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 » J’ÉTAIS LIVREUR DE SUSHIS « 

Depuis plus d’un an, Dylan Bronn connaît une ascension fulgurante. Du foot amateur, à Cannes, au monde pro, où il se retrouve au marquage d’Edinson Cavani avec les Chamois Niortais, en passant par un possible Mondial avec la Tunisie, le défenseur gantois, 22 ans, ne perd pas de temps. Rencontre avec une étoile filante.

Il y a quelques jours encore, Dylan Bronn roulait accompagné de sa grande soeur, en Tunisie. Sur la route, elle freine brusquement. Elle vient d’apercevoir un panneau à la gloire de l’équipe nationale. Aux côtés du sélectionneur, Nabil Maâloul, et du Sochalien Yoann Touzghar, Bronn tape la pose. Il n’était pas au courant. Aujourd’hui, il parle de l’un des meilleurs souvenirs de sa vie, déjà.

Autant dire que le néo-Buffalo est heureux. Pendant presque une heure et demie, il lâche à peu près tous les synonymes du mot  » fierté « . Il sourit, rigole, profite, chevalière à l’effigie de Bouddha au doigt. Parce que  » le bouddhisme, c’est bien. C’est la paix, c’est calme « . Comme lui. Installé back droit depuis l’avènement d’Yves Vanderhaege, celui qui tient pour modèles Thiago Silva et Raphaël Varane se dit avant tout défenseur central, mais aussi très chanceux.

Un an et demi auparavant, il arpente les pelouses des septièmes et huitièmes échelons français, avec l’AS Cannes, son  » club de coeur « . Dans le quartier populaire de Ranguin, il grandit en fan de Thierry Henry, parmi les formés au club des Dragons, au chaud entre les Patrick Vieira et Zinédine Zidane. À dix-neuf ans, après deux rendez-vous manqués à Auxerre et Reims, il aurait même pu tout arrêter…

Quand tu rates tes deux essais, qu’est-ce que tu te dis ?

DYLAN BRONN : C’était difficile. Je faisais le calcul dans ma tête. À Cannes, on avait l’ambition de remonter, petit à petit. Je me disais que pour être au plus haut niveau, il me fallait dix ans. J’aurais eu trente ans avant d’y goûter… Je me suis dit qu’il fallait que j’avance un peu dans le temps. Alors j’ai continué à travailler, avec mon frère. Je commençais aussi à penser à entrer dans la vie active, sérieusement. J’avais toujours l’objectif de devenir professionnel dans un coin de ma tête, mais j’ai toujours gardé les pieds sur terre. Il y a tellement de personnes qui essayent de faire ce métier, c’est compliqué de percer…

Tu as des diplômes, au cas où ?

BRONN : J’ai mon Brevet des collèges et j’ai été jusqu’en terminale STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion) pour passer mon baccalauréat. Ça ne m’a pas servi à grand-chose mais j’ai un diplôme. Après, j’ai travaillé comme livreur de sushis, pendant presque deux ans (il sourit). J’étais sur mon petit scooter, à Cannes. C’était la belle vie. Je travaillais et je vivais toujours chez mes parents. C’étaient des vacances, je le faisais surtout l’été. J’allais sur les hauteurs pour livrer, je bossais le midi et le soir. Entre-temps, j’allais à la plage avec mes potes. Et puis, je mangeais comme je voulais. En retour, mon boss m’a juste demandé de ramener toute mon équipe une fois que je serais devenu pro. Là, maintenant, ça fait un peu loin… (rires) J’avais quand même le foot à côté, où on gagnait un petit peu d’argent.

 » C’est une fierté de venir de tout en bas  »

D’où vient ta passion pour le foot ?

BRONN : Je jouais tout le temps, à l’école, dans la cour de récré. Ça n’a toujours été que le foot, même si j’ai fait un peu de solfège. Ma mère m’a forcé et je ne comprenais rien (rires). Mon idole, c’était Thierry Henry, ça peut paraître bizarre parce que c’est un attaquant. Moi, j’ai toujours été défensif. J’ai joué quelques fois milieu défensif ou arrière droit, mais sinon je suis un pur défenseur central. Il n’y a que quand je suis avec mes amis que je suis attaquant (il sourit).

Tu viens du quartier de Ranguin, dans la commune cannoise de La Bocca. Cela t’a forgé ?

BRONN : Bien sûr. Ranguin, c’est vraiment populaire. On jouait dehors, sur le béton. Je viens plutôt d’un milieu modeste, au départ. Après, j’ai eu la chance que mes parents aient eu un peu plus de moyens et ils ont acheté une maison un peu plus loin, mais toujours à côté du quartier. Ma mère m’a tout de suite pris une licence à l’AS Cannes. Ça restera toujours le club de mon coeur.

Quand est-ce que tu as pris conscience que le foot allait devenir ton métier ?

BRONN : Seulement quand j’ai commencé à enchaîner les matches à Niort et que j’ai signé mon premier contrat pro. C’est ce bout de papier qui me disait que j’étais professionnel, que j’allais en faire ma vie. À la base, je n’avais qu’un contrat amateur, mais ce n’était pas bien grave (il avait alors un salaire mensuel de 800 euros maximum, primes comprises, ndlr). C’était ça ou redescendre travailler dans le Sud, avec ma famille, à Cannes. J’ai une famille vraiment soudée et j’aurais été heureux comme ça.

C’est le fait que tu viennes du monde amateur qui te fait garder les pieds sur terre aujourd’hui ?

BRONN : C’est ça. Quand je rentre sur le terrain, je me rappelle d’où je viens. Je ne changerai jamais, pour rien au monde, que je sois au plus haut ou au plus bas.

Tu n’as jamais eu de complexe d’infériorité en arrivant dans un vestiaire pro ?

BRONN : Non, pas du tout. Au contraire, je rigole de ça avec tout le monde. Mes coéquipiers le savent et on se chambre, c’est marrant. C’est une fierté de venir de tout en bas. J’adore quand on ne m’attend pas et que je réponds présent. Je suis monté très vite et je peux redescendre à la même vitesse. Ça peut même aller plus vite dans le mauvais sens, donc je ne me prends pas la tête. De toute façon, je suis quelqu’un qui s’accroche tout le temps, même quand c’est mort. Même si on prend six ou sept à zéro, je ne lâcherai rien. Il y a tellement de personnes qui rêveraient d’être à ma place… Je n’aurai pas la prétention de dire que je joue pour eux, mais je le fais au moins pour mes amis, qui sont tout en bas de l’échelle et qui ont rêvé d’être à ma place. Ça me donne une de ces forces sur le terrain…

 » Aujourd’hui encore, je ne calcule rien  »

Tout s’accélère lors de l’été 2016 et ton essai aux Chamois Niortais, en Ligue 2…

BRONN : Ça a duré trois ou quatre jours. Ça a été concluant, même si on m’a d’abord demandé d’intégrer l’équipe réserve. Je ne me suis pas posé de questions, je n’avais rien à perdre, sachant qu’il y avait l’équipe première au-dessus. Si ça ne marchait pas, je serais revenu chez mes parents, normal. Dans la foulée, je suis rentré chez moi, pour me préparer à jouer avec la réserve. Et là, je reçois un coup de téléphone de Denis Renaud, l’entraîneur de la première. Il m’a dit de venir le plus vite possible, parce qu’ils avaient des blessés, dont deux à mon poste. Je me suis dit que c’était peut-être la chance de ma vie. Aller m’entraîner avec une Ligue 2, c’était exceptionnel. Je ne m’y attendais pas du tout.

Comment tu as réagi ?

BRONN : J’ai pris ma voiture le lendemain, je suis parti. J’ai roulé de Cannes à Niort. Ce n’est pas à côté, j’avais huit heures et demi route… Mais j’aime bien rouler, donc ce n’était pas un souci, surtout pour la bonne cause. Je me suis entraîné, j’ai fait la préparation avec eux. J’attendais que le coach vienne me voir pour me dire de retourner avec la réserve. J’avais peur à chaque fois qu’il s’approchait de moi (rires). Finalement, il ne me l’a jamais dit…

Tu commences titulaire dans l’axe de la défense niortaise, contre un club historique, le RC Lens. Comment tu l’as vécu ?

BRONN : Quand je regardais leur maillot et que je voyais le fanion, je me disais :  » Ah ouais, quand même…  » Mais encore une fois, je ne me posais pas de question. Je n’ai pas eu le temps de calculer. Même encore aujourd’hui, je ne calcule rien. Je fonce et je prends ce qu’il y à prendre.

A Niort, tu réalises une saison convaincante avec 30 matches, dont 29 titularisations. Vous finissez dixièmes et vous rencontrez même le PSG en huitièmes de Coupe de France ?

Quand j’ai vu le tirage, le match était tellement loin dans le calendrier que je priais pour être dans l’équipe ce jour-là. Et puis, c’est arrivé. J’étais dans le vestiaire, j’étais prêt. Toute ma famille était venue de Cannes. C’était la fête. Le temps était pas top, mais ça nous arrangeait. On a fait un beau match. On perd sur la fin quand ils font rentrer Cavani. Là, c’était autre chose… Il a été impressionnant (défaite 0-2, avec un but de l’Urugayen, ndlr). Mais le plus important, c’était de rendre fiers les supporters et la ville. Ça a fait connaître Niort, c’est bien.

 » Gand, c’est un autre monde  »

Qu’est-ce qui a changé avec ton arrivée à Gand ?

BRONN : Je me suis rendu compte que j’entrais complètement dans un autre monde. Le club, les attentes, les installations, c’est du sérieux. Même en France, je n’avais jamais vu un stade comme ça. Quand je suis arrivé, j’en suis resté bouche bée. Je regardais même les sièges, avec le logo du club, j’y croyais pas… (rires)

Et sur le terrain ?

BRONN : J’ai dû m’adapter au rythme. Ça va à dix mille à l’heure. Contre Charleroi, je ne savais pas ce que j’allais faire, j’étais contre la ligne de touche. Amara Baby est arrivé, il m’a tamponné, il a pris le ballon et c’était fini. Il faut vraiment voir avant de recevoir, c’est la base. Cela m’a permis de le comprendre. Je suis très auto-critique. Si l’équipe gagne, je suis content, mais j’aurai toujours un truc à me reprocher. Je regarde tout le temps mes matches. J’analyse mon jeu. Et je me rends compte que je suis nul, vraiment (il se marre et répète). Des fois, je peux faire des choses simples et je fais de ces trucs…

Gand a quand même mis un million sur toi…

BRONN : C’est énorme. Ça fait presque peur, c’est trop. Avec ma famille, on en rit. Mais pour moi, je reste moi, un être humain. Je ne vaux pas un rond… (rires) C’est pour ça que je délaisse tout ce qui est extra-sportif.

Tu as mis longtemps avant de décider de venir ici ?

BRONN : Franchement, dès que j’ai su que Gand me voulait, je voulais venir. Je ne savais pas du tout que le club me suivait. C’était une magnifique surprise. Quand mes coéquipiers l’ont su, à Niort, ils m’ont dit :  » Tiens, on te donne le papier, le stylo, tu signes…  » (il rit) Ça m’a fait prendre conscience du club que c’était. Ils m’ont dit :  » Il faut que tu y ailles. On fait ton sac s’il le faut !  » Et me voilà.

par Nicolas Taiana – photo Photonews

 » À Niort, je m’attendais à ce que le coach me dise à tout moment de retourner avec la réserve. J’avais peur chaque fois qu’il s’approchait de moi . » Dylan Bronn

 » Quand mes coéquipiers ont appris l’intérêt de Gand, ils m’ont dit : Faut que t’y ailles. On fait même ton sac s’il le faut.  » Dylan Bronn

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