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The Real Selim Shady, révélation mouscronnoise

Dans un Excel qui surprend, Selim Amallah dresse le tableau. Milieu, ailier ou numéro dix, il s’ajoute à la liste des révélations mouscronnoises. Au point de forcer le destin. May I have your attention please ?

Il faut parfois se cacher pour mieux se dévoiler. La 71e minute s’apprête à réveiller le Canonnier, quand Selim Amallah sort de sa boîte et intercepte une mauvaise passe de l’arrière droit ostendais, Ramin Rezaeian. Une ouverture du score à trois points. La semaine suivante, le milieu de 21 ans récidive contre Zulte, pour un nouveau succès (2-1).

Ce mois de décembre semble sien. Mais le lendemain de Noël, à Bruges, c’est en ambulance qu’il quitte le Jan Breydelstadion. À un quart d’heure du terme, la cheville et le genou dans le sac. Finalement, Amallah s’en tire sans fracture, mais contusionné, avec une entorse. De quoi terminer l’année au chaud. Comme si la vie voulait lui rappeler qu’elle ne lui offrirait ni répit, ni cadeaux.

Hautrage, commune de Saint-Ghislain, périphérie montoise. La Wallifornie entame un après-midi aux allures de matinée sans réveil. Une petite rue paisible enchaîne les maisons ocres sous un ciel gris. Parmi elles, celle des Amallah. Remis de ses émotions, presque de ses contusions, Selim accueille dans un survêt mauve. Sourire timide, mais chaleureux. Il présente son père, les lieux, et s’installe dans le canapé du salon, où la télé crache une rediffusion de Bundesliga.

Les deux frères

 » Je suis bien mis, ici, avec mon père et mon frère « , commence-t-il. Mohamed, 24 ans, porte les couleurs de Quévy-Mons, résurrection du RAEC, en D3 amateur. Les deux frères y ont fait la majorité de leurs classes.  » Il est plus lourd que moi…enfin juste sur les premiers mètres. Sinon, ça va, il se débrouille avec ses pieds.  » Les rires fusent, tandis que deux cheminées crépitent. Sur une petite table, une photo de la version miniature de la fratrie.

L’aînée, Anissa, vit désormais à Bruxelles, avocate.  » La plus grande, la plus intelligente « , souligne Selim. Houcine, le père, acquiesce. À 53 printemps, il fait de la mise en rayon dans un supermarché du coin. À cinq ans, il rejoint son géniteur, débarqué à Hornu depuis Nador, au Maroc, pour bosser dans les mines, sous les pavés. Houcine se prend de passion pour le sport-roi, qu’il pratique jusqu’en deuxième provinciale, milieu défensif. Il souffle, derrière ses lunettes, plein de modestie : « J’étais nul. Mon frère était meilleur. » Tonton Moustapha se retrouve un étage au-dessus, évolue même pour la sélection des « meilleurs Marocains de Belgique ». « C’est comme ça que mon père a su qu’il jouait au foot. Il ne venait jamais nous voir. Il était strict. »

« Quand ma mère est décédée, ce n’était plus un objectif mais une obligation de réussir dans le foot. » Selim Amallah

Houcine garde un peu de cette sévérité sous le coude. Jusqu’en U11, il se mue en coach de Selim, à l’Albert. Il le façonne, à sa manière. Selim :  » Il était plus sévère avec moi. Il gueulait toujours sur moi, il avait toujours des reproches à me faire. Ça n’a pas changé…  »

Le papa ne rate aucune rencontre de sa progéniture. Alors, s’il a le malheur de rater un contrôle sur le terrain, c’est séance supplémentaire dans le jardin.  » Il me faisait faire une cinquantaine de contrôles, droite, gauche, entre des plots. C’est en grande partie grâce à lui que j’en suis là « , assure Selim.  » On faisait aussi des petits matches, contre les voisins « , abonde Mohamed, taquin à son tour.  » Dès qu’il perdait, il pleurait. De toute façon, il pleurait tout le temps. Il n’aime pas perdre.  »

Les deux frères ne s’arrêtent jamais. La famille vit foot. Quitte à fracasser l’énorme pot qui trône dans l’allée.  » Je sors, je ne le vois plus… Je me dis : ‘ Merde, on m’a piqué le pot‘ « , rembobine Houcine, hilare.  » Quand j’ai commencé à les tailler, je suis tombé dessus…  » À l’époque, il entraîne aussi Aristote Nkaka, de la même génération que Selim, celle de 96.  » Il jouait à Ghlin. On avait fait un amical contre eux et il me plaisait bien.  » En U10, à Neerpede, ils en passent cinq à Anderlecht et Charly Musonda. Une victoire 5-1, avec cinq buts de Selim. Le destin.

Le décès de la maman

C’est réglé. Il sera mauve. Il rallie Anderlecht, en U12, fait les trajets avec son pote Maximiliano Caufriez, d’un an son cadet, aujourd’hui à Waasland Beveren. Il s’amuse avec Musonda Jr, Andy Kawaya ou Anas Hamzaoui, recroisé à Tubize. Sur les deux premières années, il termine meilleur buteur de l’équipe,  » pur neuf « . Le film parfait. Jusqu’à ce que la bande s’arrête.

 » Je n’avais pas école ce jour-là. Je cassais la tête à ma mère pour aller faire du shopping. Je devais m’acheter deux ou trois pulls, comme c’était la rentrée et que je devais aller à l’internat.  » Dans un peu moins de trois semaines, Antoinette doit souffler ses 45 bougies. Originaire de Pâturages, à côté, elle vient d’une famille sicilienne, de Caltanisseta. À la rencontre d’Houcine, elle tombe amoureuse de l’Islam, une religion qui leur tient à coeur.

 » Elle a fini par venir avec moi « , reprend Selim, avec un sourire en forme de façade.  » On marchait et, d’un coup, elle est tombée.  » Une rupture d’anévrisme la frappe, alors que midi n’a pas encore sonné. Une larme prude coule sur la joue d’Houcine.  » Pourtant, au matin, elle était bien. Elle s’était levée, elle avait mis des tartines à griller et elle est partie dans la salle de bain. Elle est revenue, les tartines avaient brûlé. On a commencé à rigoler… Tout allait bien.  »

Les médecins évoquent une possible malformation au cerveau.  » C’était son jour, comme on dit chez nous.  » Antoinette décède dans la nuit du 2 au 3 septembre 2011. Selim, le plus jeune, reste muet, ne pleure plus.  » Au début, on ne réalisait pas trop. À la maison, on n’arrivait pas à en parler « , se souvient Mohamed, qui perd un peu de sa gaieté.

 » C’est seulement maintenant qu’on le fait. Le plus dur, ça a été pour Selim. Il était perdu. Quand on voulait lui en parler, il partait.  » Selim n’a pas encore 15 ans qu’il doit enchaîner internat, école et foot. Avec  » trois ou quatre  » coéquipiers, Max Caufriez s’arrange pour venir à l’enterrement.  » J’essayais d’être avec lui. Mais lui, il voulait aussi être seul. C’était rare quand on en parlait. Normal, il voulait penser à autre chose.  »

La tête ailleurs, plus petit que les autres, Selim performe moins. À la fin de la saison, il reçoit une lettre de l’encadrement anderlechtois.  » Elle disait que je pouvais me trouver un autre club « , grince-t-il.  » La direction connaissait notre situation, mais elle n’a rien voulu savoir « , regrette Houcine.

Sur les bancs, la réussite n’est pas non plus au rendez-vous.  » Il a doublé, puis redoublé… Je lui disais d’étudier, mais des fois, ça l’énervait. ‘ Qu’est-ce que tu veux que j’étudie ? À chaque fois que j’ouvre un cahier, je vois maman par terre ! ‘ Qu’est-ce que je pouvais lui dire ?  »

Le 21 en hommage

Retour à la case départ, au RAEC. Le foot doit lui servir d’exutoire. De toute façon, il ne voit pas d’autres alternatives.  » Quand ma mère est décédée, ce n’était plus un objectif mais une obligation de réussir dans le foot. Je n’ai jamais baissé les bras. Je me suis dit : ‘ La vie continue‘ et je me suis entraîné à fond.  »

En clair, il devient un homme. Aujourd’hui, il porte le numéro 21, en hommage à la date de naissance de sa mère. Comme son frère, dans la défense centrale du RAQM.  » C’est notre petit numéro « , sourit Mohamed, depuis la boulangerie familiale.

Sur la route de Mons, à Hornu, La Baguette se veut modeste, mais promet des bonnes tranches de vie, entre quelques murs… mauves.  » T’arrives à la bonne heure pour nettoyer « , lance Mohamed à son petit frère, jouette, quand il pénètre sur son lieu de travail. À l’écart, il le soigne.

 » Quand il est revenu à Mouscron, il est devenu un autre gars. Il a eu un déclic. Après trois ou quatre matches, il a pris confiance. En fait, ça s’est passé comme dans la vie : il est timide au début, puis il se lâche.  »

L’épreuve de ses 15 piges le forge, le rend plus dur. Après un an avec les U17 montois, il passe directement chez les U21 de Laurent Demol.  » Je pouvais le faire jouer partout sur le front de l’attaque, je savais qu’il allait apporter le danger.  »

Demol, qui a joué avec le père et l’oncle Amallah, emmène le fils dans ses valises à Mouscron, quand Mons dégringole. Il intègre l’effectif sans pour autant signer de contrat. Dans l’élite, Selim dispute trois bouts de matches, dans le cagnard de l’été 2015. Mais son contrat n’arrive jamais et il disparaît des feuilles de match.

Direction le noyau B et l’échelon inférieur, faute de mieux. Son expérience à Tubize le relance. Mais, trop physique, la D1B ne lui convient pas. Ça tombe bien, l’été dernier, l’Excel cherche du jeune Belge, si possible talentueux.

Avec son frère Mohamed et son père Houcine à
Avec son frère Mohamed et son père Houcine à  » La baguette  » : les Amalah forment un clan uni.© BELGAIMAGE

 » Il avait toutes les qualités requises pour intégrer l’effectif « , dit Demol, T2 de MirceaRednic au Canonnier.  » Ce n’est ni un titulaire, ni un réserviste, il se donne quoi qu’il arrive à 2.000 % pour le maillot qu’il porte sur les épaules.  »  »

Le maillot, ou sa famille et son fardeau.  » Je suis persuadé que, d’ici deux ou trois ans, il peut être l’une des grosses révélations du championnat.  » Quitte à en payer les pots cassés.

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