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Couloir aérien

Écarté du groupe brugeois en début de saison, Anthony Limbombe n’a mis que trois mois à passer des tribunes du Jan Breydel aux lèvres de Roberto Martinez. Histoire d’un changement de rythme.

La feuille de match a beau être kilométrique, avec neuf joueurs posés sur le banc des remplaçants, le nom et le visage d’Anthony Limbombe restent introuvables en cette soirée estivale. Les Matines brugeoises, ambiancées par le Bilbao de Raul Garcia, se fêtent sans lui. L’avis de recherche est posé, en même temps qu’un micro, devant les sourcils froncés d’Ivan Leko. Réponse tranchante :  » Individuellement, il est bon, mais le football est un sport collectif. Il doit s’intégrer à l’équipe. La mentalité, c’est l’ADN de Bruges, et ça passe avant tout.  »

Trois mois plus tard, Roberto Martinez dégaine le nom de Limbombe quand on l’interroge sur le sens de ses soirées de fin de semaine passées dans les stades nationaux. À Bruges, certains n’avaient pas attendu les mots doux du sélectionneur pour imaginer Anthony dans le rôle de l’invité-surprise de l’été russe, vu ses prestations abouties à un poste de couloir gauche pas franchement surpeuplé dans le vivier national.

Écarté de la première sélection brugeoise du championnat face à Lokeren, Limbombe a complètement changé d’attitude une fois passé le chassé-croisé juillettistes/aoûtiens. Sa montée au jeu contre Eupen a été acclamée verbalement par son coach :  » C’est un joueur d’actions, qui peut forcer quelque chose en un-contre-un. Il a été très dangereux. Et sur le plan défensif, il a tout fait, il a été très concentré.  » Quelques jours plus tard, titulaire et à l’assist face à Zulte Waregem, Limbombe a renvoyé Laurens De Bock sur le banc et Ahmed Touba aux oubliettes.

LE SUCCESSEUR DE JOSKE

Les premiers jours de l’histoire de Leko et Limbombe sentent le malentendu. Débarqué un an plus tôt de Nimègue, l’ailier présenté dans ses très jeunes années comme le  » Robben belge  » revient au pays avec un parcours déjà tracé par la main de Michel Preud’homme :  » Il y a de grandes chances que José Izquierdo parte la saison prochaine. Nous avons déjà son remplaçant dans nos rangs.  »

Le plan brugeois est limpide : on explique à Limbombe que sa première saison devrait être pauvre en temps de jeu, mais riche en enseignement. Il doit digérer les lois, surtout défensives, du système Preud’homme, afin de prendre la relève de Joske au bout d’un an. Lancé prématurément dans le grand bain, à cause des nombreux pépins physiques d’Izquierdo, Anthony s’en tire avec les félicitations de son coach, qui s’avoue  » surpris par la rapidité avec laquelle il a assimilé ce qu’on lui demande.  » Lors du premier Topper de la saison, il est même l’homme-clé du succès brugeois avec deux passes décisives qui valent trois points.

Preud’homme s’en va, et son intenable Colombien passe l’été à chercher un nouveau pré où faire gambader son Soulier d’or. Limbombe se voit déjà prendre sa place, sur le terrain et dans les coeurs brugeois. Erreur d’appréciation, sans doute, car le Belge ne mesure pas la marge qui le sépare d’Izquierdo, plus grand matchwinner du pays, présenté par Ivan Leko comme  » le Messi de la Pro League « . S’il est incapable de gagner régulièrement un match sur une action, comme était parvenu à le faire Joske, il ne peut pas non plus hériter de son statut et de ses privilèges.

LA MÉTAMORPHOSE

Dès qu’il installe sa défense à trois, Leko imagine Limbombe comme son  » cinquième défenseur « . Un rôle semblable à celui qu’occupait Moses Simon dans le meilleur Gand d’Hein Vanhaezebrouck, qui lui permettait de se retrouver isolé face à un défenseur, avec de l’espace à dévorer, après un encombrement de joueurs à droite et un changement d’aile. Le problème, c’est qu’Anthony ne joue que pour lui. En match amical face à l’AZ Alkmaar, il refuse carrément de courir, et passe son temps à attendre les ballons dans le camp adverse. Leko, De Bock et Touba le renvoient en tribunes.

Et puis, Limbombe change. D’un jour à l’autre, il bouleverse la hiérarchie de sa pensée, et place les intérêts de Bruges au-dessus des siens. Le Club découvre alors un joueur différent du simple ailier en faux pied, seulement rendu imprévisible par sa faculté à centrer en bout de course du pied gauche, qui rend ses courses vers l’intérieur du jeu moins systématiques. Les habitués du Jan Breydel apprennent à savourer son jeu défensif, impressionnant de maîtrise en duel direct.  » C’est un peu notre version à nous de Clinton Mata « , sourit-on dans le vestiaire brugeois.  » S’il est concentré sur son duel, il y a très peu de joueurs qui parviendront à le passer.  » Instinctivement, Anthony place son corps dans la bonne position pour défendre, trouve naturellement son équilibre, et le dynamisme hors normes de ses cuisses fait le reste.

Pour couronner le tout, il court. Beaucoup, longtemps, tout le temps. S’il explique après la victoire contre Ostende, offerte par son but dans le money-time, que  » cette nouvelle position est difficile « , sa fraîcheur est plus éloquente que ses mots. Quelques jours plus tôt, sur la pelouse de Charleroi, il avait déjà réécrit les lois du Felice Time des Zèbres, en plantant le but de la victoire au bout du chronomètre. Avec Limbombe, les filets tremblent tard, signe d’un talent athlétique hors du commun.  » Il pourrait enchaîner deux matches « , affirme-t-on dans le camp brugeois, où on confirme aussi que l’ailier est l’un des meilleurs joueurs du noyau sur le plan physique. Ahmed Touba fait encore mieux que lui, mais souffre de la comparaison quand il faut devenir décisif, à l’approche des deux rectangles.

Anthony Limbombe avale les kilomètres, et parvient tout de même à gagner des matches. Pas encore assez, puisque ses statistiques (deux buts, une passe décisive) sont encore trop discrètes pour devenir l’un des hommes-clés d’un candidat au titre. À sa décharge, son explosion a coïncidé avec le retour sur le banc de Jelle Vossen, sans doute le joueur le plus apte à convertir ses centres, alors que Wesley et Dennis sont moins dominants dans le rectangle. Mais sans un meilleur bilan chiffré, le nouvel occupant du couloir gauche brugeois ne pourra ni tutoyer la légende d’Izquierdo, ni concrétiser le rêve fou d’un été en Russie.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO BELGAIMAGE

Dans son nouveau rôle, Anthony Limbombe avale les kilomètres, et parvient tout de même à gagner des matches.

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