Carte blanche

Voilà pourquoi la Belgique va se prendre un mur en Russie

En 2018, le soleil brûle, les inégalités montent confortablement, la planète se consume lentement et le monde s’apprête à s’occuper de foot pendant un mois en se gavant d’illusions à grands renforts de hamburgers. Alors, j’espère pour une dernière fois, j’y cède aussi.

Une fois n’est pas coutume, la Belgique arrive au tournoi avec trois des meilleurs joueurs du monde dans ses rangs. Pourtant, elle va se prendre le mur avec fracas. Pourquoi?

Un plan en cinq cas:

1. Un plan à troisDepuis des années, on le sait: le secteur de jeu qui regroupe le plus de talent est la défense centrale. C’est aussi celui où nos joueurs sont les plus fragiles. Thomas Vermaelen et Vincent Kompany, qui auraient dû sur bases de leur charisme et de leurs qualités faire office de charnière inamovible de notre équipe depuis 10 ans, ont accumulé autant de titularisations ensemble que Trump et Kim de pique-niques champêtres au Château de la Hulpe un bel après-midi d’été. Dans un contexte où nos deux meilleurs défenseurs sont blessés 3 matches sur 4, le sélectionneur national s’est donc décidé à… faire passer la défense à 3, augmentant leur importance de moitié. Pour construire dans la durée, ce n’était peut-être pas la meilleure idée. Et pour la deuxième fois en trois ans, la Belgique s’avance vers une grande compétition avec une défense sur une jambe. De bois.

2. Yan, le flanc chinois

Deuxième implication de ce changement de système en 3-4-3: il repose sur… des flancs. Or, notre sélection regroupe du talent partout, sauf à cet endroit. Sur les 24 joueurs sélectionnés par Martinez aujourd’hui, un seul a le coffre et la culture défensive pour occuper ce rôle suffisamment vaillamment: Thomas Meunier. Carrasco est un joueur hyper-talentueux mais un vrai crabe défensivement et Chadli un flanc offensif qui joue un match tous les deux ans. Cherchez l’erreur.

3. Le pigeon roux coule

On peut ou pas être d’accord là-dessus: la graine de champion de notre équipe, c’est Kevin De Bruyne. Partout où il est passé, il a séduit: Genk, Brême, Wolsfburg, Manchester City, Drongen. Un seul couac à Chelsea avec José qui ne l’a pas retenu; si quelqu’un pense que cet homme-là est du genre à faire de la place aux joueurs avant de mettre son ego sur la table, qu’il se lève maintenant ou se taise à jamais (…). Voilà.

La différence avec Hazard? Sa régularité, sa polyvalence et sa rage de vaincre. De Bruyne est transparent en équipe nationale depuis 3 ans? Depuis qu’Eden est devenu capitaine. De Buyne a porté l’équipe pendant les qualifs de la Coupe du Monde, de l’Euro et a été le joueur décisif au Brésil? C’est lui qui méritait d’avoir le jeu en mains. A la place, le voilà empêtré dans un milieu à deux à une place qu’il n’a jamais occupée et qui ne lui convient pas. De Bruyne, c’est soit le flanc, soit un rôle de meneur de jeu dans un triangle où au moins un joueur est derrière lui pour assurer la relance (cfr Fernandinho à City, Gustavo à Wolfsburg…). En ne comprenant pas ça, Martinez alimente la frustration de son meilleur joueur, de son équipe et de ses supporters: dans le milieu, on appelle ça un hat trick.

4. L’attaquant de pointe

Problème récurrent en équipe nationale depuis… toujours: pas de sérial buteur à l’horizon. Vous savez? Un Paolo Rossi. Un Ronaldo. Un Thomas Müller. Un type pas forcément génial tout le temps, pas toujours solidaire collectivement, pas le mec le plus humble du monde. Mais un type qui plante, abondamment.

Avec Lukaku, on pourrait avoir ce genre de calibre. Oui, mais voilà: Romelu, c’est un physique prodigieux, un sens du but faramineux… et une technique en bois dans les petits espaces doublé d’un complexe d’infériorité paralysant dès lors qu’il s’agit d’être clinique contre les grands. Les duels contre Manchester City de cette saison, contre le Standard à l’époque ou contre l’Italie et le Pays de Galles n’en sont que quelques exemples: Lukaku ne fait pas partie de ces attaquants qui peuvent atteindre la pleine lumière dans les matches importants. Cela ne fait pas de lui un manche; c’est sa limite, voilà tout.

Tant qu’il sera titulaire, donc, impossible de dire qu’il ne plantera pas contre l’Allemagne ou le Brésil pour nous faire gagner le match à la dernière minute; c’est juste improbable. Evaluez en Pologne et en Uruguay le degré auquel ils croient que leur attaquant peut faire changer un match à tout moment; vous aurez une idée, peut-être pas de la recette, mais en tout cas du goût de la sauce Giant.

5. La patte de la fin

Derrière tout ça, on a envie de dire: pourquoi? Comment cela se fait? Comment, avec un tel vivier et un pays aussi bonhomme, enthousiaste parfois quand il s’agit du dérisoire, comment en est-on à n’avoir qu’un si faible espoir de s’amuser et d’être fier de nos kékés?

Deux éléments: tout d’abord, ce choix… étonnant, creux, pour ne pas dire calamiteux du sélectionneur. Martinez, c’est à peu près tout ce qu’il ne faut pas pour gagner une Coupe du Monde: pas d’expérience, pas d’inventivité, pas de charisme et pas de culture locale. Bref, un cataclysme à retardement qui fait la preuve depuis deux ans qu’on peut gagner des matches en marquant 6 buts à chaque fois et décevoir continuellement. Le foot est une histoire de passion, d’émotions, de leadership, de solidarité et de créativité; la liste des concepts que cet homme-là a décidé de laisser au placard depuis que Jean-Marie Pfaff a attrapé le melon.

Détail de l’histoire, Martinez est Catalan et malheureusement pour lui, la place du Catalan prodige est déjà prise pour cette époque et les deux suivantes. Le syndrome de l’ersatz pourrait coller si encore il pouvait en rire ou en parler; malheureusement, on a plutôt l’impression d’un type frustré qui court après une gloire qu’il n’a aucune ressource pour attraper. Mal vu, mal connu.

Ensuite, puisque le foot a aussi sa part d’impondérables, une forme de malchance. Depuis 6 ans que cette équipe est sur les rails, elle a joué 2 matches officiels contre des équipes redoutables: Argentine et Italie, tous deux perdus et quelques plumes avec. Or, pour bâtir une confiance et un esprit de conquête au plus haut niveau, se confronter à la crème de la crème paraît indispensable. Et là, personne à blâmer: les tirages au sort qui donnent la Croatie, la Grèce, Chypre et la Bosnie, on y peut rien et les matches contre l’Espagne et le Portugal n’ont pas été joués après des événements autrement plus signifiants. Mauditerranée.

Autant d’éléments, au final, qui résonnent aussi pour nous dire ceci: lorsqu’il s’agit de se montrer dominants, de prendre des décisions qui font de ce pays une place forte, un emblème, un lieu qui compte en dehors d’une culture propre, la Belgique a plus que jamais un caillou dans le pied. Acte manqué à lui tout seul, ce pays est sans doute, plus que jamais, condamné à vivre de rêves qui ne sont pas à sa portée. Alors, quand dans deux semaines le grand Robert plantera un doublé collé-serré dans les cages du malheureux Courtois et que dans la foulée Fellaini, Vermaelen, Mertens, De Bruyne et Kompany mettront un terme à leur carrière internationale, on sera tristes, dépités, on se sentira peut-être un peu floués…

Au creux de cette déception, de cette vacuité, on en reviendra peut-être à cet adage: agir ou rêver? A quoi bon se projeter?

Bon vent les Diables. C’était bon de vous accompagner.

Joachim Grignard

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