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 » Je ne saute pas du bateau en plein milieu du trajet « 

Enlisé dans une année 2018 difficile, Charleroi sort progressivement d’une série marécageuse. L’occasion de revenir avec Felice Mazzù sur ces longs mois en apnée.

Les années passent, et Felice Mazzù reste. Dans la dernière ligne droite d’une année qui l’a vu passer du titre d’Entraîneur de l’Année aux critiques autour des résultats des Zèbres, en passant par un flirt gantois et un mercato mouvementé, le coach carolo dégaine ses plus belles formules pour raconter onze mois de montagnes russes.

Depuis le 1er septembre, Charleroi est quatrième du championnat. Finalement, est-ce que les gens ont été trop critiques par rapport au bilan actuel ?

FELICE MAZZÙ : Je n’ai pas envie de dire qu’on a été trop critique, même si je pourrais le penser. Je crois qu’on doit quand même prendre en considération cette fameuse période de transferts. On sait qu’à Charleroi, il y a toujours des mouvements. Nous, de l’intérieur, on connaît les mouvements qu’il pourrait y avoir, les joueurs le savent aussi, et ce n’est pas toujours évident au niveau de leur mental, de la gestion.

Mais même dans ces conditions-là, on aurait pu faire mieux. Il y a un match, voire deux, qu’on ne digère pas du tout depuis le début de la saison. Le premier, c’est celui contre Anderlecht ici, où on a dominé pendant nonante minutes et finalement on est battu 1-2. Et puis, celui de Genk, qu’on domine pendant 70 minutes, avec l’occasion de faire 1-2 à deux reprises, et au final on est battu 3-1. Peut-être que cette saison, ces petits détails ont joué en notre défaveur.

Les matches de Charleroi se jouent souvent à un but d’écart, et donc à un détail. Et cette année, on a eu l’impression qu’il tombait toujours en votre défaveur, au contraire de l’an dernier.

MAZZÙ : Ce ne sont pas des excuses, juste des faits. L’année dernière, à Genk, c’est le genou de Berge qui met le ballon dans son propre but, on gagne 0-1 et on fait un 15 sur 15. Mais on doit pouvoir retourner des situations, et ne pas seulement compter sur la chance pour faire mieux.

 » J’ai toujours travaillé dans la cohérence  »

Voir Mazzù reconstruire un groupe performant en quelques semaines était devenu une habitude, au fil des saisons. Cette fois, ça a été plus difficile que les années précédentes ?

MAZZÙ : C’était certainement le moment le plus difficile, oui. Avec mon arrivée parce que c’était un nouveau monde pour moi, mais à l’époque j’ai eu la chance de pouvoir compter sur des joueurs extraordinaires, qui m’ont énormément aidé comme Danijel Milicevic, Damien Marcq, David Pollet, Guillaume François. On avait donc réussi à construire plusieurs choses ensemble.

Cette saison, c’est l’association de plusieurs éléments. Un début d’année 2018 qui n’a pas été simple, d’abord. Un mercato de janvier pas évident, où on a créé du surnombre à certains postes et les résultats n’ont pas répondu à nos attentes. Toute une association de négatif s’est installée, et c’est encore avec ce sentiment qu’on a démarré la nouvelle saison. Cet été, on savait qu’il y aurait du mouvement, mais il a eu lieu très tard.

Contre le Standard, après la trêve internationale de septembre, certains t’incitaient déjà à mettre Osimhen et Angella sur le terrain, plutôt que Perbet et Martos. Mais tu as maintenu tes idées.

MAZZÙ : J’ai toujours travaillé dans la cohérence, en essayant de ne jeter personne. Ce que les gens pensent du potentiel d’un joueur, c’est une chose. Ce que moi, en tant que coach, je pense au niveau de la construction d’une équipe, de sa longévité, c’est autre chose.

Certains pensaient qu’Osimhen devait commencer plus vite, mais il faut savoir qu’il est arrivé avec un déséquilibre aux ischios de 33%, ce qui est énorme. Parce qu’en Allemagne, on ne s’était pas occupé de lui. Si on l’avait fait jouer directement au moment où il est arrivé, aujourd’hui il serait peut-être blessé avec des déchirures. On a d’abord pensé à le rééquilibrer et à le remettre en forme.

 » On ne fait pas n’importe quoi avec un joueur comme Martos  »

Angella était en forme, par contre.

MAZZÙ : Il faut aussi savoir que Javi Martos en est, si je ne me trompe pas, à sa huitième saison au club. C’est le capitaine emblématique de Charleroi. C’est un joueur grâce auquel ceux qui ont joué à côté de lui ont trouvé des contrats.

Je parle de Sébastien Dewaest, qui est arrivé de D2 et a quitté Charleroi avec un grand contrat dans un grand club. Ou de Dorian Dessoleil, qui est arrivé des jeunes du club pour devenir aujourd’hui l’un des meilleurs défenseurs centraux de Belgique. Tout ça avec Javi Martos à côté d’eux. Angella arrive de l’Udinese, c’est un super joueur, mais on ne jette pas un capitaine n’importe comment. Je l’ai expliqué à Gabriele, et il m’a dit : Coach, vous avez raison.

Je pense qu’il faut faire les choses naturellement. Imagine que le jour où Gabriele Angella arrive, je le mets dans l’équipe et je retire Martos. Angella se pète le genou quinze jours plus tard. Qu’est-ce que je dis à Martos ? Cette question, j’ai envie que tu la poses aux gens qui voulaient écarter Javi directement. Qu’est-ce que je lui dis ?

Les gens ont manqué de respect à Martos ?

MAZZÙ : Oui, énormément. Martos a été, jusqu’à aujourd’hui, un des joueurs qui a tiré le groupe vers l’avant. Il a apporté des notions tactiques, de l’intelligence, du coaching à la défense. C’est un des meilleurs joueurs que j’ai dans l’aspect tactique, technique, psychologique, mental, coaching et organisation. On ne fait pas n’importe quoi avec un joueur pareil.

Si j’avais écouté l’opinion publique, ou tous ceux qui sont dans les tribunes et qui disent : Oh Mazzù il ne fait pas jouer le gars de Serie A, quinze jours après je me retrouve sans Angella (il s’est blessé, ndlr), et mentalement sans Martos. Aujourd’hui, on a tout fait naturellement.

 » Quand tu reçois un prix, tu es jalousé  »

Quand un joueur mérite d’être sur le terrain, le football finit toujours par le lui offrir ?

MAZZÙ : Si tu respectes le foot, le foot te le rend. Si je n’avais pas respecté le football quand Angella est arrivé, quinze jours après je suis dans la merde, parce qu’il se blesse pour trois mois. Quand tu ne respectes pas le foot, tu le paies. Quel que soit le joueur qui arrive à Charleroi, quel que soit son CV ou son nom, je travaillerai toujours de la même manière. Certains ont des méthodes différentes, mais je ne suis pas de ce style-là.

Si on remonte jusqu’en janvier, tu te dis parfois qu’il aurait mieux valu ne pas être élu Entraîneur de l’Année ?

MAZZÙ : Oui, certainement. Il y a deux choses que je me suis dit. D’abord, que mon augmentation salariale a été vue par toute la Belgique, et ça m’a certainement un peu affaibli par rapport à l’extérieur. Et puis, quand tu reçois un prix, tu es jalousé, donc on devient plus négatif envers toi.

Les gens qui t’entourent ont changé ?

MAZZÙ : En fait, il y a trois modèles de gens autour de toi. Ceux qui t’aiment bien et ceux qui ne t’aiment pas, d’abord. Ça, ce sont les deux caractéristiques que tu dois respecter à 100%. Si ceux qui ne t’aiment pas te le montrent, ce sont des gens vrais, donc tu dois les respecter. Et puis, la troisième catégorie, ce sont les gens qui font semblant.

Je pense que quand tu gagnes un prix, le pourcentage de gens qui font semblant devient énorme. J’ai peut-être, depuis lors, beaucoup de gens autour de moi qui font semblant. L’énergie qu’ils déploient est négative, et certainement que ça joue un rôle.

Maintenant, ça ne veut pas dire que je ne me battrai plus pour être l’entraîneur de l’année. Bien au contraire. J’aimerais, par contre, que ce prix soit décerné autrement. Quand tu pratiques un sport collectif, pour moi ça ne doit pas être un prix individuel. Peut-être que ça arrangerait beaucoup de choses.

 » Soit tu amènes du renouveau au début, soit tu n’en amènes pas  »

Ce prix a changé tes relations avec ton staff ?

MAZZÙ : C’est à eux qu’il faut le demander. Moi, j’ai toujours gardé la même relation, le même respect et la même fidélité envers mon staff. J’ai toujours voulu montrer à tout le monde que ces prix devaient revenir à tout mon staff, qu’ils soient tous mis en lumière.

Si le prix avait été remis pas seulement à Mazzù, mais aussi à Notaro, Simonin et Iannacone, ça aurait évité certains problèmes ?

MAZZÙ : Il n’y a pas eu de problème. Mais j’aurais simplement voulu que ce prix soit comme ça. Je peux comprendre qu’à un moment, les membres de mon staff aient été un peu plus renfermés. Imagine que tu sors un article avec quatre collègues, vous faites tous le même boulot, vous sortez le meilleur article de l’année et il n’y a que ton nom qui est récompensé. Ce n’est pas correct.

Mais quand Charleroi perd, personne ne pointe du doigt Notaro ou Simonin. On critique Mazzù…

MAZZÙ : Je sais. Mais le rôle du chef de la bande, c’est de pouvoir prendre sur lui quand tout va mal, et de mettre en lumière tout le monde quand tout va bien. C’est comme ça qu’un groupe avance, et j’avais tout fait à l’époque pour que ça se passe de cette manière.

Pour en rester au mois de janvier, rappelle-toi l’année après le titre de Gand : ils roulent sur tout le monde, au mercato ils font venir Boussoufa, ce qui les rend en théorie plus forts et pourtant, ils perdent pied. Comme si on cassait un genre d’équilibre magique. Charleroi a vécu quelque chose du genre en modifiant des choses en janvier ?

MAZZÙ : C’est un point à bien étudier pour l’avenir. Quand tu veux améliorer quelque chose, le mieux est de le faire quand tu le commences, et pas quand c’est en cours. Surtout quand ça fonctionne. Amener quelque chose de supplémentaire dans une situation qui fonctionne à merveille, ça crée du doute. Toutes les personnes qui sont là depuis le début du projet voient ça en se disant : Est-ce qu’on a fait quelque chose qui ne fonctionne pas ? C’est naturel. Ma conclusion là-dessus, c’est donc que quand tu es dans une situation qui fonctionne bien, soit tu amènes du renouveau au début, soit tu n’en amènes pas.

Le premier objectif de Mehdi, c’est de penser à la bonne santé du club. Et le mien, c’est de penser à la bonne santé de l’équipe.  » Felice Mazzù

 » Je n’ai peut-être pas été assez patient avec Lukebakio  »

Dans l’idéal tu gardes donc Tainmont et Lukebakio en janvier ?

MAZZÙ : Clément voulait absolument partir, et je ne m’y suis pas opposé. Avec le recul, tu te dis qu’il nous aurait encore apporté beaucoup, mais dans une telle situation, tu pousses le joueur à partir parce que ça ne sert à rien de le garder à contrecoeur.

Concernant Dodi, par contre, c’est plus difficile. Quand je vois ce qu’il est en train de réussir aujourd’hui… (Il réfléchit) Je n’ai peut-être pas été assez patient avec lui. J’aurais peut-être dû insister pour qu’il ne parte pas. Lui voulait découvrir autre chose, le club avait un intérêt par rapport à la vente, donc peut-être que ça se serait fait quand même, mais je ne m’y suis pas opposé. Je me disais qu’il était hyper réceptif, hyper talentueux, mais qu’il faudrait du temps pour réussir avec lui. Quand je dis du temps, c’était peut-être encore deux ou trois pas supplémentaires, et lui était hyper pressé.

Romain Grange est arrivé, en janvier justement, pour compenser les départs sur les flancs. Ses qualités sautent aux yeux, mais tu n’as jamais su vraiment l’intégrer. C’est frustrant ?

MAZZÙ : Toutes les semaines, quand je fais ma sélection, je suis frustré de ne pas pouvoir l’intégrer. C’est certainement le joueur, depuis que je suis à Charleroi, qui a le plus beau pied. Mais je pense qu’il a besoin d’évoluer dans un dispositif hyper précis, comme c’était le cas en France, où il peut être en homme libre, avec des joueurs autour de lui qui travaillent énormément défensivement. C’est un joueur intelligent, avec une superbe mentalité, et c’est vrai que ça me frustre.

Le championnat de Belgique oblige à un impact et à un volume physique qui rendent l’intégration de ce type de joueur plus compliquée ? C’était un peu pareil avec Ninis…

MAZZÙ : Ce sont des joueurs qui ont une intelligence de jeu et un coup de patte au-dessus de la moyenne mais au niveau de l’impact physique et du volume, il faut beaucoup de joueurs qui courent autour, et qui remplissent des tâches de travailleur. Pour l’instant, à Charleroi, je ne peux pas me permettre de faire ça.

 » J’ai un énorme respect pour Mehdi  »

Tu t’es parfois senti résigné, cette année ?

MAZZÙ : Non, jamais. J’aime ce que je fais. Par contre, je me suis senti malheureux, fatigué. Tu réfléchis, et tu constates que tu travailles de la même manière, que Mehdi aussi, qu’on collabore de la même façon, et tu te demandes pourquoi ça va un peu moins bien. C’est sûr que dans ces moments, tu as des accès de faiblesse, mais pas de résignation. Au contraire. Ce qui ne fonctionne pas doit te permettre de trouver des nouvelles solutions. C’est là que tu es dans la recherche, que tu es le plus actif pour trouver de nouvelles idées.

Si tu respectes le foot, le foot te le rend.  » Felice Mazzù

Cette complémentarité avec Mehdi Bayat, elle fonctionne comment ?

MAZZÙ : Le principal, entre deux personnes, c’est d’avoir du respect et de la confiance. Si on accepte les idées de l’autre, alors on peut avancer. C’est le cas entre Mehdi et moi. J’ai un énorme respect pour lui, parce que ça a été la première personne importante du monde du football à venir me chercher pour un club de D1. Ça ne veut pas dire qu’on est toujours d’accord, mais c’est une forme de respect que j’ai par rapport à lui, et je pense qu’il en a aussi pour moi.

Vous êtes parfois en désaccord sur des joueurs. L’été dernier, tu voulais Steve De Ridder, mais son âge et son profil ne permettaient pas d’envisager un gain d’argent par un transfert futur, par exemple.

MAZZÙ : C’est logique. Le premier objectif de Mehdi, c’est de penser à la bonne santé du club. Et le mien, c’est de penser à la bonne santé de l’équipe. À la fin, c’est le plus haut placé qui prend la décision. Et le plus haut placé, c’est Mehdi. À partir de là, je dois respecter ses décisions, parce que c’est le boss de la société. Il sait ce dont il a besoin pour que la société soit en bonne santé. Moi, j’accepte. Même si c’est vrai que ce joueur, encore lors de notre dernier match contre Lokeren, il m’a plu énormément.

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 » Je ne me vois pas encore 21 ans dans le foot  »

Quand Gand s’est renseigné, il y a quelques semaines, tu as dit que tu ne quitterais pas le club avant la fin du projet. Il se termine quand, ce projet ?

MAZZÙ : Le projet de club, c’est 3-6-9. Mehdi a dit récemment qu’il allait le revoir, d’ailleurs. Moi, quand je parle de projet, je parle de projet de saison. Je commence une saison et si on veut toujours de moi, je ne suis pas dans l’optique de laisser tomber, de sauter du bateau en plein milieu du trajet pour monter dans celui d’à côté qui est plus gros. J’estime que c’est un peu trahir les gens qui ont confiance en toi. Quand ton bateau arrive à quai, que le trajet est fini, et que le gros bateau d’à côté te demande si tu veux monter à bord, alors je discute.

Quand tu gagnes un prix, le pourcentage de gens qui font semblant devient énorme.  » Felice Mazzù

Mehdi dit souvent qu’il veut faire de toi le Ferguson de Charleroi. Fergieest resté 27 ans à Old Trafford. Tu te vois encore 21 ans ici ?

MAZZÙ : Je ne me vois pas encore 21 ans dans le football, ça c’est une certitude. Pour le reste, on verra.

Felice Mazzù :
Felice Mazzù :  » Je me suis parfois senti malheureux. Mais résigné, non, ça jamais ! « © BELGAIMAGE/ VIRGINIE LEFOUR

 » J’aimerais lancer des jeunes plus souvent  »

Avoir lancé Ken Nkuba, un jeune de 16 ans formé par le club, c’est une fierté après des années difficiles pour le centre de formation ?

FELICE MAZZÙ : Je n’ai pas envie de prendre cette fierté sur moi. Ça doit être une fierté pour l’école des jeunes. Quand tu réussis à prendre un jeune qui n’est pas dans ton noyau au départ, et que tu décides de l’y amener, c’est la réussite de la cellule des jeunes, de Samba Diawara, d’Alain Decuyper, de ceux qui l’ont formé. Ce n’est pas ma réussite, donc c’est eux qui doivent être fiers.

J’aimerais le faire beaucoup plus souvent. Mais pour ça, il faut laisser de la place à ce genre de jeunes dans le noyau. Quand tu as de la qualité chez un jeune, il faut lui laisser une ouverture dans le noyau, ne pas avoir trois ou quatre joueurs qui peuvent évoluer à son poste. En plus, il faut aussi être bien au niveau du classement, que l’équipe tourne bien. Ça rend les choses beaucoup plus faciles.

À un moment, il y a eu un trop grand décalage entre le style des joueurs formés par Charleroi et les exigences de la D1 ?

MAZZÙ : Bien sûr. Je ne suis pas fou. S’il n’y avait pas eu de décalage, je l’aurais fait dès que possible. Depuis que Samba est là, le lien, la progression, la communication, la continuité se font de meilleure manière. Le suivi est beaucoup plus présent. Je crois que c’est la meilleure manière de travailler, et que ça nous permettra à un moment de sortir un, deux, trois jeunes.

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