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 » J’ai pris conscience de mes qualités en 2014 « 

Normalité soi-disant incarnée, David Goffin (26) repousse ses limites depuis plusieurs années, comme en témoigne sa récente place de finaliste au Masters. Le Liégeois peut encore embellir son CV ce week-end à Lille, contre la France, en finale de Coupe Davis. Un objectif majeur qui vient clore une année 2017 mémorable.

Le rendez-vous était initialement fixé à Rosmalen pour faire le point sur une première partie de saison tout bonnement éclatante, qui l’avait vu intégrer le top 10 mondial pour la première fois. Son quart de finale à l’Australian Open et sa régularité sur terre battue en avaient même fait un outsider de choix pour Roland-Garros, le tournoi qui l’avait vu éclore cinq ans plus tôt quand son culot monstre n’avait buté que devant Roger Federer.

A 26 ans, 2017 devait donc être la saison de tous les superlatifs, notre interview un premier bilan. Sa blessure à la cheville et son abandon au troisième tour du French allaient tout chambouler. Absent à Wimbledon, sur une jambe à l’US Open, beaucoup auraient attendu 2018 avec impatience, mais David Goffin n’est décidément pas fait du même bois que les autres. Vainqueur à Shenzhen puis à Tokyo, finaliste au Masters, le nouveau n°7 mondial ponctuera 2017 avec la finale de la Coupe Davis ce week-end. Etourdissant !

David, tu joueras ce week-end ta deuxième finale de Coupe Davis en 2 ans. Un miracle, alors que tu étais à deux doigts de déclarer forfait à la veille de la demi contre l’Australie, au mois de septembre. Pour la première fois de ta carrière, tu as alors accepté de jouer sous anti-inflammatoires tout le week-end. On est prêt à aller puiser un peu plus loin dans ses réserves quand on joue la Coupe Davis ?

David Goffin : Indubitablement. J’ai décidé le matin même de monter sur le court. Je ne savais honnêtement pas ce que je ferais en m’endormant le jeudi. J’ai longtemps pensé ne pas pouvoir jouer contre l’Australie. Je me suis posé beaucoup de questions parce que je savais que mon corps avait besoin de repos. Mais le plus dur, en fait, ça a été de faire face aux interrogations de tout le groupe chaque jour et presque chaque minute de la semaine. Sur chaque balle que je frappais, je voyais à chaque fois leur regard inquiet, se demandant si je n’avais pas eu mal…

Donc quand je me décide, le vendredi, et alors que je ressens encore des douleurs, c’est quelque chose de très responsabilisant. Ça m’a un peu énervé, tout ce foin fait au tour de moi mais, au final, c’est aussi ce qui m’a donné envie de me lâcher sur le court. Avec le résultat que l’on sait puisque, si on regarde ma fin de saison, on comprend l’importance de cette victoire sur la suite.

On a beaucoup parlé de l’ambiance pas franchement au beau fixe au sein du groupe France lors des derniers rassemblements. Est-ce que le secret de la symbiose parfois magique qui semble habiter cette équipe belge de Coupe Davis, ce n’est pas une hiérarchisation claire et précise qu’il n’y a pas en France ?

Goffin : Ce qui est certain, c’est que la concurrence n’est pas la même. À l’inverse de la France, on n’a pas 36 possibilités. Quand tout le monde est en forme en France, c’est un véritable casse-tête pour le sélectionneur. Chez nous, on va dire que ça va, Johan (Van Herck, ndlr) est épargné à ce niveau-là (rires). On a trois joueurs de simples dans le top 100 avec Ruben (Bemelmans), Steve et moi-même en plus de Joris De Loore qui joue normalement avec Ruben en double, voilà…

 » Il n’y a rien de plus stressant qu’un match de Coupe Davis  »

Est-ce que tu te rends compte qu’à force de multiplier les exploits, le public belge est tout doucement en train de devenir de plus en plus gourmand avec cette équipe. On l’avait notamment vu après la déception et le brouhaha médiatique consécutifs à ton refus de rejoindre l’équipe pour aller en Allemagne, en février, pour le huitième de finale.Est-ce qu’aujourd’hui, plus qu’avant, la Coupe Davis fait partie de tes priorités ?

Goffin : Je me suis toujours donné à fond pour l’équipe, mais c’est vrai qu’il y a une rencontre où j’ai dit que j’étais fatigué. J’avais mal partout, je revenais tout juste d’un quart en Australie et j’avais besoin de repos. Ce qui est sûr, c’est que j’adore jouer la Coupe Davis. Pas seulement depuis 2 ans, où ça tourne bien, mais depuis toujours. J’adore cette compétition, mais parfois quand c’est trop, c’est trop et il faut pouvoir dire stop. Ça dépendra de beaucoup de choses à l’avenir et notamment de ma carrière personnelle. Mais si je suis bien physiquement, je répondrai toujours présent.

C’est le côté unique de se voir associer à un sport d’équipe le temps d’une semaine qui rend la Coupe Davis si particulière ?

Goffin : Oui, mais c’est aussi ça qui la rend si complexe. C’est vraiment agréable de jouer pour un pays, mais ce n’est pas simple à gérer. Tous les joueurs vous le diront, il n’y a rien de plus stressant qu’un match de Coupe Davis. Il y a une forme de pression qui s’installe de jour en jour, c’est assez déstabilisant. Cela peut complètement tétaniser un joueur, comme ça peut également le transcender. J’ai eu du mal au début mais finalement, petit à petit, j’en viens à assumer mon rôle de n°1, de leader d’équipe. Et c’est jouissif de répondre présent et de gagner quand tout le monde t’attend.

Ce n’est malgré tout pas un hasard si, comme contre Edmund en ouverture de la finale de Coupe Davis 2015, tu as eu les pires difficultés à rentrer dans ton match contre Millman en demi-finale cette année ?

Goffin : Ce sont des matchs particuliers, parce que tu rentres en premier sur un court que tu ne connais pas, avec un public dédié à ta cause et contre un joueur qui n’a rien à perdre. Forcément, cela demande un peu de temps d’adaptation, il faut assumer la pression et généralement, le dimanche, j’arrive encore mieux à absorber l’énergie du public et à l’utiliser positivement. Le tout, c’est d’arriver à jouer son jeu, ne pas vouloir trop en faire. Et il n’y a rien à faire, tout cela, ça vient avec l’expérience. Il faut avoir été tétanisé pour comprendre comment ne plus l’être.

 » Steve est vraiment fort quand il est dos au mur et qu’il doit prouver  »

Aujourd’hui, tu affiches le meilleur ratio de l’histoire pour un joueur belge avec 19 victoires pour seulement 3 défaites en Coupe Davis. On stresse encore quand on n’a, comme toi, plus grand-chose à prouver ?

Goffin : J’essaie avant tout de le prendre comme un plaisir, mais le stress c’est plus fort que toi et il est souvent lié à cette envie de bien faire. Steve m’appelle  » point sur « , eh bien, j’ai envie que ça continue. De ne pas le décevoir, lui et les autres. Mais le stress, c’est normal, ça fait partie du jeu, ce n’est pas un vilain mot. Celui qui dit qu’il ne stresse pas, c’est un menteur. Le tout, encore une fois, c’est d’apprendre à le gérer. On sait que c’est pour ça que Xavier (Malisse) a fini par arrêter. Il n’y arrivait plus, il ne sentait plus son jeu. Chez moi, ça se manifeste par une grosse boule au ventre. J’ai généralement du mal à manger. En Coupe Davis, j’ai d’ailleurs tendance à perdre pas mal de poids.

Steve surprend tout le monde à chacune de ses prestations en Coupe Davis. Toi, il t’étonne encore ?

Goffin : Oui et non. Par la régularité de ses prestations, je suis bien obligé de reconnaître que c’est bluffant, mais sur le fond, je suis évidemment conscient qu’il a le niveau pour battre tous ses joueurs. Le plus dur, c’est de réitérer ça match après match. D’autant que c’est souvent lui qui doit jouer à 2-2 le dimanche. C’est là qu’il est vraiment fort, quand il est dos au mur et qu’il doit prouver.

C’est surtout là que vous êtes radicalement différents : dans cette gestion du stress. Là où Steve réclame des encouragements en permanence, tu préfères le calme, la solitude, que ce soit en match ou à l’entraînement. Ce besoin d’être dans ta bulle, ça vient d’où ?

Goffin : L’expérience encore. J’ai compris au fur et à mesure que c’est comme ça que je gérais le mieux les moments importants. Parfois, je dois même me retenir de célébrer un point parce que je sais que cela pourrait me déstabiliser. J’ai travaillé ça avec un coach mental. Je suis incapable de mettre le feu comme pouvait le faire un Gaël Monfils à sa grande époque. En fait, c’est simple, j’ai juste besoin qu’on me laisse tranquille. On l’a vu contre Nadal à Monte-Carlo, où je m’énerve contre l’arbitre avant de complètement perdre pied. Tout cela, Johan (Van Herck) le sait. Steve a besoin d’encouragements à chaque point, donc le capitaine va consacrer une énergie folle pour lui, là où moi je lui demande de ne rien me dire. Vraiment rien. Entre les points, entre les jeux, il le sait, je n’ai pas envie de parler. Lui peut m’encourager calmement sur la chaise, mais ce qu’il me faut avant tout, c’est de la sérénité. Faire en sorte que je reste dans ma bulle le plus longtemps possible. Comme en apnée, c’est ce qui s’est passé contre Kyrgios, par exemple. Et c’est souvent bon signe. À l’inverse, quand j’en montre trop, que je m’énerve, ça me fait sortir de mon match, je commence à penser à trop de trucs. Et c’est rarement une bonne chose.

 » Je ne serais pas top 7 mondial si j’étais normal à tous les niveaux  »

Toni Nadal a dit de toi que t’étais un mec normal et que c’était assez rare dans le milieu que pour être souligné. Une normalité qu’on retrouve aussi quelque part dans ton physique. Tu es le plus petit joueur du top 10 mondial, le plus léger forcément aussi. Ce décalage physique, il ne t’a jamais complexé ?

Goffin : Toni a raison, je suis un mec normal. Je suis conscient que je ne sauve pas des vies, mais que je fais juste un sport ultra médiatisé. Sportivement, c’est autre chose, je ne serais pas top 7 mondial, si j’étais normal à tous les niveaux. Moi, ce qui me motive, c’est, par exemple, de jouer contre des gars qui servent à 230, parce que je sais qu’eux n’aiment pas me jouer. Je retourne bien, donc ils savent que je vais les forcer à puiser dans leurs réserves. C’est un bon boost mental d’être redouté par des gabarits pareils.

Le fait de se dire que tu es à ta place parmi les 10 meilleurs joueurs de la planète, c’est quelque chose que tu imaginais possible il y a encore quelques années ?

Goffin : Évidemment que non, même si j’ai toujours été conscient que j’étais capable de jouer du très bon tennis à l’entraînement. En fait, je sentais qu’il y avait quelque chose à faire. C’est pour ça que j’essayais souvent de jouer avec des plus forts. Je voyais que c’était possible, que je n’étais pas ridicule, que je tenais tête. Et puis, je recevais beaucoup de compliments sur mon jeu, mais de là à s’approcher des 10 premiers, c’était autre chose.

Beaucoup s’accordent à dire que tu as eu un véritable déclic à l’été 2014 avec cette série de 25 puis 16 victoires consécutives avec à la clé tes 4 succès en Challenger et 2 autres sur le circuit ATP. C’est là que tu prends réellement conscience que c’est jouable ?

Goffin : Il y avait d’abord eu mon huitième à Roland en 2012, qui chamboule un peu tout puisque je me retrouve dans la foulée catapulté dans le top 50, avec une qualification pour les JO dans la poche. Ç’a été très vite à l’époque, trop sans doute. Mon huitième contre Roger (Federer) à Roland, c’est un dimanche après-midi sur un Central plein. J’avais l’impression de jouer un match de Coupe du monde, il y avait un engouement incroyable. J’ai pris énormément de plaisir, mais il a fallu que je digère par la suite. Du jour au lendemain, on me regardait avec des grands yeux sur le circuit. J’étais le petit nouveau qui marchait bien. Je me suis retrouvé qualifié pour le tableau final de tous les grands tournois, certains que je ne connaissais même pas encore. J’avais besoin de prendre mes marques et ça a duré jusqu’à l’été 2014… C’est là que j’ai pris conscience que j’étais vraiment fort.

par martin grimberghs – photos belgaimage

 » Je suis incapable de mettre le feu comme pouvait le faire un Gaël Monfils.  » David Goffin

 » La Coupe Davis ? Si je suis bien physiquement, je répondrai toujours présent.  » David Goffin

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