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 » Il fallait un projet qui permette à Marc Coucke de rejoindre le top européen « 

Agents de Vincent Kompany, Thomas Meunier ou Dedryck Boyata, via leur société, Eleven Management, le duo s’est également spécialisé dans la recherche de repreneurs. Ce fut le cas à Roulers, il y a deux ans, ou bien plus récemment à l’Union Saint-Gilloise et à Anderlecht l’hiver dernier, où l’on a assisté à une véritable révolution de palais. Sport/Foot Magazine a rencontré les initiateurs de ces rachats.

L’affaire n’avait alors pas fait grand bruit. En juillet 2016, Xiuli Dai, une richissime femme d’affaires basée à Londres, devenait propriétaire du KSV Roulers (D1B), en épurant des dettes qui s’élevaient alors à plus d’un million d’euros. Près de deux ans plus tard, le 10 mai 2018, on apprenait que l’Union Saint-Gilloise était repris par le milliardaire, Tony Bloom, propriétaire du club de Premier League, Brighton & Hove Albion. Derrière ces deux arrivées dans le monde du foot belge : Eleven Management, société des deux agents de joueurs, Jacques Lichtenstein et Peter Verplancke.  » L’Union Saint-Gilloise avait la licence, ils n’étaient pas en faillite mais Jürgen Baatzch ne voulait plus investir « , précise Lichtenstein.  » Notre société a permis à Jürgen, avec qui j’entretiens d’excellents rapports depuis longtemps, de présenter le nouvel investisseur lors d’un déplacement à Brighton.  »

Van Holsbeeck s’est entouré de personnages qui ont contribué à la chute du club, comme Laurent Denis et évidemment Mogi Bayat.  » Jacques Lichtenstein

L’intérêt d’investisseurs étrangers pour les clubs belges est devenu récurrent ces dernières années. OHL, Mouscron, Lierse, Courtrai, Cercle Bruges, Eupen, Saint-Trond, tous ces clubs mal en point financièrement sont passés ces dernières années entre les mains d’actionnaires étrangers. Mais que cache ces investissements ? Quelle rentabilité espérée ? Jacques Lichtenstein :  » Prenons le cas de l’Union Saint-Gilloise : c’est la Belgique, un club de la capitale, pays où les joueurs extra-communautaires sont les plus facilement accueillis. Cela permet aussi de développer des jeunes. Et l’achat d’un club de D1B coûte la moitié d’un transfert en Premier League. Si tu as un De Bruyne sur les 10 ans à venir, ça devient hyper rentable. Leandro Trossard a eu besoin de deux ans à OHL pour prendre du temps de jeu et arriver à son niveau d’aujourd’hui. C’est l’exemple parfait de la valeur ajoutée pour un investisseur d’acheter un club de D1B belge. Aujourd’hui, il existe 24 clubs professionnels. Les petits, comme les moyens à l’image du Lierse, sont amenés à disparaître. Eleven Management a donc développé une structure pour aider les investisseurs étrangers qui veulent investir dans les clubs belges et les clubs belges qui cherchent des partenaires ou des repreneurs  »

Le 20 décembre 2017, c’est le géant Mauve et Blanc qui change de main. Marc Coucke devient le nouveau capitaine du bateau anderlechtois. Une surprise quasi générale, d’autant que le nom du milliardaire gantois n’avait jamais fuité dans les différents médias. Rares étaient les personnes au courant de sa candidature. Là aussi, le duo, Lichtenstein-Verplancke est la source de ce moment historique pour tout le football belge. Pour la première fois, ils expliquent les circonstances de ce rachat.

Quel fut votre rôle exact dans le rachat d’Anderlecht par Marc Coucke ?

JACQUES LICHTENSTEIN : En novembre, j’ai appris via mon fils, Scott ( petit-fils de Philippe Colin, ndlr), que Roger Vanden Stock était mécontent des différents profils de repreneurs. C’est mon fils qui m’a suggéré de téléphoner à Marc. Je l’ai donc appelé, même si je n’y croyais pas trop car Ostende est le club de son coeur. Là il me répond : donne-moi 48 h. D’habitude, il me répond dans la seconde quand ça ne l’intéresse pas. Donc j’appelle Peter et je lui explique. On connaît Marc, s’il ne dit pas non tout de suite, c’est qu’il est intéressé.

PETER VERPLANCKE : On a demandé à Marc si on pouvait prendre la température, de manière hyper confidentielle, auprès de Michaël Verschueren. Ensuite on a avancé. Je suis allé chercher Michaël chez lui, et Jacques, Michaël et moi-même sommes allés ensemble chez Marc et on a décidé de faire avancer le dossier. On a eu l’idée, Marc en avait les moyens.

Self-made-man

Michaël Verschueren et Marc Coucke se connaissaient-ils déjà ?

LICHTENSTEIN : Il y a 3-4 ans, on avait invité Marc Coucke et Michaël Verschueren dans la loge de Vincent Kompany à City. Ils ne s’étaient vraisemblablement plus parlé entretemps mais l’entente avait été excellente ce jour-là.

Vous êtes rapidement persuadés d’avoir réuni le bon duo ?

LICHTENSTEIN : Oui. Marc est milliardaire et il a une éthique de travail. C’est un homme d’une intégrité et d’une intelligence incroyable. Et il a un point commun avec Constant Vanden Stock, c’est un self-made-man. Tandis que Michaël Verschueren a baigné dans la culture du foot. Il est le fils d’un grand manager et il est surtout bien placé dans les instances internationales.

En quoi Coucke correspondait-il au profil désiré par la direction ?

LICHTENSTEIN : La plus grosse offre financière ne venait pas de Marc Coucke. Mais comme les Vanden Stock étaient les plus gros actionnaires depuis deux générations, ils ne voulaient pas le céder à n’importe qui. Marc est un bon profil grâce à son identité très belge. Donc d’une certaine manière, c’est la garantie d’inscrire le projet dans du long terme.

VERPLANCKE : Marc Coucke est un homme d’affaire clean avec une bonne réputation. En outre, il connaît la fédération. On est d’ailleurs étonné qu’il n’ait pas été contacté par Anderlecht et Herman Van Holsbeeck qui avaient pour mission de retrouver un repreneur. S’ils ne contactaient pas des potentiels repreneurs, comme Marc, ceux-ci ne pouvaient pas être mis au courant des modalités de vente. Bien sûr, l’élément de confidentialité serait resté crucial car le succès d’une opération pareille en dépend. Tous les jours, les journaux donnaient les noms de potentiels repreneurs mais jamais celui de Marc.

Comment le nom de Coucke n’est-il jamais sorti dans la presse ?

LICHTENSTEIN : On a décidé d’être hyper discrets tout au long du processus. Et on a vraiment réussi à l’être. Au moment de l’ouverture des enveloppes avec les offres, le jour de l’AG décisive, seules trois personnes étaient au courant du nom de Marc Coucke dans une enveloppe. D’ailleurs, chapeau à tous ceux qui ont été impliqués, y compris à Anderlecht. La confidentialité a été parfaitement respectée. C’était évidemment hyper sensible parce que Coucke était alors président d’un club, le club de son coeur qui plus est. Mais il était conscient du fait qu’il plafonnait à Ostende. On s’en était rendu compte, à l’occasion de son investissement dans le LOSC et lors du match d’Europa League contre Marseille, que ce qui l’excitait, c’était de jouer contre le PSG. En fréquentant Marc, on sentait qu’il avait envie. Son équipe de cyclisme, c’est le top mondial. Il lui fallait un projet qui lui permette de rejoindre le top européen en foot. Et Anderlecht est le club le plus titré de Belgique.

VERPLANCKE : Marc, c’est un vrai entrepreneur. Il est très proche de ses projets, il travaille avec son coeur. Il voit les choses de façon beaucoup plus claires et beaucoup plus vite que les autres. Il a les moyens de ses ambitions et les tripes pour le faire.

Aujourd’hui, Marc a un avantage, il est très malin et très riche. Il investit dans des passions. Il veut gagner de l’argent, mais pas forcément immédiatement. Il est prêt à investir. Il ne veut pas perdre de l’argent, mais pas forcément en gagner. Il veut certainement faire grandir le business, donc il réinvestira les éventuels profits. Je suis sûr qu’il n’a pas réfléchi à une stratégie d’exit, c’est d’abord un investissement de passion.

Jusqu’à aujourd’hui, vous êtes, tous deux, restés dans l’ombre après l’officialisation du rachat par Marc Coucke. On peut s’en étonner vu les pratiques dans le monde du foot…

LICHTENSTEIN : Marc nous a demandé si on voulait apparaître publiquement. J’ai directement dit à Marc que, compte tenu de mon histoire avec Anderlecht ( proche de Michel Verschueren et Constant Vanden Stock, ex-beau-fils de Philippe Colin, ndlr), si mon nom apparaissait, les chances de succès de l’opération chuteraient fortement. Je reste convaincu que si on avait appris que j’étais lié à cette candidature, elle aurait échouée car j’avais beaucoup d’ennemis à Anderlecht. Je savais aussi qu’Herman Van Holsbeeck se vantait vis-à-vis de sa direction qu’il allait être la personne qui allait amener le repreneur et faire gagner plein d’argent aux actionnaires. C’était une de ses missions. Nous savons de source sûre que si le repreneur était venu par un autre intermédiaire, et en particulier Christophe Henrotay, c’est un paquet de millions qui auraient été déduit du produit de la vente pour être payé aux agents. Notre agence ( Eleven Management, ndlr) n’a pas demandé de commission à Anderlecht pour avoir amené le repreneur. Normalement, ce type d’opération est rémunérée.

Roger et l’amour du RSCA

Quel fut le rôle de Roger Vanden Stock dans ce rachat ?

LICHTENSTEIN : À un moment donné, Roger a dit à tout le monde : je suis le président, et ce sera Marc. Roger, c’est un héritier, mais il a hérité d’un truc, c’est l’amour du club. Et bravo pour son amour du RSCA ! Sans lui, Marc Coucke n’aurait jamais pu reprendre le club. Il a soutenu son offre parce qu’il était seul face aux autres, certainement Van Holsbeeck et Collin, qui étaient contre la reprise d’Anderlecht par Marc Coucke.

L’autre grand perdant du rachat, c’est Herman Van Holsbeeck, licencié fin avril par Marc Coucke pour  » faute grave « , et aujourd’hui en procès avec le club.

LICHTENSTEIN : Le renvoi d’Herman Van Holsbeeck par la toute toute toute petite porte, est significatif. Il est le symbole d’une direction vieillissante qui a transformé un club qui ne signifie plus rien Europe, alors qu’auparavant il était craint, et qui se fait rattraper par ses concurrents belges. Van Holsbeeck s’est entouré de personnages qui ont contribué à la chute du club, comme Laurent Denis et évidemment Mogi Bayat.

Luc Devroe a pris la succession d’Herman Van Holsbeeck. Doit-on s’attendre à des méthodes de fonctionnement totalement différentes ?

LICHTENSTEIN : Luc Devroe est un ami. Un vrai connaisseur. Un homme de terrain qui a fait du très bon travail au KVO et avec qui on a fait plusieurs deals à Ostende notamment. Il me semble évident qu’avec les moyens qui lui sont attribués à Anderlecht, il devrait répondre aux ambitions des supporters.

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 » La valeur d’un joueur est beaucoup trop subjective  »

Les agents de joueurs sont souvent dans l’oeil du cyclone. Comment expliquez-vous que votre profession est tant décriée ?

JACQUES LICHTENSTEIN : Il faut davantage de réglementation. La valeur d’un joueur est beaucoup trop subjective et la valeur des contrats manque régulièrement de cohérence par rapport aux montants de transferts demandés ou payés. Les propriétaires des clubs sont pour la plupart de brillants self-made-men qui doivent leur réussite grâce à une maîtrise dans un secteur qui n’a souvent rien à voir avec le monde du football. Ils sont souvent dupés par des gens peu scrupuleux ou incompétents à qui ils accordent leur confiance, ce qui explique en grande partie les faillites de Mons, du Lierse et les problèmes financiers que rencontrent toute une série de clubs. On arriverait à plus de cohérence et moins d’abus si on prenait en compte davantage de critères objectifs. Je pense par exemple à un niveau salarial basé sur l’âge du joueur, le fait qu’il soit ou non international dans son pays, le nombre de matchs joués par saison, le niveau du club dans lequel il évolue et le niveau des offres officielles que le club a reçu pour ce joueur. Une meilleure rationalisation aurait aussi une incidence directe sur le sur commissionnement de certains agents. Il arrive qu’un directeur de club justifie une commission disproportionnée parce qu’un agent (souvent un ami) aurait permis de faire baisser le coût d’un transfert, alors que la valeur d’un montant de transfert est fortement subjective. La FIFA s’est employée à réglementer les droits de formation, pourquoi n’en n’irait-t-il pas de même au niveau des salaires et des transferts ?

Vous semblez prêcher contre votre chapelle où la quasi absence de règles permet aux agents de toucher de grosses commissions ?

LICHTENSTEIN : On pourrait le croire mais la situation actuelle favorise des agents qui font des affaires dans des pays où la fiscalité est similaire à celle que nous connaissons en Belgique, mais qui souvent ne payent pas du tout d’impôt ou à peine, dans des paradis fiscaux comme Monaco, Chypre, les Émirats du Golfe, etc. Ou qui utilisent des sièges à l’étranger comme à Luxembourg par exemple, pour couvrir leur agissements. Ou encore qui s’inventent des partenaires pour justifier la sortie de montants importants vers des pays où la fiscalité est très clémente (ce sont souvent ces acteurs qui deviennent facilement les amis de directeurs de clubs). Il est évident aussi que le grand flou artistique favorise certains décideurs qui veulent surtout que rien ne change. Pourquoi, par exemple, Hanni doit-il quitter son agent pour pouvoir partir cet hiver ? Toutes ces pratiques font beaucoup de mal aux clubs et à tout le football belge.

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