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 » Je rêve de Liège-Bastogne-Liège « 

 » Mon point fort, c’est de n’avoir pas de points faibles « , a-t-il déclaré un jour. Le lauréat en titre de Milan-Sanremo est prêt pour un nouveau grand écart : il va rouler de la Primavera à Liège-Bastogne-Liège en passant par le Tour des Flandres.

Alors que nos contrées étaient envahies par un froid glacial, à la mi-février, le mercure frôlait les vingt degrés au Portugal. Les prémices de la haute saison touristique flottaient dans l’air mais les plages aux spectaculaires rochers rouges étaient encore désertes. En attendant les touristes, les meilleurs hôtels accueillaient les coureurs pour le Tour d’Algarve.

Les coureurs de cinq équipes du WorldTour se pressent au buffet du restaurant du Victoria Sport & Beach Hotel d’Albufeira. Yves Lampaert est le premier à remplir son assiette. Michal Kwiatkowski, la simplicité et la politesse en personne, malgré son gros contrat, est le dernier à s’installer à table, après avoir accordé près d’une heure à son visiteur de Belgique.

 » J’ai hâte de courir chez vous « , déclare l’ancien champion du monde polonais, histoire de toucher d’emblée la corde sensible.  » J’ai ajouté une course à mon agenda par rapport à l’année dernière : le Tour des Flandres. Oui, j’ai raté le Ronde. Une course fantastique, avec un public formidable. Les pavés m’ont manqué. J’aime rouler sur ce revêtement.  »

 » Je veux être en forme pour les classiques ardennaises  »

L’année passée, tu as évité toutes les classiques flamandes.  » Si le Ronde avait lieu une semaine avant Liège, je serais le premier à en prendre le départ mais la combinaison est impossible pour le moment « , avais-tu expliqué.

MICHAL KWIATKOWSKI : Le calendrier n’a pas changé et la Doyenne reste mon principal objectif du printemps mais j’ai un an et de l’expérience en plus. J’ai beaucoup appris au Tour du Pays basque l’année dernière. J’ai peiné sous la pluie et j’ai terminé loin au classement mais, deux semaines plus tard, je me sentais très bien dans les Ardennes. Je me suis dit que j’avais peut-être trouvé la bonne préparation : ne pas trop penser au Pays basque et avaler les kilomètres et les dénivelés nécessaires. Cette approche me permet de participer au Ronde la veille.

Mon problème : je n’aurai pas de pavés dans les jambes avant le Ronde.  » – Michal Kwiatkowski

Avec l’intention de le gagner ?

KWIATKOWSKI : En équipe certainement. Avec Gianni Moscon, Ian Stannard et Dylan van Baarle, Sky peut viser la victoire. Le problème pour moi, c’est que je n’aurai pas de pavés dans les jambes avant le Ronde. Mais ça doit être possible car j’ai acquis de l’expérience sur les pavés quand j’étais chez Quick-Step, avant 2016. Je vais reconnaître le parcours et y tester mon matériel pour qu’il soit impeccable. Une autre chose me trotte en tête : en 2016, j’ai gagné à Harelbeke sans la moindre préparation aux pavés. Le tout est d’être dans un bon état d’esprit : prêt à faire la guerre, croire en la victoire et courir pour. J’espère que j’y parviendrai.

Briguer le Tour des Flandres t’oblige à être prêt plus tôt.

KWIATKOWSKI : Pas nécessairement. Comme l’année passée, je veux être en pleine forme pour les Ardennes. Je ne vais donc pas bousculer ma préparation pour le Ronde mais le printemps passé, j’ai atteint mon pic de forme plus tôt que prévu. Je n’avais pas pensé gagner la Strade Bianche ni vivre deux aussi bonnes semaines en Italie dès le mois de mars. J’ai copié cette préparation, via Valence et l’Algarve, et si ma forme revient plus tôt, tant mieux !

 » J’ai trouvé mon équilibre en 2017  »

Tu as été très régulier l’année passée, pour la première fois de ta carrière, alors qu’avant, tu frappais quand personne ne s’y attendait et tu passais à travers les courses dont tu étais favori.

KWIATKOWSKI : Je ne gagnais peut-être pas beaucoup d’épreuves mais je roulais toute l’année pour la victoire. Je n’ai été mécontent de ma forme qu’au Mondial. Cette saison, je vais encore participer à la Vuelta pour préparer Innsbruck. Il est très difficile de trouver la bonne préparation, de comprendre son corps, de réaliser comment on a gagné la Strade ou pourquoi on a dû abandonner le Tour après deux semaines, comme en 2015. Il faut prendre le temps de réfléchir : qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui doit changer ? Cette expérience permet d’apporter des petites modifications et de trouver un équilibre entre l’entraînement et la compétition. C’est un exercice délicat. J’ai trouvé cet équilibre en 2017. Si vous parcourez ma vie et mon calendrier, vous remarquerez qu’année après année, j’ai modifié certaines choses.

Quel facteur a été prépondérant ?

KWIATKOWSKI : J’appréhende différemment mes entraînements. Avant, j’avais tendance à me livrer à fond à chaque séance. J’étais trop motivé et je suis tombé dans un cercle vicieux, pensant que je ne pouvais gagner que si je m’entraînais encore plus intensément et que j’entamais l’hiver encore plus tôt que les autres. J’ai atteint un sommet du genre début 2015. J’ai atteint ma meilleure forme très tôt et tout le monde a dit que je serais le meilleur champion du monde depuis Tom Boonen. En 2016, après mon transfert chez Sky, je suis devenu encore plus extrême. Mon pic de forme est survenu début janvier alors que je pensais à Liège-Bastogne-Liège. Je me souciais également beaucoup de mon poids. Début 2016, j’étais beaucoup plus affûté qu’un an auparavant ou que maintenant. Puis, mon corps surentraîné s’est épuisé, j’ai enchaîné les maladies et la balance a indiqué une prise de poids. J’avais perdu tout équilibre. Une saison est longue et pour être performant de février à octobre, il faut savoir quand se reposer, quand perdre ou prendre un kilo. Nous ne sommes pas des robots !

 » La Vuelta a été mon pire moment en 2016  »

Tu es tombé très bas ?

KWIATKOWSKI : 2016 a vraiment été une année difficile. La Vuelta a sans douté été le pire moment. Je nourrissais beaucoup d’espoirs, convaincu d’avoir résolu tous mes problèmes de santé. J’ai pris le départ sans le moindre stress. Puis j’ai eu un problème au dos et j’ai dû abandonner. J’ai cru devenir fou.

Tu as demandé l’avis d’un coach mental ?

KWIATKOWSKI : Non. Pour moi, tous ceux qui m’entourent font office de coaches mentaux, je ne travaille pas avec une personne en particulier. Ce qui m’aide, c’est discuter avec mon amie, mes parents, mon entraîneur Tim Kerrison, mes copains… J’ai aussi eu la chance que tout le staff de Sky ait continué à me soutenir. Personne ne m’a dit :  » Tu as un gros contrat, résous ton problème en vitesse.  » Nous avons beaucoup discuté et tiré des leçons de cette mauvaise passe. Je comprends maintenant qu’il faut aussi se servir de son cerveau. S’entraîner davantage n’est pas nécessairement synonyme de s’entraîner intelligemment. Je parcours moins de kilomètres qu’avant. Début 2017, j’ai déménagé à Nice. Quand j’étais chez Quick-Step et en 2016, je vivais à Calpe mais Nice m’offre un meilleur environnement. J’y trouve toujours des coéquipiers avec lesquels m’entraîner, il y a toujours un membre du staff pour s’occuper du matériel, le climat est parfait et il y a pas mal de côtes dans les environs. L’aéroport est proche aussi…

Michal Kwiatkowski :
Michal Kwiatkowski :  » Pour être performant d’un bout à l’autre de la saison, il faut savoir quand insérer les plages de repos. « © BELGAIMAGE

Liège-Bastogne-Liège constitue ton principal objectif du printemps. Qu’aimes-tu tellement dans cette course ?

KWIATKOWSKI : Des trois classiques ardennaises, c’est la Doyenne qui me convient le mieux, même si c’est à l’Amstel que j’ai obtenu mes meilleurs résultats, avec entre autres la victoire en 2015. Liège est la plus dure des trois et j’aime son arrivée. J’ai échoué de peu à deux reprises (troisième en 2014 et en 2017, ndlr) et j’ai vraiment envie de combler cette lacune à mon palmarès. En 2012, lors de ma première participation, je n’ai même pas atteint l’arrivée. C’est un peu comme Milan-Sanremo. En 2013, lors de ma découverte, j’étais déjà vidé au Turchino et j’ai abandonné au deuxième approvisionnement. Comme l’année suivante.

C’est dans les cols et contre le chrono que je peux progresser le plus. Ça me motive. « – Michal Kwiatkowski

 » Impossible d’avoir tout sous contrôle à Milan-Sanremo  »

Pourtant, la Primavera a la réputation d’être la classique la plus facile à courir mais la plus difficile à remporter. Pourquoi ?

KWIATKOWSKI : Il y a constamment beaucoup de coureurs qui veulent la même place au même moment. Il est très difficile de bien se placer pour les capi et le Poggio. On n’a pas de véritable chance de redresser la situation dans les vingt ou trente derniers kilomètres après un contre-coup. On peut rouler sans problème 260 kilomètres puis c’est la foule à la Cipressa et en cas de chute, c’est fini, il faut attendre un an. C’est ce qui rend Sanremo aussi unique et aussi frustrant. Il peut arriver n’importe quoi n’importe quand. On ne peut jamais vraiment contrôler cette course. Personne ne peut rouler en tête pendant 300 kilomètres.

D’après Servais Knaven, ton directeur sportif, tu es un des rares coureurs actuels capables de remporter les cinq monuments. Tu veux suivre l’exemple de Philippe Gilbert, avec son #striveforfive ?

KWIATKOWSKI : Je ne sais pas si je peux gagner les cinq classiques. Je n’ai encore remporté que Sanremo alors il est difficile de penser aux cinq. Je n’ai encore jamais participé à Roubaix mais j’en prendrai bien le départ un jour. D’ici là, il m’est difficile de dire si je peux m’y imposer. En cyclisme, il est très important d’être ouvert à de nouvelles sources de motivation. Je serais heureux de pouvoir me fixer comme objectif de gagner les cinq monuments. Pour le moment, c’est Liège qui m’inspire le plus mais j’aimerais aussi gagner Sanremo, le Tour des Flandres et le Tour de Lombardie.

Quel genre de coureur veux-tu devenir ? Cette question est le fil rouge de ta carrière, car tu es très polyvalent.

KWIATKOWSKI : Ces derniers temps, j’ai surtout travaillé la grimpe et le chrono. Surtout après la saison 2017. Le Tour de France a confirmé ce que je pensais : c’est dans les cols et contre le chrono que je peux progresser le plus. Ça me motive beaucoup. Je voudrais devenir un GC-rider, un coureur qui peut entamer sa saison en ayant en tête le classement d’un grand tour.

 » J’espère que Froome sera de la partie au Tour  »

Tu pourras peut-être viser le classement du prochain Tour, si Chris Froome ne peut pas le courir.

KWIATKOWSKI : Je ne raisonne pas de cette manière. J’espère que Chris sera de la partie et que l’affaire de la Vuelta sera résolue le plus vite possible. Je ne m’occupe pas de la liste des coureurs. La seule chose qui compte, c’est de me préparer convenablement.

Ton coéquipier Geraint Thomas a déclaré qu’il préparait le Tour comme s’il allait en être le chef de file. L’année passée, c’est toi qui y as été le plus impressionnant. Ne serait-ce pas logique que tu sois co-leader ?

KWIATKOWSKI : Ce ne sont que des spéculations. Pour le moment, je me concentre sur Liège et la première partie de la saison.

Et si l’équipe te pousse dans ce rôle ?

KWIATKOWSKI : D’abord, ça ne marche pas comme ça. Tout se déroule en concertation avec le coureur. Et ça n’arrivera pas. On établit le programme et on fixe les objectifs de la saison en hiver. On ne peut pas changer son fusil d’épaule comme ça. Ensuite, avant de vouloir être leader dans un grand tour, il faut faire ses preuves, par exemple en gagnant Paris-Nice, Tirreno ou le Dauphiné, des petits tours importants comme je les appelle. C’est l’étape suivante.

Tu es prêt à laisser tomber les classiques ?

KWIATKOWSKI : On verra bien. Jusqu’à présent, ça n’a pas été nécessaire. De fait, ma préparation aux classiques ne me permet pas de penser à la victoire à Tirreno-Adriatico ou au Pays basque. En théorie, je n’ai de chance de viser un classement au printemps qu’à Valence et en Algarve mais je ne veux pas être en forme aussi tôt dans la saison (le lendemain, Kwiatkowski a remporté la première de ses deux victoires d’étape en Algarve, s’adjugeant le classement final, ndlr.) Mais j’espère pouvoir tourner la page après Liège, avec un stage en altitude, le Dauphiné et le Tour. Ça s’est bien déroulé l’année dernière. J’y ajouterai la Vuelta, ce qui me fera deux grands tours en une saison, pour la première fois.

 » Je pense au long terme  »

Ça fait beaucoup de jours de course ?

KWIATKOWSKI : Oui, et c’est un saut dans l’inconnu. La première étape, c’est de faire mes preuves, maintenant. De montrer que je peux rivaliser avec les meilleurs spécialistes de la montagne et du contre-la-montre. C’est pour ça que je travaille ces aspects. Si je sens que je peux gagner une épreuve comme Paris-Nice ou Tirreno, je n’hésiterai pas. Mais je pense au long terme.

Combien de temps t’accordes-tu ?

KWIATKOWSKI : L’année passée, j’ai prolongé mon contrat chez Sky jusqu’en 2020, justement pour pouvoir penser au long terme. Les saisons sont très longues mais d’un autre côté, les années filent. Je ne veux donc pas changer d’équipe tous les deux ou trois ans pour devoir chaque fois repartir de zéro. J’ai passé quatre belles années chez Quick-Step et je vais probablement rester cinq ans chez Sky. Je ne suis pas obligé de m’occuper de chiffres ni de contrats. Je peux me concentrer sur mes entraînements, mes objectifs, en étant entouré par les meilleurs grimpeurs et spécialistes du chrono du monde.

Michal Kwiatkowski avait battu Peter Sagan et Julian Alaphilippe l'année passée à Sanremo.
Michal Kwiatkowski avait battu Peter Sagan et Julian Alaphilippe l’année passée à Sanremo.© BELGAIMAGE

La bête noire de Peter Sagan

Michal Kwiatkowski a battu Peter Sagan dans le dernier Milan-Sanremo, de même qu’aux Strade Bianche 2014 et à l’E3 Harelbeke en 2016. Le Polonais est un peu devenu la bête noire du Slovaque, même s’il ne voit pas les choses ainsi.

 » Courir contre Peter est toujours un plaisir. Son statut confère plus de signification à mes victoires. Gagner contre Peter donne du panache au succès. J’étais très heureux de pouvoir le suivre au Poggio l’année passée. En fait, c’est formidable de faire partie de la même génération. Nous roulons l’un contre l’autre depuis longtemps. Je crois que la première fois, c’était à la Coupe des Nations à Grudziadz, à 40 kilomètres de mon domicile à Torun. J’ai gagné devant Peter. C’était en 2007. Il s’adonnait plutôt au VTT, à l’époque, et je le concurrençais plus facilement sur route.

L’année passée, quand on s’est dirigé ensemble vers la Via Roma, j’ai pris un avantage moral. Je savais qu’il rêvait de la victoire et qu’il était sous pression. Après tout, il était le champion du monde en titre, il n’avait pas encore gagné Sanremo et l’équipe Bora n’avait personne pour l’aider en cas de sprint massif. Julian Alaphilippe avait des hommes rapides chez Quick-Step, j’avais Elia Viviani.

Peter fonçait à plus de 50 km/h vers l’arrivée pour contenir le peloton alors que j’étais détendu. Je ne devais m’occuper que de lui, sans jeter un regard au peloton. J’ai pu me concentrer sur mon sprint et préparer une manoeuvre. Je sais que Peter a un démarrage très vif et que mes chances fondaient au fil des mètres. J’ai donc creusé un petit écart pour l’obliger à placer son sprint plus tôt qu’il ne le pensait. Il a cru que nous ne le rattraperions pas. En plus, après 300 kilomètres, les coureurs sont plus égaux en sprint. Un centimètre a finalement fait la différence. « 

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