© BELGAIMAGE

 » Avec moi, Carcela volerait deux mètres en l’air « 

Le Standard a failli être champion. Wilfried Van Moer, l’ancien meneur des Rouches, a vécu une saison fantastique dans les tribunes.  » L’équipe a été si bonne en PO1 qu’on aurait presque oublié à quel point elle avait été mauvaise avant.  »

Wilfried Van Moer (73 ans) est surpris par la saison de son équipe préférée, même s’il estime que, sur base de toute la saison, un titre eût été excessif.  » Le Standard a un problème quand on met trois hommes sur Mehdi Carcela, comme Bruges l’a fait.  »

Qu’a-t-il manqué au Standard pour être champion ?

WILFRIED VAN MOER : De l’expérience. Il a de bons joueurs, comme Collins Fai, qui est encore meilleur à l’arrière gauche qu’au droit parce qu’il converge mieux vers le centre et peut exploiter son bon pied droit. Ou Christian Luyindama : un ours, fort de la tête mais avec un jeu de position perfectible. Uche Agbo prend une carte par match, c’est trop. Il ne choisit pas bien son côté non plus. Je trouvais Zinho Vanheusden très bon mais je ne comprends pas qu’on l’aligne d’emblée après une longue blessure puis qu’on l’écarte. Ce que j’aime, c’est la simplicité de son jeu. Ça paraît simple alors que c’est le plus compliqué. Ces jeunes vont s’imposer la saison prochaine. De mon temps, la défense du Standard faisait peur. Jean Thissen, Jacky Beurlet et Léon Jeck étaient très durs. Avec eux, il y avait un footballeur intelligent qui organisait tout : Nico Dewalque. Et devant eux, Louis Pilot, une crapule, difficile à passer.

À en juger par ses PO1, Edmilson vaut largement le PSV.  » – Wilfried Van Moer

Ce Standard-ci aligne-t-il assez de crapules ?

VAN MOER : Non. On l’a vu dans le match du titre, quand le Club pressait. Faites voler ces gars ! C’est ce que je pense quand je vois Carcela, même si je le trouve fantastique. Si je lui étais opposé, je l’enverrais voler deux mètres en l’air. C’est la seule chose à faire mais de nos jours, c’est interdit. Il est très difficile d’affronter Carcela, à cause de sa technique et de sa vitesse. Il donne l’impression de pousser le ballon un rien trop loin, de sorte que son adversaire pense qu’il peut l’avoir mais il a déjà placé une accélération. La classe.

 » Sa Pinto, un bon entraîneur ? Je me pose la question !  »

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris cette saison ?

VAN MOER : Les deux visages de l’équipe. On peut diviser sa saison en deux : le championnat régulier, mauvais, avec plusieurs défaites à domicile contre des équipes moyennes et les PO1. Le Standard s’y est métamorphosé. Plusieurs joueurs se sont sublimés et l’entraîneur les a bien coachés, cette fois.

Tu trouves ?

VAN MOER : Ricardo Sa Pinto coache comme il jouait : avec du caractère. Il a quand même bien amusé les journalistes ? Vous n’avez pas manqué de matière grâce à lui et à Hein Vanhaezebrouck, qui gesticule le long de la ligne comme s’il était Dieu le père.

Sa Pinto est-il un bon entraîneur ?

VAN MOER : C’est la question.

Nous voulons ton avis, Wilfried.

VAN MOER : Je me pose moi-même la question. Pendant le championnat régulier, je me suis demandé ce qu’il faisait. Mettre Carcela, son meilleur joueur, sur le banc à Ostende, dans un match décisif ? Mais chaque fois qu’il a fait quelque chose qui semblait fou, le résultat a suivi. Un bon entraîneur a de la chance et Sa Pinto en a eu beaucoup. La chance se force : les joueurs commencent par froncer les sourcils si le coach n’aligne pas son meilleur homme mais si ça marche quelques fois, ils croient en lui. Je me suis quand même énervé contre le Club quand il a mis Carcela en pointe et Emond à droite, où il n’en a pas touché une. Mais on ne peut pas dire que Sa Pinto est un mauvais entraîneur.

 » Edmilson joue mieux depuis l’arrivée de Carcela  »

Le footballeur Wilfried Van Moer aurait-il aimé travailler avec Sa Pinto ?

VAN MOER : Apparemment, ils aiment tous ça, même des joueurs expérimentés comme Sébastien Pocognoli et Réginal Goreux qui sont sur le banc. Ils lui ont sauté au cou après la victoire en coupe : c’est bon signe. Il est intelligent et on voit qu’il a évolué au sommet. Il laisse Carcela courir comme il veut et ça marche. Je me demande donc comment ça va aller si Michel Preud’homme débarque car il a des principes en football et il assigne des tâches précises. Carcela et Edmilson n’auront pas bon.

Quand as-tu pensé que le Standard pouvait décrocher un podium ?

VAN MOER : Quand il a acheté Carcela. Il a fait la différence, même si Edmilson a énormément progressé. Il était top à Saint-Trond mais là, il pouvait se contenter d’attaquer. Il a appris à défendre au Standard. Le Brugeois qui lui était opposé faisait toute la ligne, l’obligeant à le suivre. Il a désormais assez de forces pour le faire et il joue mieux depuis l’arrivée de Carcela. Il a haussé le niveau de toute l’équipe, ce que j’aurais attendu de Paul-José Mpoku aussi.

Combien d’artistes une équipe peut-elle avoir ?

VAN MOER : Le Standard en a trois, quatre avec Razvan Marin, à sa façon. Il allie vista, labeur et vitesse.

Edmilson doit-il rejoindre le PSV ou rester un an de plus à Liège ?

VAN MOER : D’après ses PO1, il a largement le niveau du PSV. Surtout compte tenu du style de jeu des Pays-Bas, qui lui offrira plus d’espaces.

 » Hans Vanaken est trop léger pour les Diables Rouges  »

Le Standard ne doit-il pas essayer de conserver son équipe ?

VAN MOER : Peut-il se permettre de refuser une bonne offre pour Edmilson, par exemple ?

Edmilson ne risque-t-il pas de connaître le même sort que Youri Tielemans à Monaco ? Qu’y fait-il, d’ailleurs ?

VAN MOER(froidement) : gagner de l’argent.

Carcela a échoué deux fois à l’étranger.

VAN MOER : C’est peut-être lié à son style de jeu. En Italie ou en Angleterre, si on donne le tournis à son adversaire, on vole les quatre fers en l’air. Les entraîneurs y imposent aussi des consignes plus strictes. En Belgique, personne n’est capable de l’arrêter. Il faut trois hommes, comme Bruges l’a fait. Anderlecht n’est pas parvenu à le neutraliser alors que Vanhaezebrouck devait savoir comment s’y prendre. Il peut améliorer un aspect : passer plus vite le ballon, pour accélérer le jeu. S’il court et dribble, il permet à ses adversaires de se repositionner.

Chaque fois que Sa Pinto a fait quelque chose qui semblait fou, il a obtenu un résultat.  » – Wilfried Van Moer

Il a longtemps hésité entre la Belgique et le Maroc. Aurait-il été un renfort pour nous ?

VAN MOER : Il n’avait pas encore son niveau actuel et sur le flanc, la Belgique a Eden Hazard, Kevin De Bruyne, Yannick Carrasco… Hans Vanaken a été élu Footballeur Pro de l’Année mais il est trop léger pour les Diables Rouges. Ne te méprends pas : je suis un fan de Carcela. La Belgique a peu de médians comme lui. J’admire beaucoup Adrien Trebel aussi. Un médian travailleur qui lit le jeu.

 » Retenir Orlando Sá n’aurait servi à rien  »

Tu penses qu’ils sortent ensemble comme vous dans le temps ?

VAN MOER : Ce n’est plus possible : ce serait demain matin en une de mon journal ou les analystes feraient des remarques. Pourtant, Marc Degryse et Gilles De Bilde n’étaient pas de braves garçons, hein. Je les ai connus en équipe nationale. On sortait ensemble chaque semaine. Quand quelqu’un disait nous avoir vus, on démentait fermement. C’était sa parole contre la nôtre. C’est moins marrant maintenant mais on gagne beaucoup plus. On ne peut pas tout avoir.

Cette équipe du Standard va-t-elle s’inscrire dans la durée ?

VAN MOER : Aucune idée. C’est difficile. Et former une équipe est devenu impossible. C’est pour ça qu’il est important qu’un club possède plusieurs personnes qui connaissent le football. La structure est aussi importante que l’équipe, pour anticiper les départs forcés.

Qu’as-tu pensé du départ d’Orlando Sá en janvier ?

VAN MOER : J’étais déçu. Laisser partir son meilleur buteur au beau milieu de la saison… Mais il voulait partir. Le retenir n’aurait servi à rien. Si un joueur de mon équipe veut partir, je le conduis moi-même à l’aéroport.

C’était impossible de ton temps.

VAN MOER : Oui. Quand je jouais à l’Antwerp, j’ai eu une offre de Cologne. Au Standard, Valence et Majorque se sont intéressés à moi. Les gens de Majorque se sont même déplacés mais le Standard a refusé de les recevoir.

 » Le retour de Preud’homme serait bien pour le Standard  »

Tu es fan de Preud’homme, non ?

VAN MOER : Son retour serait bien pour le Standard. Le club serait reparti pour des années, avec sa nouvelle structure. Bruno Venanzi est moitié supporter, moitié président. L’aura et le bagage de Michel permettraient au Standard de concurrencer le Club et Anderlecht.

Le Standard a quand même été un club plutôt agité ces dernières années ?

VAN MOER : Il a manqué de connaisseurs du football dans ses hautes sphères. Roland Duchâtelet est un homme intelligent mais a une autre vision du football. Il aurait dû gagner le titre une fois. Je lui ai encore dit il y a peu que Guy Luzon et Michy Batshuayi ont tout fait foirer. Batshuayi pensait à son transfert, à l’équipe nationale et au titre de meilleur buteur. Il ne jouait plus pour l’équipe. C’est ce qui a tué le Standard cette saison-là. Luzon aurait dû le voir et l’écarter. Note que j’étais supporter de Batshuayi mais un joueur ne peut pas forcer les choses et l’entraîneur doit intervenir. Sa Pinto le fait. Il a réussi une bonne saison avec le Standard et, au besoin, il n’aura aucun mal à trouver une bonne équipe. Il vient de délivrer une belle carte de visite, qu’il n’avait pas avant, avec cette succession de clubs. Sa Pinto ne doit pas se tracasser : il quittera de toute façon le Standard par la grande porte.

La presse n’use-t-elle pas de deux poids, deux mesures à son sujet ?

VAN MOER : Si. Vanhaezebrouck jouit de plus de crédit grâce à ce qu’il a montré à Gand.

 » Une bonne équipe s’auto-corrige  »

Tu aurais aimé travailler avec Vanhaezebrouck ?

VAN MOER : Ça aurait peut-être frotté. Pas parce que je suis contre les coaches qui assignent des tâches aux joueurs. J’en ai eu, comme René Hauss. Au début, j’ai calé puis mon franc est tombé. J’ai compris qu’il avait raison. Mais encore faut-il que l’entraîneur ait raison : sinon, on discute. En interne, bien sûr, et à condition de prester soi-même.

Courtois et De Bruyne peuvent donc donner leur avis sur la tactique des Diables Rouges ?

VAN MOER : Ils le doivent ! Nous réglions tout nous-mêmes sous Guy Thys. Maintenant, dès qu’il se passe quelque chose, ils regardent tous le banc. Nous, jamais. Nous arrangions tout entre nous. Une bonne équipe s’auto-corrige. À moins que l’entraîneur ne l’oblige à appliquer son système. S’il ne fonctionne pas, les meilleurs joueurs doivent s’adresser à l’entraîneur. S’il est raisonnable, il en tient compte. Sinon, c’est du suicide.

Wilfried Van Moer

Né le 1er mars 1945 à Beveren.

Il a disputé 57 matches internationaux de 1966 à 1982, participant à deux Coupes du monde, en 1970 et en 1982. Il a participé à la finale de l’EURO 1980 et a été sélectionneur des Diables Rouges d’avril à décembre 1996.

Il a joué pour Beveren et l’Antwerp mais c’est avec le Standard (1968-1976) qu’il a remporté trois titres (1969, 1970, 1971). Il s’est encore produit en D1 pour Beringen et Beveren. Il a gagné trois Souliers d’Or (1966, 1969, 1970).

Wilfried Van Moer :
Wilfried Van Moer :  » Si Preud’homme revient au Standard, celui-ci est reparti pour des années. « © BELGAIMAGE

 » Je ne suis pas fan de Martinez « 

Wilfried Van Moer n’attend pas grand-chose des Diables Rouges.  » Je n’aime pas trop l’entraîneur. Râler parce qu’un joueur boit un verre et fume une cigarette ! S’il y avait eu des règles de ce genre de notre temps, personne n’aurait été sélectionné. Eric Gerets et le Caje( Jan Ceulemans, ndlr), ce n’était pas rien ! Moi non plus, au demeurant. On prenait l’apéritif chez moi à midi. On rigolait tous ensemble. Je ne partage pas l’avis de Roberto Martinez et sûrement pas à propos de RadjaNainggolan. Moi, je n’hésiterais pas à le prendre. Quant au tournoi, je ne le suivrai qu’après ces bêtes matches comme contre le Panama. De toute façon, après les qualifications, j’aurais engagé Michel Preud’homme. D’autant plus qu’il était libre et intéressé. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire