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 » J’ai choisi de ne pas être un vieux con « 

Ce Pierre Richard 2.0 chopait un  » six et demi chaque semaine, jamais cinq, jamais huit « , il n’a pas osé enlever la chemise face à Enzo Scifo, et il vient de prendre l’ascenseur émotionnel en débarquant au Canonnier. Ce que vous ne saviez pas sur le nouveau coach de Mouscron.

Puissance 4 pour Frank Defays. Ce père tranquille de 4 filles a eu 44 ans vendredi dernier. Un annif coincé entre deux matches de gala. D’abord son tout premier rendez-vous de coach de D1A, quelques jours plus tôt contre Waasland-Beveren. Un gala, ce Mouscron – WB, vraiment ? Oui, dans le sens où ce match a directement permis au nouveau Mouscron d’assurer mathématiquement son maintien. Et puis, le week-end passé, le Mouscron à la sauce Defays s’est déplacé à Anderlecht.

Dans cette période tourmentée, on le retrouve pour une longue discussion dans son biotope. Une cafétéria de piscine avec vue sur les terrains de foot de Jambes. Là où tout a commencé pour lui. Là où il est aujourd’hui président d’honneur. Il est conscient d’aborder un des virages les plus importants de sa carrière, de sa vie.

FRANK DEFAYS : Sans me mettre trop de pression, je me dis quand même qu’une opportunité comme celle que j’ai aujourd’hui, je n’en aurai pas deux. Je dois saisir cette chance, je dois m’installer, même si c’est un métier où on ne peut jamais dire qu’on est vraiment installé. Il faut toujours performer. Parce que tout peut aller très vite. Je sais que si je me loupe, c’est peut-être définitivement terminé pour moi comme coach en D1. Je vois cette chance comme un match de foot, comme une relation entre un entraîneur et ses joueurs. Tu ne peux pas exiger qu’ils gagnent mais tu peux exiger qu’ils fassent tout pour gagner. Bref, je ne dois rien lâcher, je dois tout donner. C’est ma première expérience à ce niveau, il faut que ça marche.

Je sais que si je me loupe, c’est peut-être définitivement terminé pour moi comme coach en D1.  » Frank Defays

Il y a quand même des exemples d’entraîneurs qui se ratent à leurs débuts mais qui reçoivent d’autres chances derrière.

DEFAYS : Moi, je vois qu’il y a de plus en plus d’entraîneurs sur le marché et qu’il y a de moins en moins de clubs pros. Ce qui était vrai il y a quinze ans, ça ne l’est plus nécessairement aujourd’hui. Ça semble fini, le temps où c’étaient toujours les mêmes noms qui revenaient. Quand un club virait son entraîneur, on pouvait prédire qu’il allait embaucher un coach du carrousel. Maintenant, on donne plus facilement une chance à des jeunes qui n’ont pas encore entraîné à ce niveau, c’est une nouvelle tendance, on semble vouloir faire confiance à une nouvelle génération. Ça a sans doute joué pour moi.

 » J’ai essayé d’être agent de joueurs… j’ai été malheureux  »

Le sauvetage pour ton premier match à Mouscron, puis un déplacement à Anderlecht, tu commences fort.

DEFAYS : Quel que soit l’adversaire, ton premier match comme entraîneur en D1A, ça te marque pour la vie. Je t’avoue que j’avais un peu d’appréhension. Je sortais de quelques journées assez compliquées, très chargées sur le plan des émotions. Ce nouveau job, je n’ai pas eu le temps de m’y préparer, tout est allé très vite. Le mardi matin, j’ai été contacté par les dirigeants de Mouscron, j’ai sauté dans ma voiture et je suis allé les voir. À ce moment-là, je ne savais pas s’ils pensaient à moi pour tout de suite ou pour la saison prochaine. Le soir, je recevais une proposition de contrat par mail. Le lendemain, je devais annoncer aux gens de Virton que je partais. Et le jeudi, je me retrouvais en face de mon nouveau groupe. Je ne suis pas du style à changer d’employeur pour un oui, pour un non, ça a dû jouer dans mes émotions, dans ce que j’ai ressenti. Comme joueur, j’ai passé dix ans à Charleroi. Comme coach, je viens de passer six ans et demi à Virton. Je ne suis donc pas trop habitué aux changements ! Là, je peux te dire que j’ai pris un ascenseur émotionnel et qu’il allait très vite… Donc, j’étais un peu nerveux à l’approche du match. Mais ça s’est dissipé dès la théorie, comme par miracle. Je me sentais très bien, très à l’aise face à mes joueurs.

Il y a près de huit ans que tu as arrêté de jouer, tu avais un peu disparu de l’actualité en travaillant à Virton, tu n’as pas eu peur d’être complètement et définitivement oublié ? Peur de ne jamais recevoir une chance en D1A ?

DEFAYS : Je ne voyais pas les choses comme ça. J’ai eu des opportunités professionnelles assez diverses après ma carrière de joueur, il y en a qui m’ont plu, il y en a d’autres qui m’ont beaucoup moins plu. Mais j’ai appris, beaucoup, partout. J’ai commencé ma reconversion dans un autre boulot. Je ne savais pas ce que j’allais pouvoir faire, alors quand on m’a proposé de me lancer dans le métier d’agent, j’ai dit oui. Un agent m’a conseillé de créer ma propre société. Je l’ai fait. Sans avoir le background. Et après ça, on ne m’a pas du tout aidé. Pour faire court, j’avais ma société mais je n’ai jamais bossé comme agent, je n’avais pas de joueurs. J’étais seul, abandonné. Et j’ai vite compris que c’était un métier qui n’était pas du tout fait pour moi.

Quand j’ai fait les formalités pour créer ma société, je pensais que l’agent de joueurs était là pour s’occuper de ses joueurs. J’ai rapidement capté que c’était autre chose, que c’était un job très particulier. Un job dans lequel tu es là pour faire des deals, un maximum de deals. Tu dois tout faire pour être dans n’importe quel deal. Pas pour moi ! Si tu t’occupes correctement de tes joueurs, tu ne gagnes pas ta vie, tu ne fais pas de business. Dès les premiers jours, je ne me sentais pas bien. Tu es fait pour, ou pas. Moi pas. J’ai été malheureux, je l’avoue. Mais je n’en veux à personne, ou alors je ne m’en veux qu’à moi-même. On ne m’a rien imposé. Avec le recul, je ne suis même pas amer. Je vois cette période comme une expérience de vie. Je n’ai pas vraiment bossé mais j’ai appris des choses. Des choses qui m’ont bien servi derrière.

 » Un truc que je ne voulais pas faire : entraîner  »

Devenir entraîneur, tôt ou tard, c’était une évidence ?

DEFAYS(très ferme) : Absolument pas. Au moment où je sentais arriver ma fin de carrière, je ne voyais pas trop clair mais je savais qu’il y avait un truc que je ne voulais pas faire : entraîner. J’ai terminé par une saison dans le championnat du Luxembourg, où j’ai peu joué pour des raisons X et Y que je n’ai pas trop envie de détailler, mais avant ça, j’ai connu une période un peu difficile à Charleroi. Le vestiaire n’était pas simple. J’avais des soucis avec la nouvelle génération. Pour résumer, j’étais capitaine d’un vestiaire compliqué. Et ça m’a fait beaucoup réfléchir sur mon avenir dans le monde du foot. Ce n’était même pas un instantané, ça a duré plusieurs saisons, mes dernières années là-bas. Je mettais énormément d’énergie pour essayer de canaliser tout ça et il m’arrivait régulièrement de me dire que je ne me reconvertirais sûrement pas comme entraîneur. Je me disais : Une fois que j’arrête de jouer, c’est bon, je passe vraiment à autre chose.

Frank Defays :
Frank Defays :  » J’aurais pu être adjoint de Mazzù à Charleroi. « © BELGAIMAGE – VIRGINIE LEFOUR

Tu peux citer des exemples concrets de trucs qui ne te plaisaient pas ?

DEFAYS : Sur le respect, sur les valeurs, j’avais un problème. Quand tu fais un aussi beau métier que celui de footballeur professionnel, tu dois au moins avoir le respect de ton employeur, de tes coéquipiers, de ton boulot tout simplement. Je me souviens par exemple être arrivé au stade un dimanche matin, on avait joué la veille à domicile. Le vestiaire était dans un état pas possible, il traînait des trucs partout. J’ai assumé mon statut de joueur le plus ancien et de capitaine, j’ai pris le balai et j’ai commencé à mettre de l’ordre. Le vestiaire, c’est quand même notre espace de travail, non ? J’aurais voulu qu’un jeune me dise : Donne-moi le balai, je vais le faire. Mais non ! Au lieu de le faire à ma place, il y a des joueurs qui se contentaient de lever les pieds pour que je brosse en dessous de leur siège. J’ai consacré énormément d’énergie à la gestion de ce vestiaire parce que j’estimais que c’était mon rôle mais à la fin, c’est clair que j’étais un peu fatigué. Je me faisais du mal. Mais à tort, parce que c’était la réalité de l’époque et je devais l’accepter.

La fin à Charleroi a été difficile parce que le vestiaire était compliqué. J’avais du mal avec la nouvelle génération.  » Frank Defays

Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis sur ton avenir ?

DEFAYS : J’ai eu subitement un déclic, le jour où quelqu’un m’a dit : C’est ça, la génération d’aujourd’hui. Alors, soit tu prends le train avec, soit tu restes un vieux con. Ça m’a interpellé, j’ai réfléchi à sa phrase. On parlait déjà de la génération casquette et écouteurs, et je me suis rendu compte que mes enfants aussi faisaient partie de cette génération. Je me suis dit : Soit j’évolue et j’accepte certaines choses, soit je reste un vieux con. Et je n’avais pas envie de rester un vieux con !

Le deuxième déclic a été la proposition pour entraîner Virton. Sur le coup, je me suis demandé si j’allais pouvoir m’y retrouver. Mais j’ai foncé, j’étais quelque part curieux de découvrir le métier. Et là, directement, je me suis mis en tête de ne pas faire à mes joueurs ce que je n’aimais pas qu’on me fasse quand je jouais. Par exemple, j’avais connu des entraîneurs qui étaient fâchés après une défaite. Mais être fâché sur ses joueurs, ça revient à s’exclure de la défaite. Style : Vous n’avez pas respecté mes consignes, vous avez perdu le match. Les mêmes entraîneurs disaient après une victoire : Vous avez respecté mes consignes, on a gagné le match, c’est moi qui ai gagné le match. Des entraîneurs qui boudaient un lendemain de mauvais résultat, j’en ai connu aussi. C’était marqué sur leur visage. En réagissant comme ça, ils s’excluaient des problèmes.

 » Virton, une extraordinaire aventure sportive et humaine  »

Un entraîneur qui se pointe avec un large sourire le lendemain d’une défaite, ce n’est pas une solution non plus…

DEFAYS : Je ne dis pas qu’il faut sourire mais le premier responsable d’une défaite, c’est l’entraîneur. Il doit la partager avec son équipe, analyser les choses qui n’ont pas marché pour les corriger.

Virton, c’était une bonne école ?

DEFAYS : J’ai connu beaucoup de situations assez différentes là-bas, en tout cas. Juste avant d’y aller, on m’avait proposé Couvin-Mariembourg, en P1. J’en avais parlé à Marc Grosjean, que j’avais eu comme entraîneur à Namur, je voulais avoir son avis. Il m’avait dit : N’y va pas. Je te connais, tu auras des exigences si tu fais ce métier mais en P1, tu ne peux pas en avoir et tu seras malheureux. Deux semaines plus tard, quand Virton s’est présenté, j’ai foncé. Ils venaient de licencier Michel Renquin, qui avait raté la montée en D2 alors que son équipe devait avoir une dizaine de points d’avance sur le deuxième à la trêve. Finalement, c’était le White Star de Felice Mazzù qui était monté. Moi, le novice, le gars sans diplôme, on me demandait de remplacer un Renquin qui avait un sacré passé de joueur et d’entraîneur, une légende !

Ma première rencontre avec le président, Philippe Emond, restera un grand moment de mon parcours sportif, de ma vie carrément. C’est quelque chose qu’on ne peut pas expliquer mais il y a eu un vrai feeling. Il prenait un risque. Et ça a été le début d’une extraordinaire aventure sportive et humaine. On est montés en D2. Puis on est finalement retombés avec la réforme et la création de la D1B. Au moment du titre en D3, j’aurais pu me retrouver… à Charleroi. On m’a sondé pour devenir adjoint de Mazzù. Dans mon esprit, ce n’était pas une bonne chose pour lui, vu que j’étais un ancien de la maison et aussi parce que j’étais déjà entraîneur principal. Comme on ne se connaissait pas, ça aurait pu provoquer des malentendus. Ça aurait pu être ambigu, ça a joué dans ma réflexion. Les gens qui me connaissent, ils savent que je suis loyal, fidèle. Mais Mazzù, il ne pouvait pas savoir comment j’étais. Donc, je n’ai pas donné suite.

Et puis, Virton était sur une bonne dynamique.

DEFAYS : Oui, ça a joué aussi. Il y avait quelque chose à faire en D2, c’était un gros challenge. Il fallait essayer de maintenir le club qui avait le plus petit budget de la série, j’étais convaincu que ça pouvait être bon pour mon développement. Et on a fait le boulot. La saison suivante, ça a été très compliqué. Les problèmes de licence sont apparus à un moment où on se battait pour aller au tour final. Quand on a appris que la Ville ne soutiendrait pas le club, que les infrastructures ne seraient pas mises aux normes, tout s’est cassé. L’équipe s’est effondrée. Et le championnat suivant a été encore plus compliqué. C’était la saison de la réforme et le règlement prévoyait que la licence D1A serait prioritaire par rapport au classement. Moi, j’ai su très tôt que Virton n’aurait pas sa licence, on participait donc à un championnat qui n’avait aucune raison d’être… Même si on avait été champions, on aurait basculés en D1 Amateur. Les joueurs n’étaient pas au courant que c’était perdu d’avance, donc j’ai essayé de leur transmettre la foi, de leur faire croire que tout était possible ! Mais ça a été très compliqué. C’est un de mes moins bons souvenirs dans le foot.

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Enzo, Phil, Gaston…

Dans le livre du centenaire du Sporting de Charleroi, tu disais :  » J’ai eu la chance de jouer avec deux des plus grandes idoles de ma jeunesse, Enzo Scifo et Philippe Albert.  » Pas les mêmes profils.

FRANK DEFAYS : C’est aussi ça qui m’interpellait. Déjà quand il était gosse, Enzo Scifo était presque prédestiné à un avenir doré. Philippe Albert, c’était complètement autre chose. Le gars qui a réussi là où personne ne l’attendait. Quand je regardais les Diables à la télé, je voyais un Scifo qui était l’artiste de l’équipe et Albert qui était une machine derrière. Quand on l’a vu débarquer à Charleroi, on s’est demandé si on ne rêvait pas. Une idole des Anglais qui venait jouer avec nous ! Je connaissais ses qualités de footballeur, et là, j’ai découvert ses qualités humaines. Je suis arrivé à Charleroi, comme parfait inconnu, quelques semaines avant lui. J’ai directement joué. J’étais back droit, et dans l’axe de la défense, il y avait Philippe Albert et Nikola Jerkan. Albert et un international croate qui avait fait un bon bout de chemin en Espagne et en Angleterre. Ils m’ont énormément conseillé. Et Albert a parfois eu des paroles surprenantes. Un jour, il m’a dit : Comment ça se fait que tu commences seulement ta carrière pro à 25 ans ? Tu es tellement bon ! Quand ça vient d’une de tes idoles, ça te marque à fond. Et puis, il y avait tous les petits trucs qu’il m’apprenait. Je me souviens aussi, par exemple, d’un match à Lommel. On est vite menés, on égalise à une vingtaine de minutes de la fin. Le ballon sort pour nous, je me précipite pour le prendre et faire la rentrée. Il me crie : Hé, mais qu’est-ce que tu fais ? Je lui réponds : Ben, je me dépêche, il faut essayer de gagner. Là, il me lâche, tranquille : Calme, c’est un déplacement très compliqué, ici. On a un point, c’est un point qui peut compter, parfois il faut se contenter de ça. Il pensait qu’en voulant gagner, on s’exposait trop à pouvoir perdre ! Ça s’appelle l’expérience, il l’avait, je ne l’avais pas encore.

Comment tu as réagi quand tu t’es changé pour la première fois dans le même vestiaire que Scifo ?

DEFAYS : J’imaginais un joueur gracieux mais pas spécialement travailleur. Je me disais : Il vient finir tranquillement sa carrière à Charleroi. À 34 ans, il va jouer sur ses qualités et laisser les autres courir pour lui. Le jour où je l’ai vu torse nu pour la première fois… je n’ai pas osé ouvrir ma chemise ! J’ai découvert sur lui des muscles que je ne connaissais pas… Il était tellement fit. Et dès le premier entraînement, il a donné le ton, il était devant, c’était une bête de travail malgré ses problèmes physiques, il s’imposait des exercices en plus.

Tu n’étais pas le joueur des grandes envolées mais tu ne te trouais presque jamais. Tu jouais presque systématiquement une trentaine de matches par saison et tu marquais de temps en temps ton petit but. Pas de blessures graves, pas de longues périodes de méforme, ça a été ta marque de fabrique pendant tes dix ans à Charleroi. Tu es d’accord avec le portrait ?

DEFAYS : Didier Frenay a dit un jour qu’avec moi, c’était toujours une cote de six et demi sur dix. Jamais cinq, jamais huit. C’est probablement l’image que je laisse, elle me convient.

Pourquoi ton frère t’a un jour surnommé  » Gaston  » dans une interview qu’il nous a donnée ? Tu faisais rarement des boulettes…

DEFAYS : Quand j’étais gamin, j’étais un peu le Gaston Lagaffe de la famille, quand même. Un peu Pierre Richard. Si quelqu’un faisait tomber un verre, c’était moi. Ça a changé quand même.

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