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A la guerre comme…

Oleguer Presas i Renom (37) a joué au FC Barcelone et à l’Ajax mais plus que son CV, c’est sa personnalité qui interpelle. Catalan convaincu, il a refusé de porter le maillot de l’équipe d’Espagne. Nous avons rencontré l’ex-défenseur à Sabadell, sa ville natale.

« Si j’ai accepté votre demande d’interview, c’est uniquement parce que j’estime qu’il est important que chacun sache ce qui se passe actuellement en Catalogne. Car c’est un problème qui concerne tous les Européens. Il s’agit du droit de manifester et d’exprimer librement son opinion. Des droits internationaux. Si on autorise la répression, quelle sera la prochaine étape ? Cela reviendrait à donner le feu vert à tous les états et à tous les niveaux de pouvoir. Pour le reste, je préfère l’anonymat. Je suis actif sur le plan politique mais je ne veux pas être une icône ou un leader. Je fais partie d’un groupe et c’est très bien ainsi.  »

L’Oleguer qui prend place à notre table sur la terrasse de l’Alliance Française à Sabadell, près de Barcelone, est un vainqueur de la Ligue des Champions et cela se voit à la façon dont il communique. En 2006, le défenseur faisait partie du onze de base du FC Barcelone qui a battu Arsenal en finale de la plus importante des coupes d’Europe. A ses côtés, on retrouvait des noms illustres comme Deco, Samuel Eto’o et Ronaldinho.

Après son départ du Barça, en 2008, il a encore joué trois ans à l’Ajax (voir encadré). En 2011, au terme de son contrat avec le club hollandais, il a refusé des propositions d’Italie, de Grèce et d’Espagne. A 32 ans, il estimait qu’il était temps de mettre un terme à sa carrière.

 » Aucun projet ne m’intéressait « , dit-il.  » L’argent ne m’a jamais motivé, c’était plutôt une conséquence de ce que j’aimais faire. Lorsque j’avais le sentiment que quelque chose n’irait pas, je refusais. J’ai, par exemple, perdu beaucoup d’argent en refusant de jouer pour l’équipe nationale. J’ai toujours su que ma carrière ne serait pas longue. Il y avait tellement d’autres choses que je voulais faire en dehors du sport.  »

Ni Barcelone ni l’Ajax n’ont tenté de le museler

Le nom d’Oleguer a toujours fasciné. Pas tant en raison de ses qualités footballistiques – c’était un bon défenseur, sans plus – que de ses idées rebelles. A l’heure où le football est devenu une industrie commerciale monotone qui ne tolère pas la dissidence, il offrait une alternative. C’est ainsi qu’en 2007, le contrat de sponsoring qui le liait à Kelme a été rompu parce qu’il avait pris la défense d’un partisan de l’ETA maltraité par la justice espagnole.

Il conclut cependant, par la suite, un nouveau contrat avec Diadora et versa le montant à une oeuvre de bienfaisance. Au début de sa carrière, il fut arrêté par la police après des échauffourées lors de la fermeture d’un café alternatif dans sa ville de Sabadell. Il fut également sifflé dans certains stades espagnols parce qu’il refusait de porter le maillot de l’équipe d’Espagne. Mais il assure que jamais Barcelone ou l’Ajax n’ont tenté de le museler.

 » Pas à ma connaissance, du moins « , ajoute-t-il. Une seule fois, le Barça lui tapa sur les doigts : c’était en 2007 lorsqu’il avait pris part, comme co-pilote de Xevi Pons (Subaru) au Rallye de Catalogne. La pratique de sports dangereux est explicitement interdite dans les contrats des footballeurs professionnels.

Pour obtenir son interview, nous avons dû franchir pas mal d’étapes. Des mails au CUP, le parti séparatiste catalan auquel il appartient, et à Crida per Sabadell, une section locale du CUP, n’ont servi à rien. Nous avons ensuite envoyé un message à son ami, l’auteur Roc Casagran, avec qui il a écrit, en 2007, le recueil d’essais politiques, Cami d’Itaca. Oleguer nous a répondu par mail et nous a donné rendez-vous au collège français de Sabadell.

 » C’est juste à côté de la gare ferroviaire « , précisait-il. Cette remarque n’était pas le fruit du hasard : l’ex-joueur de Barcelone se préoccupe beaucoup de l’avenir de notre planète. Il investit dans une entreprise spécialisée dans l’énergie verte renouvelable. De plus, il s’engage pour une association qui s’occupe de logements pour les classes sociales moins loties de la population. Et il a repris des études.

Il a voté en faveur de l’indépendance de la Catalogne

 » Je suis membre d’un groupe qui observe les mouvements économiques d’un esprit critique. Lorsque je suivais des cours d’économie appliquée à l’université, on ne faisait référence qu’à des extraits de la littérature néoclassique ou à des économistes libéraux. C’était beaucoup trop traditionnel. C’est pourquoi je me suis replongé dans ces études en adoptant une attitude bien plus indépendante. Thomas Piketty, Marx, John Maynard Keynes… Nous devons abandonner l’idée que l’économie de marché libre est la seule option valable.  »

Son style vestimentaire souligne ses propos. Habillé comme un étudiant un peu dépassé – un pull noir sans marque plein de taches de peinture – il débarque sur la terrasse du centre culturel de Sabadell avec son chien Saul, un bâtard stylebobtail. Pendant l’interview, il ne boit que du thé vert local. Nous comprendrons plus tard pourquoi en l’écoutant parler.

 » La globalisation, ce n’est pas la panacée universelle. D’un point de vue économique et écologique, des projets locaux à petite échelle peuvent être tout aussi importants pour une communauté. Pourquoi faut-il que cette pomme du Chili arrive par l’Allemagne pour être consommée en Catalogne ?  »

C’est ainsi que nous en arrivons à parler rapidement de l’indépendance de la Catalogne. Nous rencontrons Oleguer au lendemain de l’arrestation de deux politiciens catalans par la justice espagnole et deux grosses semaines après le fameux referendum au cours duquel les citoyens catalans ont dit Si à l’indépendance. Oleguer a voté pour également mais n’en revient toujours pas de ce qu’il a vu ce jour-là, avant et après le vote.

 » J’ai été totalement surpris par la violence dont ont fait preuve les autorités espagnoles. Et l’intimidation. Avant le referendum, la police était présente en masse dans les rues, des imprimeries ont été visitées pour éviter que des pamphlets et des affiches soient distribués. Le fait que ce soit encore possible au 21e siècle, c’est hallucinant. Ce n’est pas cela, la démocratie.  »

Non à une Europe faisant contrepoids aux USA ou à la Chine

A ses yeux, la lutte catalane pour l’indépendance constitue toujours un combat contre les résidus du franquisme.  » Ces deux politiciens rebelles n’ont pu être emprisonnés que sur base d’une loi datant des années ’70, de la période de Franco, donc. La haute cour de justice espagnole est encore composée de nombreux adeptes de l’ancienne dictature. Il n’y a jamais eu de rupture nette avec le franquisme, la plupart des structures n’ont pas changé. Aujourd’hui, les symptômes refont surface.  »

Nous lui faisons toutefois remarquer que quelque chose nous échappe : le fait qu’une région bien portante sur le plan économique exige davantage d’autonomie ne témoigne-t-il pas d’une vision à court terme et d’un certain égoïsme alors que nous vivons à une époque où l’Europe se doit d’être solidaire pour affronter des problématiques comme celle des réfugiés ?

De plus, on constate avec le Brexit que l’indépendance n’est pas la panacée universelle. Oleguer nous écoute poliment, avale une gorgée de thé, caresse doucement la tête de son chien qui dort et respire profondément avant de se lancer dans son argumentation.

 » Pourquoi suis-je pour l’indépendance de la Catalogne ? Parce que cela permettra au peuple de se rapprocher de l’autorité et d’être plus autonome au moment de prendre des décisions concernant la terre sur laquelle il vit. Mais aussi en guise de rébellion contre le régime autoritaire de l’état espagnol. Le pouvoir et les décisions doivent appartenir au peuple, pas aux autorités. C’est pourquoi je ne suis pas non plus fan de l’Union européenne.

Le genre d’Europe que l’on construit actuellement ne m’intéresse pas. Je veux de la solidarité entre les états-membres de l’Europe pour des actions humanitaires – comme dans le cas de la crise des migrants – mais je ne veux pas d’une Europe toute puissante sur le plan économique pour faire contrepoids aux Etats-Unis ou à la Chine. Je ne crois pas en ce genre de monde où tout tourne autour de multinationales de plus en plus grosses qui ne se soucient que d’elles-mêmes. Je ne crois pas non plus en l’identité européenne, c’est justement la diversité des cultures et des identités qui enrichit l’Europe.  »

Un rôle important pour le Barça

Il pense que son ex-employeur, le FC Barcelone, a un rôle important à jouer dans la lutte pour l’indépendance de la Catalogne.  » Dire qu’on ne peut pas mélanger sport et politique, c’est ridicule… Cela se passe même automatiquement. Rien qu’avec la présence d’un sponsor sur le maillot ou le respect d’une minute de silence pour les victimes du terrorisme en Europe, mais non en Syrie ou en Irak, on exprime certaines préférences ou convictions.

Des clubs de foot comme le FC Barcelone peuvent se faire l’écho de la voix du peuple. Dans un stade, on crie pas mal de choses, on déroule des banderoles. Sous Franco, le Camp Nou était l’un des rares endroits où les Catalans pouvaient exprimer leurs critiques sur les autorités et revendiquer leur identité catalane. Cela fonctionne d’ailleurs dans les deux sens.

Un club utilise parfois aussi ses supporters pour montrer une certaine image. Ce n’est pas pour rien que le slogan du FC Barcelone est Més que un club. Les gens sont fiers de la philosophie populaire et des valeurs démocrates qu’ils défendent mais il faut également qu’ils se comportent de façon cohérente. Le FC Barcelone est également devenu une très grosse entreprise, ne soyons pas naïfs, mais je pensais tout de même que ses dirigeants se montreraient plus clairs au moment du choix.

Ils auraient ainsi pu boycotter le match contre Las Palmas le jour du referendum. Le club ne voulait pas jouer mais a cédé lorsque la Ligue l’a menacé de lui retirer des points. Il aurait dû tenir bon car une telle crise politique a plus d’importance qu’un titre. Dans cette situation, faire flotter des drapeaux ou afficher un tifo (comme face à l’Olympiacos, ndlr), ce n’est pas suffisant.  »

Oleguer reconnaît qu’il vient rarement au Camp Nou. Il n’a plus que des contacts sporadiques avec ses équipiers d’antan. Il avait déjà 21 ans lorsqu’il est passé de Gramenet, un club de D3, au FC Barcelone B. Il n’a donc pas été formé à La Masia, même si on dit qu’il fait partie de la génération de Víctor Valdés, Xavi, Carles Puyol et Gabri, de véritables Catalans qui ont percé au même moment au Barça. Mais aucun ne se montre aussi revendicatif qu’Oleguer, le moins bon joueur des cinq…  » On en rigolait même « , sourit Oleguer.  » On me confrontait sans cesse à l’une des expressions qui avaient fait en sorte qu’on parle de moi.  »

Non à la Roja, une équipe qui ne l’a jamais intéressé

Il comprend que ses anciens équipiers se tiennent à carreau en matière de convictions politiques, même si leur carrière est désormais terminée.  » Avant, nous parlions régulièrement de politique dans le vestiaire mais mes équipiers savaient parfaitement que certaines déclarations risquaient de faire du bruit. Je ne donnais pas de leçon. Chacun a le droit d’exprimer son avis ou non. Le problème, c’est que ceux qui veulent le faire en sont souvent empêchés. Voyez ce qui arrive à Gerard Piqué. Il est très critiqué et sa place en équipe d’Espagne est remise en question. Pourquoi ? Parce qu’il est pour la démocratie ? Ça ne va pas.  »

Contrairement à Oleguer et malgré ses convictions catalanes, Piqué porte le maillot de La Roja. Il a même été champion du monde (2010) et champion d’Europe (2012) avec l’Espagne. Oleguer n’était pas assez fort pour jouer un rôle en vue en équipe nationale mais il a déjà été sélectionné. C’était en 2005, sous la direction de Luis Aragonés. Il est allé une fois à l’entraînement.

 » Pour dire à l’entraîneur que je ne pouvais accepter la sélection « , explique-t-il.  » J’ai dit honnêtement à Aragones qu’il vaudrait mieux qu’il sélectionne d’autres joueurs parce que je ne me sentais pas tout à fait concerné par l’équipe espagnole. Il m’a compris. Un coach ne veut que des joueurs qui viennent de leur plein gré.  »

Il n’a jamais regretté cette décision, même quand l’Espagne s’est mise à tout gagner.  » Je n’ai jamais regardé les matches de l’équipe nationale, ça ne m’intéressait pas. Il aurait donc été bizarre que, soudain, je décide de la représenter. Même lorsqu’elle a gagné la Coupe du monde et l’Euro, j’ai à peine suivi. Pour moi, ce n’était pas mon pays.  »

Saul se réveille et notre interlocuteur regarde son GSM. Il doit partir très vite car il a une autre réunion. En ce moment, il a du pain sur la planche. Nous aimerions encore savoir comment il voit l’évolution de la question catalane.  » Je ne dis pas que l’indépendance serait LA solution mais qu’on nous laisse au moins organiser un referendum sérieux, sans intimidation de la part du gouvernement espagnol. Nous ne devons pas toujours être d’accord et, quel que soit le scrutin, il y aura toujours des déçus. Mais c’est ça, la démocratie. Il faut alors veiller à ce que ceux qui pensent différemment restent impliqués dans la société. La pensée unique, ça me hérisse. Parlons et argumentons.  »

Des paroles sages, même si, au moment de prendre congé et de régler l’addition, Oleguer ne peut s’empêcher de montrer une dernière fois sa volonté de lutter.  » Les gens qui pensent que les problèmes seront résolus si les deux parlements aboutissent à un accord se trompent. Cette lutte pour l’indépendance est un mouvement populaire alimenté par les gens de la rue, les jeunes, les vieux, les riches et les pauvres. Ce n’est pas parce qu’on aboutit à un compromis au niveau parlementaire que les gens se tairont.  » Et sûrement pas Oleguer.

par Matthias Stockmans en Espagne/Catalogne

 » Le Barça n’aurait pas dû jouer contre Las Palmas le jour du référendum. Une crise politique comme celle-ci est plus importante qu’un titre.  » Oleguer

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