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 » Je n’arrête pas de penser « 

Basketteur, il pivotait souvent sur une jambe. Retraité, Tomas Van Den Spiegel (39 ans) s’est mué en mille-pattes. Un entretien, des tweets de Dries Mertens à la révolution digitale du sport en passant par son rôle de dirigeant.

« Tu as un instant ? Je vais twitter quelque chose.  » Tomas Van Den Spiegel parle d’une breaking news en NBA, qu’il a découverte juste avant l’interview. Le milliardaire russe Mikhail Prokhorov a vendu 49 % de ses parts dans Brooklyn Nets à Joseph Tsai, le co-fondateur d’Alibaba, une société chinoise de vente en ligne. Valeur approximative du club : deux milliards d’euros. @tomasvds poste donc :  » Buying and selling NBA teams. Good business.  »

Ce n’est pas un hasard si la nouvelle démange les doigts de l’ancien basketteur.  » Prokhorov était mon patron au CSKA Moscou, avec lequel j’ai gagné l’Euroleague 2006 et 2008. La nouvelle montre une fois encore à quel point les multinationales numériques – Apple, Google, Microsoft, Facebook, Amazon, Alibaba… – s’implantent dans le sport. Elles achètent des clubs, des droits TV, elles gèrent la communication des équipes et des sportifs sur les réseaux sociaux…  »

Van den Spiegel s’intéresse à tout ça, en tant que copropriétaire de la société de marketing Sporthouse Groupe, CEO de la Bakala Academy (le centre de recherches en sport de Louvain, sponsorisé par le milliardaire tchèque du même nom, copropriétaire de l’équipe cycliste Quick-Step), président de la fédération de basket-ball ULEB, consultant en sponsoring de toutes sortes d’entreprises et analyste de Telenet Play Sports pour les matches de basket.

Le Sporthouse Group est la dernière paire du mille-pattes. Il a rejoint ses fondateurs, Sam Kerkhofs et Jacob Nys, en mai.  » Leurs progrès dans le business digital m’impressionnaient depuis longtemps. Je m’étais créé un vaste réseau grâce à Optima et je cherchais une structure qui me permette de l’exploiter. Nous avons formé une SHG 2.0, carrefour de sociétés, d’équipes, de médias et de sportifs de haut niveau. Je détermine la stratégie, je prends des contacts avec des firmes et des marques. Sam est le cerveau créatif. Plus jeune, il connaît mieux l’univers du sportif contemporain. C’est lui qui entretient les contacts avec les sportifs.  »

On trouve de grands noms parmi la clientèle : Dries Mertens, avec lequel tout a commencé en 2011 puisque sa femme Katrin est la cousine de Sam Kerkhofs. Kevin De Bruyne, Nacer Chadli, Steven Defour, Brecht Dejaegere, Dennis Praet, Vadis Odjidja et Youri Tielemans ont suivi, comme les nouveaux Diables Rouges Zinho Vanheusden, Thibaud Verlinden, Ilias Moutha et Siebe Schrijvers.

La société de Vilvorde se tourne vers le cyclisme : elle gère les services en lignes de Flanders Classics, l’organisateur du Tour des Flandres, et du coureur Jasper Stuyven.  » Un autre grand sportif belge va nous rejoindre. Play Sports est aussi un client : SHG réalise ses vidéos et le contenu de ses réseaux sociaux. Mertens et Cie sont nos vitrines mais ce qui nous distingue des autres sociétés belges, c’est que, grâce à Sam, nous comprenons bien ce qui marche sur les réseaux sociaux, comment on touche les jeunes et comment un sportif ou une société peuvent gagner de l’argent grâce à ces activités en ligne.  »

 » Tes images doivent correspondre à tes valeurs  »

Pendant la conférence Leaders week de Londres, tu as twitté sur l’importance du contenu et de la portée. Les mots-clefs ?

TOMAS VAN DEN SPIEGEL : Absolument. Avoir des millions de likes flatte l’ego mais ne rapporte rien. La portée de tes tweets est plus importante. Il vaut mieux avoir 500.000 likes sur Facebook dont 200.000 lus de suite qu’un million de likes qui ne touchent que 50.000 personnes. Pour cela, il faut que le contenu soit attractif, incite les gens à partager tes messages, à y réagir. C’est le principal défi, sur un support très volatile : attirer l’attention du consommateur en créant son propre ADN.

Quels sont les do’s ?

VAN DEN SPIEGEL : Rester crédible. Tes messages doivent correspondre à tes valeurs. Mertens et De Bruyne ne dévoilent pas leur vie. Ce serait contraire à leur nature et ça aurait l’air fake. Une personnalité extravagante comme Zlatan Ibrahimovic s’en tire très bien avec un mélange d’humour et d’arrogance mais un garçon comme Kevin a un plus gros impact en publiant une séquence où il offre son maillot à un jeune joueur de Wolverhampton ou en twittant qu’on peut gagner le maillot qu’il porte à l’occasion de son centième match pour Manchester City. Idem pour la superbe photo de la peinture publiée par Dries la semaine passée. Ils peuvent aussi tirer profit d’une infographie comme celle qu’a faite Sporthouse Group pour Mertens, l’avant le plus efficace d’Europe. Elle a même fait la une du quotidien Het Laatste Nieuws. L’humour fonctionne bien. Nous essayons de forger une identité à Play Sports avec des tweets ou des séquences comiques tirées de l’actualité sportive. Ça marche même avec Flanders Classic, une marque plus sobre. Quand Peter Sagan est devenu père, nous avons posté un petit maillot arc-en-ciel  » World Champion 2037, 2038, 2039 « . c’est bien mieux que de simples félicitations.

Et les don’ts ?

VAN DEN SPIEGEL : Ce qui est plat et trop commercial. Il faut toucher les gens. Par exemple en montrant un athlète trimer à l’entraînement mais se remettre en consommant une boisson, sans mettre l’accent sur celle-ci. Il ne faut pas non plus agir sans réflexion, surtout sur des thèmes sensibles. Ce n’est pas interdit, il est même bon de montrer des émotions mais de manière réfléchie. Quand Gerard Piqué parle de la Catalogne, on voit que ça lui tient à coeur. Si une opinion est authentique, peu importe que les suiveurs soient d’accord.

C’est pourtant exceptionnel en Europe.

VAN DEN SPIEGEL : Te souviens-tu du tweet de Vincent Kompany,  » La Belgique est à tous  » et des critiques qui ont suivi ? Selon lesquelles les footballeurs n’ont pas à se mêler de politique ? C’est dommage car s’est sous-estimer le rôle social du sport. Les clubs et les sportifs devraient s’en occuper plus, comme Juan Mata, qui a appelé ses collègues à offrir 1 % de leur salaire à des oeuvres, l’été dernier. Certains clubs belges se lancent dans l’exercice mais se cantonnent souvent à un projet local ou à la visite d’un hôpital. Je n’ai rien contre mais ils pourraient ratisser plus large. La NBA travaille au niveau mondial.

 » Les USA ont des années d’avance sur nous  »

Beaucoup de stars de NBA – LeBron James, Stephen Curry, Kobe Bryant… – parlent ouvertement des problèmes raciaux, des violences policières, de la politique de Donald Trump… Elles sont aussi beaucoup plus accessibles que les vedettes européennes.

VAN DEN SPIEGEL : La culture médiatique est très différente aux USA. Il y a notamment une plate-forme en ligne, la Players Tribune, qui permet aux sportifs de raconter leur histoire directement, qu’il s’agisse d’un transfert controversé ou d’un thème social. Kevin Durant, la star du Golden State, a même un caméraman attitré, qui le suit sans arrêt et poste ses films sur YouTube. LeBron James a fait pareil pendant les finales de NBA. Il existe des projets similaires en Angleterre, comme Footballers Lives, qui montre le quotidien des footballeurs, mais ça reste limité. Les sportifs sont dans un carcan. L’attaché de presse tient pratiquement la main de Messi et de Ronaldo pendant leurs conférences de presse, de peur qu’ils ne disent une bêtise, même à propos d’un simple match. Les clubs et sportifs européens sont trop prudents. Ils considèrent la communication comme un mal nécessaire. Les States, à commencer par la NBA, mesurent mieux l’importance de la presse dans la commercialisation et la popularisation de leur produit. Le media n’est pas un ennemi mais un partenaire, un ambassadeur. Les USA ont des années-lumière d’avance. Ici, un ou deux collaborateurs du club gèrent la com’ et rédigent les communiqués alors que les réseaux sociaux sont un business en soi. Pourtant, c’est faisable. L’AS Rome, le Besiktas et le Borussia Mönchengladbach ne sont pas des acteurs de poids du football européen mais ils possèdent un département internet étoffé qui réalise un contenu original, amusant et informatif. De ce point de vue, ils se sont nichés entre les grandes marques que sont le PSG, Barcelone, Manchester United.

Le rôle de plus en plus important de sociétés américaines comme Facebook et Google en sport souligne l’avance des USA. Qu’est-ce qui les attire en sport ?

VAN DEN SPIEGEL : Le comportement des jeunes consommateurs de sport. Ils ne vont pas au café, pas plus qu’ils ne regardent leur écran TV. Ils regardent les matches et les faits saillants sur leur tablette ou leur smartphone tout en communiquant avec leurs amis via les réseaux sociaux, quand et où ils le souhaitent. Cette révolution digitale ne fait que commencer mais les Facebook de ce monde ont déjà réalisé quels bénéfices en tirer. Ils vont bientôt acheter les droits TV du football européen un par un, de la Premier League à notre championnat. D’ailleurs, Facebook possède déjà les droits de la Ligue des Champions pour l’Amérique. On verra bientôt des matches de football en streaming de qualité, ce qui modifiera encore un peu plus le paysage sportif. Cette année, pour la première fois, les rentrées issues des publicités en ligne ont surpassé celles de la télévision. C’est sans doute un gros problème pour les médias classiques car ces matches seront sans doute gratuits sur Facebook. Quant au consommateur, il deviendra encore plus dépendant des stratégies de ces firmes. A court terme, nous n’aurons besoin que d’un appareil : nous suivrons du direct sur la moitié de l’écran, l’autre partie étant réservée à la communication avec des amis. A plus long terme s’y ajoutera l’augmented reality, la réalité ajoutée, soit des éléments d’informations qui enrichiront le direct. Un peu comme Pokémon Go, qui permet d’attraper des monstres virtuels sur son smartphone.

 » Comme dirigeant, j’ai dû mettre mon ego de sportif de côté  »

A en croire le tweet que tu as posté début septembre, tu fais partie de ces consommateurs modernes ?

VAN DEN SPIEGEL : Oui, j’ai suivi l’EURO de basket, celui de volley, deux courses cyclistes et le football sur des canaux différents, un oeil sur mon smartphone, l’autre sur mon ordinateur portable. Faute de temps, je dois souvent me contenter de résumés. Je suis la NBA tous les matins pour mon job d’analyste. C’est même un rituel mais pas un sacrifice car le basket reste mon premier amour.

Tu as été élu président de l’ULEB, l’association des ligues européennes de basket, l’année passée. Ça te plaît ?

VAN DEN SPIEGEL : Je voudrais y consacrer plus de temps mais c’est un poste non rémunéré. Je passe quand même un jour par semaine à l’étranger pour l’ULEB. L’Euroleague et la FIBA, la fédération mondiale, sont en guerre et j’essaie de créer un réseau porteur pour les ligues nationales, afin qu’elles génèrent plus de rentrées et d’intérêt médiatique si, à terme, on en arrive à une compétition fermée ne réunissant que les meilleures formations européennes, ce qui provoquerait la noyade des autres. Il faut choisir ses combats. C’est très différent de mes autres fonctions. Ce que je décide pour la Bakala Academy peut être réglé le soir-même. C’est un hors-bord comparé à un cargo. J’ai rapidement compris que je ne pourrais pas changer les choses d’un claquement de doigts.

Quelle est la principale différence entre l’homme d’affaires que tu es devenu et le sportif ?

VAN DEN SPIEGEL : Un sportif a un énorme ego. J’ai dû le mettre de côté pour déléguer, diriger, débattre… Comme je viens d’un sport collectif, je sens comment retirer le meilleur des gens, les faire collaborer. Je prends des décisions pragmatiques, rationnelles alors qu’en basket, je m’appuyais sur mes émotions. La différence entre la victoire et la défaite était immense. Maintenant, je vois les aspects positifs qui se trouvent entre les deux. Néanmoins, l’euphorie d’une victoire collective, en Euroleague ou en championnat, me manque. C’est un sentiment indescriptible, qu’on ne peut pas comparer à la satisfaction qu’on éprouve après un deal réussi.

On raconte que Kobe Bryant est aussi maniaque en affaires qu’il ne l’était en sport. C’est aussi ton cas ?

VAN DEN SPIEGEL : Je n’ai pas perdu ma motivation, en tout cas. Je travaille davantage, du matin au soir, tard. Je vis smartphone en main. En auto et en avion, j’écoute des podcasts sur le business sportif, pour continuer à apprendre. Je n’arrête jamais de penser mais ce n’est pas grave, c’est même amusant. Je suis déjà content d’avoir échappé au fameux trou noir.

Bryant veut être encore meilleur en affaires qu’en basket. Y parviendras-tu ?

VAN DEN SPIEGEL : Je n’ai pas gagné des centaines de millions, contrairement à Kobé, mais j’étais moins bon en basket. Je ne sais pas si j’y arriverai. Pose-moi la question dans dix ans. Qui sait ? je serai peut-être le nouveau Mark Zuckerberg ? Eh, je plaisante ! (Rires)

par Jonas Creteur – photos Belgaimage Christophe Ketels

 » Quand Gerard Piqué parle de la Catalogne, on voit que ça lui tient à coeur. Si une opinion est authentique, peu importe que les suiveurs soient d’accord.  » – Tomas Van den Spiegel

 » Cette année, pour la première fois, les rentrées issues des publicités en ligne ont surpassé celles de la télévision.  » – Tomas Van den Spiegel

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