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« Vanhaezebrouck sait qu’il doit me laisser improviser »

Il faut avoir un agenda secret pour repousser Manchester City, Shanghai SIPG et l’Espanyol en l’espace d’un an. Mamadou Sylla (23 ans) l’a fait avec le sourire et a obtenu son transfert de rêve à la Ghelamco Arena. Entretien avec le nouveau Sénégalais des Buffalos.

« Sans le football, je travaillerais dans une mine d’or à Kédougou, ma région natale. Ou je ferais des heures supplémentaires avec mon père dans une usine de savons à Granollers, la bourgade catalane où je suis arrivé à l’âge de dix ans. »

Mamadou Sylla respire profondément, comme s’il comprenait à quoi il a échappé. « Je suis allé à Kédougou, une région du sud-est du Sénégal, avec mon père, cette année. La capitale du même nom comporte beaucoup de mines d’or, qui rapportent gros. Cet argent permettrait au gouvernement de réaliser tous les travaux d’infrastructure de la région mais les exploitants des mines, des hommes d’affaires de Dakar, la capitale, ont d’autres priorités. La population locale en est la dupe. J’ai entendu dire que des jeunes se sont battus avec les forces de l’ordre car on emploie fort peu de gens de la ville de Kédougou. C’est triste. La politique, hein… Il n’y a pas grand-chose à faire… »

Le football a permis à Sylla de donner une autre tournure à sa vie. Avec le résultat qu’on sait : illustre inconnu de l’Espanyol, il a éclos à Eupen et a été transféré à Gand cet été. Jusqu’à l’arrivée de Franko Andrijasevic, le Sénégalais de 23 ans en a même été le transfert le plus cher.

Tu es soulagé qu’Andrijasevic ait coûté plus que les 3,8 millions que Gand a payé pour toi ?

MAMADOU SYLLA : Ça ne me préoccupe pas. J’aurais été animé de la même envie si Gand n’avait dû payer qu’un million pour mon transfert. Finalement, ce sont les clubs qui déterminent les prix. Nous ne sommes que des spectateurs. Mais le montant investi en moi me confère une plus grande responsabilité. À mes yeux, c’est un défi. Je dois prouver que je vaux la confiance du club et mon prix. Je dois rendre quelque chose à la direction.

Tête de liste

Tu avais l’embarras du choix : Mainz, Metz, le Club Bruges, le RC Genk…

SYLLA : Des grands clubs, tous. Le FSV Mainz m’intéressait mais je ne savais pas ce qu’il comptait faire de moi. En plus, l’Allemagne représentait un pas trop important pour un joueur qui venait à peine de disputer une saison complète. Un entretien avec Hein Vanhaezebrouck et mon entourage m’a convaincu que Gand devait être l’étape suivante de ma carrière. Surtout, le club m’a bien fait comprendre que j’étais tout en haut de sa liste. Il avait suivi Onyekuru, Ocansey, Lazare mais s’était fixé sur moi.

Tu n’as pas trouvé étrange que Gand mise sur toi plutôt que sur ton coéquipier Onyekuru ?

SYLLA : Je l’interprète comme ceci : Vanhaezebrouck a décelé en moi des qualités qu’Henry n’a pas. Mais il aurait certainement convenu à Gand. Nous sommes complémentaires. Imaginez que nous formions un seul joueur… Je ne crois pas que Gand avait une chance : 48 clubs suivaient Henry, non ? Il ne voulait en tout cas pas rester à Eupen.

Tu vas devoir sortir de l’ombre d’Onyekuru. Avec 13 buts et 8 assists, tu n’as pas réalisé une mauvaise saison.

SYLLA : J’aurais pu avoir de meilleurs chiffres. Mon transfert a été conclu à mi-parcours des play-offs, à un stade de la compétition où les entraîneurs alignent souvent une équipe B. Par peur que le transfert n’échoue, le directeur sportif d’Eupen m’a demandé de ne plus jouer. Eupen avait pris un risque en levant l’option d’achat de mon contrat, d’un montant de 2,5 millions. Il en voulait 3,5 et il en a reçu presque quatre. Soit un million de gains sur un joueur qu’il n’a pas formé.

Tu as donc eu un long temps de repos. Est-ce que ça a eu un impact sur ta préparation ?

SYLLA : La direction gantoise m’a prévenu dès le premier jour : « Fais en sorte d’être prêt pour le début de la préparation. » J’ai commencé à m’entraîner calmement à Barcelone puis j’ai augmenté l’intensité au Sénégal. Ceci dit, je n’ai pas suivi mon programme à la lettre et je ne dois pas être le seul… Mais il y a une différence : les autres connaissaient les méthodes de l’entraîneur et étaient donc préparés mentalement à une reprise très dure. Ils ont quand même été surpris que je parvienne à suivre.

Tu sais ce que Vanhaezebrouck attend de toi ?

SYLLA : Il voulait un avant qui cherche la profondeur. Il n’en avait apparemment pas dans le noyau. C’est à moi d’assimiler le plus vite possible sa philosophie et de la transposer sur le terrain. Vanhaezebrouck sait aussi que j’aime disposer d’une certaine liberté. Je suis plutôt imprévisible et j’aime improviser. Quand je trouve une brèche, je n’hésite pas. J’entame parfois une action sans savoir où je vais l’achever.

En taxi à La Masia

Mamadou Sylla
Mamadou Sylla© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Ton histoire ressemble à un conte de fées : tu as quitté le Sénégal pour Barcelone à dix ans et trois ans plus tard, tu jouais pour le Barça.

SYLLA : J’ai passé le premier mois à la maison puis j’ai demandé à mon père quand il me présenterait à une académie de football. Je ne comprenais pas qu’un enfant avait des obligations scolaires. J’ai été affilié à l’EC Granollers, un club de D3 qui voit partir chaque année des joueurs à Barcelone et à l’Espanyol. À treize ans, ce fut mon tour. Dans un premier temps, j’ai repoussé le Barça. Pourquoi voudrait-il d’un joueur qui ne se produisait en club que depuis quelques années ? Mais ils me voulaient vraiment…

Du football de rues au Sénégal à La Masia…

SYLLA : Ce n’est pas marrant tous les jours. On ne peut y loger que si on est domicilié à plus de 40 kilomètres du centre d’entraînement. Pendant quatre ans, j’ai donc passé plus de temps en taxi qu’à La Masia. On me prenait à la maison et on m’y ramenait à l’issue de l’entraînement. Ça représentait deux trajets d’une heure et demie. Le chauffeur devait s’arrêter dans toutes les bourgades entre Granollers et Barcelone pour y ramasser les joueurs. Je rentrais à la maison à 23 heures et je devais encore faire mes devoirs. J’en ai vu ! Pendant ma dernière année, alors que j’avais 17 ans, j’ai quand même obtenu une chambre à La Masia.

De quels joueurs conserves-tu un souvenir particulier ?

SYLLA : Oliver Moussima, un Camerounais, et Gerard Deulofeu sont les meilleurs avec lesquels j’ai jamais partagé un vestiaire. Les entraîneurs ne parlaient que d’eux. Je n’ai pas joué avec Mauro Icardi, qui était dans la catégorie d’âge supérieure, mais nous étions dans la même classe. Il ronflait pendant les cours. En juniors, il a dû faire banquette à cause d’un joueur de deux ans son cadet. Mais maintenant, il est un des meilleurs attaquants du monde sous le maillot de l’Inter.

Une formation à Barcelone ne constitue pas la garantie d’une carrière au plus haut niveau.

SYLLA : Les comptes sont vite faits. Deulofeu et moi sommes les seuls de notre génération à évoluer en division un. Je ne sais même pas où sont les autres. C’est étonnant. Je pensais que tous mes coéquipiers gagneraient leur vie grâce au football. On perd vite le sens des réalités à La Masia. On pense que tout est rose, qu’on possède un bagage suffisant pour réussir n’importe où mais une fois les murs du centre de formations franchis, le travail sérieux commence. En 2011, j’ai dû quitter Barcelone et j’ai subitement réalisé que je n’étais nulle part. J’ai dû patienter jusqu’à 21 ans pour décrocher un premier contrat professionnel à l’Espanyol B. Mon salaire me permettait tout juste de vivre et d’aider mes parents.

Il y a deux saisons, tu n’as disputé que 328 minutes en Primera Division, sous le maillot de l’Espanyol, mais tu as joué l’intégralité d’un match contre le Real.

SYLLA : 6-0 à Bernabeu… Mais d’après beaucoup d’observateurs, j’ai joué un bon match. J’étais opposé à Raphaël Varane, invincible dans les sprints, et à Sergio Ramos. J’ai ensuite échangé mon maillot avec Ramos, qui m’a dit : « Bon match et… good luck. » Je garde précieusement ce maillot.

Du Barça à L’Espanyol

Tu as joué pour Barcelone et l’Espanyol. Quelle est l’ampleur de la rivalité entre les deux clubs ?

SYLLA : Elle est énorme à l’Espanyol. On peut même parler de haine. On peut rester un mois sans gagner un seul point mais contre Barcelone, il faut tout faire pour gagner. La tension est à couper avant et après le match. J’ai vécu un match de coupe contre le Barça du banc. Au coup de sifflet final, Neymar et Suarez n’ont échappé à une bagarre que grâce à l’intervention de quelques personnes.

Quel club préfères-tu ?

SYLLA : C’est difficile à dire car les deux clubs ont été importants dans ma carrière. Je peux remercier Barcelone pour ces cinq ans à La Masia et je suis reconnaissant à l’Espanyol de m’avoir permis de débuter en D1. J’y ai été rapidement accepté malgré mon passé au Barça. Au bout de quelques semaines, j’étais déjà considéré comme un vrai Pericos.

Tu as envisagé de retourner à l’Espanyol ?

SYLLA : L’Espanyol a tenté de me récupérer avant que je signe à Gand mais j’ai refusé car je n’avais pas de chances d’y jouer. J’avais réussi quelque chose à Eupen et je voulais en profiter.

Durant l’été 2016, tu n’avais pas envie non plus de rejoindre Manchester City.

SYLLA : Il était prêt à aller loin pour quelqu’un qui avait fait banquette. L’Espanyol aurait perçu trois millions. Mon contrat de six ans était prêt, il ne manquait plus que ma signature… Mais je n’avais pas envie de me retrouver dans le réseau de Manchester City. Il comptait me louer un an à Girone, en D2. En fait, on ne peut pas savoir si on va jouer ne serait-ce qu’une minute pour City. Le club peut très bien vous louer saison après saison.

Tu as fait perdre quelques millions à l’Espanyol.

SYLLA : Je reprendrais la même décision aujourd’hui. Je ne suis pas obsédé par ma feuille de paie. C’est pour ça que j’ai refusé une offre de Shanghai SIPG, le club de Hulk, la saison passée. Il m’offrait un contrat de quatre ans mais mon manager m’a conseillé de réfléchir. Je lui ai dit que ça ne m’intéressait pas : la Chine ne fait pas partie de mon plan de carrière pour le moment. On m’a traité de fou ! Ce contrat m’aurait permis d’assurer l’avenir de mes enfants et de mes petits-enfants.

Il faut quand même être un peu fou pour repousser Manchester City, Shanghai SIPG et l’Espanyol.

SYLLA : Chacun opère ses choix en son âme et conscience. Un jour, je signerai aussi un contrat avec beaucoup de zéros. Pour un grand club européen. Pas pour un club situé à l’autre bout du monde.

PAR ALAIN ELIASY

« Le Sénégal croit que je veux jouer pour l’Espagne »

Mamadou Sylla a grandi en Catalogne. Se sent-il plutôt espagnol ou sénégalais ? Le sujet est sensible… « Disons que je suis Sénégalais. L’Espagne est devenue ma seconde patrie. Mes parents y habitent toujours. Au Sénégal, le bruit court que je ne voudrais pas jouer pour l’équipe nationale parce que je me sentirais plutôt espagnol. »

De fait, il possède aussi la nationalité ibérique et il peut se produire pour l’Espagne. « J’ai vécu dix ans en Espagne mais elle ne m’a pas offert mon passeport, vous savez. J’ai dû passer un examen oral et un écrit. On m’a interrogé sur l’histoire de l’Espagne, la famille royale, la situation politique… Le pays a nettement relevé la barre depuis quelques années. »

Le joueur connaît bien la Catalogne et son nationalisme. « J’ai fréquenté une école où on parlait avant tout le catalan et on y était mal vu si on parlait une autre langue. Du coup, mon catalan est meilleur que mon espagnol ou mon français. Les Catalans sont flattés qu’un étranger parle leur dialecte. Ils sont très fiers de leurs origines et de leur culture.

Ils se fichent bien d’avoir un passeport espagnol et ils regardent ailleurs quand la télévision retransmet en direct un match de la Roja. Je respecte leurs opinions politiques mais je suis plus modéré. Parler catalan avec le boulanger et espagnol avec mon voisin ne me dérange pas. L’extrémisme n’apporte jamais rien de bon. On verra bien ce qui ressortira du référendum sur l’indépendance de la Catalogne. »

Qu’en est-il de La Masia, le centre de formation du Barça ? Est-elle aussi imprégnée d’indépendantisme ? « J’ai le sentiment que la direction du club est en train de la « cataliniser ». Barcelone est le symbole de la Catalogne et vice-versa. Moi, je trouve qu’il ne faut pas mêler politique et football. Une grande partie des supporters du Barça n’est même pas espagnole. »

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