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 » À Anvers, je reviens sur terre « 

En débarquant à l’Antwerp, Jonathan Pitroipa se rappelle aux bons souvenirs du football continental, après un exil de trois ans aux Émirats.

Un homme réputé timide qui vous tient finalement le crachoir pendant plus d’une heure, ce n’est pas courant. Jonathan Pitroipa lui-même s’en étonne.  » J’ai parlé pendant tout ce temps ? Mais vous auriez dû me dire si c’était trop long.  » Que du contraire. Si le joueur burkinabé n’a plus l’habitude de se confier, c’est sans doute que les quatre dernières années ont laissé des traces. Trois saisons aux Émirats Arabes Unis, cela vous change un personnage. Sans compter les six derniers mois de 2017 passés sans club à s’entraîner avec le Paris FC.

Dur retour à l’anonymat pour l’ancien meilleur joueur de la CAN 2013. C’était il y a 5 ans. Une autre époque où le joueur burkinabé le plus en vue de sa génération – mea culpa Aristide Bancé – faisait la pluie et le beau temps du côté du Stade Rennais. À 27 ans, Jonathan Pitroipa se voyait bien en Premier League, pourquoi pas en Liga ou dans le Calcio. À 31 ans, c’est l’Antwerp de Lucien D’Onofrio qui lui tend finalement les bras. Pour un dernier défi au plus haut niveau ou un ultime rebond ?

Jonathan, est-ce qu’après six mois sans jouer et trois autres années passées aux Émirats, on a encore une chance de revoir le joueur que tu as été au Stade Rennais ou à Hambourg ?

Jonathan Pitroipa : Bien sûr, sinon, je ne serais même pas venu ici. Si je me suis retrouvé sans club, c’est la faute à une blessure lors la dernière CAN. J’aurais pu répondre favorablement à certaines propositions alléchantes par après mais je n’avais plus envie de repartir pour une destination exotique, donc j’ai pris le temps de me retaper et de faire un choix qui me correspondait. Plus proche de ma famille aussi, qui est toujours à Rennes. Et puis, il ne faut pas mésestimer l’impact du discours de László Bölöni et de Lucien (D’Onofrio, ndlr) dans cette décision. Ils m’ont fait comprendre qu’ils allaient me laisser ma chance et j’ai été séduit par le projet. C’était important de me sentir désiré par un club ambitieux. Je comprends que certains peuvent être surpris de me voir débarquer ici mais pour moi, signer à l’Antwerp, c’est avant tout une manière de me remettre en question.

Je dois beaucoup à mes années passées en Allemagne.  » Jonathan Pitroipa

 » Je ne regrette pas mes choix de carrière  »

On l’oublierait presque mais tu n’as que 31 ans, alors qu’on a l’impression de te connaître depuis des lustres. Tu ne regrettes pas d’être peut-être passé à côté de tes meilleures années en signant aux Émirats à 28 ans ?

Pitroipa : Des regrets, certainement pas ! Cela m’a permis de m’évader, de découvrir un autre univers. J’ai vécu à Abou Dabi et Dubaï ! J’ai disputé la Champions League asiatique, ce sont quand même des choses magnifiques pour moi, l’enfant de Ouagadougou. Même si je suis conscient du côté irréel de ce que j’ai vécu, je suis content de l’avoir fait. En fait, en signant à Anvers, j’ai eu l’impression de revenir sur terre. De revenir à la normalité, après une luxueuse parenthèse de trois ans. Je comprends que certains puissent tomber dans une certaine culture de la nonchalance en signant aux Émirats mais ça n’a jamais été mon cas. Après, c’est normal qu’on m’ait un peu oublié, je comprends cela. Je comprends aussi qu’on ait pu penser que c’était la fin pour moi. Mais non, les Émirats, ce n’est plus forcément une destination qu’on rejoint pour finir sa carrière. Les choses ont bien changé en quelques années, le niveau d’exigence s’est considérablement accentué. Là-bas, on ne veut plus de mercenaires qui débarquent juste pour se remplir les poches, c’est pour ça que beaucoup de joueurs étrangers y font de mauvaises expériences. Parce que si tu n’es pas performant, on va te faire rapidement sentir que tu ne mérites pas ta place.

Il n’empêche que quand on est élu meilleur joueur de la CAN, comme ce fut ton cas en 2013, on peut rêver à mieux qu’un transfert vers les Émirats, non ?

Pitroipa : Évidemment. J’étais le premier à le penser. À Rennes, j’étais à mon meilleur niveau et, en plus, il y avait cette finale de la CAN avec le Burkina. Je ne vais pas vous mentir, j’ai eu quelques propositions en Europe mais aucune qui me donnait l’impression de franchir un palier, qu’il soit sportif ou financier à l’époque. Comme tout le monde, j’ai rêvé de la Premier League plus jeune. Si j’en avais eu la possibilité, j’aurais tenté ma chance dans cette compétition mais cela n’a pas été le cas. C’est pour ça que j’ai fini par dire oui à Al-Jazira qui me suivait, pour ne pas dire me harcelait, depuis des mois. Ce n’était pas mon premier choix mais à un moment donné, cela n’allait plus vraiment avec Philippe Montanier à Rennes et il fallait trouver une solution. Les Émirats, c’était un peu le choix de la raison.

 » À Anderlecht, je logeais dans le même immeuble que Legear  »

Revenons en arrière. En 2004, à 18 ans, tu découvres l’Europe à travers la D2 allemande, Fribourg et sa Forêt-Noire. Quel souvenir gardes-tu de cette époque ?

Pitroipa : C’était un sacré choc culturel ! D’autant que j’ai d’abord débarqué à Auxerre en plein mois de novembre. C’était en 2003. Comme beaucoup de joueurs d’Afrique de l’Ouest, je ne jurais que par la Ligue 1 mais cela n’a finalement pas été plus loin avec l’AJA. Du coup, je suis parti un mois en stage à Anderlecht. Je me souviens, je logeais dans le même immeuble qu’un certain Jonathan Legear. Cela m’a amusé de voir qu’il jouait encore en Belgique, à Saint-Trond, cette saison. D’autant qu’on s’est recroisés en Europa League quelques années plus tard, quand je jouais à Hambourg. Je me souviens aussi que c’étaient les débuts de Romelu Lukaku. On avait eu une théorie spéciale de la part du coach (Bruno Labbadia, ndlr) pour nous briefer sur cet avant belge de 16 ans, forcément encore méconnu. Il avait d’ailleurs marqué un but contre nous. Au Sporting, il y avait aussi un autre Burkinabé en la personne de Lamine Traoré. Sans compter, l’immense star ivoirienne qu’était Aruna Dindane à l’époque. Finalement, là aussi, comme à Auxerre, je n’ai pas eu de suite mais je n’ai jamais su exactement pourquoi. En tant que jeune joueur, on avance toujours un peu à l’aveugle. J’étais accompagné du directeur de Planète Champion, mon centre de formation au Burkina, qui était lui-même en contact avec les dirigeants des clubs, mais moi je n’en savais jamais beaucoup plus. C’est comme ça que je me suis retrouvé en test au Sturm Graz, en Autriche, avant de signer à Fribourg.

Le Burkinabé a pas mal bourlingué avant d'aboutir en Belgique.
Le Burkinabé a pas mal bourlingué avant d’aboutir en Belgique.© BELGAIMAGE

Fribourg et la Bundesliga à tout juste 17 ans et vu ton physique, ça ne sonne pourtant pas franchement comme une évidence…

Pitroipa : Non, mais quand on vient de Ouaga, qu’on se bat non seulement pour soi, mais aussi pour toute sa famille restée au pays, ce n’est pas le genre de choses qui vous arrête. Et je pense qu’après coup, on peut dire que l’Allemagne était en fait la destination idéale. Quand je suis arrivé avec mon petit gabarit, jamais je n’aurais pensé qu’on me prendrait au sérieux, mais on m’a appris à me battre avec mes qualités en Allemagne. Je dois beaucoup à ce pays, à cette culture. D’ailleurs, si tout le monde faisait de la musculation à Fribourg, moi personne ne me l’a jamais demandé. Bien au contraire, on voulait que j’y travaille sur mes qualités, pas sur mes défauts. C’est marrant mais je ne pense pas avoir pris plus de 3 ou 4 kg depuis que je suis arrivé en Europe il y a près de 15 ans, c’est symptomatique.

Les Émirats, ce n’est plus forcément une destination qu’on rejoint pour finir sa carrière. Le niveau d’exigence s’est considérablement accentué.  » Jonathan Pitroipa

 » Je n’ai jamais été obsédé par le but  »

On t’a souvent reproché – que ce soit en Allemagne ou en France -, ton manque de réalisme devant le but. Est-ce qu’on peut passer à côté d’une partie de sa carrière à cause de ses statistiques en zone de finition ?

Pitroipa : Peut-être bien, oui. Et sans doute que ça a été un frein. Je ne suis pas obsédé par le but, je ne l’ai jamais été. Si j’avais été plus malin, je me serais peut-être fixé des objectifs personnels à atteindre en termes de buts chaque saison, comme certains joueurs le font. Moi, j’ai toujours préféré assurer un but plutôt que de jouer ma carte perso. Et le problème, c’est que beaucoup de gens, à commencer par certains recruteurs, restent bloqués sur le strict aspect statistique. C’est dommage et ça élude évidemment beaucoup de choses. Je ne m’en soucie pas. Enfin, je ne m’en soucie plus pour être exact. Je pense qu’une bonne personne, qui se livrera toujours à 200 %, trouvera toujours la récompense qu’elle mérite.

Tu auras 32 ans en avril, est-ce que tout doucement tu te projettes déjà sur ton après-carrière ?

Pitroipa : Je pense que j’ai beaucoup à apporter à mon pays et cela me semble obligatoire de rendre une partie de tout ce que j’ai reçu dans ma carrière. Je ne pense pas spécialement à la politique, ce sont des ambitions élevées, mais j’aimerais sincèrement participer à l’effort collectif et au développement du pays. Et pourquoi ne pas essayer de développer le championnat national pour éviter de voir systématiquement nos talents aller jouer en Europe ? Je suis convaincu que c’est par là que passera une partie du développement du continent.

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 » Il y avait une vraie complicité entre Paul Put et moi  »

Tu comptes plus de 70 sélections avec le Burkina Faso, 5 Coupes d’Afrique des Nations au compteur, mais pas un seul Mondial. Frustration ?

Jonathan Pitroipa : Immense ! D’autant qu’on était à 45 minutes de valider notre billet pour le Mondial en 2014. Mais on ne va pas refaire l’histoire. J’ai vécu de super moments avec les Étalons, notamment cette finale de la CAN en 2013 en Afrique du Sud. En tant qu’être humain, tu ne t’attends pas forcément à vivre des émotions pareilles. Je jouais pour mon pays, je me suis retrouvé meilleur joueur du tournoi et à peu de choses près, on remportait la compétition. C’était d’autant plus beau pour moi que je suis passé à deux doigts de ne pas pouvoir disputer la finale (exclu en demi-finale, la suspension sera finalement levée pour la finale après que l’arbitre ait reconnu son erreur, ndlr). J’ai encore des frissons quand j’en reparle. Bien sûr, cela aurait été un rêve de gagner, mais la reconnaissance que j’ai eue à ce moment-là, je ne l’oublierai jamais. Mentalement, cela m’a fait du bien. Je ne me suis jamais senti supérieur à personne, mais être reconnu pour ce que l’on sait faire, cela apporte quoi qu’on en dise un sentiment de plénitude. Je ne pense pas que ce soit prétentieux de le dire.

À l’époque, Paul Put était le sélectionneur du Burkina. Si tu n’as jamais porté le brassard de capitaine chez les Étalons, tu étais néanmoins le leader naturel du groupe sur la pelouse. Quelle relation entretenais-tu avec le coach ?

Pitroipa : Il m’avait compris. Il savait qu’il ne devait pas attendre de moi que je prenne la parole dans le vestiaire, mais qu’il pouvait compter sur moi pour faire gagner l’équipe. Il me le disait :  » Je veux juste que tu me fasses gagner mon match. Tu es le meilleur, fais comme tu veux, mais fais en sorte que l’équipe gagne.  » On avait une certaine complicité. Pendant les matches, parfois, je m’approchais du banc et il me demandait toujours mon ressenti. Je lui disais ce qui n’allait pas et lui trouvait toujours la solution. On se comprenait, c’était limpide. Avec Paulo Duarte, l’entraîneur précédent, on avait formé un vrai groupe mais c’est Paul Put qui a su le mettre en mouvement.

Malgré tes statistiques (18 buts en 71 sélections) et ta fidélité à l’équipe nationale, on a souvent dit que c’était Aristide Bancé le joueur le plus populaire au pays. C’est vrai ?

Pitroipa : Il y avait une sacrée concurrence avec tous ces bons joueurs : Charles Kaboré, Moumouni Dagano, Bakary Koné, Habib Bamogo, etc. C’est vrai qu’Aristide a toujours eu la cote auprès des supporters. Il avait une aura naturelle, même en Afrique du Sud lors de la CAN, il n’y en avait que pour lui. Il n’y a pas de raison d’être jaloux, parce que s’il était populaire, c’est aussi parce qu’il prestait à un haut niveau sur le terrain. Et puis, moi, honnêtement, je n’ai jamais cherché la notoriété. C’est une question de personnalité.

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