive aux meilleurs. Je n’ai que 22 ans. À mon âge, un gardien est encore un bébé. Je pense que Matt Ryan est arrivé ici au même âge que moi.  »

Pitcher

Il doit encore soigner sa relance.  » On y travaille. Reconstruire de l’arrière, toucher deux fois le ballon puis le donner, ça va. Le plus difficile, c’est de décider quand je dois dégager ou pas. Quand je revois les matches, je me dis que je veux parfois aller trop vite. Je dois être le plus sûr possible, attraper le rythme, jouer chaque semaine, comme en Norvège. De ce point de vue, je suis heureux qu’il y ait eu beaucoup de matches en début de saison.  »

Avant de passer sa vie en revue, nous devons dissiper un malentendu : contrairement à ce que son nom de famille pourrait laisser croire, il ne possède pas la double nationalité hongroise et américaine.  » Mes grands-parents paternels sont originaires de Vienne, en Autriche.  »

Il est issu d’une famille de sportifs.  » Tous ont fait du football. Mon père a entraîné les garçons et les filles de high school pendant plus de 25 ans. Il a également été joueur professionnel avant la MLS. Ma mère a joué également, tout comme le frère de mon père et les deux fils de celui-ci. Je suis un bon ami de Kirsten Pulisic, qui joue à Dortmund et est issu d’une famille comme la mienne. Nos pères respectifs ont joué l’un contre l’autre et on dit souvent en rigolant qu’on devrait organiser un match des familles.  »

Il ne garde que de bons souvenirs de sa jeunesse.  » L’équipe dont je viens est l’une des mieux organisées du Colorado. L’école des jeunes produit de très bons joueurs de collège, quelques-uns évoluent même en MLS et plusieurs filles portent le maillot de l’équipe nationale.  »

Toute sa jeunesse a été placée sous le signe du sport.  » Jusqu’à l’âge de douze, treize ans, j’ai pratiqué trois disciplines : le soccer, le basket et le base-ball. Vous voulez savoir si j’étais bon dans toutes les trois ? À la fin, j’ai dû choisir entre le base-ball et le soccer car au basket, j’étais moins fort. Pas assez grand, je crois (il rit). Si j’avais continué, on me prendrait aujourd’hui pour un nain.  »

Qu’est-ce qui pouvait bien l’amuser en base-ball ?  » J’étais pitcher, c’est plus gai. Je pense que les gens du grand champ doivent s’ennuyer à rester debout en regardant. Un lanceur est toujours occupé. Pendant six heures. Si vous allez voir les New York Yankees ou les Boston Red Sox, vous allez vous amuser mais je comprends votre point de vue. J’ai la même sensation lorsque je regarde des matches de NFL, le football américain : ça joue pendant quinze secondes puis il ne se passe plus rien pendant plusieurs minutes.  »

Il pense que ce passé sportif lui est très utile aujourd’hui.  » Je pense que le poste de gardien est le seul qui ne fasse pas défaut aux Etats-Unis. Nous avons assez de grands noms à ce poste. Quand les gens me demandent pourquoi je suis aussi fort avec les mains, je dis toujours que c’est grâce au basket ou au base-ball, même si j’ai l’air un peu bête. Dans ces sports-là, on ne lance pas la balle n’importe où. Il y a beaucoup de technique, le ballon est grand ou petit, la vitesse de réaction et la prise de balle sont importantes. Tim Howard était un très bon basketteur. J’ai évolué en jouant au football, au basket, au base-ball, au football américain. Je mélangeais toutes ces disciplines, tout le temps.  »

Miles

Mais s’il s’est retrouvé en Norvège, c’est grâce au cyclisme. Son grand-père maternel organisait des courses et l’un de ses amis était photographe professionnel à Bristol, en Angleterre. Un jour, ils lui ont envoyé une vidéo avec des images du jeune gardien. Pour le fun, en se disant que s’il était transféré, ils auraient un endroit où dormir.  » Et de fait, j’ai été invité en Angleterre « , dit Horvath.  » À vrai dire, on s’est un peu demandé ce qui allait se passer.  »

Pendant trois ou quatre ans, Horvath a traversé l’Atlantique, accumulant les miles. Conquérir l’Europe n’était pas facile.  » Tout est bien qui finit bien mais j’en ai vu « , résume-t-il. Le premier joueur qu’il a rencontré à Bristol, c’est David James.  » J’aurais pu tomber plus mal. Après avoir parlé avec lui, je me suis dit que je voulais faire aussi bien !  »

Molde l’a découvert en Autriche, à l’occasion d’un tournoi avec son équipe américaine. Comme il était encore adolescent, il est d’abord rentré aux Etats-Unis. Pour qu’il garde le contact avec le football européen, les Norvégiens l’ont envoyé en stage à Manchester City et à Stoke City. Puis il est parti en Norvège avec un visa de touriste, valable trois mois. Il a ensuite dû rentrer aux États-Unis pour trois mois, jusqu’à ce qu’on lui accorde un nouveau visa.

Cela aurait pu continuer comme ça pendant deux ans, jusqu’à ses 18 ans mais ses parents ont préféré vendre leur maison et déménager en Norvège, où le club leur a trouvé du travail.  » À partir de là, je pouvais rester plus longtemps « , dit Horvath.  » Heureusement, mon père a obtenu un congé sans solde de deux ans. Mes parents ont vraiment tout fait pour moi. Les chaussures, les formations, les gants… Tout ça leur a coûté très cher. Deux cents dollars par-ci, deux cents par-là… Les règles du collège interdisent le sponsoring individuel, c’est très strict. Je l’ai toujours dit à tout le monde, à ma copine, à mon agent : je n’oublierai jamais ce qu’ils ont fait pour moi.  »

Et il n’a pas oublié. Aujourd’hui pensionné, son père a déménagé avec son épouse en Caroline du Nord où Ethan, leur fils unique, leur a acheté une maison.  » Loin de la neige et du froid. Maintenant, leurs étés sont chauds et humides mais l’hiver, c’est très agréable. Et de la côte est des Etats-Unis, l’Europe n’est qu’à six heures d’avion. De plus, il y a des vols directs vers Bruxelles. Maintenant, ils peuvent se laisser vivre. À Molde, ils étaient concierges. Ils nettoyaient les toilettes, ramassaient les ordures, se levaient à cinq heures du matin. C’était dégueulasse, je me sentais mal parce qu’ils avaient fait tout ça pour que je puisse vivre mon rêve… Ils méritaient que je fasse quelque chose en retour.  »

par peter t’kint – photo photonews

 » Si je suis habile des mains, c’est à cause de mon passé au basket, au base-ball et au football américain.  » Ethan Horvath

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