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Great old

Plus de dix ans de purgatoire semblaient irrémédiablement éloigner l’Antwerp du paradis. Pourtant, des millions de Paul Gheysens au carnet d’adresses de Lucien D’Onofrio, en passant par les méthodes à l’ancienne de Laszlo Bölöni et les folies de Didier Lamkel Zé, le Bosuil se mue toujours plus vite en nouvelle place forte du jeu national.

Les temps étant aux privilèges qui s’achètent, il n’est plus surprenant pour personne de voir des aéroports ou des parcs d’attractions aux files dédoublées. La classique, bondée et souvent figée, est supplantée par une autre. Plus rapide. Plus chère, aussi. Dans un cas comme dans l’autre, l’idée est simplement de patienter moins que les autres. De connaître plus rapidement l’ivresse du décollage. La logique, enfantée par un monde où l’argent fait loi, est imparablement exacerbée par le football, spectaculaire miroir grossissant de la société.

Si le temps, c’est de l’argent, alors on doit pouvoir l’acheter. C’est le raisonnement que semble suivre Paul Gheysens, quand il sort de l’anonymat pour révéler qu’il est le grand argentier d’un Antwerp de retour au sein de l’élite. Avant lui, nombreux sont ceux qui ont pensé détenir les clés permettant au Great Old de retrouver son glorieux passé. Celui qui raconte que le club est à la fois le premier à avoir vu le jour sur le sol belge, mais aussi le dernier à avoir disputé une finale de Coupe d’Europe. Depuis cette apothéose continentale de 1993, la colonne des mauvais souvenirs était bien plus remplie que celle des instants d’euphorie dans les cœurs du Bosuil. Une première relégation en 1998, une éphémère remontée en 2000, puis un douloureux retour vers l’antichambre de l’élite en 2004. Le purgatoire dure treize ans, jusqu’à ce retour au sein de l’élite grâce aux premiers millions injectés par Gheysens.

Qui, mieux que Lucien D’Onofrio, avec ses réseaux et sa grande expérience du football international, peut nous aider à construire le grand club que ce public mérite?» Paul Gheysens

Immédiatement ambitieux, le président du matricule 1 se prépare déjà à évoquer une place dans le top 6 et un billet pour les play-offs 1. Son nouveau bras droit l’en dissuade. Crâne luisant, sourire enjôleur et charme magnétique, le conseiller du président sait parfaitement sur quel plateau il place ses pions, lui qui a dicté les règles du jeu belge une petite décennie plus tôt. Pour retrouver les sommets, Gheysens confie effectivement la destinée sportive de ses couleurs à Lucien D’Onofrio. La mission du Liégeois est claire. Le président n’hésite d’ailleurs pas à l’affirmer face aux micros, dès le jour des présentations: «Qui, mieux que Lucien D’Onofrio, avec ses réseaux et sa grande expérience du football international, peut nous aider à construire le grand club que ce public mérite?»

Cinq années ont passé, depuis ce jour de juin 2017. La grandiloquence des annonces a très vite fait place aux actes. En un lustre, derrière la façade d’un stade qui fait désormais office de figure de proue des enceintes belges, l’Antwerp est redevenu grand. Une Coupe de Belgique, une campagne européenne poursuivie au-delà du grand cut de l’hiver, et un costume inévitable de candidat affirmé au titre, même si les plus prudents de ses représentants aiment encore policer leurs discours. Cinq ans ont suffi au Great Old pour faire son entrée dans le G5, avec une année de découverte bouclée au huitième rang puis quatre saisons consécutives dans le top 4 pendant que Gand, Genk, Anderlecht et le Standard traversent chacun à leur tour des zones de turbulence. Ces derniers temps, seul Bruges paraît rester une valeur plus fiable que le matricule 1 sur le sol belge. S’il reste encore quelques marches à gravir jusqu’au sommet absolu de la hiérarchie nationale, le début d’ascension a des contours spectaculaires.

Le Bosuil: en ce qui concerne le stade également, les ambitions du président se sont rapidement concrétisées.
Le Bosuil: en ce qui concerne le stade également, les ambitions du président se sont rapidement concrétisées.

LES AMIS DE LUCIEN

Les premiers pas au sein de l’élite se font donc accompagnés par la main experte de Lucien D’Onofrio. Très vite, l’ancien homme fort du Standard reproduit les vieilles recettes de ses succès. Il place à la tête de l’équipe son fidèle Laszlo Bölöni, chef d’orchestre d’un Standard 2008-2009 qui avait fait souffrir Liverpool et éliminé Everton lors des tours préliminaires européens. Aux côtés du Roumain s’installent des visages familiers armés d’oreilles attentives. Vedran Runje intègre le staff, Frédéric Leidgens enfile le costume de team manager, et même le vestiaire des joueurs accueille de premiers fidèles comme Sinan Bolat ou Jelle Van Damme. Les connexions portugaises du patron sportif égaient une équipe au jeu riche en épaules et pauvre en spectacle, entre les exploits individuels d’Ivo Rodrigues et les débordements à répétition d’Aurélio Buta. En coulisses, la fin de saison voit déjà naître de premières critiques autour d’un Bölöni un peu trop «vieille école», qui méprise les statistiques physiques mises à sa disposition et redouble d’intensité dans les séances quand les analystes préconisent de lever le pied. Peu spectaculaire, le jeu n’est pas vraiment au goût de l’entourage du président Gheysens, mais D’Onofrio obtient une saison de supplément pour son ami de longue date, avec la promesse d’un talent bien plus présent sur la pelouse du Bosuil.

Au Bosuil, on aime toujours autant les grands noms d’internationaux belges.

Pas de bases de données ou de long scouting vidéo. Tout est une histoire de carnet d’adresses, de flair et d’opportunités. Indésirable à Bruges, où le système de jeu installé par Ivan Leko l’a relégué sur le banc au profil de Ruud Vormer et Hans Vanaken, le maître à jouer israélien Lior Refaelov rejoint les rives de l’Escaut, alors que Michel Preud’homme en rêvait en bords de Meuse. Les connexions avec Pini Zahavi amènent Jonathan Bolingi ou Omar Govea – passé par la planque mouscronnoise du super-agent – dans l’effectif d’un Bölöni qui salue surtout avec le sourire l’arrivée d’un Dieumerci Mbokani toujours aussi efficace pour faire trembler les filets adverses. Les dépenses sur le marché des transferts restent faibles, au grand dam d’un Paul Gheysens qui se répète plusieurs fois prêt à ouvrir le portefeuille pour accélérer la croissance anversoise. Les méthodes de Lucien D’Onofrio, toujours à l’affût des gros coups à bas prix du 31 août, amènent une première participation aux play-offs 1, un cercle fermé auxquels les hommes en rouge prennent un abonnement toujours en cours aujourd’hui.

Ce sont toujours les mêmes doutes, mais c’est toujours le même coach. Bölöni entame sa troisième saison anversoise, et les crispations augmentent autour de cette colonie francophone qui semble faire la loi dans les couloirs ultra-modernisés du Bosuil. Le tumulte se calme avec des noms et des résultats. Pour les premiers, c’est encore le téléphone de Don Luciano qui fait la loi. Depuis plusieurs mois, les oreilles principautaires charrient les envies de retour au bercail de Steven Defour, en fin de contrat à Burnley. En janvier déjà, Lucien tente de convaincre son ancien capitaine liégeois d’embarquer à bord du vaisseau de la métropole, mais les Clarets ne veulent pas le laisser filer gratuitement. Lucien attend l’été, drague encore un Diable rouge qui poursuit sa revalidation chez Lieven Maesschalck, puis ferre le poisson au bout du mercato, en compagnie d’un autre international belge sur le déclin, Kevin Mirallas. Les CV ont de l’allure, les prestations restent rares et anonymes.

Paul Gheysens, ici avec son épouse Ria, n'a pas de problème à sortir son portefeuille si c'est pour accélérer la croissance de son club.
Paul Gheysens, ici avec son épouse Ria, n’a pas de problème à sortir son portefeuille si c’est pour accélérer la croissance de son club.

Sportivement, ce sont surtout les transferts effectués par Olivier Renard, énième homme à avoir fait la route entre Sclessin et le Bosuil (avant de rapidement traverser l’Atlantique pour rejoindre Montréal), qui marquent les esprits. Martin Hongla s’impose de plus en plus au milieu du terrain, Wesley Hoedt devient l’un des patrons défensifs, et la recette de Bölöni couplé au talent de Mbokani et Refaelov envoie le Great Old au pied du podium et en finale de la Coupe quand le Covid siffle la fin prématurée de la saison. Sans encore le savoir, le club est alors à un tournant.

LE VIRAGE LEKO

Lassés par le jeu trop défensif et les méthodes datées du coach roumain, les proches de Paul Gheysens demandent le changement. Occupé à faire la guerre à Mehdi Bayat par médias interposés pour obtenir sa finale de Coupe et sa place en Europa League, Lucien D’Onofrio ne parvient pas à faire jouer son carnet d’adresses pour trouver le successeur de Bölöni. C’est Ivan Leko, champion avec le grand rival brugeois deux ans plus tôt, qui fait son retour sur un banc belge, préférant l’ambition des sommets de la Pro League au banc de Bordeaux, en Ligue 1. Très vite, les divergences sportives apparaissent entre l’entraîneur croate et son patron sportif, notamment au moment de boucler le mercato. Leko pousse pour Jean Butez, obtient difficilement Birger Verstraete et espère Cyle Larin ou Junior Edmilson, les réseaux de Lucien lui ramènent Nana Ampomah, Guy Mbenza ou encore Alireza Beiranvand, poussé avec insistance vers le onze de base par le dirigeant liégeois à chaque approximation de Butez.

Loin d’attendre les bonnes affaires du dernier jour des soldes, le Great Old fait désormais tourner la planche à billets d’entrée de jeu.

Fin stratège, soucieux de reprendre le pouvoir perdu au profit d’un Leko qui bat Bruges en finale de la Coupe, puis Tottenham en poules de l’Europa League, D’Onofrio joue la relation refroidie quand son coach lui apprend qu’il a des contacts avec plusieurs clubs chinois. Frank Vercauteren prend en charge la succession dans une atmosphère délétère: indispensable sportivement, mais ingérable hors du terrain avec ses retards à répétition, ses arrivées au club avec un maillot d’Anderlecht et ses entraînements passés à jouer à la PlayStation plutôt qu’à monter sur la pelouse, Didier Lamkel Zé divise le vestiaire. Lior Refaelov est privé de matches quand il signe à Anderlecht, tout juste auréolé de son Soulier d’or mais pas rencontré par Lucien pour prolonger son contrat. Pour couronner le tout, des révélations dans la Gazet van Antwerpen exposent les erreurs de Frédéric Leidgens, bras droit de D’Onofrio. Le divorce, espéré par une bonne partie du clan Gheysens, est acté au cœur du mois de mai 2021, avec une troisième place qui reste anecdotique au vu des espoirs générés par les matches de l’automne et la pauvreté du jeu proposé par les hommes de Vercauteren.

Lucien D'Onofrio, en tant que conseiller sportif, a fait valoir toute son expertise à l'aide de son impressionnant carnet d'adresses.
Lucien D’Onofrio, en tant que conseiller sportif, a fait valoir toute son expertise à l’aide de son impressionnant carnet d’adresses. © Belga

VOYAGE SANS DIRECTION

«Nous n’avons pas besoin de directeur sportif», entend-on alors dans les travées de la Métropole. Dénué de carnet d’adresses, mené par un Sven Jaecques qui cumule la fonction avec celle déjà chronophage de directeur général, le mercato de l’Antwerp se fait désormais à coups de millions. Loin d’attendre les bonnes affaires du dernier jour des soldes, le Great Old fait tourner la planche à billets d’entrée de jeu. D’abord pour convaincre le prometteur Brian Priske, déjà dragué par Genk et le Standard par le passé, de poser ses valises et ses idées de jeu au Bosuil. Ensuite, pour lui offrir un noyau majuscule, facturé à près de trente millions d’indemnités de transfert sans même évoquer le salaire royal offert à Radja Nainggolan, nouvelle figure de proue du projet anversois. Le groupe, déséquilibré et surnuméraire, se complète avec des noms familiers comme Björn Engels, Michel-Ange Balikwisha (déniché au nez et à la barbe du grand rival brugeois), Jelle Bataille, Michael Frey, puis encore Dorian Dessoleil quand la panique d’un départ mitigé et d’une défense trop poreuse s’empare des travées de la Métropole.

Pas vraiment le favori du vestiaire, qui trouve son style trop rustre et ses qualités footballistiques trop légères, Frey est pourtant l’homme providentiel du début de saison. Ses buts relèguent Ally Samatta sur le banc, contrairement aux plans établis, et maintiennent toujours le Great Old dans le bon wagon, avec les miracles quasi hebdomadaires de Jean Butez pour maintenir un équilibre défensif toujours précaire.

Privé de tampon entre le vestiaire et lui, un rôle qu’avait toujours rempli à merveille Lucien D’Onofrio et ses célèbres silences menaçants, Paul Gheysens doit même descendre dans le vestiaire un jour de derby contre le Beerschot pour tancer ses troupes, rarement bousculées par un Priske que les ténors du noyau trouvent souvent trop gentil, parfois trop sommaire tactiquement. Un «bon gars», aux dires quasi unanimes du groupe, qui finira la saison en sachant que ses valises se feraient au dernier coup de sifflet, son sursis durant depuis l’arrivée de Marc Overmars à la direction sportive. Le Néerlandais s’installe dans un fauteuil dont la vacance aura été plus préjudiciable que prévu dans l’organigramme du matricule 1.

LA PATTE ORANGE

Comme pour Radja Nainggolan, c’est l’avocat d’affaires Omar Souidi, souffleur préféré de la famille Gheysens, qui suggère le nom d’un Overmars blacklisté du milieu depuis son licenciement de l’Ajax. Très vite, le Batave impose sa griffe sur le club, avec un nouveau staff très teinté d’Oranje et dirigé par son ami Mark van Bommel, lui aussi à la relance après une expérience délicate à Wolfsburg. Première recrue-phare de l’été, Vincent Janssen confirme la tendance néerlandaise du nouvel Antwerp, qui s’inspire de l’autre côté de la frontière d’où arrive aussi – via l’Allemagne – l’ancien prodige ajacide Jurgen Ekkelenkamp.

Les CV s’empilent toujours avec autant de brillance dans le vestiaire de Mark van Bommel, dont le football est pour l’instant plus efficace que spectaculaire.

Autre produit de l’Ajax, mais surtout figure en vue d’une Métropole qu’il est allé jusqu’à se tatouer dans la peau, le Diable rouge Toby Alderweireld est le nouveau symbole d’un Antwerp qui semble toujours autant aimer les grands noms d’internationaux belges. Les CV s’empilent toujours avec autant de brillance dans le vestiaire de Mark van Bommel, dont le football est pour l’instant plus efficace que spectaculaire. Une fois de plus, Paul Gheysens, qui a récemment offert à son matricule une augmentation de capital supplémentaire, ne regarde pas à la dépense. Tout en faisant tout pour se montrer compétitif à court terme, et enfin mettre un terme à la domination de son meilleur ennemi Bart Verhaeghe, le président investit néanmoins également dans l’avenir. La filière des jeunes talents, ouverte par Yusuf la saison passée et poursuivie avec Gastón Ávila, Christopher Scott ou Anthony Valencia, se complète également avec des investissements qu’on dit de plus en plus conséquents dans une académie en progrès constants.

Faris Haroun, Dieumerci Mbokani et Lior Refaelov, les fers de lance du club anversois dans un passé récent.
Faris Haroun, Dieumerci Mbokani et Lior Refaelov, les fers de lance du club anversois dans un passé récent. © Belga

L’histoire ne dit pas encore si cette saison sera celle de la consécration pour les projets spectaculaires du président Gheysens. Elle prévient déjà, par contre, que les coups d’accélérateur à coups d’euros seront bientôt à nouveau régulés par la Commission des Licences et son fair-play financier, mis entre parenthèses par la crise du Covid. En attendant, l’Antwerp profite de ses liquidités pour consolider son retour au premier rang. Avec la fragilité inhérente à la respiration artificielle grâce aux millions d’un propriétaire ambitieux. Ce qui est sûr, c’est que malgré quelques couacs comme l’élimination européenne précoce, le club n’est plus vraiment Old, mais à nouveau Great.

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