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C’EST BON, C’EST BELGE

Depuis l’introduction de la règle des home grown players, il y a cinq ans, le championnat de basket a davantage pris l’accent belge. Mais s’en porte-t-il mieux ? Les avis sont partagés. Avant le début des play-offs, ce samedi, Sport/Foot Magazine dresse le bilan.

En 2010, la température était glaciale dans notre championnat national de basket. La crise économique frappait les clubs de plein fouet, au point que certains ont été contraints de mettre la clef sous le paillasson – Bree, par exemple, qui avait encore été champion en 2005 et finaliste des play-offs en 2008 – et qu’il devenait très compliqué d’encore attirer de bons joueurs étrangers.

Parallèlement, le réservoir de talents belges se vidait à vue d’oeil. Dès qu’un bon (jeune) Belge pointait le bout du nez, il filait à l’étranger, à l’image de Tomas Van Den Spiegel, d’ Axel Hervelle et, plus tard, de Sam Van Rossom et Jonathan Tabu. Cette situation trouvait des répercussions chez les Belgian Lions, qui n’avaient alors plus participé à un grand tournoi depuis 1993.

Si le niveau de notre championnat a baissé, ce n’est pas à cause des joueurs belges mais à cause de la qualité moindre des joueurs étrangers.  » – Wim Van de Keere, CEO de la Pro League

Des joueurs et des entraîneurs s’en sont émus. Entre autres Pieter Loridon, ou des icônes comme Ronny Bayer et Rik Samaey, qui se sont rassemblés au sein du groupe de protestation ProBE, qui a réclamé un maximum de cinq étrangers par équipe.

 » Sans cela, nous serions restés un championnat de réserve pour les Américains « , estimaient-ils. Les clubs, eux aussi, se rendaient compte qu’il fallait du changement. En 2010, les neuf clubs survivants se sont réunis au Spiroudôme de Charleroi. A l’ordre du jour : l’avenir du basket belge.

 » Ils craignaient qu’à terme, on ne trouverait plus aucun bon joueur belge « , se souvient Wim Van de Keere, actuel CEO de la Pro League, qui était présent au conclave.  » Voilà aujourd’hui cinq ans que la règle des home grown players a été introduite, et force est de constater qu’elle a produit son effet. Le climat négatif s’est adouci.  »

A partir de la saison 2013/2014, les clubs de D1 belge ont été obligés d’inscrire les noms de six home grown players sur la feuille de match. Par home grown players (HGP), on entend des joueurs qui, entre 12 et 21 ans, ont été formés pendant au moins quatre ans dans un club belge.

La règle a été reformulée au début de cette saison-ci : désormais, les clubs ne peuvent plus inscrire qu’un maximum de six non-HGP. Van de Keere explique pourquoi :  » En soi, cela ne change rien au nombre de minutes ou aux chances accordées aux joueurs belges, mais cela aide les clubs belges sur le plan européen. Car le règlement de la FIBA et de l’ULEB stipule que les clubs doivent appliquer, sur la scène européenne, les mêmes règles que dans leur compétition nationale.  »

Le pour et le contre

En pratique, l’évolution est positive. Les Belges sont plus nombreux, jouent davantage et ont un rôle plus important pour l’équipe. Comparé à la saison 2011/2012, les points inscrits par des joueurs belges ont quasiment doublé. En outre, notre championnat compte désormais dix clubs et plus huit comme en 2012. Limburg United et Kangoeroes Willebroek se sont ajoutés en 2014. Et, depuis 2011, les Belgian Lions ont participé à quatre Championnats d’Europe d’affilée. C’est une bonne nouvelle, non ?

Pas tout à fait. Les assistances, dans les salles de D1, sont en baisse. Contrairement à ce que l’on avait espéré avec la mesure prise, le phénomène d’identification ne joue pas chez les spectateurs. Et, sur la scène européenne, nos clubs éprouvent également des difficultés à briller. Le niveau de notre championnat est donc en baisse.

 » Mais la raison principale de cette baisse de niveau est, selon moi, d’abord imputable à la diminution des budgets « , estime Van de Keere.  » La situation n’est pas comparable à celle des années ’80 et ’90, lorsque les clubs ne pouvaient engager qu’un maximum de deux Américains. Ils consacraient alors presque l’intégralité de leur budget à l’engagement de deux bons étrangers, comme Bill Varner ou Kerry Trotter. Ce n’est plus possible aujourd’hui.

La qualité des joueurs étrangers a baissé, à cause du climat économique mais aussi de la concurrence étrangère, comme la G-League aux Etats-Unis (une sorte de D2, ndlr) ou la Chine. Les clubs belges doivent se contenter de joueurs étrangers de seconde zone ou de rookies. Si le niveau de notre championnat a baissé, ce n’est donc pas à cause des joueurs belges – voyez les bons résultats de notre équipe nationale – mais à cause de la qualité moindre des joueurs étrangers.  »

Une théorie confirmée par le manager sportif d’Ostende, Philip Debaere. Il prétend d’ailleurs que les dirigeants ont changé leur fusil d’épaule en matière de recrutement : aujourd’hui, ils sont prêts à donner autant d’argent pour un bon joueur belge que pour un étranger.  » Il n’en a pas toujours été ainsi « , reconnaît-il.  » Il fut un temps où les Belges étaient surtout considérés comme des faire-valoir. Les points étaient, la plupart du temps, inscrits par les deux ou trois étrangers de l’équipe. Mais, à partir du moment où ces bons étrangers sont devenus hors de prix, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas investir dans des joueurs belges qui sont au moins aussi bons. Chez nous, Jean Salumu gagne autant qu’un bon étranger. Et à juste titre.  »

Vincent Kesteloot, du BC ostende, domine son petit monde de la tête et des épaules.
Vincent Kesteloot, du BC ostende, domine son petit monde de la tête et des épaules.© BELGAIMAGE

Mais certains dirigeants estiment qu’à cause de cette règle des home grown players, certains joueurs belges sont désormais surpayés ou surcotés. Van de Keere préfère voir le côté positif :  » Cette règle a permis a certains joueurs de recevoir une chance qui leur était autrefois refusée. Je pense en particulier à Senne Geukens ou Domien Loubry, qui ont dû jouer jadis en D2 parce qu’il n’y avait pas de place pour eux en D1, et qui apportent désormais une plus-value à l’élite.’

L’une des raisons de l’hégémonie d’Ostende, ces six dernières années, est liée à l’introduction de la règle des Home Grown Players.

La charrue et les boeufs

L’une des raisons de l’hégémonie d’Ostende, ces six dernières années, est précisément liée à l’introduction de la règle des HGP. Le club côtier a su l’anticiper en investissant dans les joueurs belges.  » Nous avions eu, précédemment, quelques expériences malheureuses avec des joueurs étrangers, et cela nous a fait réfléchir « , confirme Debaere.  » Nous avions quelques bons jeunes, formés chez nous, comme Quentin Serron, Jean Salumu et Khalid Boukichou, et avons été chercher d’autres bons Belges ailleurs, comme Pierre-Antoine Gillet et Niels Marnegrave.  »

Pour les faire progresser, un coach réputé pour ses talents de formateur a été engagé : Dario Gjergja. Le puzzle était complet, et depuis lors, le BCO a tout gagné au niveau national. Mais pour combien de temps encore ? Car le réservoir belge n’est pas inépuisable. Debaere :  » Nous avons dû laisser partir Gillet, Serron et Boukichou, en attendant un départ éventuel de Salumu. Nous avons quelques grands talents dans notre équipe filiale, qui a été championne en D2, mais ces garçons n’ont que 17 ou 19 ans. Gillet, Serron et Salumu sont arrivés à maturité entre 23 et 24 ans. En outre, certains talents sont attirés par d’autres clubs de D1, qui leur promettent monts et merveilles. Notre tâche va se compliquer au cours des prochaines années.  »

C'EST BON, C'EST BELGE

Debaere touche un point sensible. Car la règle des HGP s’attaque au sommet de la pyramide, pas à la base : la qualité de notre formation.  » Parfois, il faut atteler la charrue avant les boeufs pour faire bouger les choses « , affirme Wim Van de Keere pour justifier la position de la Pro League. Pourtant, il reconnaît qu’il faudrait désormais s’attaquer à la base. La Ligue espère inciter les clubs à investir dans les jeunes en introduisant un système d’indemnités de formation.  » Je pense que ce système pourra être introduit pour la saison 2019/2020 « , dit-il.

Mais un problème subsistera pour la catégorie d’âge entre 18 et 22 ans.  » Aux Etats-Unis, les joueurs peuvent se développer au collège ou à l’université durant cette tranche d’âge « , constate Van de Keere. En Belgique, un championnat d’Espoirs – la Belgian Development League (BDL) – avait été créé, mais n’a pas survécu au-delà de deux ans.  » Et je ne vois pas vraiment d’autres alernatives « , admet le CEO de la Pro League.

Philip Debaere décèle cependant une évolution positive chez ses collègues, en matière de formation des jeunes.  » Anvers, et depuis cette année également Charleroi, investissent désormais dans les jeunes « , constate-t-il. Ostende consacre annuellement 300.000 euros à la formation, soit 10 % du budget.  » C’est beaucoup, mais c’est rentable.  »

Une bonne collaboration avec des petits clubs de la région peut aussi s’avérer productive. Debaere :  » Avec le projet Basket@Sea, nous rassemblons les meilleurs joueurs de chaque catégorie d’âge dans une seule équipe. Chacune de ces équipes s’est retrouvée en finale de la Coupe des Flandres, cette saison. Anvers travaille de la même manière et obtient aussi des bons résultats.  »

L’expérience au service de la formation

Comme Ostende, Anvers a placé un ancien joueur professionnel à la tête de ses équipes de jeunes. Chez les Côtiers, Sam Rotsaert s’attèle à la tâche avec beaucoup de succès depuis plusieurs années. A Anvers, l’ex-Belgian Lion Christophe Beghin s’en charge depuis cette saison.  » D’autres clubs devraient oser la même initiative « , estime Van de Keere.  » De nombreux anciens professionnels hésitent à devenir entraîneur. Ils considèrent que le risque est trop grand, car les postes à pourvoir ne sont pas nombreux en Belgique. Ils pourraient mettre leur expérience au service de la formation.  »

Van de Keere voit une autre solution pour rehausser la qualité de la formation des jeunes dans notre pays.  » L’introduction d’un système de licence pour notre D2 pourrait constituer un pas dans la bonne direction. Certains clubs risqueraient peut-être de ne pas pouvoir répondre aux critères, mais cela rendrait le championnat plus sain et plus compétitif. Aujourd’hui, l’écart entre la D2 et la D1 est encore trop grand.  »

Il reste donc du pain sur la planche, surtout au niveau de la base, mais la règle des HGP a produit des effets positifs. Les joueurs, les clubs et la Ligue sont unanimes à ce sujet. Le manager de la Ligue Wim Van de Keere, qui a joué comme professionnel à Ostende, Wevelgem, Estaimpuis et Alost entre 2000 et 2006, a lui-même souffert des règles en vigueur à l’époque :  » Alors que j’étais joueur, je me souviens avoir écrit une lettre de protestation à Bert Anciaux (à l’époque Ministre flamand des sports, ndlr). En ces temps-là, on pouvait aligner un nombre illimité de joueurs européens. Notre championnat était donc envahi par des joueurs bon marché venus du Bloc de l’Est qui, souvent, n’étaient pas meilleurs que nos Belges qui évoluaient en D2. Heureusement, ce temps-là est révolu. Les Belges sont désormais mieux lotis qu’à l’époque où j’étais moi-même joueur. Peut-être pas en matière de salaire, mais au moins en matière de sécurité d’emploi.  » ?

Un Belge en permance sur le terrain ? Règle abrogée !

L’an passé, les clubs avaient conclu un accord pour aller encore plus loin dans la règle des home grown players. A partir de la saison 2018/2019, un joueur belge devrait se trouver en permanence sur le terrain. Mais, voici 15 jours, la Pro League a décidé de revenir en arrière et d’abroger cette règle. Elle explique ce revirement par le fait que les chiffres sont bons et que l’application de cette nouvelle règle ne se justifie plus.  » Nous devons désormais travailler pour la qualité – donc la formation – et plus pour la qualité « , ajoute Wim Van de Keere, CEO de la Pro League.

Philip Debaere, le manager sportif d’Ostende, était dès le départ opposé au renforcement de la règle, obligeant les équipes à avoir en permanence un HGP sur le terrain. Surtout pour des raisons pratiques :  » D’abord : qui aurait surveillé la bonne application de cette règle ? Les arbitres ? L’entraîneur ? Ensuite : cela aurait donné lieu à des situations artificielles. Imaginez qu’en fin de match, un meneur de jeu belge se blesse. Ou que votre pivot belge doive sortir pour cinq fautes. Par qui aurait-on dû le remplacer ? Par un jeune ? Ou par un joueur belge qui n’occupe pas la même position ? Cela aurait rendu la tâche des coaches très compliquée. Dans les pays qui ont appliqué cette règle, comme Israël, on a aussi fait marche arrière. En ce qui me concerne, je trouve que la règle actuelle est bonne : au maximum six non-HGP sur la feuille de match, c’est parfait. Tous les clubs de D1 sont d’accord. « 

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