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Teodorczyk ou le Retour du Grand Blond

Frédéric Vanheule
Frédéric Vanheule Frédéric Vanheule is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

L’Oscar du come-back de l’année est attribué à Lukasz Teodorczyk. Pendant 14 mois, Teo n’a pas fait grand-chose de bon mais les six buts inscrits au cours des trois derniers matches prouvent qu’il est de retour.

Teo ! Teo ! Teo ! Nous sommes en plein milieu de la première mi-temps d’Anderlecht – Antwerp et le stade Constant Vanden Stock est en transe. Lukasz Teodorczyk vient de marquer et les supporters s’extasient davantage que si le but avait été inscrit par un autre joueur. Teodorczyk passe devant la tribune réservée aux supporters de l’Antwerp et s’arrête devant la tribune d’honneur. Ses équipiers accourent vers lui pour le féliciter. Kenny Saief s’envole et lui grimpe sur le dos tandis que Pieter Gerkens l’enlace. On est en pleine Teomania. Le Polonais fait un petit mouvement de la tête et tout le public est derrière lui.

Teodorczyk, on l’adore ou on le déteste mais il faut admettre qu’il a des couilles.  » – Michal Zewlakow

Cette admiration est tout aussi incompréhensible que ne l’était l’aversion des supporters envers l’ex-capitaine, Sofiane Hanni. Un attaquant d’Anderlecht qui n’inscrit que neuf buts sur une année civile et qui continue à fasciner la foule, c’est plutôt rare. En période de crise -Anderlecht semble bien parti pour manquer le titre pour la troisième fois en quatre ans- le public a besoin d’un héros ou d’un leader et les supporters d’Anderlecht l’ont trouvé en la personne de Teodorczyk. Le dernier attaquant à avoir convaincu les supporters bruxellois à ce point, c’était Aleksandar Mitrovic et lui aussi était un peu fou.

À LA LOUPE

Avec six buts en trois matches, la machine Teodorczyk tourne à nouveau à plein rendement. Après son hat-trick face à Mouscron, à la fin du mois dernier, Hein Vanhaezebrouck avait exprimé l’espoir que Teo soit définitivement lancé. Et il avait immédiatement ajouté que sa métamorphose était due au soutien reçu de tous, surtout de ses équipiers. Il n’est donc pas sorti du trou tout seul.  » Nous n’avons jamais douté de Teo « , confirme Gerkens.  » Le fait qu’il ne marque pas, c’était juste embêtant : on traversait une période difficile et on avait besoin de buts. Mais tout le monde est resté positif à son égard car on savait de quoi il était capable. Un groupe reste plus facilement derrière quelqu’un lorsqu’il connaît ses capacités.  »

Le fait que le groupe n’ait jamais pris ses distances à son égard plaide en faveur de Teodorczyk. Comment aurait-il pu en être autrement, d’ailleurs, quand on sait que le Polonais est, avec Frank Boeckx, l’un des plus comiques de la bande ? Au cours du stage hivernal à La Manga, il a même terminé deuxième au referendum de  » l’Équipier le plus marrant « , derrière Boeckx. Le groupe ne lui a donc jamais tourné le dos. Même pas lorsque, frustré, il a taclé violemment des jeunes comme Francis Amuzu et Edo Kayembe à l’entraînement.  » Il était normal que cette longue période sans marquer l’ennuie « , dit Sven Kums.  » C’était une réaction naturelle, d’autant que tout ce qu’il faisait était passé à la loupe. C’est vrai qu’il s’est parfois mal comporté mais c’était surtout parce qu’il s’en voulait. Il ne s’en est jamais pris au groupe, il a continué à se battre pour l’équipe et ça, j’ai apprécié. Au plus profond de lui-même, il était sans doute tracassé par ses statistiques mais il ne s’est jamais comporté de façon égoïste. C’est plutôt un joueur collectif qui se bat pour le reste du groupe.  »

C’est en raison de cette éthique de travail que René Weiler ne l’a jamais laissé tomber. En voyant des images de Teodorczyk sous les maillots du Dynamo Kiev et de l’équipe de Pologne, le Suisse était immédiatement tombé sous le charme. Weiler avait découvert un joueur au profil atypique : un buteur capable de faire le sale boulot, de couvrir beaucoup de terrain, de suivre des lignes de course, de faire mal à une défense et de créer des espaces pour les joueurs venus de la deuxième ligne. Bref : le genre d’attaquant qu’on ne trouve pas à tous les coins de rue.

Vanhaezebrouck avait fait le même constat mais au début du mercato d’hiver, il était tout de même prêt à le sacrifier au profit d’un autre attaquant. En janvier, il a tenté, en vain, de comprendre comment Teo fonctionnait.  » Et ce n’est pas évident « , a-t-il dit lors du stage à La Manga.  » Il vit dans son monde, il peut être de bonne humeur le matin, frustré cinq minutes plus tard puis se remettre tout aussi rapidement à rigoler.  »

Ceux qui connaissent Teo savent qu’il se met énormément de pression. Trop même, dit-on. Cette saison, il voulait faire au moins aussi bien que la saison dernière, lorsqu’il a pris une part prépondérante dans les succès d’Anderlecht. À un certain moment, il a voulu forcer les choses et, psychologiquement, il n’a pas résisté. En début de saison, le staff technique a rapidement compris qu’il aurait des difficultés à le remettre sur pied.  » René, Teo et moi avons beaucoup discuté, analysé ses matches « , dit David Sesa, l’ex-adjoint de René Weiler.  » Mais parfois, il n’y a rien à faire : c’est le joueur qui doit trouver la solution. C’était dans sa tête. Le seul moyen de s’en sortir, c’était de retrouver le chemin des filets. En un an, il a très peu marqué mais, dans l’ensemble, ses statistiques passent encore. Quarante buts en un peu plus de quatre-vingt matches, ce n’est pas mal, tout de même ?  »

Marc Coucke connaît l'importance de Teodorczyk pour Anderlecht :
Marc Coucke connaît l’importance de Teodorczyk pour Anderlecht :  » Sauf le respect que j’ai pour nos autres attaquants, Anderlecht n’a qu’un avant de haut niveau. Teodorczyk est le seul qui ait fait ses preuves « .© BELGAIMAGE

Kums décrit le meilleur buteur du dernier championnat comme un introverti qui, lorsque les choses ne vont pas bien, préfère résoudre le problème tout seul.  » Il n’a pas la même culture que nous et il a visiblement vécu pas mal de choses en Pologne ou en Russie. Comme il savait parfaitement ce qu’il devait faire, il n’a voulu embêter personne. La seule chose qu’on pouvait faire, c’était l’encourager et lui dire que, la prochaine fois, il marquerait. Sa persévérance a fini par payer. C’est lui qui s’en est sorti car on n’a pas changé notre façon de jouer.  »

UNE FORME INQUIÉTANTE

Au sein de la direction, on ne croyait plus trop en Teodorczyk. On l’a proposé à Nantes, Bordeaux, Malaga, Hambourg et Atalanta. Selon Marcin Kubacki, son agent, l’AS Roma était intéressée également.  » Si Edin D¸eko était parti à Chelsea, Lukasz serait allé à Rome « , a-t-il confié au journal polonais Przeglad Sportowy.

Fin février, Jiangsu Suning a encore tenté d’attirer le chouchou du public anderlechtois en Chine – Fabio Capello, surtout, insistait- mais le timing n’était pas bon.  » Pourquoi partir en Chine à six mois d’une Coupe du monde ? C’était le meilleur moyen de casser sa carrière « , dit Michal Zewlakow, qui a évolué en D1 belge (Beveren, Mouscron et Anderlecht) de 1998 à 2006.  » Je constate que les joueurs qui sont partis pour quelques mois en Chine puis reviennent en Europe sont différents. Leur cerveau ne réagit plus qu’à l’argent et ils n’ont plus d’objectifs. C’est pourquoi je suis content que Teodorczyk soit resté à Anderlecht. C’était la meilleure chose qui puisse lui arriver et il peut encore rendre de grands services au Sporting d’ici la fin de la saison. S’il était parti en Chine, je ne suis pas certain que le sélectionneur fédéral aurait continué à compter sur lui alors qu’il est, à mes yeux, le premier substitut de Robert Lewandowski. Mais je peux vous assurer que concurrencer Lewandowski n’est pas facile car il attire toute l’attention.  »

En Pologne, la forme de Teodorczyk posait question. Arkadiusz Milik (Naples) a longtemps été absent et Lewandowski était le seul buteur de la sélection. Les médias polonais se demandaient pourquoi Teo ne marquait plus et se retrouvait parfois sur le banc.  » Les journalistes polonais m’ont souvent téléphoné « , dit Michal Zewlakow.  » Ils étaient inquiets au sujet de Teodorczyk et tentaient de lui trouver un remplaçant. Ils poussaient même un jeune joueur qui avait inscrit quelques buts en championnat de Pologne. Je leur ai dit d’être patients. Aujourd’hui, ils m’appellent pour me dire que j’avais raison. Teodorczyk, on l’adore ou on le déteste mais il faut admettre qu’il a des couilles et un sacré caractère.  »

On ne sait pas encore ce qu’Anderlecht compte faire de son attaquant polonais cet été. Son agent devrait bientôt venir à Bruxelles afin de discuter de l’avenir de son protégé avec Marc Coucke. Beaucoup de choses dépendront des prestations de Teodorczyk en Coupe du monde.  » Est-il fait pour le top ? C’est difficile à dire « , répond Wlodek Lubanski, ex-joueur de Lokeren et vice-meilleur buteur de l’équipe nationale polonaise avec 48 buts.  » Il doit encore faire ses preuves au niveau international. Il a trop peu joué en équipe nationale pour porter un jugement. Le sélectionneur, Adam Nawalka, est un ami – on a joué ensemble en équipe nationale – et je sais qu’il l’apprécie beaucoup.  »

BEUVERIE

Coucke connaît l’importance de Teodorczyk pour Anderlecht.  » Sauf le respect que j’ai pour nos autres attaquants, Anderlecht n’a qu’un avant de haut niveau. Teodorczyk est le seul qui ait fait ses preuves « , dit-il.

Et les joueurs savent que le Polonais peut jouer un rôle important dans la course au titre. Pour eux, le fait qu’il retrouve son meilleur niveau et son opportunisme juste avant les play-offs est un cadeau du ciel.  » Un bon Teodorczyk, c’est un plus pour nous. Espérons qu’il conserve longtemps ce niveau « , disent-ils.

Reste à voir si Teo est véritablement guéri de ses démons. Depuis qu’il est arrivé à Anderlecht, à l’été 2016, il a fait trop souvent la Une des journaux pour des raisons extra-sportives : une carte rouge pour un coup, une beuverie avec l’équipe nationale, un geste obscène adressé aux supporters du Club Bruges… Teo est un brave gars mais il ne parvient pas toujours à contrôler ses émotions.  » Il a quelques problèmes « , dit Michal Zewlakow.  » S’il avait 19 ans, on lui pardonnerait tout mais un adulte de 26 ans ne doit pas se comporter de la sorte. Il doit comprendre qu’il porte le maillot du plus grand club de Belgique. Mieux, qu’il représente Anderlecht, la Pologne, l’équipe nationale et sa région. J’ai connu quelques groupes difficiles à Anderlecht. Des gars comme Nenad Jestrovic, Ivica Mornar, Christian Wilhelmsson ou Vincent Kompany étaient parfois frustrés mais je ne me souviens pas qu’ils aient fait des choses de l’ampleur de celles de Teo. Il doit veiller à ce que les gens ne répandent pas de rumeurs sur lui s’il ne marque pas, mais j’ai tout de même l’impression qu’il a beaucoup mûri ces derniers temps.  »

Par Alain Eliasy, Guillaume Gautier et Frédéric Vanheule

Diagnostic du sommeil

Teo a longtemps été dans le doute.
Teo a longtemps été dans le doute.© BELGA

Il s’était assoupi si longtemps qu’il aurait pu revendiquer un rôle de princesse dans un Disney. De longs mois après sa dernière période prolifique, Lukasz Teodorczyk semble avoir retrouvé le sens du but. Le tout avec des paramètres qui défient la logique de ses exploits de la saison dernière.

Lors des premiers mois de René Weiler, Teo profitait d’un Anderlecht pas encore totalement adapté au football à réaction du Suisse. Les centres se multipliaient dans le rectangle adverse, et le Polonais finissait toujours par poser un pied ou le front au bout du ballon. Généralement, les caviars arrivaient de la droite, avec Alexandru Chipciu et Massimo Bruno dans le rôle des pourvoyeurs principaux.

Presque logiquement, l’attaquant des Mauves n’avait pas su maintenir sa cadence infernale au retour du stage hivernal. Weiler avait peaufiné les plans de son football fait d’attaques rapides, et le rôle principal a quitté les pieds de Teo pour atterrir dans ceux de Sofiane Hanni et de Youri Tielemans, voire de Frank Acheampong, atout inattendu sur la route du titre et des quarts de finale de l’Europa League. La dépendance au buteur de Zuromin s’était estompée, et seul un doublé contre Charleroi lors du match du sacre lui a permis de quitter son costume de figurant en 2017.

La crise de confiance s’est prolongée à la reprise, et le départ de Weiler n’a rien arrangé. Avec Hein Vanhaezebrouck, le Polonais aurait pourtant dû revenir à lui rapidement. L’ancien coach de Gand dessine son football sur les flancs, avec de l’espace trouvé sur les côtés pour y multiplier les centres. Une métamorphose du football mauve incarnée par les chiffres de Dennis Appiah, latéral exclusivement défensif sous Weiler (aucune action décisive) devenu meilleur passeur du Sporting version Vanhaezebrouck (sept assists). Une résurrection du côté droit qui aurait dû coïncider avec celle de Teo. Mais le Polonais est resté muet, au point de quitter le onze.

Le réveil a sonné à sa gauche. Sur un centre de Kenny Saief déposé sur son front, quelques instants après un penalty inscrit face à Mouscron. C’était le premier but inscrit depuis de longs mois par le numéro 91 des Mauves à ne pas naître d’une phase arrêtée. Il venait d’un flanc duquel il n’était presque jamais servi. Ni Acheampong ni Ivan Obradovic ni Henry Onyekuru n’ont laissé leur nom sur la liste des passeurs de Teo, en bientôt deux années bruxelloises. C’est comme si la machine avait été remontée à l’envers.

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