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 » Il faut qu’on tue plus « 

Douze mois après son arrivée au PSG, force est de constater qu’Unai Emery n’a pas fait mieux que Laurent Blanc. Mais le coach espagnol est toujours là.  » Gagner, c’est un voyage « , dit-il. En signe de confiance, sa direction lui a donné le joueur censé abréger les étapes.

Quel bilan tirez-vous de votre première saison au PSG ?

UNAI EMERY : Nous avons remporté trois titres mais, évidemment, terminer deuxième du championnat et être éliminé en huitième de finale de Ligue des Champions, ça ne faisait pas partie de nos plans. On aurait pu faire mieux. Il faut toutefois respecter le travail de Monaco et de Nice, cela crée un environnement concurrentiel positif pour le championnat de France. Quant à la Champions… 50 % de cet affrontement contre le Barça a été très bon. Mais la défaite au retour a tiré la sonnette d’alarme. Et suscité les  » pourquoi « . La vérité, c’est qu’il nous a manqué quelque chose.

Et personnellement, comment avez-vous vécu cette saison ?

EMERY : Cela a été une saison d’adaptation. J’ai scanné le club pour voir à quel niveau je pouvais lui apporter quelque chose. C’est ce qui explique que la seconde partie de saison a été très différente de la première.

Pourquoi ?

EMERY : Parce qu’après le round d’observation, j’ai pris des décisions plus personnelles sur la manière dont je voulais voir jouer l’équipe. J’ai été plus exigeant. Sur nos 30 derniers matchs, nous n’en avons perdu que deux : contre Barcelone et Nice. Cette année, je veux qu’on se dépasse, que le PSG soit la référence du football français. Au niveau européen et mondial, le club ambitionne de devenir une marque reconnue, et la Champions League est la vitrine idéale pour ça. Gagner cette coupe, c’est un défi, mais il ne faut pas en faire une fixette. Il faut que ce soit un processus. Gagner, c’est un voyage. Il y a des étapes à respecter.

Comment faire pour que ce voyage soit moins long ?

EMERY : Il faut vivre des expériences, trébucher, se relever. L’expérience du 4-0 est positive, mais celle du 6-1 l’est également, car elle met en lumière nos carences. L’important c’est de tirer des leçons. Ce qu’on a fait, en conservant les éléments les plus importants, et en signant des joueurs comme Daniel Alves, qui a une grande expérience et qui est un compétiteur-né.

Peut-on dire que la confrontation contre le Barça a été le résumé parfait de votre saison ?

EMERY : Lors du match aller, le PSG a été génial. Mais ce que je recherche, c’est la régularité dans le génial. Je veux une équipe qui soit capable d’être constante au niveau du travail, de l’exigence, de la compétitivité, des résultats. Je veux qu’on soit fort quand l’adversité l’exige. Daniel Alves, on l’a signé pour ça. Je suis convaincu que les jeunes cadres de la maison, comme Marquinhos, Rabiot ou Verratti, vont progresser au contact d’un joueur comme lui. Ils vont passer un cap, celui qui leur permettra de relever n’importe quel défi.

 » Le PSG veut devenir une référence du foot mondial  »

Verratti, qui a mal digéré l’élimination contre le Barça, précisément, a failli quitter le club cet été. Comment l’avez-vous convaincu de rester ?

EMERY : L’implication de Verratti au PSG ne se discute pas. Ces petits flirts estivaux ont dû lui plaire. Après tout, qui n’aime pas être dragué ? Tout le monde aime qu’on s’intéresse à soi. L’important, c’est qu’il soit encore là. S’il est resté, c’est parce que le président lui a donné des garanties sur l’avenir. On lui a aussi rappelé la progression qui a été la sienne depuis qu’il est arrivé ici et qu’il n’a pas de mal à reconnaître. Verratti est ambitieux, il veut devenir une référence du football mondial. Ça tombe bien, le PSG ambitionne exactement la même chose.

Mais vous comprenez que certains cadres aient pu avoir des doutes après le traumatisme du 6-1 ?

EMERY : Aux Etats-Unis, les businessmen ont coutume de dire  » Sans échec, on ne peut pas réussir « . Le chemin du succès, c’est ça : se relever, et apprendre. Pour ne pas avoir à revivre un 6-1. Vous savez, quand le PSG s’est intéressé à moi, j’ai demandé au président pourquoi il me voulait. Il m’a répondu que j’étais un entraîneur jeune, avec un palmarès. À ses yeux, mon CV prouvait que j’étais capable d’emmener mes équipes au bout. Et en même temps, je n’ai pas encore gagné suffisamment de titres pour être repu de victoires. J’ai encore faim. Quelque part, je suis à l’image du PSG : c’est un club jeune qui a encore beaucoup à prouver. Nous sommes sur le bon chemin. Jusqu’ici, il lui a toujours manqué un petit quelque chose dans les moments importants. Ce sont ces détails qu’il faut travailler, avec des joueurs d’expérience, et avec le mental. Ces dernières années, le Barça et le Real Madrid ont gagné de nombreuses Ligue des Champions. Mais ce n’était pas le cas il y a 10 ou 15 ans. Gagner, c’est un apprentissage. Le PSG est dans la même situation que le Real ou le Barça d’il y a 15 ans.

Mais le PSG ne peut pas se permettre d’attendre 15 ans…

EMERY : L’année dernière, je me suis assis avec le président, et je lui ai dit :Président, on peut prendre différents chemins. Si tu choisis de faire le chemin avec moi, tu dois m’écouter et changer certaines choses avec le directeur sportif. Le président a décidé de remplacer Kluivert par Antero. Maintenant, nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Le président connaît mes besoins et, avec l’aide d’Antero, il les satisfait. Quand je suis arrivé, j’écoutais le directeur sportif et le président. Je leur disais : Ok, vous connaissez mieux l’équipe que moi, je vous fais confiance. J’ai été passif. Maintenant, c’est fini.

 » J’ai des champions, je veux des conquérants  »

Au début, on a l’impression que vous vous êtes contenté de suivre le modèle de Laurent Blanc…

EMERY : Mais il fallait que ça se passe comme ça. Je ne pouvais pas changer du jour au lendemain une équipe qui venait de tout remporter en France. J’ai d’ailleurs dit au président : le niveau est déjà très haut, il va falloir un peu de temps avant qu’on franchisse un nouveau cap. Et puis Ibrahimovic venait de partir. J’avais besoin de savoir comment l’équipe allait répondre sans lui. Il était très important ici, ce n’était pas seulement un buteur, c’était un gagnant. C’est parfois ce qui nous a manqué : l’esprit de conquête. Sur le terrain j’ai des champions, mais je veux des conquérants. Généralement, le PSG défend en confisquant le ballon aux adversaires. Mais il faut aussi qu’on soit prêt à jouer contre des adversaires qui ne nous laisseront pas contrôler le ballon. C’est ce qui s’est passé à Barcelone par exemple. Il faut qu’on élargisse notre palette pour qu’on puisse lutter contre n’importe qui, qu’on devienne  » tout terrain « . En allant au Camp Nou, mon message était clair : il fallait mettre un but, histoire de compliquer tant et plus la tâche des Blaugrana. De fait, si on exclut le penalty du 3-0 et les cinq dernières minutes, l’équipe a bel et bien inscrit un but et elle s’est encore procuré une occasion, plus un face à face…

C’est parfois compliqué d’insuffler un nouvel état d’esprit à un groupe. Lorsque vous êtes arrivé, vous avez apparemment eu du mal à faire comprendre à vos joueurs qu’il fallait qu’ils maîtrisent les phases de contre-attaque.

EMERY : Face au Barça, au Camp Nou, tu dois pouvoir jouer en contre-attaque pour leur faire mal. Au Parc, on a justement gagné sur des attaques rapides. Lors de mes premiers mois au PSG, je me suis rendu compte que les joueurs ne voulaient pas dévorer les espaces alors qu’ils en avaient l’opportunité. Ils voulaient constamment avoir le ballon dans les pieds et le faire tourner. J’ai dû convaincre le groupe qu’il fallait pouvoir gérer habilement aussi les phases de reconversion. On les a travaillées à l’entraînement mais c’était difficile de les mettre en pratique en championnat car on jouait souvent contre des équipes qui défendaient très bas. J’ai dit au groupe : Putain, les gars, ne nous privons pas de faire des contre-attaques, on a les joueurs pour. Lucas, il a les jambes pour contre-attaquer. Di Maria et Cavani pareil. Il ne faut pas qu’on se prive de gagner des matchs comme ça même si j’aime la possession de balle. Il faut s’adapter à des situations : je ne veux pas qu’on fasse un match nul ou qu’on perde un match juste parce qu’on n’a pas voulu ou su faire de contre-attaques. Il faut qu’on maîtrise toutes les facettes du jeu. Il faut qu’on soit plus agressifs dans les derniers mètres. Il faut qu’on tue plus.

 » J’essaie d’apporter ma contribution  »

Di Maria avait un peu de mal à  » tuer « , comme vous dites, l’année dernière. Il faut être sur son dos pour qu’il donne son maximum ?

EMERY : La saison dernière, en première partie de saison, Di Maria ne marquait pas de buts. Il fallait qu’il soit plus présent dans la surface, qu’il repique dans l’axe si besoin et c’est ce qu’il a fait en deuxième partie de saison. Après, il n’y a pas de rendement individuel s’il n’y a pas de rendement collectif. L’inverse est aussi vrai. Lorsque Di Maria est devenu meilleur, toute l’équipe est devenue meilleure. Lors du match contre le Barça, Di Maria est sorti blessé à la 60e minute et n’est revenu que pour le match retour au Camp Nou. Si ça avait été un autre match, je ne l’aurais pas fait rentrer car il n’était pas totalement rétabli physiquement. Vu l’enjeu, j’ai quand même décidé de lui accorder 20 minutes, parce que j’étais persuadé qu’il pourrait marquer en contre. Et c’est ce qui a failli se passer. Il y a deux ans contre City, le PSG avait déjà été affaibli par les blessures. Conclusion : il faut doubler les postes pour que ces situations ne se reproduisent plus.

Vous n’avez pas vraiment bénéficié de respect en arrivant en France. Comme Jardim, Bielsa ou Ancelotti, vous avez été très critiqué par ce qu’on appelle  » le village français « …

EMERY : Quand j’étais en Espagne, j’étais très content que des entraîneurs étrangers viennent coacher chez nous. Denoueix à la Real Sociedad, Montanier, Toshack le Gallois, Simeone, Bielsa, etc. Ils ont tous apporté des choses. Moi je suis venu en France et je tâche d’apporter ma contribution. Je l’ai dit quand je suis arrivé : je veux que le football français progresse et qu’il évolue. Parfois, j’ai la sensation qu’ici, en France, on se regarde un peu. Moi j’aime regarder vers l’extérieur.

Vous savez combien d’entraîneurs ayant coaché en France ces vingt dernières années ont gagné une coupe d’Europe ? Ancelotti et vous. Et on vous a critiqué pour n’avoir gagné que trois Europa League. Ça ne vous a pas agacé ces critiques ?

EMERY : Non. Dans le football, ce que tu as fait ne vaut rien. Je crois vraiment à ça. Quand on me dit que je suis le seul à avoir gagné trois Europa League avec Trapattoni, je réponds : oui, mais ce n’est pas une finalité. Il faut la gagner encore et encore. Je ne peux pas dire J’ai gagné. Je  » dois gagner « .

 » Je vis de la gagne  »

Vous pensez vraiment que le PSG peut gagner la Ligue des Champions ?

EMERY : Moi, je vis de la gagne, en voulant gagner à chaque fois. Ce que je veux aujourd’hui ? D’abord, être premier en phase de poules. Et si je suis premier, je voudrai gagner les huitièmes. Je ne peux pas sauter dix marches d’escalier d’un coup parce que je vais me cogner et m’assommer. Donc je dois grimper marche par marche (il se met à compter : un, deux, trois, etc.) mais attention : à chaque fois d’un pied ferme. Ferme, ferme, ferme. C’est quoi la meilleure préparation pour la Ligue des Champions ? Le championnat. Gagner en championnat, c’est la première étape, et dans un championnat compétitif, c’est pour ça que je veux que Monaco soit fort, que Bordeaux, Lyon, Nice soient forts. Et je veux qu’ils soient exigeants avec moi parce que ça va m’aider à me préparer pour le coup d’après. Je ne peux pas enchaîner des matchs faciles, gagner cinq matchs de suite sans une contre-attaque pour ensuite jouer contre le Barça, la Juventus, le Real ou le Bayern. Peut-être que je gagnerai ces matchs-là sur deux contre-attaques, donc il faut qu’il y ait des équipes en championnat qui m’obligent à jouer comme ça.

Au début de l’année, vous disiez que pour vous le plus important c’était les numéros et pas le nom des joueurs. Une fois, avec Almeria vous aviez même tiré la composition de votre équipe aux dés, pour le démontrer à vos joueurs…

EMERY : (Il coupe) C’est vrai pour les dés. Cétait notre premier match en première division, contre le Deportivo La Corogne, et on a gagné 3 à 0. Un grand match. Je voulais leur montrer que je me foutais de qui allait jouer, que peu importe les joueurs sur le terrain, on allait gagner. J’avais confiance.

C’est possible au PSG ? C’est possible de dire que Thiago Motta c’est la même chose que Nkunku…

EMERY : (Il coupe à nouveau) Attends : moi ce que je dis, c’est que l’important, c’est la concurrence. Et je dis que l’année dernière, pendant les matchs aller, on a manqué de concurrence. Je ne dis pas que tous les joueurs se valent dans l’absolu. Mais en relativité…

C’est une manière de dire que le collectif est plus important que l’individu. Cela marche bien dans des équipes comme la Juve ou le Barça où les joueurs sont imprégnés de l’importance de  » l’institution « , avec des cadres comme Xavi, Ramos ou Pirlo qui expliquent aux autres que le club est plus important que les joueurs. Dans un club plus  » jeune  » comme le PSG, où aucun des joueurs n’a grandi ici, c’est possible ?

EMERY : Une des améliorations que j’ai voulu apporter, et je crois qu’il faut continuer à le faire, c’est le  » sentiment « . Je veux que l’équipe sente plus le PSG, qu’elle sente plus la ville.

 » Pour qu’il y ait de bons jours, il faut qu’il y en ait de mauvais  »

D’une certaine façon, vous avez apporté ça. Une émotion qu’il n’y avait pas quand le PSG a perdu contre City, comme si de rien n’était. Vous, vous avez au moins créé des souvenirs.

EMERY : Oui, et le 4-1 contre Monaco a été beau aussi. Ces moments sont des trucs à vivre, et à chaque fois, je profite, j’apprécie. Pas tant le moment, d’ailleurs, que le chemin parcouru : le travail avec mes hommes, l’exigence, etc. Après, est-ce que j’ai profité du 4-0 contre le Barça ? Oui. Le 6-1 ? Non. Parce que ça a été une raclée. Mais je l’ai vécue. Et ces sentiments, ces émotions, même si elles sont négatives, il faut les vivre, tout le monde n’a pas la chance de passer par des trucs pareils. Ce moment terrible, ce qu’on ressent, je l’ai vécu. Pour qu’il y ait de bons jours, il faut qu’il y en ait des mauvais.

C’est difficile d’imaginer des entraîneurs comme vous, comme Bielsa, être heureux. Vous l’êtes ?

EMERY : Je suis heureux, oui. L’autre jour, je l’expliquais à l’équipe : tous les jours je me lève et je rends grâce au club de me donner la chance de travailler ici. Je me lève à 8 h du matin et ensuite, au travail ! Tout de suite, je suis dans une mentalité positive. Je dis aux joueurs qu’ils doivent faire pareil, se lever et aller s’entraîner dans la joie. Tu peux avoir mal dormi, avoir des problèmes, mais il faut garder en tête que, par-dessus tout, tu as de la chance, tu es heureux, tu as envie de t’entraîner, d’être avec l’équipe.

Vous êtes marié ?

EMERY : Je suis séparé. J’ai un fils.

À cause du football ?

EMERY : Des circonstances de la vie. Ce n’est pas facile d’être en couple quand tu entraînes. Depuis, j’ai appris à me relaxer. Après les matchs, j’aime bien manger avec mes proches, mon fils, mon frère. Un bon repas, un petit verre de vin, puis prendre mon temps pour boire mon gin tonic tranquillement. Là, je me relaxe. Ensuite, vient le jour suivant et je me mets à travailler, analyser, analyser, analyser, jusqu’à n’en plus finir. La nuit, je me réveille souvent pour pour écrire des trucs. J’ai un livre sur ma table de nuit, je prends des notes dessus pour m’en souvenir le matin.

Des notes qui parlent de football ?

EMERY : Oui, de football.

PAR PIERRE BOISSON ET JAVIER PRIETO SANTOS À PARIS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je veux que Monaco, Lyon ou Nice soient forts. Je ne peux pas enchaîner des matchs faciles pour ensuite jouer contre le Barça, la Juventus, le Real ou le Bayern.  » Unai Emery

 » Dans le football, ce que tu as fait ne vaut rien. C’est la prochaine victoire qui compte.  » Unai Emery

 » Neymar est un très grand joueur, mais on a envie qu’il devienne un géant. Qu’il soit le meilleur joueur du monde.  » Unai Emery

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